dimanche 30 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 10) : Les autos tamponneuses de Stéphane Hoffmann

Pierre Bailly, un grand patron qui n’a cessé de privilégier son entreprise au détriment de sa vie de famille, décide du jour au lendemain de prendre sa retraite pour s’installer avec sa femme dans leur maison du Golfe du Morbihan. Pour son épouse, l’intrusion dans sa vie quotidienne d’un mari jusqu’alors très peu présent est impensable. Selon elle, les hommes qui ne travaillent pas se relâchent. « Jamais ils ne devraient rentrer à la maison, jamais. Ils doivent mourir à la tâche, au combat, la main sur le métier. C’est leur devoir, leur gloire. Les hommes, on les aime absents. Celui qui rentre saccage tout. La place d’un homme, c’est dehors. » De son coté, Pierre se demande ce qu’il va faire de ces jours tranquilles qui s’annoncent. Il prend du bon temps en visitant un copain restaurateur ou tente sans grande conviction de courtiser une amie de sa femme. Il essaie aussi de trouver sa place dans la bourgeoisie locale mais il se révèle bien trop individualiste et misanthrope pour supporter « ces cons ». Finalement, il se rend compte qu’il n’est pas si facile, la retraite venue, de se réinventer une vie…

Stéphane Hoffmann possède un joli sens de la formule et une écriture aussi acerbe qu’aiguisée. Ses descriptions vachardes font sourire (« il était gai comme le formol, joyeux comme une ampoule basse consommation. ») mais sous le vernis du cynisme et de la désinvolture, son style apparaît aussi prétentieusement boursouflé que le caractère des personnages qu’il met en scène. Il ne cesse d’enfiler les aphorismes comme des perles mais, à mon sens, ce n’est pas en accumulant les bons mots et les traits d’esprit que l’on donne du corps à un roman. Quelques exemples en vrac : sur le mariage : « Le code civil laisse entrer la foule dans le lit des gens qui s’aiment, fait de chaque famille une troupe au service de la société et donne à la vie conjugale, si secrète, une impudique publicité. » ; sur le bonheur : « Le bonheur, ce n’est pas de ne pas avoir de problèmes ; le bonheur est de pouvoir résoudre les problèmes qu’on a ! » ; sur les enfants : « Un enfant, c’est un idéal qu’on n’invente pas, mais qu’on reçoit. Malgré soi. Et il faut être à la hauteur de cet idéal que l’on n’a pas voulu et qui décevra. » A la longue ces sentences balancés à l’emporte pièce deviennent plus qu’indigestes.

Du coté des dialogues, même constat d’échec. Les tirades de tous ces insupportables bourgeois sonnent tellement faux que l’on a parfois l’impression de lire le texte d’une mauvaise pièce de théâtre. Et que dire de la fin ! Une ultime pirouette où les masques tombent ridiculement et où l’épouse à la froideur inhumaine se révèle finalement être une mère et une grand-mère aimante. Quitte à jouer sur la corde du cynisme, il aurait été préférable de pousser à son paroxysme la décrépitude de cette imbuvable « bonne société » provinciale.

Une lecture pénible. Avec 100 pages de plus, je crois que je ne serais pas allé au bout. Second titre des éditions Albin Michel que je lis en cette rentrée littéraire (après La petite) et seconde très grosse déception. Rassurez-moi, il doit bien y avoir un roman de qualité publié par cet éditeur cet automne (le premier qui me cite Amélie Nothomb prend la porte immédiatement !).

Les autos tamponneuses de Stéphane Hoffmann, Éditions Albin Michel, 2011. 232 pages. 17 euros.


vendredi 28 octobre 2011

Elmer

En cette fin d’année 2003, Jake Gallo a les nerfs à vif. Il vient encore de rater un entretien d’embauche, son père a fait une attaque, son frère, star du cinéma, ne prend plus le temps de lui parler et sa sœur May va épouser un humain, ce qui, pour lui, est totalement impensable. Et oui, un humain ! Il faut dire que chez les Gallo, on est poulet de père en fils. Depuis l’événement qui s’est déroulé le 3 février 1979, toutes les poules et tous les coqs de la planète sont doués de raison et capables de parler. Après bien des combats, les gallinacés sont aujourd’hui considérés comme appartenant au genre humain. Dans les faits, les différences de traitement continuent d’exister mais l’intégration des poulets dans la société est devenue la norme.

Jake va opérer un retour aux sources en se rendant dans la maison familiale pour assister aux derniers instants de son père. Après l’enterrement, sa mère lui donne le journal intime du défunt et Jake y découvre un témoignage bouleversant sur les premiers mois qui ont suivi la transformation des poulets...

Elmer est un OVNI complet. Déjà, il me semble que c’est la seule et unique bande dessinée Philippine jamais publiée en France. Et que dire de l’intrigue imaginée par l’auteur ? Dans une interview de janvier 2011, il explique d’où lui est venue l’idée : « Un jour, assis devant ma maison, je me suis demandé : Et si les poulets parlaient ? Que feraient-ils ? Que diraient-ils ? Seraient-ils en colère ? ». Les choses auraient pu en rester là où tourner à la série Z de science fiction (L’attaque des poulets mutants !) mais Gerry Alanguillan a réussi le tour de force de créer une œuvre tout en finesse. En faisant de la famille de Jake l’épine dorsale de son intrigue, il recentré le récit sur des thèmes intimistes tels que la perte d’un proche et les liens familiaux. Entremêlant sans cesse la petite et la grande histoire, il déroule une partition sans faute où les événements s’enchaînent naturellement malgré les nombreux flashbacks.

Jake Gallo est un personnage touchant sous ses airs d’écorché vif. Un individu en colère, en conflit perpétuel, persuadé que tous les humains sont des racistes anti-poulet. En plongeant dans les souvenirs de son père, il découvre que les choses ont progressé en à peine quelques années et que les combats menés pour l’égalité entre humains et poulets ont été aussi douloureux que salutaires.

Concernant les relations père/fils, l’auteur avoue qu’il s’est inspiré de son histoire personnelle : « Pendant des années, j’ai vécu dans la crainte de perdre mes parents, d’un âge avancé. Dans ce bouquin, on trouve beaucoup de mes souvenirs. [...] Mon père et moi n’étions pas si proches. Après sa mort, je me revois fouiller dans des vieilles boîtes pour trouver son journal... ». Un point de départ totalement irrationnel, un développement centré sur la cellule familiale et la mise en perspective de son propre vécu : avec ces ingrédients pas forcément évidents à accommoder Gerry Alanguilan a concocté une recette délicieuse.

Si je devais concéder un très léger défaut, je dirais que le dessin n’est pas le point fort du recueil. Un noir et blanc par moment assez maladroit mais qui reste suffisamment efficace pour ne pas desservir le propos. L’influence des auteurs de comics indépendants saute aux yeux. Personnellement, le trait d’Alanguilan m’a rappelé celui de Terry Moore, l’auteur de la série Strangers in Paradise.

Une superbe découverte (une de plus !) des éditions ça et là. Publié il y a tout juste un an, Elmer a déjà reçu la reconnaissance du public et de la critique, remportant notamment le prix Asie-ACBD 2011. A découvrir d’urgence pour les amateurs de BD atypique et de grande qualité.

Un grand merci à Mo’ qui, une fois de plus, m’a offert un album que je ne suis pas près d’oublier.


Elmer, de Gerry Alanguilan, éditions ça et là, 2010. 140 pages. 14 euros.






Le Roaarr challenge
(Prix Asie-ACBD 2001)



mercredi 26 octobre 2011

Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle

Atar Gull est le fils du roi de la tribu des Petits Namaquas. Enlevé par ses ennemis jurés les Grands Namaquas, il est vendu à un négrier et embarque pour la Jamaïque. En cours de route, le bateau est arraisonné par des pirates et la « cargaison » change de main. Après un voyage épouvantable, seuls 17 des 100 esclaves arrachés à leur terre natale arrivent en vie à bon port. Atar Gull est vendu à Tom Will, un planteur paternaliste qui traite ses esclaves plus « humainement » que nombre de ses confères. Devenant rapidement le serviteur attitré de Will, il l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle. Mais sous l’empathie affichée à l’égard de son maître, l’esclave n’aura de cesse de mettre en œuvre une implacable vengeance…

Atar Gull est l’adaptation d’un roman d’Eugène Sue publié en 1831. Une œuvre d’une violence et d’une modernité incroyable. L’auteur des mystères de Paris offre avec ce roman l’un des ouvrages les plus choquants de son époque. Loin de faire d’Atar Gull le bon sauvage épris de liberté qui, une fois affranchi, accède au paradis après avoir subit les pires tourments, il préfère le transformer en psychopathe prêt à tout pour se venger. Son esclave n’est pas Spartacus, il ne souhaite pas fédérer ses pairs et entrer en rébellion. Tout ce que veut Atar Gull, c’est faire payer à son maître son comportement inhumain. De victime, il va se transformer en bourreau, tuant la fille de Tom Will, empoisonnant ses bêtes et ses esclaves, allant même jusqu’à provoquer la mort de son propre fils pour parvenir à ses fins. Sournois, individualiste, impitoyable, d’une rare intelligence, Atar Gull est un personnage terrifiant. Au bout du compte, il n’y pas grand monde à sauver dans cette histoire. Des chefs de tribu aux négriers, du pirate au maître esclavagiste en passant par les esclaves eux-mêmes, tous les protagonistes sont d’infâmes salauds. Sans doute Sue a-t-il voulu dénoncer avec ce roman le paternalisme, une forme de racisme habillée avec les beaux habits de l’humanisme. Et force est de reconnaître qu’il a frappé fort !

Avec un tel sujet, difficile de proposer un dessin hyper réaliste qui rendrait l’horreur des situations insupportable. A l’inverse, le choix du franco-belge « gros nez » à l’ancienne aurait été proprement ridicule. Avec le dessin synthétique de Brüno, c’est un parfait compromis qui est trouvé. Le découpage, très cinématographique, alterne à merveille les séquences violentes et les pauses quasi contemplatives, en mer ou sur la plantation. Les couleurs crépusculaires, flamboyantes, jouant sans cesse sur le contraste entre ombre et lumière, magnifient l’ensemble. Du grand art !

Atar Gull est un album d'une grande puissance. Violent, sans concession, d’une insondable noirceur (sans jeu de mot !), il coupe le souffle comme un crochet à l’estomac. En matière de BD traitant de l’esclavage, ma référence absolue restait Les passagers du vent. Il me faut aujourd’hui reconnaître qu’Atar Gull fait au moins jeu égal avec le chef d’œuvre de Bourgeon.

Un dernier mot pour féliciter l’éditeur d’avoir publié cette histoire en un seul volume. L’album est en effet découpé en deux chapitres de 44 pages qu’il aurait été facile de publier en deux tomes à quelques mois d’écart pour avoir davantage de rentabilité. En choisissant le One Shot plutôt que le diptyque, Dargaud respecte le travail des auteurs et offre au lecteur une histoire complète qu’il peut dévorer d’une traite sans avoir à attendre impatiemment la suite et sans passer deux fois à la caisse. C’est suffisamment rare pour être souligné.


Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle de Fabien Nury et Brüno, Dargaud, 2011. 88 pages. 16.95 euros.





dimanche 23 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 9) : Galveston de Nic Pizzolatto

La Nouvelle Orléans, 1988. Roy Cady vient de passer une sale journée. Le matin, il a appris qu’il avait un cancer des poumons. Le soir, son patron mafieux qui l’utilise comme gros bras et recouvreur de dettes, a cherché à le liquider. Il s’en est tiré par miracle mais il a dû embarquer avec lui Rocky, seule survivante de la fusillade à laquelle il vient d’échapper. Avec elle, il part pour Galveston, une île située dans le Golfe du Mexique. Ce duo improbable, devenu en cours de route un trio, s’installe dans un motel miteux en espérant que personne ne viendra les chercher dans ce bout de terre du fin fond du Texas.

Vingt ans plus tard, Roy a survécu à une terrible épreuve. Lorsqu’il apprend qu’un grand costaud veut le rencontrer, il se demande si les démons du passé ne vont pas ressurgir…

Galveston est une tragédie moderne. Dès le départ, on se doute que les héros vont filer un mauvais coton. L’ouragan Ike qui s’annonce à la fin du roman (il a frappé l’île le 13 septembre 2008) est pour moi la métaphore du destin tragique de Roy. Durant ses années de fuite, il n’aura fait que repousser une échéance inéluctable. Au-delà de son cas personnel, l’auteur pose une réflexion sur l’existence, ce fil ténu qui finira un jour par casser, quoi que l’on fasse.

La structure narrative est intelligente, alternant le récit des événements de 1988 et le retour au présent, ce qui permet de comprendre l’état d’esprit d’un homme en bout de course. Autre aspect intéressant, les éléments « sociologiques » disséminés au fil du texte. Mike Pizzolatto met en scène une Amérique paupérisée, une population qui survit dans des conditions précaires, entre magouilles et petits boulots. A Galveston, au bout du Texas, les bars sont cradingues, les plateformes pétrolières ne sont jamais loin et les perspectives d’avenir se font rare. Cette peinture de l’Amérique profonde est parfaitement rendue.

L’écriture est fluide, les descriptions excellentes et les dialogues bien menés. Reste que l’on peut reprocher à l’ensemble un certain manque d’originalité : des héros en fuite « On the Road » cherchant à échapper à des tueurs, c’est du déjà-vu. Il n’empêche, ce premier roman possède une construction et une force d’évocation suffisamment puissantes pour emporter l’adhésion des lecteurs amateurs de bonne littérature made in USA.


Galveston, de Nic Pizzolatto, Éditions Belfond, 2011. 320 pages. 19,00 euros.


Extrait :

« Tu nais, et quarante ans plus tard tu sors d’un bar en boitillant, étonné par toutes tes douleurs. Personne ne te connaît. Tu roules sur des routes sans lumière et tu t’inventes une destination parce que ce qui compte, c’est le mouvement. Et tu te diriges ainsi vers la dernière chose qu’il te reste à perdre, sans aucune idée de ce que tu vas en faire. »


Un grand merci à Babelio et aux éditions Belfond pour cette belle découverte.





vendredi 21 octobre 2011

Les Fabuleux Freak Brothers : Compilation T1 (1967-1974)

Ils sont trois frères. Affreux, sales, mais pas vraiment méchants. Le premier, ventripotent et débonnaire, se nomme Fat Freddy. Le second, un cow-boy psychédélique toujours coiffé de son stetson, s’appelle Franklin. Quand au troisième, c’est Phinéas, le penseur de la bande, tendance intello gauchiste. Ce trio de hippies est en quelque sorte le pendant américain de nos célèbres Pieds Nickelés, en plus trash. L’oisiveté est leur activité préférée. Leur raison d’être ? La drogue. Toujours en quête d’herbe à fumer, toujours prompts à planquer la réserve familiale en cas de descente des stups, ils n’ont qu’une devise : « La dope fait mieux passer les périodes sans argent que l’argent ne fait passer les périodes sans dope. » Adeptes des drogues planantes et hallucinogènes, ils refusent de toucher à l’héroïne ou au crack.

Symbole de la contre-culture des années 60, les Freak Brothers sont nés sous la plume de Gilbert Shelton. A l’époque, Dylan chantait « Everybody must get stoned », et les trois frangins ne pouvaient qu’acquiescer. Combi Voslwagen, cheveux longs, refus de la conscription et de la guerre du vietnam, défense de l’amour libre… tous les clichés propres à la génération Woodstock se retrouvent dans ce comics en noir et blanc où chaque histoire, imprimée sur du papier recyclé et diffusée à une toute petite échelle, tient généralement en une ou deux planches. Des personnages déjantés, de l’humour pas toujours très fin mais souvent franchement drôles, les Freaks Brothers avaient tout pour devenir des stars dans les milieux étudiants et Shelton est aujourd’hui considéré avec Robert Crumb comme l’un des pères de la BD underground américaine. La série a pris fin en 1992, après 27 ans de bons et loyaux services rendus à la cause hippie.

Un gag des Freak Brother se reconnaît au premier coup d’œil. Dessin pas toujours très maîtrisé, découpage à l’arrache avec parfois 17 ou 18 cases par pages, lettrage que ne renierait pas ma fille de six ans, tout cela fleure bon l’amateurisme des fanzines. Du pur underground, loin de toute considération esthétique et commerciale. Un énorme FUCK jeté à la face de l’Amérique puritaine. Forcément, ça ne plaira pas à tout le monde. Quelques réactions épidermiques sont même à prévoir si vos offrez un album des Freak Brothers à vos proches. Personnellement, cette série fait partie des petits plaisirs solitaires et inavouables que je m’autorise de temps en temps quand le besoin de décompresser se fait sentir.


Les Fabuleux Freak Brothers : Compilation T1 (1967-1974) de Gilbert Shelton, Éditions Tête Rock Underground, 2011. 176 pages. 28 euros.

mercredi 19 octobre 2011

Doomboy

D est un ado aux faux airs de Kurt Cobain. Il ne vit pas à Seattle mais dans une région ensoleillée qui pourrait très bien être le Mexique natal de l’auteur. Passionné par la musique métal, D se fait chambrer par ses potes qui trouvent qu’il joue de la guitare électrique comme un pied. Sa meilleure copine Anny vient de mourir et l’ambiance à la maison avec sa mère n’est pas des plus joyeuses. Le garçon traîne son spleen baudelairien dans les dunes près de chez lui. C’est là que chaque vendredi, avec sa guitare, un ampli et une antenne de fortune branchés sur une batterie, il endosse le costume de Doomboy et vient rendre un dernier hommage à Anny. Ses prestations improvisées sur la plage son diffusées sur une fréquence de radio n’émettant plus depuis des années. Pour ceux qui l’entendent, Doomboy devient une icone, une star insaisissable dont le son semblant sorti de nulle part est proprement envoutant. Légende urbaine ou réalité, Doomboy fascine et inspire. Sa disparition soudaine des ondes entretiendra le mythe de cet incroyable musicien fantôme…

C’est parce que Sara a parlé avec brio de Tony Sandoval sur son blog que j’ai eu envie de partir à sa découverte avec cet album naviguant sans cesse entre réalité et fantastique.

Mettre en scène un adolescent tourmenté en le confrontant au décès d’un proche est apparemment une constante chez Sandoval. L’auteur a expliqué son point vue dans une interview donnée au magazine DBD : « La mort est un élément irréversible qui change tellement de choses dans ta vie, qui te force à t’interroger, à te remettre en question. Quand tu es jeune en plus, tu connais tes premières expériences et tu les ressens de manière plus émotionnelle. Et cette fougue de l’adolescence m’intéresse pour mes histoires. En vieillissant, les choses paraissent moins magiques ». Il faut dire qu’au Mexique, la mort est aussi redoutée que fêtée. De plus, dans les villages, on continue à croire aux fantômes et aux sorciers. Tous ces éléments « culturels » se retrouvent dans Doomboy. Sans oublier la violence, une constante malheureusement typique dans un pays où les questions de sécurité sont au cœur du quotidien.

Le dessin aux lignes courbes apparaît au premier abord assez simpliste. Les personnages ont d’énormes têtes posées sur des corps tout maigrichons. C’est quand les éléments oniriques et fantastiques entrent en scène que le trait devient plus léché. Le travail sur les couleurs et la lumière est superbe et restitue à merveille les rapides variations de la météo en bord de mer. A ce titre, la couverture est on ne peut plus parlante. Entre ombre et lumière, Doomboy cherche l’apaisement et veut croire en sa bonne étoile.

Un album vraiment étrange à l’ambiance très particulière. Je me suis laissé envouter par la petite musique de l’auteur et j’ai passé un bon moment avec Doomboy, mais je ne suis pas certain que tout le monde soit séduit par cet univers assez sombre et mélancolique.


Doomboy de Tony Sandoval, Éditions Paquet, 2011. 128 pages. 16 euros.






dimanche 16 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 8) : Embrasez-moi d'Eric Holder

Francis, interne dans un lycée de Boulouris, est déniaisé par la belle Cathy. Charles, chargé de former ses confrères pharmaciens à de nouvelles techniques informatiques, découvre les attraits de la Picardie lors d’un séjour à Amiens avec Marie, une mère de famille peu farouche. Blandine la bigote s’envoie en l’air comme jamais avec Renato, un ami de son mari. Pauline, l’austère douanière antillaise, s’offre sans scrupule à un collègue dans un entrepôt de Roissy. Laetitia, bourgeoise très BCBG, s’acoquine avec un employé municipal un peu simplet mais fort bien « équipé ». Sept histoires en tout, coquines, érotiques et sensuelles.

Dans un avant propos bienvenu, Eric Holder clame son amour de la littérature érotique : « Ces livres là sont si pleins de sève qu’ils durent. […] Cette partie de la littérature la plus charnue, la plus charmante, je regrettais de ne pouvoir lui rendre hommage. J’éprouvais une sorte de dette envers elle, qui m’a bercé, nourri, et une sorte de lâcheté à ne pouvoir l’honorer. » Qu’il soit rassuré, l’hommage rendu ici à cette littérature efface avec brio toutes les dettes passées. Si pour beaucoup (dont je l’avoue, je fais partie) la littérature érotique rime trop souvent avec médiocrité, Embrasez-moi est l’exception qui confirme la règle. Ici, le lexique est d’une incroyable richesse, la vulgarité n’est jamais de mise, le manque d’imagination n’a pas lieu d’être. L’écriture est belle, charnelle. On sent derrière chaque mot, chaque phrase, le plaisir pris par l’écrivain. On décèle la gourmandise avec laquelle il s’est lancé dans la rédaction de chaque texte. Juste un détail amusant : parmi ces sept nouvelles érotiques, la plus longue est la moins bonne (comme quoi, ce n’est pas la taille qui compte…).

Le titre ne trompera personne. Il ne s’agit pas ici d’embrassade mais bien d’embrasement. Celui des sens et du désir. Il se dégage de ce recueil un évident goût de bonheur. Rien de glauque ou de malsain. Du vrai travail d’écrivain, superbe, ciselé. Si comme moi vous avez besoin de vous réconcilier avec la littérature érotique, plongez donc sans scrupules dans ce tourbillon franchement émoustillant, vous ne serez pas déçus.

Embrasez-moi, d’Eric Holder, Éditions Le Dilettante, 2011. 220 pages. 17,00 euros.


Extraits :

« Car Charles aurait voulu s’emparer de tout : les épaules de porteuse d’eau ; l’orbe parfait des seins lourds, aux larges aréoles grenues, rose bonbon ; le ventre légèrement proéminent sous lequel un lopin de poils noirs n’avaient pas tout à fait fini de repousser ; les cuisses dont des ombres sculptaient les massif quadriceps. »

« Elle sent qu’elle est au bord de se désagréger. Cela monte du ventre, sous la friction incessante, se répand sur les cotés, jusqu’au bout des doigts envahis de picotements. Elle aimerait pouvoir se retenir, comme d’une envie de pisser. Au milieu de tous ses sentiments, la honte de s’abandonner reste le plus vaillant, réfugiée dans la dernière tour, une épée à la main, prête à défendre chèrement son existence. »

vendredi 14 octobre 2011

Les schtroumpfs 11 : les schtroumpfs olympiques

Le schtroumpf costaud est le seul du village à pratiquer des activités sportives. Le fait de n’avoir aucun adversaire lui enlève toute motivation. Comme il l’avoue lui-même : « à schtroumpfer sans péril, on schtroumpfe sans gloire ». Le grand schtroumpf lui propose d’organiser des jeux pour créer une émulation au sein de la communauté. Cette perspective n’enchante pas grand monde. Il faut la promesse d’un baiser de la schtroumpfette au vainqueur pour que les candidatures se multiplient. Et c’est après un entraînement pas toujours très sérieux que les jeux sont enfin ouverts. Le schtroumpf chétif, de loin le moins sportif des participants, multiplie les succès. Faut-il y voir un lien avec l’étrange mixture confectionnée par le grand schtroumpf qu’il porte sur le nez ? (qui a dit dopage ?)

Pour beaucoup de fans des schtroumpfs, ce 11ème épisode marque un tournant. Avec cet album, la qualité baisse de plusieurs crans. Comme si la série basculait de façon définitive dans la médiocrité, son créateur étant plus attiré par les produits dérivés et les revenus publicitaires que par la création artistique. Je ne partage pas totalement cette analyse. Pour moi, c’est avec Le bébé schtroumpf (l’album suivant) que le niveau a franchement baissé. C’est un fait, Les schtroumpfs olympiques ne brille pas par la folle originalité de son scénario. Tout y est très gentillet et cousu de fil blanc. Et contrairement aux chefs-d’œuvre de la série (Le schtroupfissime, Schtroumpf vert et vert schtroumpf), le propos n’a aucune épaisseur et ne contient pas plusieurs niveaux de lecture. Mais tout de même, l’humour est toujours présent (les runing gags autour de l’arbitre schtroumpf à lunettes sont franchement drôles) et la narration d’une grande fluidité. Niveau dessin, Peyo fait du Peyo et c’est du haut niveau : mimiques des schtroumpfs, dynamisme des scènes où se déroulent les épreuves sportives, précision des décors… l’ensemble reste très fignolé.

Je garde un excellent souvenir de cet album. J’avais 8 ou 9 ans quand je l’ai lu la première fois et aujourd’hui encore je me rappelle par cœur de certains passages. Cela montre à quel point les schtroumpfs ont « imprégné » ma mémoire de jeune lecteur. Je veux bien que les adultes considèrent avec un certain mépris Les schtroumpfs olympiques, mais il ne faut pas oublier que cet album à remporté le prix Essentiel Jeunesse à Angoulême en 1984, un prix décerné par les enfants eux-mêmes. Une BD jeunesse récompensée par le public auquel elle s’adresse, n’est-ce pas là un solide gage de qualité ?


Les Schtroumpfs T11 : Les schtroumpfs olympiques, de Peyo, Dupuis, 1979. 48 pages. 10.45 euros.



Le Roaarrr challenge de Mo'
(Fauve) Alfred Enfant 1984


mercredi 12 octobre 2011

Hamelin

Tout commença au mois de mai 1284 dans la bonne ville d’Hamelin. C’est à cette époque que des rats envahirent les rues de la cité. Le bourgmestre engagea tous les dératiseurs de la région, mais rien n’y fit. Ce n’est que lorsqu’un pauvre bougre fut dévoré par les rongeurs que l’on se décida à faire appel à un spécialiste de grande renommée. Ce dernier arriva avec sur l’épaule un étrange furet. Il compta 400 000 rats et promis de les faire disparaître contre cent ducas en or. Les notables acceptèrent le marché du bout des lèvres et le dératiseur se mit au travail. Armé d’une simple flûte, il attira tous les nuisibles avec une mélodie quasi inaudible pour l’homme et les fit se précipiter dans le fleuve qui bordait la cité. Le lendemain, lorsqu’il réclama son dû, le bourgmestre ne lui donna que dix ducas et le chassa sans ménagement. Quelques temps plus tard, le musicien réapparut et, à l’aide de sa flûte, il envouta littéralement tous les enfants d’Hamelin. Il les emmena avec lui loin de la ville et personne, jamais, ne les revit.

Tout le monde connait l’histoire du joueur de flûte de Hamelin. Un conte cruel, à la morale douteuse, où l’inconséquence des adultes précipite la chute des pauvres enfants innocents. Ce texte aux innombrables versions a connu de multiples interprétations. La première, fait du joueur de flûte un pervers pédophile qui charme les enfants pour mieux les abuser. Dans la seconde, c’est le manque de considération pour l’artiste, le mépris affiché face à un art mineur (la musique) et à un mode de vie trop anticonformiste (la bohème) qui pousse les notables à traiter le joueur de flûte comme un moins que rien, ce qui entraîne son terrible courroux. Une troisième interprétation associe les rats à la figure du diable. Pour vaincre le malin, il faut un magicien lui-même un peu diabolique. Mais le non respect de la parole donnée et la rupture du contrat « moral » passé entre les édiles et le joueur de flûte entraîne une malédiction qui frappera en premier lieu les enfants. Il y a sans doute des tas d’autres sens à donner à ce conte. L’intérêt de cette adaptation en bande dessinée tient au fait que l’auteur à en quelque sorte synthétiser ces différentes approches.

André Houot a eu l’intelligence « d’épaissir » le propos. Dans son récit, les deux enfants qui échappent à la rafle du musicien ne sont pas un boiteux et un aveugle mais un boiteux et une jolie pucelle. Cette différence à priori anecdotique  donne en fait une force nouvelle à l’intrigue. Et puis pour ce qui est du dessin, j’aime autant vous dire que ça ne rigole pas. On est dans le haut de gamme. Évidemment, on pense à Bourgeon et ses Compagnons du crépuscule. Mais en introduction, l’auteur cite également comme influence Albrecht Dürer, le célèbre peintre et graveur allemand. Résultat, l’ensemble fourmille de détails, les plans larges montrant des scènes de foule sont impressionnants, sans parler des décors urbains où l’architecture Moyenâgeuse est somptueusement représentée. Les couleurs de Jocelyne Charrance sont au diapason et plongent littéralement le lecteur au cœur de l’époque.

Un conte revisité de la plus belle des façons, avec talent et application. André Houot se qualifie d’artisan de la BD. Un artisan à l’ancienne qui pourrait en remontrer à nombre de tâcherons se contentant du trait le plus succinct possible et faisant tenir l’ensemble de leur scénario sur un post-it. Tout ça pour dire que j’ai beaucoup aimé et que cet album constitue une belle occasion de redécouvrir un texte traditionnel sous un jour nouveau.


Hamelin d’André Houot, Éditions Glénat, 2011. 48 pages. 13.50 euros.


PS : si vous souhaitez découvrir une autre variation autour de ce conte, je vous conseille la lecture du roman Peter et Max de Bill Willingham qui n’est autre que le scénariste du comics Fables.






dimanche 9 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 7) : La petite de Michèle Halberstadt

« A quoi bon vivre quand on craint à ce point d’être soi-même ? » C’est parce qu’elle n’a pas su répondre à cette question qu’une gamine de 12 décide d’en finir et avale tous les médicaments de la pharmacie familiale. Nous sommes en 1968. Pour la petite collégienne vivant en plein cœur de Paris, l’existence est devenue trop difficile depuis la mort soudaine et inattendue de son grand père adoré. Élève médiocre au physique peu avenant, en conflit avec sa mère et souffrant de la comparaison avec une grande sœur brillante, l’ado en souffrance ne peut trouver aucun réconfort auprès de qui que ce soit. Seule solution, aussi abrupte que définitive : en finir une bonne fois pour toute. Mais si, finalement, cette tentative de suicide était le premier pas vers une rédemption aussi inattendue que salutaire ?

Bon, comment dire cela gentiment ? Ce roman cucul la praline au possible enfonce des portes déjà ouvertes des centaines de fois. Tous les clichés s’empilent avec une confondante naïveté : la petite est moche, mal dans sa peau, confrontée au décès d’un proche, en conflit ouvert avec sa mère, sans aucun ami et incomprise par ses enseignants. Rajoutez un oncle juif cupide et sans cœur et le tableau sera complet. Et encore, je ne vous parle pas de la conclusion, par trop idyllique. Un point positif tout de même, l’écriture est fluide et plutôt agréable, même si les mots de l’enfant ressemble trop souvent à des mots d’auteur.

Bref, tout ça pour dire que je n’ai pas trouvé grand-chose à sauver de cette guimauve bien fade. A peine 150 pages, aussi vite lues qu’oubliées. Candidat suivant !

La petite de Michèle Halberstadt, Albin Michel, 2011. 148 pages. 12,90 euros.


vendredi 7 octobre 2011

Les tuniques bleues 55 : indien, mon frère

Rien ne va plus chez les nordistes. Harassés par les charges incessantes de leurs cavaliers, les chevaux sont au bord de l’épuisement et le renouvellement des troupes est plus que nécessaire. Problèmes, les montures sont devenues une denrée rare. Seuls les indiens du sud du Texas en possèdent encore en nombre suffisant. Blutch et Chesterfield sont donc chargés d’aller en territoire comanche pour récupérer un important troupeau. Mais pour cela, ils doivent traverser une région aux mains des confédérés. Déguisés en colons, ils se lancent une fois de plus dans une périlleuse mission.

Pour leur 55ème album, rien ne change chez les tuniques bleues. Le duo composé de Blutch, le tire au flanc antimilitariste, et du teigneux sergent Chesterfield n’arrête jamais de s’astiquoter. Les sudistes sont toujours d’affreux crétins violents et bornés tandis qu’à Fort Bow, la fragile Miss Appletown apporte une dose de charme dans ce monde de brutes. A nouveau, un personnage ayant réellement existé est inséré dans l’histoire. Après le docteur Mary Edward Walker dans l’épisode précédent, c’est le terrible colonel sudiste James Bourland, surnommé le « bourreau du Texas » qui est cette fois-ci sous le feu des projecteurs. Cette propension à mélanger des faits historiques avérés avec de la pure fiction est aussi une des caractéristiques redondantes de la série (comme dans Lucky Luke d’ailleurs).

Difficile de renouveler une formule qui marche, surtout quand le sujet, déjà décliné une cinquantaine de fois, commence à s’épuiser sérieusement. Au scénario, Cauvin en fait trop. Fort Bow, les confédérés, les indiens, la découverte d’un frère jumeau pour Blutch… les événements s’enchaînent trop vite et l’ensemble souffre d’un manque d’épaisseur. Prisonniers du carcan des 44 planches typiques de la BD franco-belge à papa, les auteurs doivent parer au plus pressé pour pouvoir caser les nombreuses péripéties en si peu de pages. Résultat, tout cela se lit trop vite et laisse en bouche un arrière goût d’inachevé. Heureusement, aux pinceaux, Lambil fait toujours merveille. Son trait semi réaliste se reconnaît au premier coup d’œil. Le découpage est fluide et même quand le nombre de personnages est important les différentes scènes restent très lisibles.

Depuis sans doute trop longtemps, les tuniques bleues ronronnent. Le cercle de fans fidèles restent très important et permet à la série de demeurer au firmament du catalogue Dupuis, mais difficile d’imaginer que de nouveaux lecteurs pourront être séduits par ce 55ème albums si peu original.


Les Tuniques bleues T55 : indien, mon frère de Lambil et Cauvin, Éditions Dupuis, 2011. 48 pages. 10.45 euros.

mercredi 5 octobre 2011

America

Cane Ridge, Kentucky, 1801. Un couple de pionniers du Far West participe à un rassemblement religieux réunissant des dizaines de milliers de personnes. Persuadés que la puissance divine va se manifester, ils sont emportés par la folie mystique qui envahit les lieux.

En 1886, dans l’Idaho, une communauté de mineurs ayant créé la ville de Solomon’s Gulch se déchire et bascule dans la folie par pure avidité.

Au début des années 1920, une équipe de baseball juive sillonne les Etats-Unis et doit faire face à l’antisémitisme ordinaire. En mal de liquidités, les Stars of David créent de toutes pièces un Golem pour attirer la foule à leurs matchs.

Les trois récits regroupés dans ce recueil plongent leurs racines au cœur du folklore américain. Religion, argent et Baseball : James Sturm revisite la sainte trinité du pays de l’oncle Sam. L’amertume est le sentiment qui traverse ces trois "nouvelles graphiques". Peuplée d’illuminés cupides, violents et racistes, cette Amérique là n’est pas belle à voir. Mais au-delà des faits avérés qui ont servi de trame à chaque histoire, l’auteur expose une vision très contemporaine de son pays. Car après tout, rien n’a vraiment changé. Et en utilisant le passé pour mieux éclairer le présent, James Sturm démontre que ces maux américains font en quelque sorte partie de l’ADN de son pays. Le propos est donc assez désespéré. Difficile de voir d’où pourrait provenir la lumière. Une œuvre atypique que certains pourront qualifier de lucide. Pas sûr pour autant que cette vision du pays soit partagée par beaucoup d’américains.

Ces trois histoires ont été réalisées à trois périodes différentes (1996, 1998 et 2001) et le fait de les réunir en seul volume permet de voir l’incroyable évolution graphique de James Sturm. Dans The Revival, la plus ancienne, le trait frôle l’amateurisme. Le noir et blanc est brouillon, les personnages semblent raides comme des poteaux, bref, c’est franchement moyen. Dans la seconde, le trait charbonneux s’affine et l’utilisation des ombres est beaucoup plus pertinente. Dans la dernière, l’évolution est encore plus palpable. Même si le trait reste épais, il se rapproche de la ligne claire et est beaucoup plus lumineux. Sans compter que l’utilisation des teintes grises donne davantage de caractère à l’ensemble. Au niveau du découpage, on est dès le départ dans une narration très maîtrisée. Je ne sais pas si James Sturm s’est beaucoup inspiré de Will Eisner, mais force est de reconnaître qu’il sait raconter une histoire en bande dessinée.

Pour finir, un mot sur le travail de l’éditeur. Un grand merci aux éditions Delcourt qui permettent aux lecteurs français de découvrir une œuvre plus proche de l’underground que des productions grand public. Une certitude, ce recueil ne fera jamais partie des meilleures ventes. Mais pour ceux qui aiment les BD singulières de grande qualité, vous pouvez foncer les yeux fermés.

PS : le swing du Golem a été récompensé du titre de roman graphique de l’année 2001 par le Time.

America, de James Sturm. Delcourt, 2011. 192 pages. 19 euros.

The revival (1996)


Cent pieds sous la lumière du jour (1998)

Le swing du Golem (2001)





mardi 4 octobre 2011

Le premier mardi, c'est permis (1) : Anthologie littéraire de la fellation

Le premier mardi, c’est permis. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Stephie. Le premier mardi de chaque mois, on peut parler d’une lecture inavouable, le genre de lecture dont on n’est pas fier et qu’on préfère garder pour soi. Pour ma première lecture inavouable, j’ai choisi l’anthologie littéraire de la fellation parue aux éditions Blanche au mois de mai. J’ai découvert ce titre grâce à Clara Dupont-Monod dans la matinale de Canal + (ça fait toujours bien de citer ses prescripteurs pour un bouquin pareil, question de respectabilité). Je l’ai évidemment commandé sur une libraire en ligne (pas question de passer devant la caisse de ma libraire préférée avec un opuscule au titre aussi sulfureux, toujours question de respectabilité). Heureusement, le recueil est tout petit (17 x 12 cm) et sa couverture d’une grande sobriété. Idéal pour le trimballer partout dans la poche de sa veste et le lire en toute discrétion au grand air.

Bon, pas la peine de vous faire un dessin, deux petites définitions de mon copain Robert suffiront. Anthologie : n.f. Recueil de morceaux choisis en prose ou en vers. Fellation : n.f. Acte sexuel consistant à exciter les parties génitales masculines par des caresses buccales. Mettez ces deux mots ensemble, intercalez entre eux l’adjectif littéraire et vous obtenez un recueil de 220 pages contenant 60 petits textes exclusivement dédiés à la fellation.

Sympa, mais plutôt répétitif. Pour éviter de s’ennuyer, il ne faut pas tout s’enfiler d’un coup (euh...). Disons que c’est typiquement le genre d’ouvrage dans lequel on vient picorer de temps en temps. Personnellement, il m’a fallu plusieurs semaines pour arriver au bout. Il faut dire que l’originalité n’est pas la qualité première de cette anthologie. Les « parties génitales masculines » comme le dit Robert sont souvent décrites avec les mêmes mots (en même temps, il n’y a que dans les dictionnaires d’argot que l’on trouve des dizaines de façons de parler d’une bistouquette). Et puis si le décor change, l’activité pratiquée est toujours la même.

Une constante en littérature lorsque l’on met en scène une fellation, c’est que tout le monde avale, comme si c’était la conclusion naturelle et obligatoire de l’acte. Autre constante, l’imagerie propre à l’éjaculation : explosion, flot de semence, giclée, inondation, jaillissement, petits jets, le lexique reste finalement très réduit. Certains sont toutefois plus poétiques : « J’avale soudain la houle, puis essuie de mes doigts d’étoile de mer l’écume de ton sperme mourant un peu sur mes lèvres. » (Astrid Schilling). C’est d’ailleurs bien là que peut se jouer la différence entre tous ces textes : sur la qualité de l’écriture. Malheureusement, il y a peu d’auteurs « classiques » dans cette anthologie. Apollinaire, Henry Miller, Alberto Moravia, Verlaine, Maupassant, Pierre Louÿs. 10% seulement. Le reste, c’est très moderne et pas toujours très bien écrit. Résultat, l’ensemble est bancal. Très homogène pas rapport au sujet traité (difficile de faire autrement) mais trop hétérogène qualitativement parlant. Une lecture agréable sans plus, à pratiquer avec parcimonie.


Anthologie littéraire de la fellation, éditions Blanche, 2011. 220 pages. 13,50 euros.

PS : un détail amusant tout de même, le recueil contient une chanson des Rita Mitsouko (La taille du bambou) que je ne connaissais pas du tout. Allez, je partage le texte pour les ignares dans mon genre qui ne connaitraient pas eux non plus. Et je partage le son à la fin de ce billet. Y a qu'à cliquer !

Ah, c'est beau, c'est chaud, c'est bon...
Cool... et agréable...
Cool... émouvant...
La taille du bambou
Pour faire une flûte
Et bien qu'elle jute
Toujours au goût du jour ?
Eh bien oui
C'est oui.


C'est une de ces choses
Que la vie propose
Et qui vaut le coup.
L'affaire est close
Une fois qu'on ose
On y prend goût.
Accélère, et stop
Accélère, accélère, accélère et stop !
Déccélère ! ... et ouf...


Et pourvu que ça dure très longtemps
On fait chanter l'instrument
Passe, repasse tout autour
Presse, caresse, refais le tour
Monte, et compte redescendre
Plonge, remonte par les méandres
De la longue et profonde et tendre glisse
Délice de se rendre à la base
Ecrase la phase dans un suspens
Resserre la chair dans une absence


Reprends doucement
Exagère dans la douceur
Mets d’la couleur
Agenouille et fouille un peu plus vite
Le flux monte au confluent des cuisses
Et ça glisse
Et c'est agréable, émouvant, hypnotisant...


Ce geste d'amour a-t-il toujours cours ?
Et bien oui ! C'est oui.






 
 
 





 

dimanche 2 octobre 2011

Le pigeon anglais - Stephen Kelman

Harrison Opoku a 11 ans. Élève de 6ème dans un collège de la banlieue sud de Londres, il a quitté depuis peu le Ghana avec sa mère et sa sœur pour s’installer dans un quartier où le multiculturalisme n’est pas un vain mot. Habitant un logement social dans une gigantesque tour, la famille Opoku évolue dans un environnement pas franchement joyeux, entourée de junkies, de dealers et de bandes d’ados n’hésitant pas à jouer du couteau à la moindre occasion. C’est d’ailleurs lorsqu’un jeune homme meurt poignardé à la sortie d’un fast food qu’Harrison et son copain Dean décident de mener l’enquête à la manière des meilleurs détectives. Malheureusement pour eux, le meurtrier n’aime pas les fouineurs…

Contrairement à ce que le résumé pourrait laisser croire, Le pigeon anglais n’est pas du tout un polar. Stephen Kelman donne plutôt dans le roman de mœurs en dressant le portrait d’une jeunesse en perdition dans les faubourgs de Londres. On n’est certes plus chez Dickens, mais il y a quand même quelques restes. Aujourd’hui, ce sont les enfants de l’immigration qui trinquent : africains, pakistanais, indiens… Bien sûr, les gosses de prolo tout ce qu’il y a de plus anglais sont toujours là, mais ils sont devenus minoritaires. Un melting-pot qui ressemble à une poudrière. Dans ce maelström, chacun tente de tracer son petit bout de chemin sans se faire d’illusion.

Tout le charme et la puissance du roman tient dans la gouaille de son narrateur. Rédigé à la façon d’un journal intime dans lequel Harrison s’adresse au pigeon qui vient lui rendre visite sur son balcon, le récit à la première personne est à la fois enlevé et grave. Faussement naïf, le gamin pose un regard d’une grande acuité sur le monde qui l’entoure. Surtout, l’auteur à su retranscrire l’argot des banlieues anglaises. La voix d’Harrison résonne et permet au lecteur d’explorer les codes et les mœurs d’une génération à la dérive. Oscillant entre lucidité, innocence et un brin d’insolence, le discours du petit ghanéen, plein de réparti, aborde sans avoir l’air d’y toucher des sujets graves : échec de l’intégration, abandon social, violence conjugal, trafic, acculturation…

Une jolie trouvaille des éditions Gallimard et un énorme coup de chapeau au traducteur Nicolas Richard qui a effectué un travail absolument fabuleux pour « franciser » le langage si particulier d’Harrison.

Extraits :

« J’adore me soulager quand manman vient de mettre du produit dans les toilettes. Le produit fait des sacrées bulles, c’est comme si tu te soulageais sur un nuage. Je garde exprès un grand pipi spécial. Personne a le droit de faire partir le nuage en tirant la chasse tant que j’ai pas fait mon spécial grand pipi dessus. Je me dis que je suis Dieu qui se soulage sur son nuage préféré. »

« Y a un million de chiens par ici. Jtejure, y a presque autant de chiens que de gens. La plupart c’est des Pitbulls parce que c’est ceux qui font le plus trouiller, tu peux t’en servir comme arme si tu as plus de balle dans ton flingue. »

« Si un chien t’attaque, le mieux pour l’arrêter c’est d’enfoncer ton doigt dans son trou de balle. Y a une manette secrète dans le trou de balle du chien, quand tu la touches, leur gueule s’ouvre automatiquement et ils lâchent ce qu’ils étaient en train de mordre. »


Le pigeon anglais, de Stephen Kelman, Gallimard, 2011. 328 pages. 17 euros.