jeudi 31 mai 2012

Puella Magi Madoka Magica 1

Hanokage © Doki Doki 2012
Madoka, élève de 4ème tout à fait banale, rencontre un jour une mystérieuse créature prénommée Kyubey. Cette dernière propose à la jeune fille de lui accorder un vœu. En contrepartie, Madoka deviendra une magicienne et devra lutter contre de terribles sorcières qui tourmentent le quotidien des humains. Ne sachant comment réagir, Madoka tarde à accepter le pacte. D’une part, elle ne sait pas quel vœux formuler et d’autre part, la mise en garde d’une de ses nouvelles camarades de classe l’interpelle au plus haut point : « Ne cherche surtout pas à devenir quelqu’un d’autre sinon tu perdras tout ce qui t’est cher. » Comprenant que la décision qu’elle s’apprête à prendre risque de bouleverser sa vie, elle hésite longuement…

Adapté d’une série animée en 12 épisodes ayant connu un énorme succès lors de sa diffusion à la télévision début 2011, ce manga en 3 volumes s’est payé le luxe de devancer des poids lourds tels que Bleatch ou Naruto lors de sa publication au Japon.

Pour moi, un manga estampillé « Magical Girl » est un titre dans lequel des jeunes filles aux costumes improbables se voient dotées de pouvoirs magiques et luttent avec malice contre les forces du mal. Sailor Moon, en gros (en même temps, c’est la seule série de ce type que je connaisse vraiment). Loin de l’univers acidulé et kawaï des classiques du genre, Puella Magi Madoka Magica apparaît au final bien plus sombre et torturé. Les enjeux sont pour les héroïnes plus complexes que le simple fait de devenir une « magical Girl ». Leur nouveau statut met réellement leur vie en danger et surtout le pacte passé avec le gentil Kyubei (qui ne l’est d’ailleurs peut-être pas tant que ça) implique des sacrifices et des contraintes dont elles sont loin d’imaginer la réelle portée. Quelque part, ce type de récit très balisé semble, grâce à cette série, passer à l’âge adulte. Fini les bluettes et la frivolité, place à la noirceur et à une lutte sans merci contre des sorcières qui répandent le désespoir et poussent les gens au suicide. Du lourd, quoi, même si le début de l’intrigue peut laisser croire que l'on reste dans de l’ultra classique.

Le dessin, sans être révolutionnaire, reste fin et précis. Autre point non négligeable, les différents protagonistes se reconnaissent au premier coup d’œil, ce qui est loin d’être toujours le cas avec des mangas de ce type.

Bref, pour moi qui ne suis pas, mais alors pas du tout, le public cible, ce premier volume a constitué une très agréable surprise. Sachant qu’il n’y aura en tout que trois tomes, je pense que je vais avec plaisir suivre les aventures de Madoka et de ses consœurs jusqu’à leur terme.


Puella Magi Madoka Magica T1 de Hanokage. Doki Doki, 2012. 144 pages. 7,50 euros.


Hanokage © Doki Doki 2012

mercredi 30 mai 2012

Koma : l'intégrale

Wazem et Peeters
© Humanoïdes associés 2010 
Addidas est la fille d’un ramoneur. Elle aide souvent son père lorsqu’il ne peut accéder aux conduits les plus étroits. Frappée par un mal étrange, il lui arrive régulièrement de perdre conscience sans raison pendant quelques minutes. Personne ne semble capable d’expliquer ces « absences » qui deviennent de plus en plus régulières. Un jour, alors qu’elle se trouve au fond d’une énorme cheminée, la petite fille tombe nez à nez avec une drôle de créature, sorte de géant aux bras simiesques. Attendrie par ce monstre implorant son aide, Addidas décide de rester à ses cotés. Cette rencontre va être le point de départ d’une aventure hors du commun…

Koma est une série inclassable dont il est très difficile de parler. Une fois de plus je me suis laissé influencer par les avis lu ici et là sur la toile et une fois de plus, j’ai bien fait. Wazem et Peeters ont créé un univers aussi improbable qu’envoutant. Le lecteur est pris par la main dès la première planche et il embarque pour une virée onirique finalement assez avare de dialogues. Le rythme est lent, l’histoire semble tenir en équilibre sur un fil prêt à rompre et à l’entraîner dans les méandres d’un récit devenant totalement incompréhensible. Pourtant, tout se tient, la cohérence finit par s’imposer. Il y a dans Koma une forme de poésie assez sombre, digne des plus beaux contes victoriens.

Les six tomes de la série ont été publiés à l’origine en couleur mais cette intégrale est entièrement en noir et blanc. J’avoue que je ne m’en plains pas, bien au contraire. Le trait de Peeters est pour moi définitivement fait pour le noir et blanc. Son encrage épais, tout en souplesse et en élégance, colle à merveille à l’ambiance dans laquelle évoluent les protagonistes. L’autre avantage de cette intégrale c’est qu’elle permet de constater à quel point l’histoire tient en un seul bloc. Il n’y a aucune séparation lorsque l’on passe d’un tome à l’autre et on a vraiment l’impression de lire un épais roman graphique qui ne peut en aucun cas être « découpé » en tranches.

Koma est un petit bijou dont la lecture (en intégrale et en noir et blanc !) devrait à l’évidence ravir une majorité de lecteurs, qu’ils soient petits ou grands.


Koma : l’inétgrale de Pierre Wazem et Frederik Peeters. Les Humanoïdes associés, 2010. 280 pages. 25 euros.

Les avis de Mo', Choco, Yvan, David, Champi
 

Wazem et Peeters © Humanoïdes associés 2010 
 

lundi 28 mai 2012

La famille Passiflore revient en BD !

Jouannigot © Dargaud 2012
La famille passiflore est une série de livres pour enfants créée par Geneviève Huriet et Loïc Jouannigot en 1987. Racontant l’histoire d’une fratrie de lapins entourés de leur père et de leur tante Zinia, cette série a connu un énorme succès et a été adapté en dessin animé pour la télévision en 2001. Alors que leur dernière aventure datait de 2006, les Passiflore reviennent aujourd’hui par l’intermédiaire de la bande dessinée. Loïc Jouannigot signe ici les textes et les dessins.


Afin de préparer en secret la fête d’anniversaire de Dentdelion (le petit dernier de la famille), tante Zinia l’expédie au jardin avec son grand frère Mistouflet. Mais pendant que les préparatifs battent leur plein à la maison, un drame se noue au milieu des légumes : la vilaine tortue Atalante vole le doudou de Dentdelion et refuse de lui rendre. Une véritable tragédie pour le petit lapinot...

Quel bonheur de retrouver la Famille Passiflore ! J’ai lu les albums à mes filles un nombre incalculable de fois et ma femme est totalement fan du dessin animé. Le fait de voir la série revenir sous forme de bande dessinée est une énorme satisfaction. L’univers doucereux est respecté à la lettre : gentillesse, altruisme, solidarité familiale, ambiance champêtre et bucolique, tout y est. Surtout, Loïc Jouannigot peut enfin laisser libre cours à son incroyable talent. Cet artisan du dessin, méticuleux en diable, ne transige pas sur la qualité. Les cases sont grandes et fourmillent de détails et les mimiques des animaux qu’il met en scène sont tout simplement impayables. Du grand art !

Digne héritier de Michel Plessix (Le vent dans les saules), Jouannigot propose aux plus jeunes lecteurs une entrée en douceur dans le monde de la bande dessinée. Un magnifique album à ranger dans la bibliothèque des enfants au coté de la non moins superbe série de Brigitte Luciani et Eve Tharlet, Monsieur Blaireau et Madame Renarde.

La famille Passiflore T1 : L’anniversaire de Dentdelion de Loïc Jouannigot. Dargaud, 2012. 32 pages. 9,99 euros. A partir de 5 ans.


Jouannigot © Dargaud 2012

samedi 26 mai 2012

Bubu de Montparnasse

Philippe © Grasset 2005
Bubu de Montparnasse, c’est un peu un ménage à trois. Il y a d’abord Berthe Méténier, 20 ans, fleuriste devenue fille publique après s’être mis à la colle avec Maurice Bélu, dit Bubu. Maurice « la choisit belle et vierge, puis il en fait son plaisir, puis il en fait son métier ». Maurice le souteneur, celui qui « prend les femmes dans sa main et les façonne ». Le dernier personnage du trio, c’est Pierre Hardy, jeune provincial monté à Paris. Un micheton qui s’amourache de Berthe, cette « trotteuse » rencontré sur le boulevard Sébastopol.


Quand Berthe attrape la vérole, elle finit à l’hôpital. Avec sa protégée sur la touche, les temps sont durs pour Maurice. Il monte un braquage mais les choses tournent mal et il est arrêté. Après l’hôpital, Berthe repart sur le trottoir, à son compte. Dans les moments difficiles, elle se tourne vers Pierre, ce bon ami toujours prêt à l’aider. Avec lui, elle peut envisager un semblant d’avenir. Mais la mise en liberté conditionnelle de Bubu va mettre à bas ses derniers espoirs. Son « homme », bien décidé à la reprendre, va se rendre chez Pierre et elle n’aura pas d’autre choix que de le suivre.

Charles-Louis Philippe fait partie de ces grands écrivains français tombés dans l’oubli. Très modeste employé à la ville de Paris, de faible constitution, il mourra de la typhoïde à 35 ans. Admiré durant sa courte carrière par les plus grands noms de son époque, il fonda avec son ami André Gide la NRF en 1908. Bubu de Montparnasse date de 1901. Le style est très naïf et les répétitions nombreuses. Charles-Louis Philippe est un enfant du peuple. Il décrit comme personne la gueuserie des faubourgs, ces petites gens que le grand monde exècre. Il montre un respect absolu pour ses personnages. Beaucoup de tendresse aussi, sans pour autant chercher à les idéaliser. Bubu est vaniteux et grande gueule. Berthe, dont le double jeu permanent est avant tout une question de survie, a tout de la figure tragique. Et pierre, lui, « n’a pas assez de courage pour mériter le bonheur ».

Le Paris du début du XXème siècle est restitué sans fard. La violence, la pauvreté, les ravages de la syphilis, la condition des femmes publiques, rien n’est occulté. Berthe est un personnage féminin qui vous poursuivra longtemps. Cette oie blanche devenue prostituée par amour pour Maurice, va très vite comprendre que plus jamais elle ne pourra échapper à sa condition. Son homme la bat ? Elle l’accepte car « un homme est un gouvernement qui nous bat pour nous montrer qu’il est le maître, mais qui saurait nous défendre au moment du danger. » Et quand Maurice vient la rechercher en sortant de prison, c’est une sorte de lucidité qui prend le pas sur l’amertume : « Elle partait dans un monde ou la bienfaisance individuelle est sans force parce qu’il y a l’amour et l’argent, parce que ceux qui font mal sont implacables et parce que les filles publiques en sont marquées dès l’origine comme des bêtes passives que l’on mène au pré communal ».

Ni populaire ni populiste, Bubu de Montparnasse est un roman du peuple, tout simplement. Et c’est déjà beaucoup.

Bubu de Montparnasse, de Charles-Louis Philippe, Grasset, 2005. 125 pages. 7,20 euros.

jeudi 24 mai 2012

Mortelle Adèle

Tan et Miss Prickly © Tourbillon 2012 
Adèle, c’est un prénom qui rime avec « cruelle ». En gros, le prénom idéal pour le personnage imaginé par Tan et Miss Prickly. Parce que leur gamine, niveau cruauté, elle s’y connait. Opérer des poupées à cœur ouvert, enterrer le chat vivant ou le jeter par la fenêtre pour voir s’il retombe sur ses pattes, ça ne lui fait pas peur. Sa devise ? J’aime : personne / J’aime pas : tout le reste. Ses têtes de turcs préférées sont ses camarades de classes et surtout ses parents. Ne comptez pas sur elle pour obtenir le moindre compliment. Attendez-vous plutôt à entendre à tout moment une réflexion vacharde et bien sentie qui appuie là où ça fait mal.

Voila donc une nouvelle BD jeunesse qui dépote. Humour noir, cynisme et répartie mordante, Adèle est une petite terreur qui ne donne pas dans la tiédeur. Les gags, ultracourts, s’enchaînent de façon très nerveuses et les quelques strip verticaux de deux cases sont des modèles d’efficacité (voir exemples ci-dessous). Après, je dois bien reconnaître que je ne suis pas fan du dessin très passe-partout et des couleurs d’une grande fadeur. Mais bon, l’essentiel est ailleurs.   

J’aime bien les productions jeunesse politiquement incorrectes, surtout quand elle sont intelligemment troussées, comme c’est le cas ici. Et les enfants aussi sont preneurs, beaucoup plus qu’on ne le croit. Encore faut-il qu’ils aient la maturité suffisante pour comprendre l’ironie et l’acidité du propos. Dans le cas contraire, en prenant tout au premier degré, ils vont à l’évidence ne pas accrocher du tout !

Adèle, c’est en quelque sorte la petite sœur de Félicien Moutarde. Lui aussi s’y connaît en humour noir et en cynisme, je vous en avais parlé il y a quelque temps. Vous voila prévenus. Si vous cherchez des lectures « poil à gratter » pour surprendre vos enfants, ces deux références sont incontournables !  

Mortelle Adèle T1 : Tout ça finira mal de Tan et Miss Prickly. Tourbillon, 2012. 94 pages. 6,15 euros. Dès 9 ans.
Mortelle Adèle T2 : L’enfer, c’est les autres de Tan et Miss Prickly. Tourbillon, 2012. 94 pages. 6,15 euros. Dès 9 ans. 

Tan et Miss Prickly © Tourbillon 2012

Tan et Miss Prickly © Tourbillon 2012

Tan et Miss Prickly © Tourbillon 2012

mercredi 23 mai 2012

Fables scientifiques

Cunningham © çà et là 2012
Vous y croyez, vous, à l’homéopathie ? Et la chiropraxie, ça vous dit quelque chose ? Et le ROR (vaccin Rougeole, Oreillon, Rubéole) qui serait source d’autisme chez de nombreux enfants, fantasme ou réalité ? Dans d’autres domaines, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à remettre en cause la réalité du réchauffement climatique ou l’évolution des espèces.

Darryl Cunningham déconstruit un à un les arguments pseudo-scientifiques avancés par les tenants du sensationnalisme, les corporatistes et autres conspirationnistes. Défendre la science contre les mensonges, les mythes et autres théories fumeuses avancées sans aucune rationalité, tel est le combat de cet artiste anglais inclassable.
    
Le journalisme d’investigation en bande dessinée, ce n’est certes pas une nouveauté. Mais Darryl Cunningham a choisi un angle d’attaque original. Ce recueil d’articles tient peut-être davantage de la BD documentaire. Au cœur de son argumentation, l’esprit critique érigé en processus de réflexion incontournable et une évidence indiscutable : la science avance en fonction des preuves. Pour chaque chapitre, l’auteur étaye son propos de  témoignages, de recherches approfondies et de nombreuses sources puisées dans des publications scientifiques renommées. Pour autant, l’ensemble reste très digeste et compréhensible par tous, même les moins férus de science (j’en suis la meilleure preuve !).

Sans rentrer dans des querelles de chapelle, Cunningham s’appuie uniquement sur le processus scientifique, cette méthode permettant d’organiser le savoir sous forme d’explications fiables, vérifiables et surtout résistant à l’épreuve du temps. Refusant de se poser en donneur de leçon omniscient, il concède dans la postface : « J’ai pris des positions assez tranchées dans les chapitres de ce livre, mais j’aime à penser  que je serais assez fort pour changer d’avis sur chacun de ces sujets si des preuves se présentaient. C’est une porte qui doit rester ouverte en permanence. » C’est ce qui pour moi crédibilise l’ensemble de sa démarche.

N’en déplaise aux sceptiques, aux tenants des médecines parallèles et autres créationnistes, la lecture de ce plaidoyer pro-science apparaît comme un brillant exercice de vulgarisation où se conjuguent rigueur, humour et une indéniable inventivité graphique.   

Un grand merci aux éditions ça et là et à Libfly pour la découverte.


Fables scientifiques de Darryl Cunningham. Éditions Çà et là, 2012. 158 pages. 18 euros.

Cunningham © çà et là 2012




lundi 21 mai 2012

L’inquiétude d’être au monde

de Toledo © Verdier 2012
Avec ce court recueil, Camille de Toledo oscille entre la poésie et l’aphorisme. Certains préfèreront sans doute parler de pensées. Une succession de petits textes de quelques lignes, avec pour fil conducteur l’inquiétude engendrée par le mouvement perpétuel de ce siècle neuf : « plus rien ne demeure. Tout bouge et flue. Paysages ! Villes ! Enfants ! ». L’inquiétude d’être au monde tient donc dans le vacillement général des choses. Doit-on pour autant se raccrocher aux souvenirs, aux racines ? Certes pas. L’auteur a dressé contre ces mots un barrage éternel. Racines, origine, terre, pays, nation, autant de fictions qui ne servent qu’à nous donner l’illusion d’être quelque part.

Camille de Toledo appelle à résister contre ceux qu’ils nomment les « promettants », ceux qui nous vendent des solutions provisoires censées nous délivrer du risque, du mal, de la peur et de la mort. La révolution est là. Mettre à bas l’orgueil, « accepter de n’être qu’une espèce parmi les espèces, c’est-à-dire accepter son décentrement. » Les figures tutélaires convoquées pour légitimer le discours me parlent particulièrement. D’un coté Césaire et son Cahier d’un retour au pays natal et de l’autre Stieg Dagerman et son besoin de consolation impossible à rassasier. D’un coté l’universalité, l’exil perpétuel de Césaire et de l’autre « les chants trompeurs de la consolation contre lesquels Stig Dagerman nous mettait en garde. »

Naviguant sans cesse entre l’abattement, la colère et l’exhortation, l’écrivain n’endosse jamais le rôle du donneur de leçon. L’exercice, un brin désuet, est le signe d’une longue fréquentation de la littérature. Toujours brefs et fulgurants, souvent brillants, d’une extrême lucidité, ces paragraphes au lyrisme contenu sont à lire à voix haute pour mettre en valeur la musicalité de l’écriture. Une belle réussite.

Un grand merci à Olivia Michel et aux éditions Verdier pour la découverte.

L’avis de Mango.

L’inquiétude d’être au monde, de Camille de Toledo, Verdier, 2012. 60 pages. 6,30 euros.

samedi 19 mai 2012

L’armoire des robes oubliées

Pulkkinen © Albin Michel 2012
Elsa se meurt. Entourée de sa famille, elle veut profiter de quelques derniers instants heureux, dire adieu dignement aux jolies choses qui furent le sel son existence. Lorsque sa petite fille Anna sort d’un placard une vieille robe ayant appartenu à une certaine Eeva, c’est un secret de famille enfoui depuis des décennies qui refait surface.

En enfilant la robe, Anna raconte l’histoire de sa propriétaire… En 1964, Elsa est une pédopsychiatre renommée qui voyage beaucoup. Son mari Martii est peintre et n’a pas le temps de s’occuper de leur fille. Eeva est donc engagée comme nurse. Au fil des semaines, elle va nouer une tendre complicité avec Martii. Leur relation va peu à peu devenir plus intime et tourmentée. Une liaison clandestine et passionnée qui se terminera de manière dramatique…

Mêlant habilement le présent et le passé, Riikka Pulkkinen dresse le portrait de trois générations de femmes. Symbole du secret d’un amour perdu, la robe est une sorte de trait d’union entre les protagonistes. Le propos se focalise souvent sur les rapports familiaux et aborde des questions existentielles que l’on se pose lorsque la mort s’annonce et que l’on se retourne sur le passé. Pour Elsa, une certitude : « L’enfant naît, sa mère apprend à le connaître, petit à petit, année après année. Et puis viennent d’autres gens sous l’influence desquels il devient un étranger. » En voyant Anna grandir, Martii constate qu’à « chaque époque il y a des gens, jeunes, qui se convainquent que ce qu’ils vivent n’est jamais arrivé à personne d’autres avant eux. Ils croient que leurs vies, leurs joies et leurs chagrins mêmes sont exceptionnels. Que leurs amours à eux sont plus forts que ceux des autres. Ils croient que jamais ne leur échoira de sentir le poids des jours. Et peut-être est-ce le cas. Les jeunes possèdent le monde entier et le dilapident sans tristesse, parce qu’ils sont impatients de gagner d’autres mondes, toujours nouveaux. » Et quand Eleonoora, la fille d’Elsa, pense à la disparition prochaine de sa mère, elle sent sous ses pieds un grande vide se creuser : « Je ne sais pas si je saurais exister sans mère, je ne sais pas si j’aurais le temps d’apprendre pendant ces quelques semaines qui nous restent, j’ai l’impression que ça me prendra le restant de mes jours. »

L’amour interdit, la maladie, la famille et la transmission, tels sont les thèmes abordés tout en finesse par l’auteur. L’écueil de la mièvrerie est écarté avec brio au profit de la sensibilité. La fin est très forte émotionnellement et l’on quitte à regret ses personnages campés avec une rare justesse.

Publié en janvier à 16 000 exemplaires, ce roman connaît, en grande partie grâce au soutien des libraires, un énorme succès puisque son tirage a atteint fin avril les 55 000 exemplaires. L’engouement est d’ailleurs international puisque le texte a été traduit dans douze pays, adapté au théâtre et qu’un film est aujourd’hui en tournage. De mon coté, ce n’est pas à proprement parler un coup de cœur. Il y a quelques longueurs et les dialogues, certes poétiques, sonnent parfois creux. Pour autant, je reconnais la qualité indéniable de l’écriture et j’ai passé un agréable moment de lecture. Sans doute pas un chef d’œuvre mais un roman très abouti.

L’armoire des robes oubliées, de Riikka Pulkkinen, Albin Michel, 2012. 398 pages. 20,90 euros.

vendredi 18 mai 2012

Les années n°9

Au sommaire de ce numéro 9, une nouvelle de Michel Debray, un nouveau type de balade littéraire inauguré par Eléonore Lelong, des portraits de Claude Lecerf et d’Hubert Mingarelli, une critique mitigée de l’ouvrage Histoires vraies en Picardie, une production poétique indignée d’Axodom Guillerm et une intervention érudite du professeur Hernandez autour du chiffre 9. De mon coté, je vous parle du polar de Manchette adapté par Tardi, Ô dingos, Ô châteaux.


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Rendez-vous le 30 mai pour le n°10.

mercredi 16 mai 2012

Anuki 2 / Hugo et Cagoule : l'art de la BD sans texte

Dauvillier Lizano Sénégas Maupomé © La Gouttière 2012 
Après les poules, les castors ! Anuki le petit indien est de retour. Attiré par de succulentes baies rouges, il tente de cacher sa découverte aux copains mais ces derniers ne vont pas le laisser se régaler tout seul. Sacrée bagarre en perspective ! Et les castors me direz-vous ? Et bien disons qu’il vaut mieux éviter de les embêter si l’on ne veut pas subir leurs foudres…

Pour le petit Hugo et son chat Cagoule, la balade au jardin se transforme en jeu de cache-cache. Avec un peu d’imagination, ils vont tour à tour dresser le portrait de l’autre avec quelques éléments recueillis dans la nature. Le Land Art, çà vous dit quelque chose ?

Encore deux albums délicieux qui viennent enrichir le catalogue des éditions de la Gouttières. Deux albums sans texte très différents l’un de l’autre, tant au niveau du fond que de la forme.

Anuki, pour sa seconde aventure, reste un indien facétieux et gaffeur. Prêt à tout pour parvenir à ses fins, il n’hésite pas à prendre des risques quitte à se retrouver dans des situations très périlleuses. Courageux et jamais à court d’idée, c’est un gamin moderne et plein de vie. A noter que comme dans le premier volume, l’histoire se termine sur une note d’altruisme bienvenue. Aux pinceaux, Stéphane Sénégas se lance dans un découpage toujours aussi pêchu. Très peu de décor, toute l’attention du lecteur se focalise sur l’enchaînement des mouvements. L’ensemble est facile à suivre et certains passages sont très drôles.

Hugo et Cagoule semble s’adresser à un public plus jeune. Loïc Dauvillier e Marc Lizano ont privilégié la tendresse, la douceur et un soupçon de poésie. Les cases sont beaucoup plus grandes, le cheminement des deux protagonistes est très linéaire, ce qui facilite la compréhension. La construction de l’album en miroir (deux situations identiques se réproduisent avec un personnage différent) donne un effet de répétition qui éclaircit le sens de l’histoire.

Pourquoi faire lire une BD sans texte aux enfants me direz-vous ? Tout simplement parce que cela participe à la construction de leur identité de lecteur. Par exemple, si tous peuvent décrire une image, bien peu comprennent le sens de la succession des images sans texte. N’oubliez jamais que voir n’est pas lire. Le travail intellectuel demandé à l’enfant lorsqu’il lit un tel album est d’une grande complexité. Il lui faut en effet identifier puis mettre en relation les indices prélevés, appréhender le ou les temps de l’album, structurer l’espace du livre et s’y repérer, connaître le code de l’image et interpréter son rapport spécifique au sens pour construire la logique du récit. Vous avez dit complexe ? Bien sûr, lorsqu’il a l’ouvrage sous les yeux, le petit bout ne se pose pas toutes ces questions. Mais à l’usage, que constate-t-on ? Souvent, il doute de son interprétation car l’absence de texte est source de polysémie. D’où l’importance de la lecture active et répétée qui permet, grâce au questionnement et au décodage, de résoudre les problèmes de sens.

Ces deux nouveaux albums sont parfaits pour faire découvrir aux plus petits les charmes de la BD sans texte. En s’identifiant aux personnages (rien de plus simple dans le cas d’Anuki et d’Hugo) ils vont se projeter dans les différentes situations et pouvoir ouvrir les voies de l’abstraction et de la compréhension. Tout ça pour dire que si vous mettez ces albums entre les mains de vos chères têtes blondes, vous allez à coup sûr faire des heureux. Chez moi en tout cas, l’enthousiasme a fait plaisir à voir !

Anuki T2 : La révolte des castors  de Stéphane Sénégas et Frédéric Maupomé. La Gouttière, 2012. 40 pages. 9,70 euros.

Hugo et Cagoule  de Marc Lizano, Loïc Dauvillier. La Gouttière, 2012. 40 pages. 9,70 euros.

Sénégas et Maupomé © La Gouttière 2012 

Dauvillier et Lizano © La Gouttière 2012 



lundi 14 mai 2012

Locke and Key 3 : La couronne des ombres

Hill et Rodriguez © Milady 2012
Dans la famille Locke, le père a été tué par un psychopathe, la mère a viré alcoolique, la grande sœur n’est pas loin de la dépression, le grand frère est devenu malgré lui le chef de la tribu et le petit dernier passe son temps à trouver des clés dans le manoir familial. Des clés étranges qui permettent par exemple d’ouvrir les cranes pour fouiller dans les souvenirs ou encore de redonner vie à une terrifiante armée ténébreuse…

C’est tout le sel de cette série : décrire le quotidien d’une famille au bord du précipice suite à la mort tragique du père en incluant des éléments fantastiques et paranormaux pouvant faire basculer une situation banale dans l’horreur la plus complète. L’alchimie est difficile à trouver pour ne pas tomber dans le grotesque propre aux films de série Z par exemple. Par chance, Joe Hill n’est pas né de la dernière pluie. Ce romancier habile sait y faire pour installer une ambiance, varier le rythme d’un récit et mener le lecteur par le bout du nez. Et heureusement pour lui, il a trouvé en Gabriel Rodriguez un acolyte à la hauteur de son talent. Il y a notamment dans ce troisième volume quelques chapitres d’anthologie où la maestria graphique du dessinateur s’exprime dans toute sa splendeur (je pense entre autres aux événements se déroulant dans la grotte et bien sûr à l’épisode relatant le réveil de l’armée des ombres). Le seul problème finalement reste pour moi ces couleurs assistées par ordinateur que je trouve fades et sans intérêt.

Locke and Key est bien la série phare annoncée. Scénario millimétré à la mécanique implacable, dessin virtuose et ambiance envoutante, il n’y a rien à jeter. Ces personnages attachants et les mystères innombrables du manoir et de ses clés donnent à ce comics un potentiel quasi infini. Reste aux auteurs à ne pas tomber dans la facilité et à maintenir encore longtemps un tel niveau d’excellence. Mais pour l’instant, difficile d’y trouver à redire, Locke and Key est tout simplement machiavélique.


Les avis de Yvan,  Archessia, Phooka et Wilhelmina

Locke and Key T3 : La couronne des ombres de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Milady Graphics, 2012. 150 pages. 14,90 euros.

Hill et Rodriguez © Milady 2012

Un grand merci à Babelio et aux éditions Milady !


Will Eisner Awards 2011 Meilleur scénariste

samedi 12 mai 2012

Un pedigree de Patrick Modiano

Modiano © Folio 2005
Avant de parler de son enfance, Modiano raconte ses parents. Une mère comédienne qui enchaînera les petits rôles et ne portera jamais la moindre attention à son fils. Un père toujours prêt à monter des affaires plus ou moins louches qui flirtera toute sa vie avec des représentants de la pègre et qui lui non plus ne sera pas d’une grande tendresse pour sa progéniture. « Mais je n’y peux rien, c’est le terreau – ou le fumier- dont je suis issu. » La jeunesse de Patrick Modiano n’est pas un long fleuve tranquille. Il enchaîne les pensionnats sordides et ne voit jamais ses parents, trop occupés par leurs carrières respectives. La perte de son frère est un moment aussi dramatique que traumatisant. Lorsqu’il retourne enfin vivre avec sa mère après avoir obtenu le bac, il connaît la misère la plus noire dans un appartement parisien miteux où le manque de moyens ne permet pas de payer le chauffage au cœur de l’hiver. Ce n’est qu’à 21 ans, en 1967, au moment où est publié son premier roman, que le jeune homme peut enfin prendre son envol et mener sa vie comme il l’entend : « J’avais pris le large avant que le ponton vermoulu ne s’écroule. Il était temps. »

Mon premier Modiano Un auteur important, il paraît. De ceux dont il faut surveiller chaque nouvelle publication. Je ne connais rien de son œuvre. Je sais juste que de nombreux auteurs contemporains le citent comme référence. Pourtant, à la lecture des premières pages de ce court texte, je m’interroge. Le style est sec, presque journalistique. Je me dis qu’il n’y a franchement pas de quoi s’emballer. Modiano survole 21 années à toute vitesse, ne s’arrêtant sur aucun événement marquant. Comme s’il ne voulait rien partager avec le lecteur. Du coup on découvre sa jeunesse à la façon d’un observateur peu concerné par ce qu’on lui raconte. Et puis, page 45, tout s’éclaire : « J’écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n’était pas la mienne. » On sent l’urgence, un élan qui pourrait facilement se briser : « Je vais continuer d’égrener ces années, sans nostalgie mais d’une voix précipitée. Ce n’est pas ma faute si les mots se bousculent. Il faut faire vite ou alors je n’en aurais plus le courage ». Finalement, Un pedigree relève presque du journal intime. Une introspection qui n’aurait à la limite pas besoin d’être partagée. Quelques pages pour purger un passé douloureux et dire : « voila, c’est fait, ne venez plus m’emmerder avec ma jeunesse, c’est juste un mauvais souvenir sans grand intérêt. »

Drôle de texte. Sans doute pas la meilleure façon de découvrir cet auteur. Il n’empêche que cet exercice de style ne m’a pas forcément déplu. Reste maintenant à trouver un roman de Modiano qui me montre toute l’étendue de son talent.

Un pedigree de Patrick Modiano, Folio, 2005. 126 pages. 5,95 euros.

jeudi 10 mai 2012

Laissez-les lire !

Patte © Gallimard 2012
Geneviève Patte est la fondatrice de La joie par les livres et de la bibliothèque de Clamart. Depuis les années 60, elle parcourt le monde pour exposer et partager son point de vue sur la lecture et les bibliothèques pour enfants. « Donner à la lecture un visage irrésistible », tel doit être pour elle le but de chaque adulte s’engageant à éveiller chez l’enfant le goût de lire.

Publié pour la 1ère fois à la fin des années 70, son ouvrage Laissez-les lire, devenu un classique pour la majorité des bibliothécaires jeunesse, est aujourd’hui réédité dans une édition actualisée, revue et augmentée. Quel bonheur de replonger dans la prose vivifiante de cette passionnée !

Si le courage vous manque de parcourir les 340 pages de cet incontournable (c’est une honte mais je sais rester magnanime et je respecte les droits imprescriptibles du lecteur selon Pennac), contentez-vous de la seconde partie consacrée à la place de la lecture dans la vie de l’enfant. Tout y est : le rôle de la bibliothèque bien sûr, mais aussi l’entrée de l’enfant en littérature ou encore le choix des fictions, des albums ou de la poésie et la place à accorder aux documentaires. Passionnant également le chapitre consacré à l’importance de la mise en œuvre d’une lecture critique permettant à l’enfant de développer une compréhension fine des textes, de hiérarchiser ses lectures et de ne pas tout mettre sur un même plan. C’est dans ces mêmes pages que Geneviève Patte s’attarde sur les lectures « traumatisantes », un sujet qui m’intéresse particulièrement.  Pour elle, « Rien n’est plus difficile pour un adulte que d’affirmer que telle ou telle image, telle ou telle histoire va effrayer les enfants, les enfants en général. Souvent ce sont les adultes qui se bloquent sur leur propre frayeur. […] Chacun a sa lecture. Ne craignons pas trop vite de traumatiser les enfants. Le danger est bien plus dans ce qui est faux, mièvre et ennuyeux, que dans ce qui est trop fort dans sa vérité.» Un point de vue que je partage totalement et qui m’a déjà valu quelques ennuis avec certains parents…

Cette seconde partie intitulée « Dans la forêt des livres » relève pour moi, vous l’aurez compris, de la lecture indispensable pour peu que l’on s’intéresse de près ou de loin à la transmission du plaisir de lire chez l’enfant. Le reste de l’ouvrage, plus spécifiquement centré sur le rôle du bibliothécaire, m’a moins emballé mais les expériences relatées restent néanmoins particulièrement instructives.

Laissez-les lire ! est un manifeste qui m’avait beaucoup marqué lorsque je l’ai découvert il y a une quinzaine d’année en préparant le CAPES de doc. Aujourd’hui, je tiens modestement le rôle du « prescripteur / tentateur » auprès d’élèves de 9 à 12 ans pas spécialement intéressés par la lecture et je me rends compte que si l’investissement de l’adulte est sincère et passionné, une majorité d’enfants adhèrent aux lectures qu’on leur propose et se laissent au moins séduire au départ. Le rôle de la communauté éducative est important mais celui des parents l’est encore plus. Lorsqu’ils sont associés aux activités de lecture de leurs enfants, beaucoup découvrent que la littérature jeunesse est un vaste champ des possibles ou chacun doit pouvoir trouver le livre qui lui convient à partir du moment où il est bien conseillé. Geneviève Patte ne dit rien d’autre.  Je reconnais que son discours peut parfois sembler un peu daté et je regrette l’absence d’une réflexion profonde sur l’avènement du numérique mais je reste malgré tout sous le charme de son argumentation.

Une bien belle réédition, donc. Indispensable si la question de la transmission du goût de lire chez l’enfant vous intéresse.


Laissez-les lire ! de Geneviève Patte. Gallimard jeunesse, 2012. 348 pages. 20 euros. 

mercredi 9 mai 2012

Daytripper : au jour le jour

Moon et Bà © Urban Comics 2012
A 32 ans, Bràs de Oliva Domingos a en charge la rubrique nécrologique d’un journal de Sao Paulo. A 21 ans, il a traversé le Salvador avec Jorge, son meilleur ami. Sept ans plus tard, il a vécu son premier véritable chagrin d’amour. Il lui faudra attendre le début de la quarantaine pour connaître les joies de la paternité. C’est à cette même époque qu’il est devenu un célèbre écrivain. Entre temps, il aura perdu Jorge et aura dû affronter une vie de famille chaotique. Enfin, à 76 ans, au crépuscule de sa vie, Bràs méditera sur les dernières lignes écrites à son attention par son propre père : « Quand tu accepteras qu’un jour tu mourras, tu profiteras vraiment de la vie. »

Une préface de Cyril Pedrosa et une postface de Craig Thompson. Déjà, ça sent bon. Petit conseil, il faut se lancer dans ce roman graphique ambitieux sans à priori. Se laisser prendre par la main et découvrir les mille et une vies de ce personnage qui pourrait tout à fait être vous ou moi.

Les frères jumeaux Fabio Moon et Gabriel Bà ont tricoté un canevas imparable. Attention, la narration est complexe, exigeante. La construction éclatée, les nombreux flashbacks, les périodes de la vie de Bràs présentées de façon non chronologique, tout cela demande beaucoup de concentration pour ne pas perdre le fil. Mais vos efforts seront récompensés au final tant cet album est de qualité.

L’amour, la mort, la famille, l’amitié, la carrière, tous ces sujets sont abordés au fil des pages à travers le destin de Bràs. Ça ressemble à une vie, quoi. Le ton est juste, touchant sans jamais tomber dans le pathos. Réfléchir à l’avenir, se retourner sur son passé et profiter du moment présent, voila le triptyque défendu par les auteurs.

Dans sa postface, Craig Thompson parle de puissance narrative. On referme en effet l’album en se disant que l’ensemble du récit, malgré sa construction complexe, est parfaitement maîtrisé. Le trait est simple et expressif. Un encrage épais qui rappelle les comics et un découpage audacieux alliant efficacité et lisibilité. Seul regret, la présence de la couleur qui pour moi n’apporte rien. J’aurais préféré des planches en noir et blanc mais c’est vraiment mon seul tout petit bémol.

Daytripper est un album qui se mérite. Pas question de le lire à la va vite. Il faut être en mesure de recevoir avec la plus grande attention cette lumineuse parabole sur le sens de la vie. Sans conteste pour moi la plus belle pépite dénichée depuis le début de l’année 2012.


Daytripper : au jour le jour de Fabio Moon et Gabriel Bà. Urban Comics, 2012. 256 pages. 22.50 euros.

L'avis de Lunch

Moon et Bà © Urban Comics 2012

 




Will Eisner 2011 du meilleur récit complet

vendredi 4 mai 2012

Les années n°8

Un numéro 8 consacré en grande partie à la culture et à la littérature Grecque contemporaine. Au sommaire, un portrait du poète Yannis Ritsos, un focus sur la tradition musicale du « Rébétiko » et sur celle du « Karaghiozis » (théâtre d’ombres) ainsi qu’une présentation du Colosse de Maroussi, un livre d’Henri Miller datant de 1941.

Dans le reste de la revue, retrouvez les rubriques habituelles avec une nouvelle de Nathalie Mercier, un portrait du poète haïtien Anthony Phelps, une critique élogieuse de l’ouvrage de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie » (je vous invite à relire la note de lecture assassine concernant ce même ouvrage publié dans le premier numéro de la revue) et la chronique d’un professeur Hernandez très en forme. De mon coté, je vous parle d’Une Métamorphose iranienne, une BD de Mana Neyestani.

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.

Téléchargez le n°8

Rendez-vous le 15 mai pour le n°9.

mercredi 2 mai 2012

Durango : l'intégrale

Swolfs © Soleil 2012
Durango est un héros de papier de ma jeunesse (de mon adolescence plus précisément). Avec lui, j’ai chevauché les plaines du Wyoming et de l’Utah, j’ai erré dans le désert d’Arizona, j’ai franchi les portes de saloon cradingues empestant la fumée et la sueur, j’ai descendu un nombre incalculable de salopards et j’ai couché avec quelques femmes de petite vertu. Archétype du cow-boy solitaire, Durango est un « nettoyeur ». C’est le gars que l’on appelle en toute dernière extrémité quand il n’y a plus moyen de faire autrement. Parce que l’on sait qu’avec lui dans les parages, les cadavres vont s’amonceler. Attention, Durango n’est pas un tueur à gage. Il ne défouraille qu’en état de légitime défense. Avec son chapeau, sa longue veste, son colt allemand, sa barbe de trois jours et ses magnifiques yeux verts, Durango est une icône. Un cow-boy taciturne et froid comme une lame dont j’ai lu et relu les aventures des dizaines de fois.

En ce printemps 2012, les éditions Soleil ont la bonne idée de publier une intégrale consacrée au héros de Swolfs. L’occasion de (re)découvrir les quatre premiers volumes d’une saga devenue mythique pour beaucoup de lecteurs. Dans le tome 1, en plein hiver, Durango va venger la mort de son frère. Dans le second, il viendra en aide à un village incapable de se défendre face à une horde de bandits sans pitié. Dans le troisième, pris au piège d’une diabolique machination et accusé à tort de meurtre, il va défendre son innocence à sa manière, c'est-à-dire dans un bain de sang. Enfin, dans le quatrième, il va s’associer à un mexicain trafiquant d’armes pour échapper à des chasseurs de prime.

Fortement inspirée des westerns spaghettis à la Sergio Leone, Durango est une œuvre violente, sans concession. Un hommage au genre d’une redoutable efficacité avec une intrigue souvent minimaliste et linéaire dont le seul but est de mettre en scène de sanglantes fusillades très chorégraphiées. Bien sûr, on peut considérer que Swolfs n’a rien inventé. Le raccourci avec Blueberry notamment semble à première vue évident. Et pourtant. A l’époque de Blueberry, la censure faisait rage et la violence devait rester très modérée. Dans Durango, les barrières sont tombées. Le sang gicle, les cadavres sont montrés en gros plan et les filles faciles sont nues.

Il faut par ailleurs reconnaître que le charme de la série tient pour beaucoup dans le trait de Swolfs. Quels réalisme, quel souffle, quelle maîtrise du découpage ! La fluidité des scènes d’action est à montrer dans les écoles de dessin. Du grand art !

Bon vous aurez compris que je ne suis pas objectif parce que je suis fan. On a bien le droit de temps en temps de se laisser aller à vanter les mérites d’une série que l’on adore sans forcément trouver les arguments les plus convaincants de la terre. Je dis juste ça en passant, au cas où une personne découvrant ce billet franchisse le pas et soit déçue par sa lecture. C’est une éventualité dont je n’assumerais pas la responsabilité, je vous préviens !!


Durango, intégrale T1 de Yves Swolfs. Soleil, 2012. 194 pages. 29.95 euros.


Swolfs © Soleil 2012