mercredi 29 juin 2022

Pablo : l’intégrale - Julie Birmant et Clément Oubrerie

Le petit Pablo d’avant le grand Picasso, c’est un jeune andalou court sur pattes qui découvre la France à 19 ans au moment de l’exposition universelle de 1900. Avec sa bande de copains et quelques muses rencontrées sur les bords de Seine, Pablo tire le diable par la queue dans des chambres de bonnes crasseuses. Indéfectible optimiste, il connaît un premier succès en 1901 lorsque ses œuvres sont exposées dans une galerie prestigieuse. Mais sous l’influence du poète Max Jacob, Picasso radicalise son œuvre et s’écarte volontairement des standards commerciaux, quitte à se retrouver sans le sou. Artiste maudit, il est hébergé quelques temps chez Jacob avant de retourner à Barcelone. Entre Paris et l’Espagne, on découvre à travers Picasso toute la fièvre créatrice de l’époque, dans un Montmartre où se côtoient Cézanne, Apollinaire, Matisse, le Douanier Rousseau et tant d’autres « célébrités ».


La folie et le génie de l’artiste sont racontées par Fernande. Celle qui fut à la fois l’amante, le modèle et la victime du peintre porte sur lui un regard distancié et critique qui ne cède jamais à l’idolâtrie. Adulée, rejetée, séquestrée, malmenée, cette femme amoureuse restera jusqu’au bout le soutien indéfectible d’un homme sombrant peu à peu dans une violence picturale symbole de son esprit torturé.

Graphiquement, Clément Oubrerie a d’abord choisi de travailler au fusain sur de grands formats (chaque case est réalisée individuellement dans un format A4 !) avant d’ajouter l’encrage et l’aquarelle. Le résultat est superbe et surtout le dessinateur a su retranscrire à merveille le Paris du tout début du 20ème siècle.

350 pages pour retracer sept années (1900-1907) d’une fulgurante évolution artistique. Et 350 pages qui, au final, rendent davantage hommage à une femme remarquable qu’à son célébrissime compagnon.

Pablo : l’intégrale de Julie Birmant et Clément Oubrerie. Dargaud, 2022. 350 pages. 9,50 euros.


PS : Un mot sur cette édition que Dargaud propose dans le cadre d’une opération estivale intitulée « Emportez vos BD partout ». Une intégrale petit format (21x15 cm) à tout petit prix (moins de dix euros), en voilà une excellente idée. Une telle version de poche avec couverture brochée est parfaite à glisser dans un sac où une valise. Gros bémol cependant, le papier est un poil trop rigide et ce pavé de 350 pages doit s’ouvrir en grand pour déchiffrer les textes placés au bord de la pliure centrale, ce qui va inévitablement provoquer quelques « cassures » sur le dos de l’ouvrage. Sans compter que la reliure semble bien trop légère en colle, ce qui signifie qu’en l’ouvrant trop grand, on risque de se retrouver avec des pages volantes. Bref, l’idée est excellente mais l’objet-livre est à la fois fragile et peu pratique à manipuler. 




Les BD de la semaine sont à découvrir chez Moka





mercredi 22 juin 2022

Les saisons et les jours - Caroline Miller

Incroyable destin que celui de ce premier roman publié en 1933 et qui remporta le prix Pulitzer 1934. Rédigé par une Géorgienne totalement inconnue, Les saisons et les jours reçut un accueil enthousiaste, tant au niveau régional que national. A tel point que devant un tel succès, l’éditeur Harold Latham rechercha d’autres œuvres « du Sud » afin de surfer sur la vague. C’est ainsi qu’il se décida à publier l’ouvrage de Margaret Mitchell qui allait devenir le prix Pulitzer 1937 : Autant en emporte le vent. Ce dernier éclipsa rapidement Les saisons et les jours, qui restera quand même LE best-seller de l’année 1934 et qui a été réimprimé une quarantaine de fois depuis sa première édition. En France, l’ouvrage a été publié dès 1935 sous le titre « Colons en Géorgie » dans une version abrégée. Belfond propose ici le texte intégral dans une nouvelle traduction.

Contrairement à Autant en emporte le vent, Les saisons et les jours ne s’intéresse pas aux riches planteurs de la côte mais se focalise sur les fermiers du Sud profond d’avant la Guerre de Sécession. Des familles trop pauvres pour posséder un esclave qui tentent juste de survivre dans un environnement difficile. Saga familiale centrée sur le personnage de Cean Smith, jeune fille mariée à l’adolescence que l’on suit pendant des dizaines d’années, le roman dresse le plus fidèlement possible le portrait d’une époque. Cean aura en tout quinze enfants et deux maris. Une femme remarquable, totalement accaparée par la vie domestique, épuisée par les grossesses à répétition et qui ne sera pas épargnée par les drames. Autour de Cean et de son clan, Caroline Miller évoque le plus scrupuleusement possible l’existence de ces pionniers marquée par la succession des saisons, des semailles, des récoltes, des naissances et des deuils. Un travail presque ethnologique transcendé par une écriture proche du naturalisme. Entre le roman régionaliste et le Nature Writing, Les saisons et les jours relate à travers Cean et les siens une vie quotidienne fruste et répétitive, sans véritable horizon.  

Malgré quelques longueurs, des références religieuses parfois envahissantes et des passages fleurant bon La petite maison dans la prairie, ce texte fleuve vaut surtout pour son beau portrait de femme, en parfaite symbiose avec son époque et son statut : « Maintenant, elle avait compris : ce monde avait été créé pour que les êtres humains y fassent leur devoir et prouvent qu’ils n’étaient pas des brutes. Il fallait qu’elle fasse son devoir, qu’elle donne la vie continûment, lave, s’occupe du bébé jusqu’à ce qu’il marche, puis en ait un autre. Pourtant, elle ne l’acceptait pas sans rechigner, même si elle se taisait et faisait son devoir. » 

Les saisons et les jours, de Caroline Miller. Belfond, 2022. 438 pages. 14,00 euros.