vendredi 29 avril 2016

La Jeune Épouse - Alessandro Baricco

Quand la Jeune Épouse débarque d’Argentine dans sa belle-famille italienne, le Fils n’est pas là. Son futur époux, envoyé en Angleterre pour étudier le commerce local, ne devrait pas tarder à revenir. Accueillie à bras ouverts alors qu’elle n’était pas vraiment attendue, elle découvre des gens aux mœurs étranges : le Père fantasque atteint d’une « inexactitude du cœur », la Mère aussi belle qu’inaccessible, l'Oncle narcoleptique, la Sœur handicapée et fervente pratiquante de l’onanisme, le vieux serviteur qui s’exprime en toussant… Les journées sont rythmées par une immuable routine, du déjeuner gargantuesque s’éternisant jusque dans l’après-midi à la toilette quotidienne, de quelques menus travaux à un coucher particulièrement ritualisé. La Jeune Épouse se plie aux excentricités et continue d’attendre son promis. Mais le temps passe et rien ne se passe. Peu à peu, chacun va prendre sous son aile la nouvelle arrivante et parfaire son éducation d’une manière tout sauf conventionnelle.

Un récit d’initiation troussé par Baricco n’est forcément pas un récit d’initiation comme les autres. D’une atmosphère bourgeoise surannée il tire un récit plein de fantaisie, souvent proche du conte burlesque. Jouant de l’attente et d’une sorte de « temps suspendu », il s’amuse à faire évoluer ses personnages dans un univers surréaliste teinté d’érotisme. J’ai beaucoup aimé me perdre dans les changements inopinés de points de vue, le passage du « il » ou « elle » au « je » sans que l’on sache d’emblée qui parle. De prime abord déstabilisante et foutraque, cette narration anarchique, ce doute  permanent à propos de « qui parle » se double d’une réflexion sur l’écriture et le rôle de l’écrivain que j’ai trouvée particulièrement intéressante : « En ce qui me concerne, je n’ai jamais cru que le métier d’écrivain pût se limiter à habiller ses propres histoires de manière littéraire, en recourant au laborieux truc qui consiste à changer les noms et parfois l’ordre des faits, alors que le sens le plus vrai de ce que nous pouvons accomplir m’a toujours paru être le geste de mettre entre nos vies et ce que nous écrivons une distance magnifique ». (une jolie charge en passant contre l'autofiction !)

Pour autant (et pour être honnête), ce n’est pas du Baricco à son meilleur. J’ai lu ce roman il y a plus de quinze jours et je constate qu’il ne m’en reste pas grand chose. Comme toujours, l’auteur de Soie s’amuse. Avec la classe et l’élégance qui le caractérise, doublées ici d’une bonne dose de sensualité. Mais son histoire ne passionne pas plus que cela. Reste cette réflexion sur l’écriture, son pouvoir et sa liberté. C’est malin, ironique et bien plus profond que les apparences ne peuvent le laisser penser, mais ça n’a pas tout à fait suffi à me faire tomber sous le charme de la Jeune Épouse.

La Jeune Épouse d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2016. 224 pages. 19,50 euros.


Noukette, avec qui je partage une fois de plus cette lecture, a davantage apprécié.




 

mercredi 27 avril 2016

L’apocalypse selon Magda - Chloé Vollmer-Lo et Carole Maurel

La fin du monde n’est pas pour demain mais pour dans un an. Une nouvelle confirmée par tous les experts de la planète et qui met à mal le quotidien de l’ensemble de la population. A son niveau, Magda a d’abord un peu de mal à prendre conscience de la situation. Quand son père abandonne la maison pour partir avec sa maîtresse, le coup est rude. Quand le jour de ses 13 ans personne ne lui offre de cadeau, elle comprend que l’heure est grave. Autour d’elle, tout le monde commence à perdre les pédales. Les élèves ne vont plus en cours, les coupures d’électricité se multiplient, les magasins ferment les uns après les autres. Les semaines, les mois passent, l’heure fatidique approche et Magda se lâche, enchaînant les excès en tout genre, cherchant à connaître un maximum d’expériences avant de mourir, quitte à se mettre à dos sa famille et ses amis.

L’intérêt de l’album ne réside pas dans la description du délitement d’une société se sachant condamnée mais plutôt dans la façon dont les événements sont vécus à une échelle individuelle. Derrière l’émancipation sans borne de Magda, motivée par l’urgence, se cache une réflexion profonde sur la puberté. Le bouleversement de la jeune fille est avant tout intérieur. Sa crise d’ado va prendre des allures XXL du fait de la situation extrême mais ses réactions, certes amplifiées, n’ont rien de délirantes.

Ce récit d’une « apocalypse intime » prise dans le tourbillon d’un désastre planétaire annoncé est  aussi audacieux que surprenant et ne laisse aucune place à une quelconque mièvrerie. D’ailleurs, malgré des dessins typiques d’une BD jeunesse, cet album n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains. Au fil des pages la tension monte et la violence s’amplifie à mesure que Magda veut grandir trop vite dans un monde ayant perdu tous ses repères. Et si la fin n’est pas celle que l’on croit, la surprise est d’autant plus grande et la dernière planche laisse en bouche une amertume teintée de vide et de tristesse. Typiquement le genre de claque que j’aime recevoir au moment où je m’y attends le moins !

L’apocalypse selon Magda de Chloé Vollmer-Lo et Carole Maurel. Delcourt, 2016. 192 pages. 22,95 euros.






mardi 26 avril 2016

Les fragiles - Cécile Roumiguière

Le petit Drew a bien grandi depuis ce jour où, du haut de ses neuf ans, il a pris en pleine face le racisme paternel. Une expérience des plus traumatisantes venue s’ajouter à bien d’autres épisodes douloureux. A l’époque, l’enfant avait déjà compris que son père lui en voulait. D’être trop tendre, trop bon à l’école, pas assez costaud, pas assez sportif. Il le craignait ce père violent et colérique. Pour lui plaire, Drew faisait exprès de rater ses devoirs et de ramener des mauvaises notes, hors de question de passer pour le premier de la classe et de se faire enguirlander. Mais en dépit de tous ses efforts, impossible de trouver grâce aux yeux de son géniteur, impossible de supporter sa brutalité, impossible de le satisfaire.

Aujourd’hui, Drew est un lycéen monté trop vite en graine, échalas dégingandé fan de métal, amoureux de la belle et intouchable Sky, devenue par miracle sa meilleure amie. Son père, parti dans le sud de la France pour suivre sa nouvelle compagne, continue de le hanter malgré la distance. Et au moment de leurs retrouvailles parisiennes, l’inéluctable face à face va tourner au cauchemar…

Je ne vous révèle rien avec la phrase précédente puisque le drame est annoncé dès la première page. Cécile Roumiguière s’applique à remonter le fil du temps et des événements pour expliquer comment les choses ont pu en arriver là. Huit ans avant, sept ans avant, cinq ans avant, quatre ans avant, le compte à rebours défile, entrecoupé par des épisodes se déroulant au présent, le jour J, ce jour où tout bascule. Comme toujours chez cette auteure que j’adore (ben, oui, pourquoi le nier !), chaque personnage est bouleversant d’humanité, même Cédric, ce père affreux qu’il m’a été impossible de détester.

Cécile Roumiguière ne s’offre aucun raccourci, aucune facilité. Le puzzle se met en place, chaque pièce s’emboîte naturellement. La narration est fluide, les dialogues sonnent juste et les interactions entre chacun fonctionnent à merveille, même (et surtout) pendant les moments de tension. Les fragiles du titre ce sont eux, Drew, Cédric, Sky. Incapables de communiquer vraiment, incapables d'exprimer leurs sentiments, incapables de fendre la carapace derrière laquelle ils se sont retranchés. La relation conflictuelle père/fils est menée de main de maître et vous serre les tripes jusqu’à la dernière ligne. Une fin que j’ai d’ailleurs trouvée parfaite, totalement ouverte sur un avenir pour le moins incertain et loin de tout optimisme béat.

De la littérature jeunesse comme j'aime. Ambitieuse, exigeante, ancrée dans son époque, qui ne cherche pas à rendre le monde plus beau qu’il n’est sans pour autant sombrer dans le désespoir absolu. Tout en subtilité et en intelligence, un texte fort, poignant, magistral.

Les fragiles de Cécile Roumiguière. Sarbacane, 2016. 200 pages. 15,50 euros. A partir de 13 ans.

Extrait :

« Papa… on aurait pu s’aimer. J’aimais bien, petit, quand tu me portais sur tes épaules. Tu courais, on rigolait…
Tu vois, il reste quand même des images, collées au fond de mon crâne. T’aimes pas les gens, t’aimes pas les Noirs, t’aime pas les Arabes… tu t’aimes pas. Mais moi, j’aurais pu t’aider, il aurait juste fallu te dire que t’étais un chouette père. 
Papa… je te demande pardon. J’ai jamais été le fils que tu voulais, on a tout raté. C’est de ma faute, aussi. Avant moi, t’étais heureux, tu étais amoureux de Maman. Quand elle parle du temps avant moi, du regard que tu avais, elle est belle… J’ai tout gâché. »



Une pépite du mardi que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.










lundi 25 avril 2016

La dictature du bien - Julien Jouanneau

Antoine et Madji se rencontrent dans une clinique privée. Le premier, en pleine dépression, vient de perdre sa compagne et de se faire renverser par une voiture. Le second est le fils d’un roi du pétrole. Il souffre d’une « insensibilité congénitale à la douleur ». Incapable de ressentir le moindre traumatisme corporel  (fracture, brûlure ou autre…), il est cloitré depuis son enfance dans l’établissement où des médecins peuvent le surveiller jour et nuit et intervenir au moindre souci.

Entre « l’anesthésié des sentiments » et « l’anesthésié physique », le courant passe d’emblée. Et puisque l’un comme l’autre n’ont plus rien à espérer pour eux-mêmes, ils décident de « faire le Bien » et de rendre l’existence plus belle aux victimes et aux perdants de la vie. Une entreprise qui, au fil de leurs pérégrinations, va leur valoir une célébrité aussi soudaine qu’inattendue et enclencher un mouvement de masse aux allures de vague irrésistible…

J’avais découvert (et apprécié) Julien Jouanneau avec « L’effet postillon et autres plaisirs quotidiens ». Je le retrouve ici avec un roman « feel good » prônant la solidarité collective, l’altruisme, la tolérance, la gentillesse et l’ouverture aux autres. Pas la peine d’être devin pour se douter que ce genre d’ouvrage n’est pas, mais alors pas du tout, ma tasse de thé. J’ai donc été à deux doigts d’abandonner en route. Trop de bienveillance me donne la nausée. Sans compter que l’histoire, certes originale, me semblait bien trop pétrie d’optimisme pour garder une quelconque crédibilité.

Oui mais. Jouanneau est malin. Avant de nous noyer complètement sous la guimauve, il ouvre une brèche et y engouffre un poil d’acidité. Le titre aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Vouloir imposer le bien à tout prix, selon son seul et unique point de vue, n’est-ce pas une forme de dictature ? La société est-elle prête à entendre et accepter une telle « doctrine » d’ailleurs ? Et puis le bonheur des uns fait le malheur des autres, c’est bien connu. Donc les choses tournent mal, et ça me plait. A cet égard, je trouve les deux dernières pages parfaites, dans un style lapidaire et direct, conclusion logique et désabusée qui ne pouvait qu’emporter mon adhésion.

Du moins, si je n’avais pas lu l’épilogue. Comme je le déplorais déjà à propos de Magic Time récemment, il a fallu rajouter une happy end dégoulinante de bons sentiments. Ça devient une sale manie, à croire que le lecteur ne peut pas rester sur une fin pessimiste (et lucide). J’espère que vous ne m’en voudrez pas, monsieur Jouanneau, d’avoir proprement découpé au cutter cet épilogue, mais il me fallait effectuer ce « sacrifice » pour que votre roman se termine d'une façon qui me convienne. Un caprice de lecteur allergique au "feel good", que voulez-vous, on ne se refait pas...

La dictature du bien de Julien Jouanneau. L’aube, 2016. 190 pages. 17,00 euros.



dimanche 24 avril 2016

Les deux grenouilles à grande bouche - Pierre Delye et Cécile Hudrisier

Le déluge s’annonce, les rivières sortent de leur lit, les lacs deviennent des mers. Deux cent quarante jours de pluie non stop, une catastrophe planétaire ! Une seule famille a réagi à temps et a construit un immense bateau. Mais le capitaine constate qu’il n’y aura pas de place à bord pour tout le monde : « Deux de ci, deux de ça, deux de chaque. Un chacun et une chacune, pas moyen de faire plus, pas moyen de faire mieux ».

On fait monter en premier les beaux animaux, puis les bizarres, les terribles et les pénibles. Restent les pires. Et les pires des pires, ce sont les grenouilles à grandes bouches ! Sur le bateau où tout le monde est serré et où la tension monte, les grenouilles chantent tout le temps, trop mal, trop fort. Les grenouilles font des blagues pas marrantes, les grenouilles se moquent et rigolent. Alors le capitaine prend une grande décision : pour arrêter le déluge, il faut faire un sacrifice : « On va zigouiller quelqu’un. Quelqu’un de vert ! Quelqu’un qui a une grande bouche ! Et pour être sûr, on va liquider la paire. »

Un bonheur cet album que je classe d’emblée parmi mes coups de cœur de l’année. Parce qu’il est drôle, terriblement drôle. Parce que le texte est rythmé, truffé de jeux de mots et qu’il permet au cours de la lecture de chanter aussi faux que les grenouilles. Parce que les illustrations de Cécile Hudrisier sont d’une folle expressivité et offrent aux différents animaux des trognes impayables. Et surtout, surtout, parce que la fin est géniale, très politiquement incorrecte, totalement immorale même. Et ça fait du bien, impossible de le nier.

Oui cette chute inattendue à l’humour presque noir interpelle. Les insupportables brailleuses vertes ne connaîtront pas le châtiment qu’elles méritent, c’est même bien pire que ça, c’est même totalement injuste… et c’est jubilatoire de bout en bout !


Les deux grenouilles à grande bouche de Pierre Delye et Cécile Hudrisier. Didier Jeunesse, 2016. 36 pages. 12,50 euros. A partir de 5 ans.


Les avis de Leiloona et MyaRosa





vendredi 22 avril 2016

Shots - Guillaume Guéraud

Dans le nouveau roman de Guillaume Guéraud il y a : Marseille, Miami, deux frères, une mère, de mauvaises fréquentations, un braquage, de l’art contemporain, une femme fatale, des truands, la mafia cubaine, du vaudou haïtien, des coups bas, des coups de couteau, des coups de feu, des morts, des souvenirs.

Le nouveau roman de Guillaume Guéraud est un album photos dont les photos ont disparu. Ne restent que leurs emplacements vides sur chaque page et des dates, des légendes, un compte rendu minutieux des événements. Le narrateur s’appelle William. Il part pour Miami afin de retrouver son frère Laurent dont il n’a plus de nouvelles depuis plusieurs mois. Il part pour Miami afin d’annoncer à son frère que leur mère est mourante. Une fois sur place, armé de son appareil photo, William se met en chasse. Et ce qu’il découvre à propos de Laurent dépasse tout ce qu’il aurait pu imaginer dans ses pires cauchemars.

Le nouveau roman de Guillaume Guéraud est malin. Efficace. Sa construction vous tient en haleine, vous pousse à en savoir davantage, vous incite à découvrir le fin mot de l’histoire, à comprendre pourquoi diable les photos ont disparu. Et puis la visite de Miami vaut le détour. On la parcourt en long, en large et en travers au coté de William. Une ville fascinante. Terrifiante aussi.

Le nouveau roman de Guillaume Guéraud ne m’a pourtant totalement emballé au départ. Efficace mais classique. Limite plan-plan, sans rien qui sort de l’ordinaire, sans cette tension qui caractérise son écriture, cette fièvre, cette colère, cette façon unique d’attraper le lecteur par les cheveux dès les premières pages pour lui montrer l’insoutenable. Ça m’a manqué. Longtemps. Mais la machine a fini par se mettre en route. A partir d’un mot entendu par William, en rêve : « rampage ». Un mot qui peut se traduire en français par « furie » ou « sauvagerie ». Un mot qui va ouvrir la porte à un final dévastateur. Un « saccage » comme le qualifiera William où j’ai  retrouvé le Guéraud que j’aime, celui qui ne prend pas de gant pour dire la violence avec un art de la description et de la mise en scène qui n’appartient qu’à lui.

Au final, le nouveau roman de Guillaume Guéraud ne m’a pas déçu, même s’il s’en est fallu de peu. A l'évidence, le garçon a de la ressource, ce dont je ne doutais pas un instant cela dit.

Shots de Guillaume Guéraud. Le Rouergue, 2016. 280 pages. 19,80 euros.



Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.



mercredi 20 avril 2016

The Time Before - Cyril Bonin

New York, Greenwich Village, juin 1958. Le photographe Walter Benedict vient en aide à un vendeur à la sauvette agressé en pleine rue. Pour le remercier le vieil homme lui offre une pierre ayant le pouvoir d’aider celui qui la possède à réussir sa vie. Walter découvre rapidement que ce talisman est une sorte de machine à remonter le temps et qu’il lui suffit de penser à un moment de son existence pour le revivre et le modifier à sa guise. Usant (et abusant) du procédé, il collectionne les succès, jusqu’au moment où il rencontre l’amour…

Un plaisir de retrouver Cyril Bonin et son univers si particulier aux frontières du fantastique. Il s’interroge ici sur ce que peut être une vie parfaite, sachant que la recherche de perfection engendre forcément une forme d’insatisfaction permanente. Et même s’il ne cesse de rembobiner le fil de son destin pour mieux le modifier, Walter comprend que l’entreprise est vaine. Car si, comme il le dit, « écrire sa vie demande parfois de nombreux brouillons », jouer avec le temps peut s’avérer dangereux. Sans compter que les erreurs d’aiguillages et les faux pas nous construisent aussi et qu’il convient de faire des choix définitifs pour avancer.

J’ai aimé cette interprétation « intime » du voyage dans le temps, loin des enjeux majeurs que l’on trouve d’habitude dans les scénarios traitant ce sujet. Walter ne va pas changer le monde et son Histoire, il ne va pas sauver l’univers, il va juste « revenir » sur ses propres traces et modeler son avenir comme il le souhaite. Par contre, les concepts mathématiques exposés pour expliquer les pouvoirs du talisman, notamment la théorie des ensembles infinis, me sont passés totalement au-dessus de la tête, ce qui au final n’est pas bien grave.

Un album qui questionne, qui interpelle, qui nous pousse à nous interroger sur la façon dont nous aurions réagi à la place de Walter. Parce que nous avons tous au moins un moment précis et délicat de notre existence sur lequel nous aimerions revenir afin de le vivre différemment. Et si cette possibilité nous était offerte, comment rejouerions-nous la partition ? Personnellement, j’ai quelques idées et quelques dates en tête…


The Time Before de Cyril Bonin. Bamboo, 2016. 104 pages. 18,90 euros.















mardi 19 avril 2016

La Belle rouge - Anne Loyer

« Le passé n’écrit pas forcément l’avenir. »

Il a quitté le centre pour mineurs où on l’avait placé après une succession d’échecs dans des familles d’accueil. Ce centre, dernière case avant celle de la prison, il l’a fui parce qu’il n’en supportait plus les règles et l’encadrement. Sa colère en bandoulière, Kader se retrouve sur une aire d’autoroute. Il monte dans un énorme camion rouge laissé ouvert par sa propriétaire, s’installe sur la couchette et s’endort. Quand Marje la routière le découvre dans son habitacle, elle le fiche dehors sans ménagement, et sans se douter que l’adolescent va bientôt bouleverser son quotidien et ses petites habitudes...

Comme beaucoup d’auteurs jeunesse l’ont fait avant elle (cf. notre pépite de la semaine dernière par exemple),  Anne Loyer relate l’histoire d’une rencontre. Une rencontre improbable et une relation qu’aucun des protagonistes ne semble avoir envie de nouer. Sauf que. Un concours de circonstances et un brin de curiosité mal placée suffisent pour entamer le voyage. La promiscuité, la monotonie de la route, les bribes de phrases lâchées par l’un et l’autre entraînent un début d’échange. Même si personne ne se livre vraiment, recroquevillé derrière une carapace dont rien ne filtre. Mais avec le temps, la confiance naissante, la découverte de l’autre, le respect de ses silences et de ses secrets, la carapace se fendille, les confidences affleurent, les liens se tissent.

J’ai aimé la façon dont les rapports entre Marje et Kader évoluent. Une communication compliquée, un parcours sinueux, qui n'a rien d'un long fleuve tranquille. Deux animaux solitaires qui s’apprivoisent mutuellement, sans aucune facilité. Deux grandes gueules seules contre tous, se frayant un chemin malgré les embûches et un passé douloureux. Ils sont touchants l’un comme l’autre, à leur façon. La rage d’un Kader remonté contre la terre entière, la mélancolie et la bienveillance d’une Marje profondément enfouies sous ses faux airs d’ours mal léchée. Des personnages incarnés, une écriture efficace aux dialogues réalistes, une tendresse sans mièvrerie et une fin ouverte vers un avenir incertain mais porteur d’espoir, il n’en fallait pas plus pour que je tombe sous le charme de ce très joli roman maîtrisé de bout en bout.

La Belle rouge d’Anne Loyer. Alice, 2015. 134 pages. 12,00 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite jeune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

















lundi 18 avril 2016

En veilleuse - Matt Sumell

Alby est en colère. Contre tout. Et tout le monde. Dès la première page, une simple dispute à propos du lave-vaisselle lui suffit pour avoir envie de cogner sa sœur. Ce qu’il va faire d’ailleurs, et sans que ça lui pose de problème, puisque pour lui « elle est un peu comme un frère, mais avec des seins ». Alby est un pauvre type, un gars capable de constater devant le corps nu de sa mère mourante, que « son vagin est dans un bien meilleur état [qu’il] ne le pensait. » Un gars qui, après avoir lu un poème enamouré de la fille avec laquelle il sort, écrit 11/20 en haut de la feuille avant de lui rendre et de s’étonner qu’elle lui fasse la gueule pour si peu. Un gars qui pense que « le Temps est cancérigène, comme le bacon brûlé », qui picole trop, enchaîne les petits boulots, est maladroit, impulsif, détestable.

 Mais quand il cesse de fanfaronner, Alby peut se montrer touchant, fendre la carapace. Comme lorsque qu’il décide d’élever un oiseau tombé du nid en le nourrissant à la paille ou cherche désespérément son chien perdu dans la forêt. Ou quand il regarde avec franchise sa relation aux autres : « Malgré la relative aisance avec laquelle j’enchaîne les râteaux, ce n’est jamais simple à vivre. Chercher en moi l’optimisme, la confiance et même, je dois l’avouer, la force nécessaire pour brancher une jolie fille demande un boulot de malade, quasi héroïque, surtout si on prend en compte toutes les fois dans ma vie pas-si-envieuse où ces efforts on été non seulement inutiles mais aussi même contre-productifs ».

Je me demande pourquoi j'ai un faible pour les personnages possédant un tel degré d'inadaptation sociale. Pourquoi je voue un culte à Ignatius Reilly, pourquoi le Bandini de John Fante me fascine, pourquoi je suis tombé amoureux de Mailman, pourquoi le journaliste crevant la dalle de Knut Hamsun est mon héros, le Chinaski de Bukowski mon idole et le Calaferte du Requiem des innocents mon Dieu. Les sales gosses infréquentables, misanthropes, à la fois vindicatifs et résignés, sont définitivement ma came. Sans doute parce que j'en ai beaucoup côtoyé et que je leur ai beaucoup ressemblé à une période de ma vie, que je les comprends et qu'ils me parlent. J'aime leurs excès, leur vulgarité, leur violence, leur mal être. Leur humour, souvent cradingue, me fait mourir de rire. Et leur autodérision permanente, l'absence d'orgueil et d'amour propre qui les caractérise est pour moi la marque des grands losers pathétiques sachant pertinemment la partie perdue d'avance, une marque de lucidité que je partage et admire.

Pour son entrée en littérature, Matt Summel a tout compris. Découpant son récit en chapitres constituant autant de petites nouvelles, il fonce, sans se poser de question. Il est fluide, facile, à l'aise. Il ne répète pas de gammes apprises dans des séances de « creative writing » comme la plupart de ses collègues anglo-saxons. Sa prose coule à l'instinct, ça crève les yeux et bordel que ça fait du bien.

Alors non, je ne tenterais pas de vous convaincre de faire la connaissance d'Alby. Parce que je me doute que ce premier roman tonitruant et plein de rage pourrait vous hérisser le poil et vous donner la nausée. Parce qu'il y a de grandes chances que vous détestiez cet homme à fleur de peau rongé par le chagrin, incapable de se remettre de la disparition de sa mère, incapable de nouer un véritable dialogue avec son père qu'il adore pourtant plus que tout. Et surtout parce que vous êtes assez grands pour savoir par vous-même si un personnage aussi fantasque, insupportable et politiquement incorrect a une quelconque chance de trouver grâce à vos yeux.

En veilleuse de Matt Sumell (trad. Jérôme Scmidt). Plon, 2016. 235 pages. 20,90 euros.







mercredi 13 avril 2016

L’homme qui tua Lucky Luke - Mathieu Bonhomme

Lucky Luke arrive à Froggy Town un soir d’orage et découvre une bourgade quasi déserte. Même le saloon attend désespérément les clients. Menacé par le shérif, le cow-boy solitaire doit lui abandonner son arme, comme tous les étrangers arrivant en ville. Le lendemain, quelques habitants viennent le chercher dans sa chambre d’hôtel pour lui demander de l’aide. Un indien a dévalisé la diligence qui amenait la récolte d’or des mineurs. Ces derniers, sans ressources, ne descendent plus en ville, ce qui menace dangereusement l’économie locale.  Après quelques hésitations, Luke accepte de mener l’enquête pour retrouver l’or.

Pour fêter ses 70 ans, le tireur le plus rapide de l’Ouest se réinvente et passe entre les mains d’auteurs lui rendant hommage à leur manière. Premier à se lancer dans cette drôle d’aventure, l’excellent Mathieu Bonhomme, dont j’ai lu tous les albums depuis la série « Le marquis d’Anaon ». Comme pour Chlorophylle récemment, j’aime l’idée d’un hommage qui ne se contente pas d’être une reprise fidèle mais apporte une réelle singularité au personnage et à son univers.

Bonhomme dresse le portait d’un Lucky Luke plus sombre, le faisant évoluer dans une atmosphère pesante où le clair-obscur prend le pas sur la lumière. Un Lucky Luke moins serein aussi, fébrile, lunatique, limite fragile, et en manque de nicotine, clin d’œil au passage de ce fumeur invétéré de la clope au brin d’herbe survenu en 1983. Suprême originalité, il se permet de tuer le héros dès la première planche !

Pour autant, le scénario m’est apparu classique, sans véritable surprise. Le manque d’humour, élément pourtant caractéristique de la série, est criant et les personnages secondaires sont bien trop lisses pour apporter une réelle valeur ajoutée. Reste le dessin, toujours aussi somptueux, avec un art du cadrage et de la mise en scène qui fonctionne à merveille.

Pas une déception à proprement parler mais une réappropriation très personnelle, plus mature, au scénario trop sage, qui vaut surtout pour sa qualité graphique en tout point remarquable.

L’homme qui tua Lucky Luke de Mathieu Bonhomme. Lucky comics, 2016. 64 pages. 15,00 euros.




Les BD de la semaine sont chez Stephie



mardi 12 avril 2016

La folle rencontre de Flora et Max - Martin Page et Coline Pierré

« Je n’ai pas d’amis, et il me semble que tu ne dois pas en avoir beaucoup non plus, alors aller vers toi est plus facile pour moi ».

Max se décide à écrire à Flora après avoir consulté son profil Facebook. Ils étaient dans le même lycée mais ne se connaissaient pas. Lui a développé une phobie l’empêchant de franchir le seuil de sa maison sous peine de connaître de terribles crises d’angoisse et de tétanie. Elle est incarcérée pour avoir frappée une fille de sa classe qui est tombée dans le coma.  Max écrit sa lettre comme on lance une bouteille à la mer. A sa grande surprise, Flora lui répond quelques jours plus tard. Commence alors une étrange correspondance entre deux êtres cabossés et solitaires qui vont peu à peu se découvrir une complicité aussi naturelle qu’improbable.

Flora et Max, deux reclus, coupés du monde extérieur, forcément atypiques, mais pas forcément faits pour s’entendre. Et pourtant au fil des courriers échangés, après avoir pris le temps de s’apprivoiser, chacun va se confier, se livrer en toute simplicité. Les mots couchés sur le papier aident à supporter le quotidien, les mots échangés permettent de mieux se comprendre. La connivence devient évidence, une amitié solide se construit et un projet un peu fou va prendre forme.

Un très joli roman épistolaire, doux et positif malgré la situation compliquée vécue par les deux ados. Loin de toute surenchère dramatique, Martin Page et Coline Pierré jouent la carte de l’apaisement, nous montrant les bienfaits d’une correspondance porteuse d’espoir et de reconstruction. L’écriture à quatre mains permet de singulariser la voix de chaque protagoniste, celle de Max étant plus spontanée, plus drôle et plus décalée, tandis que celle de Flora est davantage dans la retenue. Au final, l’alchimie fonctionne et c’est un véritable plaisir de parcourir ces lettres offrant à ces deux enfermés d'indispensables moments d'évasion.

La folle rencontre de Flora et Max de Martin Page et Coline Pierré. L’école des loisirs, 2015. 200 pages. 14,50 euros  

Une pépite jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.







vendredi 8 avril 2016

Trois jours et une vie - Pierre Lemaitre

Dans un accès de colère Antoine, 12 ans, tue son voisin Rémi 6 ans, puis cache son corps au fin fond de la forêt. Je ne spoile rien en écrivant cela d’emblée, l’événement est décrit au bout de trente pages. La question n’est d’ailleurs pas de savoir comment on en est arrivé là mais plutôt d’expliquer comment Antoine va gérer les choses après son geste fou. Il imagine un projet de fuite, pense au suicide, est terrassé par la peur, laisse son imagination élaborer les pires scénarios, sait que sa mère ne supportera pas de découvrir la vérité. Pendant les trois jours « d’après », le village se mobilise. Tout ce que Beauval compte de forces vives va participer, avec les gendarmes, à plusieurs battues pour retrouver Rémi. Le jeune garçon est persuadé que les dés sont jetés, que le corps sans vie de l’enfant, une fois entre les mains de la police scientifique, révélera à coup sûr l’identité de son meurtrier. Mais nous sommes en décembre 1999, une tempête phénoménale traverse la France et ravage Beauval. Et la forêt saccagée ensevelit définitivement les dernières traces de la victime…

J’ai trouvé cette première partie très réussie. La panique de Rémi est parfaitement retranscrite, comme l’atmosphère pesante régnant sur Beauval et les réactions d’une population gangrenée par les inimités, les rumeurs et les rivalités sur fond de chômage et de crise sociale. Après, malheureusement, les choses se gâtent. On retrouve Antoine douze ans plus tard, devenu médecin et toujours écrasé par la culpabilité. Pas la peine d’en dire davantage mais ce saut dans le temps ne sert pas le récit, loin de là. Tout est survolé, rien ne m’a paru crédible et j’ai été soulagé de voir la fin arriver pour pouvoir passer à autre chose.

Je l’ai lu il y a plusieurs semaines et il m’en reste l’image d’un roman noir aux effets de surprise éventés qui finit par tourner à vide. Je l’ai terminé en pensant que ce texte avait dû traîner dans les tiroirs pendant des années et qu’il en était ressorti avec un certain opportunisme « post Goncourt » (ce que je comprendrais tout à fait soit dit en passant) pour être publié après avoir été quelque peu remanié. Je ne sais absolument pas si c’est le cas, j’en doute même fortement, mais c’est l’impression qu’il m’a laissé, la désagréable impression d’avoir eu entre les mains un manuscrit pas franchement abouti. Mais peu importe, je garde la ferme intention de découvrir bientôt « Au revoir là-haut » et ce n’est pas cette lecture en demi-teinte qui me fera changer d’avis.

Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre. Albin Michel, 2016. 280 pages. 19,80 euros.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis d'Alex, CajouClara, Delphine, La Fée Lit, Sandrine



jeudi 7 avril 2016

La douleur porte un costume de plumes - Max Porter

« On ne se disputera plus jamais, finies nos scènes brèves et adorables, avec leur modèle prêt à l’emploi. La dentelle délicate de nos chamailleries »

Le Corbeau vient un soir frapper à la porte. Le père l’accueille. Les deux fils dorment. Et la mère vient de mourir. Le Corbeau s’immisce, conseille, apaise, se moque, parasite. L'oiseau n’est pas là pour aider à faire le deuil, il accompagne le désespoir, apprend à chacun qu’il faut continuer à vivre. Il est protéiforme, à la fois « charognard et philosophe », insupportable et indispensable.

Le texte fait alterner les voix des personnages en courts paragraphes : Papa, Corbeau, Les garçons. Monologues, dialogues, contes, listes, invectives, la narration chaotique retranscrit à merveille l’instabilité émotionnelle provoquée par la souffrance. De prime abord, la forme est déstabilisante. Mais au final, les passages incongrues, le comportement trivial du corbeau, les anecdotes légères, les séquences poignantes s’enchaînent et forment un tout cohérent. Le cheminement de la douleur apparaît fluctuant, avec ses moments d’apaisement et ceux où le manque devient trop fort : « Elle n’utilisera plus jamais son maquillage / Elle ne terminera jamais son roman de Patricia Highsmith / Et je n’irai plus lui dénicher des livres pour son anniversaire / J’arrêterai de trouver ses cheveux / J’arrêterai de l’entendre respirer ».

Il y a dans ce premier roman quelque chose d’aérien, de léger, de totalement libre. De l’éparpillement naît la profondeur, des silences montent la gravité. Max Porter a su trouver les mots pour dire la perte, l’absence, en insufflant à sa prose une vitalité qui pousse ses personnages à aller de l’avant. Sans pour autant tourner la page. Car au cœur de tous les échanges demeure la disparue. Son ombre nimbe chacun d’une présence que le temps n’effacera jamais. Mais avec l’aide de Corbeau, la tristesse va prendre son envol et s’éloigner doucement comme, à la dernière page, ces cendres emportées par le vent au dessus de la mer tandis que les garçons crient « JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME ».

La douleur porte un costume de plumes de Max Porter. Seuil, 2016. 122 pages. 14,50 euros.


Merci à celle qui a eu la gentillesse de m'offrir ce livre en pensant que je l'apprécierais. A l'évidence, elle me connaît très bien.


Les avis de Cathulu, Léa, Marie-Claude, NadègeNoukette,





mercredi 6 avril 2016

Allô, Dr Laura ? - Nicole J. Georges

Un album reçu dans le cadre de l’opération  la « BD fait son festival » de Priceminister. Et pour le coup, une mauvaise pioche. Je m’en suis douté avant même de l’ouvrir, en découvrant sur la quatrième de couv la citation dithyrambique d’Alison Bechdel, auteure de « Fun Home », qui est juste la pire BD que je n’ai jamais lue.

M’étonne pas qu’Alison ait adoré ce pavé autofictionnel où Nicole J. Georges raconte sa vie sur un ton et un rythme  aussi excitants que la rediffusion d’un épisode de Derrick un dimanche soir d’hiver. Tout y passe, l’enfance avec une mère célibataire dont les petits amis successifs se révéleront d’affreux beaux pères, les maux de ventre chroniques qui lui pourrissent la vie, la découverte de son homosexualité, l’installation à Portland avec Radar, sa première véritable petite amie, une carrière confidentielle dans le monde de la musique, une peine de cœur, son impossible coming out, la mort de son père qui reste un mystère et dont personne ne veux lui parler avant que l’une de ses sœurs lui révèle la vérité, etc.

Le récit alterne entre les souvenirs de sa jeunesse et son quotidien d’adulte avec ses poules et ses quatre chiens. Aucun humour, pas d’autodérision, c’est froid et plat, on a l’impression d’assister à une séance chez le psy. Sauf que je ne suis pas psy et que les confessions autocentrées de la demoiselle, je m’en tamponne royalement. Du coup je tourne les pages en baillant, incapable de m’intéresser une seconde à la vie d’une fille paumée qui ne m’attire pas la moindre sympathie. Mais je veux quand même aller jusqu’au bout parce que je suis un lecteur consciencieux et que je garde le fol espoir de tomber sur un épisode sortant de l’ordinaire et valant la peine d’être relaté. En vain.

Et le dessin me direz-vous ? Un noir et blanc sans âme et sans charme pour sa période de jeune adulte et un noir et blanc naïf que ne renierait pas un gamin de dix ans pour les faits se déroulant dans son enfance. Clairement, le graphisme ne relève pas le niveau de l’ensemble…

De la BD US underground qui se regarde autant le nombril, sans recul ni légèreté, ne me fait ni chaud ni froid. C'est simple, je me suis ennuyé de bout en bout. Une vraie purge, que je ne conseillerais pas à mon pire ennemi.

Allô, Dr Laura ? de Nicole J. Georges. Cambourakis, 2015. 260 pages. 26,00 euros.




mardi 5 avril 2016

Orgasme - Chuck Palahniuk

Elle en a du bol, Penny Harrigan. Stagiaire dans un cabinet d’avocat, tout juste bonne à faire le café, elle se retrouve le cul à l’air devant Cornelius Linus Maxwell après s’être étalée lamentablement avec le plateau de cappuccinos qu’elle s’apprêtait à lui apporter. Un Maxwell qui n’est rien d’autre que l’homme le plus riche du monde doublé d'un Dom Juan que les tabloïds ont surnommé « Orgasmus Maxwell ». Lui qui jusqu’alors avait épinglé à son tableau de chasse une actrice six fois couronnée aux oscars, la présidente des États-Unis ou encore la future reine d’Angleterre semble être tombé de manière assez incompréhensible sous le charme de Penny, au point de l'invité à dîner. La jeune femme va vite découvrir que le bellâtre voue un culte au plaisir féminin et ne cesse de chercher à déclencher chez ses partenaires des orgasmes dévastateurs grâce à divers jouets de sa conception. D’abord éblouie par les torrents de jouissance que Maxwell parvient à provoquer en elle, Penny va rapidement se rendre compte que quelque chose cloche et que, loin de tout sentimentalisme, son amant la considère uniquement comme un cobaye. Où comment le conte de fée va virer au cauchemar...  

Dès le départ, on se dit que Palahniuk se moque du monde. Qu’il force le trait, qu’il insiste lourdement sur les codes propres aux Mommy Porn pour mieux les égratigner. Impossible en effet de prendre au sérieux le délire du fumeux Cornélius Maxwell, expert implacable de l’anatomie féminine et de ses secrets se muant en terroriste psychopathe assoiffé d’argent et de pouvoir. Un maître de l’univers gagnant ses galons en fournissant aux femmes la drogue la plus dure jamais mise sur le marché, une dépendance à l’orgasme provoquée et entretenue par ses sextoys tous plus diaboliques les uns que les autres. L’histoire en elle-même est totalement déjantée, comme tous les personnages d’ailleurs (avec une mention spéciale pour Baba Barbe-Grise, prêtresse de la jouissance féminine vivant depuis deux cents ans recluse dans une grotte du fin fond de l’Himalaya et épuisant tous les disciples qui ont osé se frotter à son savoir).

Le risque quand on se lance dans un projet aussi parodique, c’est de rapidement tourner en rond et de finir par tourner à vide. Or ici, ce n’est jamais le cas. D’abord parce que c’est drôle et ensuite parce que Palahniuk ne se contente pas de se foutre de la mode érotico-porno actuelle. Son roman est aussi (et surtout) une satire sociale dénonçant la quête effrénée du plaisir entretenue par une industrie et des médias aux vues purement mercantiles. La réflexion sur la manipulation des masses est aussi très présente et on sent le plaisir qu’a eu l’auteur à mettre en scène puis dézinguer quelques travers très actuels de notre société.

Un pari compliqué mais parfaitement réussi. Le sens de l’hyperbole de l’auteur de Fight Club conjugué à son sens de l’ironie mordante offre au final un pastiche à l’absurdité jouissive. Tout ce que j’aime.


Orgasme de Chuck Palahniuk. Sonatine, 2016. 260 pages. 18,00 euros.


Un orgasme que j'ai le plaisir de partager avec Noukette (si, si !!!).








lundi 4 avril 2016

Mémoire de fille - Annie Ernaux

Annie Duchesne a 18 ans en 1958, l’année du retour du général De Gaulle et des événements d’Algérie. Une année où Annie a passé l’été comme monitrice de colo à S, dans l’Orne. L'été des premières fois pour cette enfant unique couvée par une mère surprotectrice. « Elle ne sait pas téléphoner, n’a jamais pris de douche ni de bain. Elle n’a aucune pratique d’autres milieux que le sien, populaire d’origine paysanne, catholique ».

Cet été-là, elle goûte pour la première fois à la liberté, loin de l’épicerie familiale d’Yvetot qu’elle n’avait jamais quittée. Première expérience professionnelle, première nuit avec un homme, première découverte de la sexualité, première désillusion amoureuse. Cataloguée « fille facile » par les autres moniteurs, elle devient l’objet de mépris et de dérision. L’année suivante, elle obtient le bac avec mention, entre à l’école normale, devient institutrice, se rend compte qu’elle n’est pas faite pour ce métier et en démissionne rapidement. Suivront un séjour au pair de six mois à Londres et une entrée à la fac…

Annie Ernaux est le seul auteur d’autofiction que j’apprécie. Sans doute parce qu’elle revendique le fait de ne pas écrire de la fiction : « Je ne construis pas un personnage de fiction, je déconstruis la fille que j’ai été ». Depuis toujours elle lie autobiographie, sociologie et regard historique sur la France de l’après guerre avec au cœur de sa réflexion le fameux « transfuge de classe », ce passage d’un milieu social à un autre. Un milieu d’origine auquel, quoi que l’on fasse, on n’échappe jamais tout à fait.

Ici, elle alterne le « je » d’aujourd’hui et le « elle » d’hier. Elle observe cette «  fille de 58 » avec distance, sans jugement, sans explication, s’appliquant à restituer le plus fidèlement possible les sensations physiques et les questionnements d’une jeune fille de l’époque. Une jeune fille en construction, un peu perdue, dont elle va commencer à faire « un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elle devaient être écrites un jour ».

L’écriture est sèche, dépouillée de métaphores ou de toute autre figure de style. La sincérité de la démarche se suffit à elle-même pour créer l’émotion et rendre fascinante cette introspection où se mélangent le temps, la vie, le chemin parcouru. Au final, Annie Ernaux parvient à « explorer le gouffre entre l’effarante réalité de ce qui arrive, au moment où ça arrive et l’étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé ». Pour comprendre comment celle qu’elle a été peut encore et toujours faire irruption dans celle qu’elle est aujourd'hui.

Mémoire de fille d’Annie Ernaux. Gallimard, 2016. 150 pages. 15,00 euros.








samedi 2 avril 2016

Koko au pays des Toutous - Jean-Benoît Meybeck

Koko vit au pays des cabots. C’est un beau pays mais on n’y trouve plus un os à ronger. Alors Koko doit se résoudre à rejoindre le pays des toutous, qui semble être le paradis sur terre. Sa famille l’aide à réunir le nombre d’os nécessaire pour financer le voyage. Commence alors un long périple à travers le désert puis sur les mers, dans des conditions terribles. Suite à un naufrage, Koko et ses compagnons d’infortune sont sauvés par des toutous policiers qui, après les avoir ramenés à terre, les mettent derrière les barreaux. Koko est finalement relâché mais on lui ordonne de retourner chez lui car chez les toutous, on ne veut pas de chiens errants. Koko voulant à tout prix rester dans le pays où il vient d’arriver, il doit se résoudre à vivre dans la clandestinité, dormant dans les égouts et se nourrissant dans les poubelles en attendant des jours meilleurs…

Un album surprenant, qui explique avec une facilité déconcertante le parcours des migrants aux enfants dès 3-4 ans. L’accompagnement de l’adulte est évidemment nécessaire si l’on souhaite faire le parallèle entre la situation de Koko et celle des réfugiés, mais même sans cette médiation, l’injustice subie par le pauvre chien sautera d’elle-même aux yeux des bouts de chou et ne pourra que susciter indignation et interrogation.

Texte court, illustrations simples dont le minimalisme permet d’aller à l’essentiel, l’effort de clarté recherché dans la narration est louable et parfaitement atteint. Un album forcément engagé, publié avec le soutien d’Amnesty International, qui offre une démonstration limpide du calvaire enduré par ceux qui doivent tout quitter parce qu’ils n’ont plus le choix et rêvent d’un ailleurs où la vie serait plus belle. L’outil idéal pour expliquer, interpeller et faire réagir, pour montrer le monde tel qu’il est, avec intelligence et finesse, sans la moindre surenchère traumatisante. A recommander plus que chaudement !


Koko au pays des Toutous de Jean-Benoît Meybeck. Des ronds de l’O, 2016. 40 pages. 10,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.






vendredi 1 avril 2016

Mailloux - Hervé Bouchard

Pas facile l’enfance québécoise de Jacques Mailloux. Une mère insensible, un père qui rentre de l’usine pour s’abrutir en tétant la bouteille et ne lésine pas sur les taloches, des copains moqueurs. Mailloux pisse au lit, c’est plus fort que lui. Plutôt que de l’aider, ses parents l’enfoncent dans la honte. En courts chapitres, on suit les traces d’un gamin plutôt solitaire, en butte à l’indifférence des adultes, mais qui ne se plaint pas plus que cela de son sort. Un gamin davantage dans l’observation que dans l’analyse, un gamin qui se dit que les choses sont comme elles sont, faisons avec. Par moment surgissent des épisodes plus  optimistes, soulignant le poids de l’amitié. Il y a dans ce roman une forme de brutalité, de sauvagerie et d’autodérision qui aurait dû me plaire. Sauf que ça n’a pas été le cas. Du tout.

Un abandon, très longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Je n’aime pas me battre avec un texte. J’aime qu’il me résiste si cette résistance finit par céder et devient source de plaisir. Ici, la lecture a été laborieuse, tellement laborieuse que je me suis arrêté après cent pages (sur 150). En cause, la langue. Une langue inventée, changeante, d’une telle liberté qu’elle m’est apparue incontrôlable et que je m’en suis lassée.

Exemples : 



Et tout n’est pas du même tonneau. On peut attaquer un chapitre d’une écriture fluide et parfaitement compréhensible et se retrouver derrière avec un phrasé digne des prédictions de Nostradamus. J’admire la prise de risque et le culot d’Hervé Bouchard mais à la longue, ça m’a fatigué. Et cette focalisation sur la forme, cette espèce de pénibilité, a plombé ma lecture, m’a éloigné du fond, m’empêchant de ressentir la moindre émotion envers ce pauvre Mailloux. 

Un rendez-vous manqué donc. Impossible pour autant de ne pas reconnaître les qualités d’un ouvrage publié au Québec en 2002 et régulièrement réédité depuis. Le fait est qu’Hervé Bouchard possède une vraie plume, déstabilisante certes, mais avec une incontestable identité. Pas une écriture prétentieuse ou boursouflée à la manière de, juste une écriture à laquelle je n'ai pas adhéré. Et pour le coup je le regrette sincèrement, mais ce n’est pas la peine de faire semblant, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas (je déteste simuler).

Mailloux d’Hervé Bouchard. Le Nouvel Attila, 2016. 158 pages. 18,00 euros.