mardi 15 mars 2022

Au poil - Sophie Adriansen

Salomé, quinze ans, est plus préoccupée par ses révisions pour le brevet des collèges que par les poils qui colonisent ses jambes et ses aisselles. Pour sa mère par contre, les problèmes pilaires ne sont pas à prendre à la légère et ils doivent se régler chez l’esthéticienne. Le rendez-vous est pris, et Salomé s’y présente sans imaginer ce qui l’attend. Au final, l’expérience s’avère aussi douloureuse que traumatisante, à tel point point que la jeune fille en ressort avec une certitude : plus jamais ça ! 

Un texte court, plein de fraîcheur et de bonne humeur, qui aborde la question des injonctions « esthétiques » et la difficulté à assumer ses poils dans une société qui prône leur disparition. Le propos est engagé mais respecte les différents points de vue, le cheminement réflexif de Salomé sur la question étant progressif et se révélant frappé du bon sens. Bien sûr Sophie Adriansen n’occulte pas les jugements négatifs et autres moqueries que doit subir la collégienne, bien sûr elle souligne à quel point le fait de passer outre le regard des autres n’est pas une formalité, surtout à l’adolescence. Mais sa narratrice analyse avec pertinence et sans dramatiser à outrance son rapport au corps et aux normes de beauté. Au final, elle défend ses convictions avec une assurance qui force le respect.     

Ne cherchez pas ici de démonstration excessive anti-épilation, le sujet est traité avec une forme de légèreté qui permet de renforcer le propos. Le choix individuel de Salomé n’est pas à prendre comme une invitation militante à suivre ses traces, même si sa prise de position encourage fortement à la réflexion sur une thématique moins anecdotique qu’il n’y paraît.

Au poil de Sophie Adriansen. Magnard jeunesse, 2022. 80 pages. 8,90 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite partagée avec Noukette







mercredi 2 mars 2022

Histoire d’une mouette et du chat qui lui appris à voler - Cever (d'après Luis Sepulveda)

J’avoue, j’y suis allé sur la pointe des pieds. Un dessinateur signant son tout premier album, un éditeur inconnu, un surprenant parti pris du noir et blanc pour un titre qui se veut « jeunesse » et surtout une tentative d’adaptation du merveilleux roman du regretté Luis Sepulveda qui, à mes yeux, reste une œuvre « intouchable ». Bref, tous les ingrédients étaient réunis pour que la déception soit à la hauteur de mes craintes. 

Mais avant de sortir (éventuellement) les crocs, revenons deux secondes sur la magnifique histoire de la mouette Kengah qui, après s’être péniblement extraite d’une nappe de pétrole, se pose sur le balcon de Zorbas, « le chat grand noir et gros ». Un chat auquel elle fait promettre, avant d’expirer son dernier souffle, qu’il ne mangera pas l’œuf qu’elle vient de pondre, qu’il s’occupera dudit œuf jusqu’à la naissance du poussin et surtout, qu’il apprendra à ce poussin à voler. Bien décidé à tenir ses engagements mais ne sachant comment s’y prendre, Zorbas va chercher de l’aide auprès de ses compagnons félins. Ensemble, ils vont tenter de respecter les dernières volontés de Kengah, sans avoir la moindre idée de la façon dont ils doivent procéder.

On ne va pas tourner autour du pot, j’ai été bluffé par cette adaptation, fidèle sur le fond et inventive sur la forme. Graphiquement c’est sublime, le noir et blanc est incroyable, parfois proche d’un Chabouté au meilleur de sa forme, c’est dire. La mise en page est culottée, le découpage hyper dynamique, alternant des cadrages resserrés et des doubles pages époustouflantes, notamment celles représentant la ville et le port d’Hambourg où se déroule l’intrigue. Au-delà de l’esthétique irréprochable, Cever a su restituer à la fois l’humour, la poésie et l’humanité de cette fable débordant d’optimisme et de fraternité. Bluffant je vous dis.

Auteur débutant, éditeur inconnu, noir et blanc virtuose, histoire respectée à la lettre et à l’évidence adaptée avec un amour inconditionnel du texte d’origine, objet-livre d’une qualité remarquable, finalement tous les ingrédients réunis ont accouché d’un album sans la moindre fausse note. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ! 

Histoire d’une mouette et du chat qui lui appris à voler de Cever (d'après Luis Sepulveda). Éditions Caurette, 2021. 96 pages. 17,05 euros.



Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie