mercredi 26 février 2020

Mojo Hand - Arnaud Floc’h

1926, dans les marais de Louisiane, après une tempête. Wilson Darbonne trouve un gamin de 2 ans endormi près d’un tronc d’arbre. Orphelin ou abandonné, l’enfant n’a aucune chance de survie, seul dans le bayou. Wilson le ramène chez lui et, au grand dam de sa femme, décide de le garder. Il faut dire que Wilson est noir et le bambin « blanc comme un ver ». Baptisé Bellerophon et surnommé Bello, l’enfant grandit auprès de Cleytus, le fils aveugle des Darbonne. Devenus des frères de cœur, les garçons vivent ensemble dans la cabane de la famille en pleine forêt, isolés du monde extérieur. Il faut dire que si on découvrait qu’un noir a « volé » un enfant blanc et l’a élevé comme l’un des siens, le châtiment pour Wilson serait terrible.

Au fil des années, Bello et Cleytus développent une passion commune pour la musique qui les pousse à sortir du bayou pour aller faire quelques concerts dans la ville la plus proche. Cleytus est rapidement considéré comme un virtuose de la guitare tandis que Bello se contente de l’accompagner au banjo. De plus, ce dernier constate qu’il n’est pas le bienvenu dans les bars noirs où ils se produisent. Peu à peu les relations entre les deux musiciens vont se distendre, au point de fissurer des liens qui semblaient pourtant indéfectibles.

Avec un tel postulat de départ, on imagine facilement la tragédie à venir. Deux « frères » de couleur différente dans la Louisiane des années 30-40 jouant de la musique ensemble, ça ne pouvait que tourner au  vinaigre et finir par un lynchage. Mais Arnaud Floch n’a pas choisi de mener son récit là où tout le monde l’attendait. La tragédie survient bien, pas la peine de cacher cette évidence, mais la tournure prise par les événements est vraiment inattendue. L’évolution des relations entre Bello et Cleytus est tortueuse, complexe. Chacun souffre à sa façon, chacun exprime sa souffrance à sa façon, et tous deux vont être emportés par leurs démons intérieurs.

Le dessinateur de l’excellent Emmett Till restitue une fois de plus à merveille l’ambiance  du Sud profond. La chaleur poisseuse du bayou, les chanteurs de blues au coin des rues ou dans les clubs, la misère qui a suivi la crise de 29 et la ségrégation partout présente offrent une plongée saisissante dans une époque particulièrement troublée. Une belle réussite !

Mojo Hand d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2019. 112 pages. 19,50 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka








mardi 25 février 2020

Dans un brouillard de poche : Portraits au filtre des écrans - Thomas Scotto et Madeleine Pereira

Le sous-titre est bien  plus parlant que le titre je trouve. Ces « portraits au filtre des écrans » sont autant d’instantanés abordant la question de l’image, des écrans, de ces technologies qui envahissent nos vies. Il y a les images du journal télé qui font vivre les drames à distance et avec distance. Les selfies, les concerts passés le téléphone à la main et le bras levé pour capturer l’instant plutôt que le vivre intensément. Les sites de rencontre, les réseaux sociaux, les accros aux jeux en ligne. Les fake news, les tablettes et les consoles qui remplacent la nounou, les tweets du crétin américain ou le harcèlement virtuel, qui est bien réel. Autant de micro-nouvelles pour dire les ravages de cette société 2.0, des ravages bien moins dus aux outils technologiques eux-mêmes qu’aux usages que l’on en fait.

Les textes ne donnent pas dans l’argumentation véhémente, Thomas Scotto ne fonce pas tête baissée, il avance en finesse, croque des instants, des réflexions, des attitudes. Il varie les thèmes, les âges, les sexes et les discours. Chaque situation invite à la réflexion sans donner de leçon, expose un point de vue sans émettre de jugement.

Au final, les faits se suffisent à eux-mêmes, pas besoin d’enfiler de gros sabots pour faire passer le message. D’ailleurs le procès n’est pas uniquement à charge, la technologie a aussi ses atouts, ses avantages, ses bons côtés. Et « on ne doit pas refuser ce qui fera un plus grand futur commun. » Une pépite jeunesse aussi pertinente qu'intelligente. 

Dans un brouillard de poche : Portraits au filtre des écrans de Thomas Scotto (ill. Madeleine Pereira). Editions du Pourquoi pas ?, 2020. 80 pages. 9,50 euros. A partir de 14 ans.



Une nouvelle lecture commune partagée avec Noukette














vendredi 21 février 2020

Tous les vivants - C.E. Morgan

L’univers d’Aloma et d’Orren se réduit à une ferme perdue au fin fond du Kentucky. Une ferme dont Orren a hérité après le décès de sa mère et de son frère dans un accident de voiture. Aloma y débarque pour vivre avec son compagnon dans un périmètre circonscrit à quelques hectares. Un champ de tabac, des vaches, des poules et une maison branlante. Orren se tue à la tâche et Aloma s’ennuie. Sa passion pour le piano lui permet de quitter plusieurs fois par semaine son triste foyer pour aller jouer dans l’église du coin. Le pasteur qui l’a engagée ne la laisse pas insensible et la jeune femme préfère passer du temps loin de la ferme et de celui qui, trop absorbé par son travail, lui accorde de moins en moins d’attention.

 Je ne connaissais rien de C.E Morgan au moment de me lancer dans ce premier roman. Je ne savais pas que son second roman, Le sport des rois, était paru l’an dernier et avait soulevé un enthousiasme quasi général. Du coup je suis parti sur une fausse piste. Je me suis dit que j’avais fait une mauvaise pioche, que Gallimard se mettait maintenant à imiter Harlequin, que le beau pasteur et la pauvre fille délaissée allaient finir par se tamponner allègrement dans l’allée centrale de l’église pendant que le soleil passant à travers les vitraux illuminerait leurs corps fiévreux de désir et que l’eau de rose dégoulinerait ensuite à chaque page jusqu’à me filer la nausée.

Et bien en fait pas du tout. Déjà parce qu’il n’y a pas de vitraux dans l’église mais surtout parce que l’histoire d’amour se joue bien entre Aloma et Orren. Avec tout ce que cela implique de difficultés entre une femme rêvant d’émancipation et un homme enfermé dans sa douleur depuis la perte des siens. Des êtres désaccordés au possible et pourtant viscéralement attachés l’un à l’autre qui peinent à exprimer leurs émotions.

C.E. Morgan ne donne pas dans le sentimentalisme. Elle brosse un portrait de femme touchant dans une Amérique rurale sclérosée par des siècles de patriarcat. La focalisation sur Aloma est totale, extrêmement intime. Du sacrifice pour Orren et son projet de vie sans avenir à l’éveil d’une conscience lui autorisant l’espoir de forcer les barreaux de cette prison à ciel ouvert où elle a accepté de se laisser enfermer, le chemin vers la liberté est tracé pas à pas. Solitude, frustration, désir ou colère, Aloma dévoile au fil du temps un tempérament complexe et bien moins docile que les apparences ne le laissent penser. 

Un très beau texte, tout en pudeur et en sensibilité.

Tous les vivants de C.E. Morgan (traduit de l’anglais par Mathilde Bach). Gallimard, 2020. 240 pages. 19,00 euros.







mercredi 19 février 2020

Bolchoi arena T2 : La somnambule - Boulet et Aseyn

Je vais faire court (pour une fois). Et je vais être honnête (pour une fois). Je n’ai rien compris. Pourtant j’avais aimé le tome 1, j’avais aimé l’ambiance, le concept, le dessin, même si je m’interrogeais sur le fait que ça risquait de partir dans tous les sens. Et bien c’est exactement le ressenti que j’ai eu dans ce deuxième volume. Pour rappel, le Bolchoï Arena est LE jeu en ligne le plus populaire du monde. Un univers sans limite dans lequel on pénètre en enfilant un casque de réalité virtuelle. Marje, étudiante en astrophysique, s’y fait rapidement remarquer et devient une cible pour les joueurs chevronnés ne supportant pas que l’on vienne marcher sur leurs platebandes. A la fin du tome précédent la jeune femme, coincée dans le Bolchoï après un incident majeur, risquait de ne jamais pouvoir revenir dans le monde réel.

J’en étais grosso modo resté là mais dès l’ouverture de cette suite, je me suis noyé sous le flot d'informations. Trop de personnages dans ce monde virtuel, trop d’implications géopolitiques, de conflits quasi ethniques, de risques terroristes, de dérives capitalistes et d’intérêts obscures dont on ne saisit pas bien les tenants et les aboutissants. Sans compter les nombreuses règles propres au Bolchoï Arena qui sont tellement spécifiques que je n'y ai rien pigé.

Je reste persuadé que les auteurs maîtrisent leur scénario et savent exactement où ils vont mais je ne suis pas parvenu à les suivre. J’ai l’impression d’avoir pénétré un monde d’initiés où le premier clampin venu ne voulant pas faire l’effort de saisir la complexité du propos serait exclu du jeu sans la moindre explication. Du coup j’ai lâché prise, j’ai lu sans comprendre, je me suis contenté de regarder les jolis combats spatiaux, les décors de space opera et les quelques retours à la réalité pendant lesquels j'ai eu la sensation (trompeuse) de reprendre pied.

C’est peut-être une BD réservée aux spécialistes, une BD pour joueurs en ligne chevronnés, pour amateurs de SF rompus aux imbroglios scénaristiques ou pour geek passionnés de Star Wars. Je ne suis malheureusement rien de tout ça et au final, j’ai lamentablement perdu la partie. Suite et fin dans le tome 3. Évidemment ce sera sans moi.

Bolchoi arena T2 : La somnambule de Boulet et Aseyn. Delcourt, 2020. 164 pages. 23,95 euros.


Mon avis sur le tome 1




Les BD de la semaine sont chez Stephie













mardi 18 février 2020

PLS - Joanne Richoux

« Il se passe un truc sale quand on grandit. Un voile de poussière qui ternit et complique les choses. »

Ce roman, il faut y aller d’une traite. Le lire comme on enlève un pansement depuis trop longtemps collé à la peau, en tirant d’un coup sec pour mettre la blessure à vif et lui permettre de cicatriser. Ce roman, il vaut mieux prendre une grande inspiration, un bon bol d’air avant de plonger dans son atmosphère étouffante. On y passe une soirée d’Halloween avec Sacha et sa sœur jumelle Angie. Ils sont chez eux, sans leurs parents, et la fête bat son plein. Une fête pleine d’excès pendant laquelle Sacha va traîner son spleen de pièce en pièce, s’enfonçant un peu plus dans ses ténèbres intérieures à chaque heure passée. Sa dérive l’amènera au bord du naufrage, jusqu’à l’annonce de l’aube et la venue d’une lumière porteuse d’espoir.

Un voyage au bout de la nuit dans l’esprit embrumé de Sacha. Un voyage au cœur de ses angoisses, de son mal-être. Le texte à la première personne sonne incroyablement juste. Sacha et son huis clos intime, son regard sur les autres, ses interrogations, ses rapprochements, ses envies, son désir, ses fêlures. Les corps se frôlent, les pulsions peinent à être contenues. Tout y passe, la haine, l’attirance, la répulsion, la quête de sens. C’est beau et triste comme une chanson d’Elliott Smith, ça dit avec des mots crus et sans retenue la solitude, la douleur de l’absence, la nécessité de s’abîmer pour oublier.

Sans en faire des tonnes, sans un mot de trop, Joanne Richoux signe un texte où se mêlent l’urgence, le désespoir, la culpabilité et l’indispensable besoin d’amour. Absolument bouleversant.

PLS de Joanne Richoux. Actes sud junior, 2020. 96 pages. 13,00 euros. A partir de 15 ans.




Pour la peine, je vous laisse avec Elliott Smith






Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette
















mercredi 12 février 2020

Visa Transit - Nicolas de Crécy

A peine majeurs en 1986, Nicolas de Crécy et son cousin Guy décident sur un coup de tête de traverser l’Europe à bord d’une Citroën Visa dans un état de délabrement avancé. Équipés du strict minimum (sacs de couchages, argent, papiers, appareil photo) et s’encombrant d’une bibliothèque en carton pleine de livres arrimée à la plage arrière, ils quittent la France et partent vers la Turquie. Italie, Yougoslavie, Bulgarie, la traversée s’annonce longue dans l’épave qui leur sert de véhicule mais les garçons s’en moquent, ils roulent à leur rythme, sans but ni objectif précis, sans se retourner ni se poser de questions.

Le récit n’est pas linéaire, l’alternance entre le présent du voyage et les souvenirs d’enfance (visite à la grand-mère, trajet de nuit dans la voiture familiale, vacances traumatisantes dans une colonie catho pure et dure) donne un rythme particulier à l’histoire. Trente ans après, difficile de restituer les faits avec précision. L’exercice de mémoire est forcément fragmentaire, sélectif. On dirait que seuls les bons souvenirs sont restés et que les moments de galère (sans doute nombreux étant donné les conditions du voyage) n’ont pas survécu à l’épreuve du temps. Le résultat est néanmoins cohérent et la lecture d’une grande fluidité.   

D’habitude, Nicolas De Crecy aime naviguer à la frontière du réalisme et du fantastique. Dans ce road trip autobiographique il privilégie pour la première fois le réel sur l’imaginaire afin de raconter ce qu’il lui est vraiment arrivé. Il s’autorise malgré tout quelques parenthèses surréalistes, faisant par exemple apparaître le poète Henri Michaux en motard casqué venant lui reprocher d’utiliser sans autorisation des citations issues de ses recueils. Niveau dessin, j’aime toujours autant sont trait énergique et plein de spontanéité, sa science du découpage et ses couleurs lumineuses.

Une plongée dans le passé qui m’a ramené à mes propres souvenirs des années 80. Une drôle d’époque, où le rideau de fer à l’Est n’était pas encore tombé, où les nuages radioactifs s’arrêtaient à la frontière, où la conduite se faisait sans GPS, les photos sans téléphone portable et la tenue du journal de bord des vacances sans réseaux sociaux. Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître et pour lequel je garde une douce nostalgie. Fin du voyage dans le tome 2 à paraître cet automne. Inutile de vous dire que j’ai hâte d’y être.

Visa Transit de Nicolas de Crécy. Gallimard, 2019. 130 pages. 22,00 euros.


Un joli cadeau de Noël offert par ma chère Noukette. C'est chez elle que se retrouvent aujourd'hui les BD de la semaine.











mardi 11 février 2020

Sam de Bergerac - Sarah Turoche-Dromery

Etre le seul bon élève de la classe en français n’a pas que des avantages. Certes, ça évite à Sam les moqueries d’un prof impitoyable mais ça attire aussi l’attention de copains qui voudraient conquérir le cœur de leurs dulcinées avec des mots doux. Victor, son meilleur ami, est le premier à lui demander d’écrire une lettre d’amour pour la belle Julia. Le résultat est si convaincant que le secret ne tarde pas à s’ébruiter auprès des autres garçons de la classe. Contraint de gérer une correspondance amoureuse de plus en plus importante, Sam a du mal à faire face. Et jouer les cupidons pour d’autres que lui va peu à peu devenir une charge bien lourde à porter.

Un petit roman jeunesse plein de fraîcheur, drôle et aussi joliment troussé que les lettres de Sam. Notre pauvre écrivain public est trop gentil pour refuser, ce qui le met forcément dans l’embarras. Heureusement sa grande sœur veille et remet à leur place les « clients » devenant de plus en plus exigeants. Et puis, même s’il n’ose l’avouer que du bout des lèvres, ce cher Sam prend beaucoup de plaisir à les écrire, ces lettres.

La référence à Cyrano n’est abordée qu’en surface, ce qui évite de perdre en route des lecteurs ne connaissant pas la pièce d’Edmond Rostand. Dans un bel hommage à la langue française, Sarah Turoche-Dromery met en exergue,  sans lourdeur et avec une infinie délicatesse, à la fois le pouvoir des mots, la force de l’écriture et le charme de la correspondance « à l’ancienne ».  Cerise sur le gâteau, la fin, délicieusement inattendue, vient conclure les choses en beauté. Une pépite sans fausse note !

Sam de Bergerac de Sarah Turoche-Dromery. Editions Thierry Magnier, 2019. 135 pages. 7,40 euros. A partir de 9-10 ans.















vendredi 7 février 2020

Magnolias - Florent Oiseau

Je suis la carrière littéraire de Florent Oiseau depuis ses débuts, ce qui n’a rien d’un exploit vu qu’il n’a publié que trois romans. J’aime son univers et ses personnages de losers lymphatiques et désabusés, sa façon de dépeindre des vies de célibataires de banlieue ou de province dans lesquelles, au mieux, il ne se passe pas grand-chose et au pire, il ne se passe rien.

Alain ne déroge pas à la règle. Ce quadra vivote dans une petite ville sans charme. Il glande toute la journée, visite régulièrement la camionnette de la seule prostituée du coin, roule dans une Renault fuego de 1984 et dresse dans un carnet une liste de noms de poneys. Il se verrait bien acteur mais sans réseau (et sans volonté de faire le moindre effort), sa carrière ne décolle pas d’un pouce. Alain est un mou du genou sans ambition, un oisif assumé dont la seule obligation de la semaine consiste à se rendre chaque dimanche aux Magnolias, la maison de retraite où sa grand-mère gâteuse se morfond en attendant de pousser son dernier souffle.

A lire le court et bien incomplet résumé ci-dessus on pourrait se dire que la lecture va vite tourner au plombant version XXL. Et bien pas du tout. Parce que l’auteur de « Je vais m’y mettre » apporte de la lumière dans ce tableau grisâtre. Avec un antihéros totalement à l’ouest évidemment mais également avec des personnages secondaires tous plus improbables les uns que les autres, de Rosie la fille de joie à Rico l’excentrique meilleur copain d’Alain en passant par Michel, le tonton dépressif. Le récit devient réjouissant parce qu’il est décalé, porté par une poésie étrange, un humour souvent proche de l’absurde et des dialogues aussi drôles qu’improbables.

Il y a aussi quelques scènes inoubliables comme la cuite carabinée d'Alain et Michel ou le tournage surréaliste d’un téléfilm prévu pour passer sur TV Val de Loire dans lequel notre apprenti acteur va s’appliquer à endosser les habits d’un simple d’esprit tendance pédophile et s’attirer les félicitations du réalisateur :

- T’as un don pour jouer les cons. Souvent, dans ces rôles, les mecs forcent le trait. Toi t’es plein de justesse. On sent que c’est naturel.
- Merci.

Une fois encore, j’ai l’impression que Florent Oiseau a écrit un roman pour moi. Un roman plein de désillusion et d’autodérision, un roman plein de tendresse et de fantaisie contrebalancées par un regard sur le monde d’une lucidité et d’un pessimisme imparables, c’est un roman qui ne pouvait que me plaire.

Magnolias de Florent Oiseau. Allary, 2020. 220 pages. 17,90 euros.










mercredi 5 février 2020

La cour des miracles T2 : Vive la Reine ! - Stéphane Piatzszek et Julien Maffre

Paris, fin des années 1660. Alors que la misère ne cesse de s’étendre, le pouvoir s’attaque frontalement aux cours des miracles, ces quartiers tenus par les mendiants, détrousseurs et assassins de tous poils. Tandis qu’Anacréon, 84ème Roi des gueux, a été mis hors d'état de nuire par le lieutenant de police La Reynie, les troupes de Louis XIV multiplient les arrestations et rasent les taudis. La canaille de Paris, décapitée, doit se trouver un nouveau chef. Après bien des péripéties c’est La Marquise, fille d’Anacréon, qui est élue sous les hourras. La première Reine des gueux, décidée à défendre les siens coûte que coûte, va devoir entamer son règne en plein chaos.

Un deuxième tome bien plus mouvementé que le premier. Ce dernier constituait une entrée en matière avec l’indispensable présentation des différents protagonistes et les interactions entre chacun d’eux. Une fois ces bases posées, Stéphane Piatzszek et Julien Maffre lâchent les chevaux. Beaucoup d’action, aucun temps mort, des combats incessants, des duels sans merci et des retournements de situation inattendus balisent un récit de capes et d’épées ou les faits d’armes dominent les débats. Le parti pris est clairement assumé et la mécanique narrative fonctionne à merveille grâce à un enchaînement de rebondissements quasi permanent.

Graphiquement, ça claque. Julien Maffre compose des scènes de bataille d’une parfaite lisibilité malgré le nombre impressionnant d’individus présents dans chaque case. Les bas-fonds de la capitale et ses crasseux aux gueules improbables sont toujours aussi bien rendus et le contraste entre la lumière de Versailles et l’obscurité des ruelles malfamées offre des ambiances très marquées.

De la bonne BD populaire, dont la dimension historique annonce les événements qui se produiront un siècle plus tard. Monarchie déconnectée du quotidien et de la misère des petites gens, répression policière sanglante, puissants qui s’enrichissent toujours plus en affamant le peuple, les ingrédients de la révolution à venir sont déjà bien présents. L’album se conclut sur une pirouette inattendue et laisse augurer une suite palpitante. Vivement la conclusion de cette prometteuse trilogie !


La cour des miracles T2 : Vive la Reine ! de Stéphane Piatzszek et Julien Maffre. Soleil, 2020. 64 pages. 15,50 euros.


Mon avis sur le tome 1















mardi 4 février 2020

Confession sexuelle d’un anonyme russe

Drôle de texte. Cette autobiographie sexuelle anonyme fut envoyée par un ukrainien au psychologue anglais Havelock Hellis, considéré comme l’un des pères fondateurs de la sexologie. Ce dernier la publia en appendice du sixième tome de ses « Études de psychologie sexuelle ». Censé avoir été écrit directement en français en 1912 par un homme né dans les années 1870, ce témoignage est pour Ellis « un exemple d’expériences singulières et une preuve du mal que peut faire la perte ou la diminution, en matière sexuelle, du contrôle de soi. »

L’anonyme en question, fils unique d’une famille bourgeoise de Kiev, dresse le portrait de sa vie sexuelle de la petite enfance à l’âge adulte. Ce faisant, il décrit par le menu les nombreuses expériences ayant jalonné son parcours. Enfant naïf déniaisé par des fillettes à peine plus vieilles que lui mais bien plus dégourdies, il connaîtra au cours de son adolescence un nombre incalculable d’aventures, tant à l’école que pendant ses vacances à la campagne. En grandissant l’ingénu va côtoyer des femmes mûres, de la servante culbutée à la hussarde entre deux portes à la femme mariée délaissée par son époux en passant par des étudiantes toujours partantes pour une partie de jambes en l’air. Frénésie sexuelle de l’adolescence, chasteté absolue entre 20 et 32 ans, addiction à la masturbation, maladies vénériennes et fréquentation de jeunes filles pré-pubères après son installation en Italie, aucun événement n’est épargné au lecteur.

Loin du simple catalogage, son cheminement érotique donne moins dans la description suggestive que dans l’examen froid et psychologique de chaque expérience. Le résultat est surprenant, mêlant naïveté pleine de fraîcheur et analyses quasi-médicales. Le coït dans toute sa variété est décrit en grec ou en latin, chaque position devenant pour ainsi dire un objet d’étude scientifique.

Un texte aussi étonnant que dérangeant. La préciosité de l’écriture est en permanence contrebalancée par des visions extrêmement crues débordant de détails anatomiques d’une précision chirurgicale. Le témoignage n’a au final rien de croustillant, il sombre même dans le malsain à plusieurs reprises à cause de la lourde insistance sur la supposée précocité sexuelle des fillettes, surtout dans la dernière partie du récit lorsque le narrateur devenu adulte fréquente de beaucoup trop près des enfants d’une douzaine d’années. Beurk !

Une autobiographie sexuelle possédant certes des qualités littéraires evidentes mais dont le contenu m'a plus d'une fois mis mal à l'aise, c'est rien de le dire.

Confession sexuelle d’un anonyme russe. Allia, 2009. 160 pages.





Le premier mardi, c'est chez Stephie !