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vendredi 1 octobre 2021

Les fruits tombent des arbres - Florent Oiseau

 

« Je traversais l’existence comme une ombre, je flottais, je me promenais, mais je ne faisais pas grand-chose de palpable, de beau, de grand, de définitif. »

Pierre n’a rien d’un héros. Rentier à l’existence frugale, célibataire père d’une ado, il vit dans le petit appart parisien légué par ses parents. Il regarde « le football avec une ferveur identique à celle d’un ragondin qui se laisse dériver dans une rivière » et constate avec lucidité qu’après 50 ans « [sa] prostate commence à intéresser le corps médical, […], [ses] pectoraux ressemblent à des cernes, et, après trois verres de vin, [sa] queue n’a plus rien à envier à une glace oubliée sur une plage de la Costa del Sol en plein mois d’août. »

Il déambule dans les rues, fume avec les prostitués sur un bout de trottoir, regarde « Sauvez Willy » pour réconforter un voisin, participe à une course cycliste improbable, rédige des poèmes dans les commentaires de vidéos porno ou entretient une relation platonique avec une jeune femme écrivain qui a vingt ans de moins que lui. 

Dans un roman de Florent Oiseau, on se quitte pour un yaourt à la cerise. On meurt d’une crise cardiaque à l’arrêt de bus. On se fait alpaguer par une actrice célèbre qui vous supplie de lui faire une mayonnaise. On prénomme sa fille Trieste à cause d’un sac oublié dans un train. On admire Samantha le travesti chanter Dalida dans un bar Kabyle, « une Heineken en guise de micro ». 

Dans un roman de Florent Oiseau tout est anodin et insignifiant. On se satisfait du banal avec un détachement proche de la poésie. Dans un roman de Florent Oiseau la solitude ne dégouline pas de tristesse, la manque d’ambition se vit sans larmes et sans drame. Dans un roman de Florent Oiseau l’absurde débouche sans prévenir sur de sublimes moments d’humanité et le dérisoire n’a jamais rien d’un désenchantement.

J’aimerais tellement que ma vie soit comme un roman de Florent Oiseau.

Les fruits tombent des arbres de Florent Oiseau. Allary éditions, 2021. 236 pages. 17,90 euros. 






dimanche 29 août 2021

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes - Lionel Shriver

 

Serenata, sexagénaire fringante et active, se désespère de ne plus pouvoir faire les activités physiques intenses qu’elles s’imposaient depuis l’adolescence à cause de ses genoux en piteux état. Son mari Remington vient lui porter un coup au moral supplémentaire le jour où il lui annonce qu’il a l’intention de participer à un marathon. Lui, le néo-retraité qui n’a jamais couru de sa vie !  La nouvelle est difficile à digérée pour Seranata, qui y voit d’abord une volonté de lui nuire, de la mettre face à sa propre décrépitude. Elle finit par se convaincre que ce n’est qu’une passade, qu’une fois le marathon achevé tout rentrera dans l’ordre. Malheureusement pour elle, elle se trompe dans les grandes largeurs et la nouvelle obsession de son homme pour le sport ne va cesser de croitre, creusant entre eux une distance toujours plus grande et plus profonde.  

Cette Serenata, quel personnage ! Misanthrope, cynique, atrabilaire et plutôt imbue d’elle-même, elle ne va cesser d’enchaîner les désillusions et de constater le déclin d’un mariage aux fondations jusqu’alors solides. La faute à son mari bien sûr, puisqu’elle-même a bien du mal à se remettre en cause. Entendons-nous, Remington n’est pas tout blanc non plus. Manipulable, en attente permanente du soutien de sa femme, devenu un monomaniaque de l’effort n’ayant plus d’autres centres d’intérêts que les kilomètres avalés chaque jour, il est insupportable ! 

Lionel Shriver n’épargne personne. Elle appuie là où ça fait mal. Tout le monde en prend pour son grade et les nombreux personnages secondaires sont savoureux. C’est acide, débordant d’une ironie mordante et, au-delà de la dénonciation du délire narcissique d’une société américaine obsédée par le culte de l’effort et de la compétition, elle se permet d’égratigner au passage la culture woke et le politiquement correct poussé jusqu’à l’absurde. Son roman interroge aussi sur la difficulté à se projeter dans la vieillesse et surtout, pour un couple, la difficulté de vieillir ensemble.

L’épilogue est un peu idyllique et caricatural. Trop consensuel aussi, en tout cas en décalage trop flagrant avec tout ce qui a précédé. Dommage mais ça n’a aucunement gâché le plaisir que j’ai eu à découvrir une plume terriblement incisive. 

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver (traduit de l’anglais par Catherine Gibert). Belfond, 2021. 385 pages. 22,00 euros.