mardi 26 janvier 2021

La maison aux 36 clés - Nadine Debertolis

Pas cool les vacances de Pâques qui s’annoncent pour Tessa et Dimitri ! Leur mère a décidé de les emmener dans la maison d’un grand-oncle dont elle a hérité. Un manoir isolé, perdu au fond de la campagne, aussi moche que lugubre où les quinze jours à venir risquent d’être terriblement ennuyeux. L’arrivée sur place confirme leurs craintes : une abominable odeur de renfermé, une montagne de poussière, du bazar partout, un jardin à l’abandon et un nombre incalculable de portes fermées à double tour à chaque étage. Trousseau de clés en main, les enfants partent explorer les lieux et vont aller de surprises en surprises...

Un manoir mystérieux, des portes à ouvrir, des objets étranges, des casse-têtes à résoudre et un secret de famille bien gardé, les ingrédients promettent un savoureux jeu de piste. Jusqu’au bout on accompagne avec plaisir Tessa et Dimitri pour connaître le fin mot de l’histoire. Qui était vraiment le grand-oncle Eustache ? A  quelles expériences se livrait-il ? Quels indices vont permettre de lever le voile sur l’histoire du lieu et de son propriétaire ?

Ça pourrait être angoissant, tendu, effrayant. Ça pourrait virer au drame ou au film d’horreur mais Nadine Debertolis a choisi un autre registre que celui de la peur. Le cheminement  qu’elle propose se veut plus intime, plus mélancolique. Elle joue davantage sur la corde de l’émotion, insiste sur l’importance des souvenirs et des capacités de résilience. Elle prend par ailleurs le temps de travailler la psychologie des personnages sans pour autant sacrifier le rythme du récit. Au final elle signe roman positif, plein de tendresse et d’empathie.  

La maison aux 36 clés de Nadine Debertolis. Magnard jeunesse, 2020. 222 pages. 13,50 euros. A partir de 10-11 ans.


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mercredi 20 janvier 2021

Blanc autour - Wilfrid Lupano et Stéphane Fert

Connecticut, 1832. Si dans cet état du nord l’esclavage n’a plus cours, la population n’en est pas pour autant prête à accepter une quelconque forme d’égalité avec les afro-américains. Alors quand l’institutrice Prudence Crandall accepte dans sa classe une adolescente noire, le scandale éclate et les familles des autres élèves décident de retirer leur progéniture de l’école. En réponse à la tournure prise par les événements, Miss Crandall décide d’ouvrir un établissement scolaire réservé aux jeunes filles de couleur. Une décision courageuse mais impossible à accepter pour la population blanche locale.


Basée sur l’histoire vraie de la Canterbury Femal School, ce récit édifiant, au-delà de son propos contre le racisme et pour l’émancipation, insiste sur l’aspect humain d’un projet aussi « révolutionnaire » que provocateur. Et derrière les éléments insupportables de cet épisode peu connu de l’histoire américaine se dessine le portrait d’un groupe de jeunes femmes n’ayant pas hésité à mettre leur vie en jeu pour accéder à l’instruction. Les auteurs ont choisi de focaliser leur attention sur elles davantage que sur l’enseignante blanche qui, malgré la noblesse de son combat, risquait bien moins de tourments que ses élèves. Au final ce sont elles les vraies héroïnes de l’album, à la fois touchantes, fragiles et d’une grande force de caractère : « Nous mettons les enfants au monde et nous les élevons. Des femmes noires instruites auront des enfants instruits, qui auront des enfants plus instruits encore. »

Le trait tout en souplesse et quelque peu « cartoonesque » de Stéphane Fert, loin d’un réalisme visuellement trop perturbant, élargit la portée du message à des lecteurs peu sensibles aux récits historiques hyper documentés (même si pour le coup les événements relatés ne souffrent d’aucune approximation et ont été validés par la conservatrice actuelle du musée Prudence Crandall).

Un album puissant et révoltant qui permet d’aborder avec une remarquable finesse narrative des thématiques malheureusement toujours d’actualité.

Blanc autour de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert. Dargaud, 2021. 142 pages. 20,00 euros.



Les BD de la semaine sont chez Stephie
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mardi 19 janvier 2021

Elle est le vent furieux - Sophie Adriansen, Marie Alhinho, Marie Pavlenko, Coline Pierré, Cindy Van Wilder et Flore Vesco

Effarée par le manque de respect pour la Terre, Dame Nature a décidé de faire payer aux humains le prix de leur inconséquence. Son courroux se répand sur toute la planète avec fureur. A Bornéo, les singes envahissent les hôtels et les plages, rendant la vie des touristes impossible. En France, une maladie étrange transforme les corps en végétaux. Autour de la Méditerranée, des événements incontrôlables et effrayants poussent les populations à réagir (enfin !). En Europe le printemps refuse d'éclore, engendrant famine et troubles de l’ordre public tandis qu’à la Nouvelle Orléans la montée des eaux a profondément changé le visage de la ville et les relations entre ses habitants. 

Six histoires, six autrices, six voix différentes s’unissant pour dire la folie du comportement humain vis-à-vis de la planète et l'urgence climatique qui en résulte. Le texte de Marie Pavlenko ouvrant le recueil sert de colonne vertébrale à l’ensemble. C’est à partir de cette introduction que se dessine la cohérence d’un ensemble de nouvelles pouvant sembler à première vue déconnectées les unes des autres.

Au final le jeu littéraire mis en place fonctionne à merveille, les pièces s’imbriquent et chaque autrice, à sa façon et selon son « angle d’attaque », exprime la force de son engagement. Récit réaliste, dystopique, poétique, les genres et les styles d’écriture choisis offrent richesse et variété.  

Un cadavre exquis qui ne déborde pas d’optimisme mais qui a le mérite, sans donner de leçon ni sombrer dans le nihilisme le plus désespéré, d’affirmer avec force l’importance de mettre un terme aux excès qui nous condamnent à plus ou moins court terme. Une façon intelligente et efficace de pousser à la réflexion. 

Elle est le vent furieux de Sophie Adriansen, Marie Alhinho, Marie Pavlenko, Coline Pierré, Cindy Van Wilder et Flore Vesco. Flammarion jeunesse, 2021. 315 pages. 15,00 euros. A partir de 14 ans.


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mardi 12 janvier 2021

Les derniers des branleurs - Vincent Mondiot

 

« Ils sont restés eux-mêmes. […] Des ratés, des drogués, des dégénérés, des dépressifs sans cause, des fils et des filles indignes, la rangée du fond de la classe. »

Il serait malhonnête de réduire Min Tuan, Chloé et Gaspard à cette description peu glorieuse se trouvant à la 450ème et dernière page du roman. Bien sûr ils sont tout ça mais ils sont loin de n’être que ça ces trois lycéens de terminale unis comme les doigts de la main, marginalisés par leurs camarades de classe, catalogués branleurs par leurs profs et incompris de leurs parents. Ils sèchent les cours pour jouer aux jeux vidéo en fumant des joints, lisent des mangas plutôt que leurs leçons et ne peuvent s’imaginer un avenir. Du moins jusqu’à l’arrivée dans leur groupe de Tina, jeune migrante congolaise vivant à hôtel qui va peu à peu exercer sur eux une influence positive.

Drôle de roman pour un drôle de trio, plus agaçant qu’attachant, auquel j’ai fini par accorder toute mon attention après des débuts difficiles. Il faut dire que je me suis vite lassé de leurs discussions sans intérêt, de leur grossièreté chronique et de leur j’menfoutisme intersidéral. Ils ne sont ni violents ni méchants, ni perturbateurs ni révoltés. Ils ne croient juste en rien, ne s’impliquent dans rien, ne rêvent de rien. Pas simple du coup de s’intéresser à leur cas, d’aller au-delà de leur oisiveté permanente et de leurs lendemains de cuite sans relief. 

Heureusement, plus le roman avance et plus le portrait psychologique de chacun gagne en complexité. Sous le vernis de l’avachissement se révèlent de profondes interrogations sur le sens de l’amitié, le rapport aux autres, la sexualité. Surtout, loin du cliché, de la mise en scène au trait forcé d’une « génération perdue » d’écervelés sans la moindre conscience (politique ou autre), Vincent Mondiot ne donne pas dans le portrait de groupe caricatural, il dépeint des individus, tous différents, portant chacun un regard sur le monde d’une grande (et douloureuse) lucidité.

Un texte cru, provocateur, sans concession, drôle à sa façon, et qui se révèle d’une rare sensibilité pour peu que l’on ne s’arrête pas à l’exaspérant nihilisme que donne la première impression.

Les derniers des branleurs de Vincent Mondiot. Actes Sud junior, 2020. 450 pages. 16,80 euros. A partir de 15 ans.




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