jeudi 30 juin 2016

La libraire - Pénélope Fitzgerald

J’ai attaqué cette lecture à reculons à cause d’Hélène. Son avis particulièrement mitigé m’avait refroidi, c’est rien de le dire. Je suis donc rentré dans ce roman anglais des années 70 sur la pointe des pieds pour y découvrir Florence Green, jeune veuve décidant d’ouvrir une librairie dans un local à l’abandon. Nous sommes en 1959, à Hardborough, un petit village du Suffolk où la création de ce commerce fait jaser. Et la pauvre Florence ne s’attendait pas à subir tant d’ostracisme de la part des notables locaux…

La libraire ou l’enfer feutré d’une communauté ayant fait de la médisance et des récriminations ses passe-temps préférés. Florence la naïve, subissant l’accueil tiède du banquier, l’indifférence du notaire et la vindicte d’une rombière fortunée. Florence aidée par une gamine de onze puis par un employé de la BBC, Florence soutenue par le vieil original du coin et frappée de plein de fouet par les foudres d’un conservatisme bien pensant après avoir exposé la Lolita de Nabokov dans sa vitrine.

Hélène parle d’un roman plat et sans grand intérêt. Je ne serais pas aussi sévère. Certes, l’ensemble est assez mou et « la guerre » annoncée par l’éditeur dans le résumé se déroule à fleurets mouchetés. Mais je l’ai lu sans déplaisir, appréciant l’ambiance venteuse et rafraîchissante d’une campagne anglaise dégageant un charme délicieusement suranné. Un lord excentrique, un esprit cogneur hantant la librairie, une party dans un manoir bourgeois, des dialogues « old school », il n’en fallait pas plus pour que je passe un agréable moment.

Pas certain qu’il m’en reste grand-chose d’ici peu mais j’ai aimé ces quelques heures passées auprès de Florence, libraire à la fois courageuse et résignée, préférant finalement quitter ses détracteurs à l’esprit étriqué plutôt que de rester dans un environnement sclérosé par un indéboulonnable conformisme.

La libraire de Pénélope Fitzgerald (trad. de l'anglais par Michèle Lévy-Bram). Petit Quai Voltaire, 2016.176 pages. 14 euros.





mercredi 29 juin 2016

Le rapport de Brodeck - de Manu Larcenet

Dans un village traumatisé par la guerre, Brodeck, fonctionnaire établissant des notices sur la faune et la flore locales, est chargé par le maire de raconter dans un rapport l'arrivée et le comportement de l’Anderer (l’autre), afin de dédouaner les villageois qui l’ont assassiné. Brodeck, revenu depuis peu de l’enfer des camps, n’a pas participé au meurtre. Il comprend que l’Anderer a été tué uniquement parce qu’il était un étranger, un inconnu, un danger. Il comprend aussi que son rapport devra établir des circonstances accidentelles pour le décès et que la vérité n’y aura aucune place. Il comprend enfin que sa propre vie et celle des siens est en danger s’il ne fait pas ce que l’on attend de lui…


Incroyable adaptation du texte de Claudel, incroyable diptyque d’une force d’évocation phénoménale. Larcenet prend son temps. Il installe son récit dans une certaine lenteur, alternant les séquences de dialogues et de longues séquences contemplatives en extérieur. La tension monte, l’ambiance délétère ne cesse de s’alourdir. Un roman graphique qui suinte, où l’humidité dégouline des arbres, des maisons, du brouillard, de la neige fondue. Un roman graphique qui diffuse insidieusement la peur, la menace latente et permanente. Un roman graphique qui vous agrippe et vous écrase sous un noir et blanc dense, profond, oppressant, ciselé, dont le rendu est parfois proche de la gravure. Le blanc du paysage face à la noirceur des hommes, la sauvagerie des seconds étant finalement bien plus forte que celle des éléments.


Le rapport de Brodeck dit les petites et grandes lâchetés, l’ignorance, la peur de l’autre, le repli sur soi, l’effet de meute transformant les hommes en bêtes. On sent à chaque page l’épuisement physique et moral, la tempête intérieure qui ravage les cœurs et les esprits. Le deuxième tome dégage davantage de puissance, notamment grâce aux flash-back qui dénouent peu à peu les fils d’une intrigue devenant plus irrespirable à chaque nouvelle révélation. La réussite majeure vient du fait que tout reste au niveau de la suggestion, que jamais on ne sombre dans une esthétique de l’horreur à laquelle il aurait été si simple de céder tant les épisodes monstrueux sont nombreux.

Une claque monumentale, où la noirceur du dessin égale celle du propos. Certes, l’histoire est si plombante qu’elle filerait le bourdon aux plus optimistes et qu’il convient d’être dans de bonnes dispositions pour s’y frotter. Mais cette plongée au cœur de l’indicible est une expérience de lecture rare et intense, aussi bouleversante qu’inoubliable. Un bijou !

Le rapport de Brodeck T1 : L’autre de Manu Larcenet. Dargaud, 2015. 160 pages. 22,50 euros.
Le rapport de Brodeck T2 : L’indicible de Manu Larcenet. Dargaud, 2016. 166 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Mo et Noukette.





mardi 28 juin 2016

Moi, Ernest - Laurent Souillé et Paul Mager

« Moi, c’est Ernest. On ne peut pas dire que je sois très beau. J’ai du bide et pas beaucoup de cheveux sur le caillou. Mes yeux ressemblent à des billes et mes dents penchent comme la tour de Pise. Et malheureusement, j’ai très souvent mauvaise haleine. Pourtant, juré, craché, je me brosse les dents trois fois par jour. En même temps, c’est bien pour faire fuir les mouches ».

Ernest  vit seul dans une vieille maison. Il est tombé des escaliers le jour de sa naissance et par miracle, il n’a pas eu de bobo : « Môman a eu très peur mais le docteur l’a rassurée en lui disant qu’à part l’anémie faciforme, l’hydrocéphalie, la bradycardie et  l’exophtalmie… tout allait bien et qu’elle avait un très beau bébé !! ». Ernest n’a jamais connu son père et n’a jamais vraiment quitté sa maison. Dehors, les autres enfants étaient trop méchants avec lui. Un matin, Ernest a trouvé sa Môman morte dans son lit. Depuis, chaque nuit, avec son chat, il va déposer un bouquet de fleurs sur sa tombe.

Il faut savoir aussi qu’Ernest n’a jamais prononcé le moindre mot. A la place, il écrit. Des centaines d’histoires, frappées lettre par lettre sur sa Remington. Les manuscrits s’empilent dans sa chambre, jusqu’au jour où il découvre à la télé un éditeur, un monsieur à qui on peut envoyer ses histoires pour qu’il en fasse des livres. Ernest tente sa chance mais il n’essuie que des refus. Il persiste pourtant, incapable de s’arrêter d’écrire…

Une jolie histoire sur le thème de la différence. Impossible d’oublier Ernest, son ton bien à lui et ses lubies. Il est à la fois drôle, naïf et attachant. Le texte ne cherche jamais à nous tirer les larmes. Malgré les épreuves, Ernest reste debout sans vaciller, avec sa façon décalée d’appréhender le monde. Et puis j’aime cette idée qu’il suffit parfois d’une rencontre inattendue pour changer la vie, que quelqu’un peut s’installer dans votre existence et exaucer vos rêves. Un album superbement illustré, au message positif et qui fait du bien. Un album d’utilité publique en quelque sorte.

Moi, Ernest de Laurent Souillé et Paul Mager. Des ronds dans l’O, 2016. 40 pages. 16,00 euros. A partir de 8 ans.


Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette lecture commune avec Noukette.








dimanche 26 juin 2016

Les lectures de Charlotte (20) : Qui quoi quoi - Olivier Tallec

Après une escapade du côté de la BD, les Qui Quoi reviennent à leurs fondamentaux avec ce livre-jeu à la mécanique toujours aussi bien huilée. Au programme donc de nouvelles énigmes, des découpes ne révélant qu’une partie des images, des gestes à effectuer pour faire « bouger » les personnages ou éteindre la lumière, etc.

Les illustrations, sans décor, permettent de se focaliser sur les actions et les attitudes de chacun. La variété des questions évite toute répétition et leur originalité déclenche le sourire : on doit ainsi se rappeler, en fonction des situations, de quelle couleur était le slip d’Olive, qui n’avait pas de pyjama ou encore qui buvait une grenadine à la page précédente.



Jeux d’observation, travail sur la mémoire et manipulations de l’objet-livre offrent une expérience de lecture drôle et ludique, portée par des dessins toujours aussi irrésistibles. Une formule qui a fait ses preuves et a le mérite de se renouveler sans jamais céder à la facilité. Chapeau bas monsieur Tallec !

Qui quoi quoi d’Olivier Tallec. Actes Sud Junior, 2016. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 3 ans.





vendredi 24 juin 2016

Et puis après - Kasumiko Murakami

11 mars 2011. « Il sentit sous ses pieds des tremblements sur le sable mouillé. Il n’y accorda que peu d’attention au début car les tremblements de terre au large des côtes de Sanriku étaient fréquents ces derniers temps. Cela allait sans doute cesser. Mais quelque chose était différent. Des poussées se suivaient avec force, les tremblements ne s’arrêtaient pas. Et cela se faisait de plus en plus violent ».

La vague, plus haute qu’un building, s’apprête à déferler. « Lorsqu’il y avait un risque de Tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. Cet enseignement était transmis entre pêcheurs dans les villages des environs depuis toujours ». Yasuo s’élance donc vers le large et passe par-dessus la vague en formation. A dix kilomètres de la côte, il coupe le moteur, jette l’ancre et se retourne pour constater les dégâts. Le paysage qu’il découvre le tétanise…

Un court roman qui insiste davantage sur la stupeur que sur la douleur. En ce sens, le titre est on ne peut plus parlant. Que faire après, quand notre monde et nos certitudes ont disparu de façon aussi soudaine ? Les réfugiés, rassemblés dans un gymnase, abasourdis, hébétés, enfermés dans leurs angoisses, cherchant à prendre des nouvelles de leurs proches, préoccupés à l'idée de se procurer le minimum vital, ne trouvent pas de réponses à leurs inquiétudes. Yasuo a eu la chance de retrouver sa femme saine et sauve mais sa maison a été rasée. Difficile d’imaginer l’avenir, impossible de savoir où aller. A quoi bon continuer, à quoi sert-il d’être encore en vie ?

Beaucoup de retenue et de finesse dans cette évocation tout en pudeur d’un drame vécu par des dizaines de milliers de personnes. Rien n’est éludé, de l’horreur des découvertes faites au fil des jours au traumatisme que tous les sinistrés vont porter en eux à jamais : « Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne ne voulait en parler, cela restait une réalité. Ce souvenir demeurait ancré au fond du cœur et l’on avait beau essayer de s’en débarrasser, rien ne pouvait l’effacer ». Une peinture réaliste et digne, sans poésie ni lyrisme, dont la concision évite tout glissement inutile vers le pathos. Saisissant.


Et puis après de Kasumiko Murakami. Actes Sud, 2016. 100 pages. 13,80 euros.









mercredi 22 juin 2016

Étunwan : Celui Qui Regarde - Thierry Murat

Pittsburgh, 1867. Le photographe Joseph Wallace décide d’abandonner les rémunérateurs portraits des notables locaux pour se joindre à une mission d’exploration scientifique dans les montagnes rocheuses. Chargé de photographier les régions traversées, Wallace se passionne plutôt pour les autochtones après avoir passé plusieurs jours dans un camp sioux. Rentré auprès de sa famille, il imagine déjà une nouvelle expédition entièrement consacrée aux indiens. Expédition qu’il mènera en solitaire et dont il reviendra profondément bouleversé.

Un récit qui vous happe. Par sa beauté, sa lenteur, sa puissance. Par son propos aussi, sa réflexion sur l’image, qui fait le lien entre dessin et photographie, notamment à travers la relation au sujet, les questions de cadrages, la posture : « Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène, les sublimer ». Le questionnement sur l’image et son pouvoir se double d’une interrogation existentielle pour Wallace. Face à la quiétude et l’harmonie trouvées auprès des indiens, ses certitudes vacillent et lui font connaître « un détachement lent, progressif, physique et cérébral » qui va peu à peu l’éloigner de son milieu d’origine.

« Les indiens savent depuis longtemps que leur monde est en équilibre au bord du vide. Et que ce vide ne sera bientôt plus que la trace effacée de ce qu’ils ont été ». Un monde bientôt perdu dans lequel le photographe va peu à peu se dissoudre. Le dessin est, comme toujours avec Thierry Murat, totalement envoûtant. Couleurs crépusculaires, lumière blafarde, hommes, bisons et végétation réduits à l’état d’ombres… des choix graphiques annonciateurs de la disparition à venir. Disparition d’un peuple, de sa culture, de ses traditions. Ou comment décrire tout en sobriété une inéluctable agonie.

Magnifique album, un de plus dans la bibliographie de Thierry Murat. Beaucoup plus personnel que ses adaptations de romans mais tout aussi réussi.

Étunwan : Celui Qui Regarde de Thierry Murat. Futuropolis, 2016. 160 pages. 23,00 euros.



Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chères complice Mo et Noukette.





mardi 21 juin 2016

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle - Hervé Giraud

« Quelque chose d’indéterminé m’encourage à chercher mon chien, à aider ma sœur, à rassembler ma meute pour recréer une tribu démantelée par une guerre. »

Ils étaient trois. Inséparables. Le garçon, sa sœur jumelle Cali et leur dalmatien Rubens. Mais quand le chien a fugué, plongeant dans la rivière pour rattraper sa balle, leur univers s’est fissuré. Peu après Cali est tombée malade. Gravement malade. Voyant une relation de cause à effet, le garçon a pensé qu’en retrouvant son chien, il guérirait sa sœur. Commence alors une course contre la montre, contre la vie qui s’échappe, sur les traces de Rubens et de sa balle, porté par l’espoir fou de sauver celle sans qui l’existence n’aurait plus de sens.

Un roman choc. Infiniment triste et infiniment digne. Je tournais les pages en me disant non, ce n’est pas possible, on ne va pas aller jusque-là… Et finalement si. Et finalement, ça ne m’a pas choqué, parce qu’après tout, rien de plus logique de voir l’inéluctable remporter la partie. Bien sûr, j’ai eu la gorge serrée, une vraie sensation d’injustice et de compassion pour cette famille frappée de plein fouet par un drame insoutenable. J’ai ressenti la douleur, le manque, l’absence. Et j’ai été emporté par la voix du garçon, par la puissance d’une écriture ample, parfois légère, souvent profonde, toujours énergique.

Ici, la vie est moche, absurde. « Chacun porte sa croix. Sa croix de malheur, entendons, il n’y a pas que Jésus qui a morflé, on a tous des gamelles à trimballer. Il faudra continuer à avancer pour chercher la sortie parce qu’on ne sait jamais jusqu’où va cette impasse, il n’y a pas de fin de l’histoire, rien n’est joué ». Ne pas sombrer, sans pour autant oublier. Une croix à porter. Se relever après l’anéantissement. Continuer à avancer. « Pour que ma tristesse se transforme en une force inaltérable de vie, je pleurerai, sans rien dire à personne, toute ma vie son absence ». Magnifique et bouleversant. Bien plus qu’un roman jeunesse.

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle d’Hervé Giraud. Thierry Magnier, 2016. 125 pages. 10,50 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 20 juin 2016

Ce qui désirait arriver - Leonardo Padura

Les nouvelles de ce recueil sont souvent, comme le déclare un personnage,  « un voyage vers la mélancolie ». Il en va ainsi de ces soldats quittant l’enfer de la guerre en Angola pour retourner à Cuba  en laissant derrière eux une maîtresse ou en faisant un détour par Madrid et en retrouvant par hasard un copain d’enfance qui ravive les souvenirs d’une époque révolue. De même, ce quadra exilé à Miami nostalgique de ses années étudiantes où il écoutait, fasciné, Violeta Del Rio, « La dame triste du Boléro » avec laquelle il connut une aventure aussi brève que torride. Ou encore cette pianiste de bar constatant que ses mains courant sur l’instrument n’hypnotisent plus les hommes comme au début de sa carrière.

Il y a ceux qui rêvent de revoir Cuba et ceux qui rêvent de la quitter. Tous y sont nés et cette île les habite. Tous ont vu le temps suivre son cours et ont l’impression d’avoir raté quelque chose : « La vie de chacun est un projet unique et ça c’est con parce que si on s’est trompé, on aura jamais le temps de rectifier ce qui est déjà passé ». Les années passent et chacun se couvre de cicatrices. « Et il y en a qui ne s’effacent plus. Les souvenirs peuvent être désastreux ».  

Ces nouvelles, écrites entre 1985 et 2009, brossent un portrait tout en finesse de la société cubaine d’hier et d’aujourd’hui. Elles regroupent les thèmes chers à Padura, la nostalgie, l’exil, l’art, la sexualité. On y parle d’amour, de solitude, de chagrin. On y parle d’espoirs déçus, de relations d’un soir qui marquent au fer rouge. On y boit du rhum les yeux dans le vague et les vêtements trempés de sueur. L’écriture est sensuelle ou sauvage, brûlante ou lyrique, vibrante ou poétique. C’est beau et triste, d’une sensibilité à fleur de peau. J’ai adoré, forcément, parce que ces thèmes et cette écriture me parlent et que Padura est depuis longtemps un de mes écrivains préférés. Avis aux amateurs d’excellentes nouvelles.

Ce qui désirait arriver de Leonardo Padura. Métailié, 2016. 235 pages. 18,00 euros.






samedi 18 juin 2016

Les lectures de Charlotte (19) : Bon appétit, petite souris ! - Eric battut

Petite souris a faim. Elle grignote un champignon, puis un morceau de fromage avant de s’attaquer à un radis. Arrivée face au chat et toujours pas rassasiée, elle décide d’explorer le ventre du matou pour dégoter à manger. Une fois à l’intérieur, ne trouvant rien d’intéressant,  elle fait demi-tour et repart accompagnée…

Pour sa sixième aventure, la petite souris d’Eric Battut continue d’évoluer dans un univers des plus épurés. Sur chaque double page, à peine quelques mots et des illustrations minimalistes qui permettent de se focaliser sur l’essentiel. La rencontre avec le chat est évidemment le moment fort de l’histoire. Son déroulé lorgne d’ailleurs du coté de Tom et Jerry ou Titi et Grosminet. Les pages où la souris investit le corps du chat, rebrousse chemin et en ressort avec un copine relève d’un comique proche de l’absurde qui fonctionne parfaitement avec les bouts de chou.



Le dessin, au feutre et sans encrage, est aussi simple qu’expressif. Avec une mention spéciale pour le personnage du matou, dont le flegme et la passivité à contre emploi offrent un décalage qui déclenche le sourire.

Un album aussi malin qu’efficace et une espiègle petite souris qui saura une fois de plus charmer les tout petits.

Bon appétit, petite souris ! d’Eric Battut. Didier jeunesse, 2016. 32 pages. 12,90 euros.






jeudi 16 juin 2016

(Presque) jeune, (presque) jolie, (de nouveau) célibataire - Stéphanie Pèlerin

Je l’attendais avec appréhension ce livre. Parce que l’air de rien je connais Stephie depuis quelques années maintenant, et le courant est toujours bien passé entre nous. Mais la Stephie auteure, je ne l’ai jamais fréquentée vraiment. Grosse appréhension donc, à l’heure de découvrir son premier roman. D’abord parce que ce n’est pas mon genre de donner dans le copinage et que je ne pourrais pas faire semblant de l’avoir aimé si ce n’était pas le cas. Ensuite parce que cette comédie sentimentale très girly est à des années-lumière de la littérature que je fréquente d’habitude.

Pour le coup, une histoire de prof de français en manque de confiance en elle, lestée de quelques kilos en trop et larguée dès la première page par son jules, ça n’avait pas de quoi me faire grimper aux rideaux. Mais la lecture est aussi affaire de circonstances. Ce livre, je l’ai reçu un vendredi. Un jour triste, gris et pluvieux semblable à ceux que l’on connait depuis des semaines. Un jour où, exceptionnellement, je ne travaillais pas, ma petite dernière et sa varicelle m’ayant contraint à jouer le garde malade. En début d’après-midi, je la monte dans sa chambre pour la sieste, je m’installe dans le canapé avec un café et le livre sur les genoux. Assommée par les médicaments, la petite ne se réveille que trois heures plus tard (la plus longue sieste de sa vie !) et moi j’ai eu le temps de lire l’ensemble du roman.

Il est très rare que j’engloutisse un bouquin d’une traite, même quand je n’ai rien de mieux à faire. Donc, force est de constater qu’il s’est passé un truc entre Ivana et moi. Ivana, c’est l’héroïne. Trentenaire, brune à forte poitrine et bien en chair. Beaucoup d’atouts pour me plaire en fait. Mais le physique ne fait pas tout, ce n’est d’ailleurs qu’un détail pour moi (ok, je manque de crédibilité mais j’aurais au moins tenté le coup), et il lui a fallu déployer d’autres arguments pour me séduire.

Ivana est paumée. Elle gère comme elle peut. Son boulot. Ses complexes. Ses copines. Ce vide qui s’est ouvert sous ses pieds au moment où Baptiste l’a quittée. Mais elle ne s’apitoie pas sur son sort. Elle veut reprendre sa vie en main. Se laisser porter aussi. Par ses envies. Ses désirs. Elle se met au régime et au sport. Elle s’achète un sextoy, s’inscrit sur un site de rencontre, multiplie les aventures, la plupart tournant au fiasco. J’ai beaucoup aimé les épisodes où la pauvre Ivana enchaîne les déconvenues, comme j’ai aimé son attitude de femme libre qui assume ses papillonnages d’un homme à l’autre en restant finalement  bien plus fragile que les apparences ne pourraient le laisser penser.

Plus que tout, j’ai aimé que l’on ne me serve pas à longueur de pages la classique (et insupportable) aventure entre la fille mal dans sa peau et le playboy riche comme Crésus, beau comme un dieu, monté comme âne, plus endurant qu’un marathonien et torturé par des blessures d’enfance. Ici, l’homme est au choix mufle, con comme un balai, lâche ou pervers. Normal en somme. Le prince charmant finit bien par arriver mais on n’en fait pas des caisses, on reste dans un portrait d’homme « réaliste » et franchement ça fait du bien.

Bon, soyons honnête, ce n’était clairement pas un livre pour moi à la base. Clairement pas un livre que j’aurais lu s’il n’avait pas été écrit par une personne que je connais et que j’apprécie énormément. Mais au-delà des circonstances particulières m’ayant poussé à le découvrir, j’en garderai le souvenir d’une douce après-midi passée en charmante compagnie avec la belle et touchante Ivana, une jeune femme que je ne suis pas près d’oublier.

(Presque) jeune, (presque) jolie, (de nouveau) célibataire de Stéphanie Pèlerin. Mazarine, 2016. 198 pages. 15,00 euros.


Les avis de Fanny, Laurie et Mylène.

mercredi 15 juin 2016

Les jours sucrés - Loïc Clément et Anne Montel

Églantine, graphiste et parisienne 100% pur jus, apprend par un notaire qu'elle vient d'hériter de la boulangerie de son père suite à son décès. Un père dont elle n'avait plus entendu parler depuis qu'elle avait quitté la campagne bretonne au moment de la séparation de ses parents plus de vingt auparavant. De retour dans sa région natale, elle a l'intention de se débarrasser vite fait de cet héritage encombrant en le vendant au premier venu. Sauf que la situation économique du village de Klervi s'est beaucoup dégradée depuis quelques années et que les acheteurs ne se bousculent pas au portillon. Pour ne rien arranger, la rencontre avec un ancien camarade de classe devenu instituteur va faire gamberger la jeune femme et la pousser à se demander s'il ne serait pas temps pour elle de changer de vie et de se reconvertir dans un commerce de proximité sur la terre de son enfance...

Un album que je qualifierais sans hésiter de « gentillet ». Le sucré du titre n’est pas usurpé, et même si on ne tombe pas dans le sirupeux, l’ensemble manque singulièrement d’acidité à mon goût. La bobo parisienne surmenée qui retrouve ses racines bretonnes contrainte et forcée et qui ne compte pas s’attarder sur place mais tombe finalement sous le charme de l’instit local, ça fait quand même très cliché. Aucune originalité non plus dans le secret de famille lié au père, un thème plus qu’éculé.

Heureusement certains seconds rôles pimentent l’affaire, comme l’acariâtre vieille tante Marronde et la piquante meilleure copine Mei. Coup de chapeau également aux matous qui ouvrent chaque chapitre avec des échanges particulièrement drôles. Graphiquement, la sobriété s’impose mais la composition maline et culottée de certaines planches permet de casser la monotonie d’un découpage sans grande surprise. Après, l’absence quasi systématique de décors n'offre pas à la Bretagne les paysages caractéristiques de cette région pleine de charme, ce qui est bien dommage.

Une lecture légère, qui dégouline de bons sentiments, à la fois sucrée et rafraîchissante. Un album qui, quelque part, a tout d'une BD feel good. Avis aux amateurs du genre, donc (dont je ne fais malheureusement pas partie).

Les jours sucrés de Loïc Clément et Anne Montel. Dargaud, 2016. 148 pages. 19,95 euros.











mardi 14 juin 2016

Les grandes jambes - Sophie Adriansen

« Jusqu’à peu, j’étais une fille normale. Plutôt grande, d’accord, mais rien d’une géante. Et puis je suis entrée au collège, et là ma croissance s’est emballée. Tous mes vêtements sont devenus trop petits d’un seul coup, et depuis il faut en racheter tous les trois mois. Pour les manches, passent encore […] Mais pour les jeans, c’est la catastrophe. En trouver un qui m’aille se révèle mission impossible… »

Il suffit de pas grand-chose pour complexer une ado. Un pantalon trop court, qui révèle  les chaussettes par exemple, et le mal être s’installe durablement. Parce que Marion le sait bien, il n’y a rien de pire que d’attirer les regards : « Dans la cour du collège, les paires d’yeux sont des mitraillettes. Aucune faute de goût ne passe inaperçue. Les jugements sont immédiats, les conclusions définitives. Les blagues fusent, souvent gratuites, parfois cruelles. »

Marion est donc une grande perche, une grande perche mal fagotée. Et forcément mal dans sa peau. Pas comme ça qu’elle aura un jour le courage d’adresser la parole au beau Grégory, dont elle est follement amoureuse. A moins que le voyage scolaire à Amsterdam qui s’annonce, avec la visite de la maison d’Anne Frank et du célèbre Rijksmuseum où cette passionnée d’art et de dessin va pouvoir découvrir les œuvres grandeur nature de son idole Rembrandt, change durablement la donne...

Ah, les complexes ! Le genre de truc qui s’attrape en général à l’adolescence et peut vous poursuivre jusqu’à la fin de vos jours. Sophie Adriansen aborde la question avec finesse et intelligence. Sans en faire des tonnes, sans tomber dans les clichés ou transformer son héroïne en ado dépressive. Résultat, c’est léger en apparence mais ça pousse à la réflexion sur le fond. La visite de la maison d’Anne Frank incite Marion à relativiser ses propres problèmes et son rapport à l’art prouve que, si l’art n’est pas la vraie vie, il peut la changer, cette vie. A cet égard, le passage où la jeune fille « s’immerge » dans le monumental tableau  de Rembrandt « La ronde de nuit » est en tout point magnifique.

Un roman positif et qui sonne juste, prouvant que la confiance en soi, si elle n’est pas innée, n’as parfois pas besoin de grand-chose pour  éclore au moment où l’on s’y attend le moins.


Les grandes jambes de Sophie Adriansen. Slalom, 2016. 112 pages. 10,90 euros.


Les avis d'Antigone et Fanny



Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.








lundi 13 juin 2016

Pottsville, 1280 habitants - Jim Thompson

A Pottsville, 1280 habitants, « il y a les pauvres petites filles sans défense, qui pleurent quand leur propre père vient se glisser dans leur lit. Il y a les maris qui battent leur femme, et les épouses qui les supplient à grands cris de les épargner. Il y a les gamins que la peur et la nervosité font pisser au lit, et leurs mères qui les forcent à avaler du poivre rouge pour les punir. Il y a les visages hagards des malades, rendus exsangues par l’anémie ou marbrés par le scorbut. Il y a la quasi-inanition, la sensation de n’être jamais rassasié, les dettes qui dépassent toujours les crédits ».

A Pottsville, 1280 habitants, il y a aussi un shérif nommé Nick Corey. Un spécimen à part. Du genre incapable, couard, lâche, feignant. Du genre à se laisser malmener et humilier en public. Du genre à ne jamais arrêter le moindre contrevenant. Du genre qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Sauf que les élections approchant, le spécimen à part se doute qu’il pourrait perdre sa place au détriment d’un candidat bien plus compétent. Il décide donc de prendre les choses en main et de faire le ménage…

Avec « Une femme d’enfer », Pottsville est le plus célèbre roman de Jim Thompson. Un roman qui, en France, a eu l’honneur de porter le numéro 1000 de la Série Noire en 1966 et d’être adapté au cinéma par Bertrand Tavernier (Coup de torchon). Cette réédition en version intégrale offre enfin à ce polar jubilatoire la traduction qu’il mérite (Maurice Duhamel ayant clairement bâclé le travail dans les années 60, se permettant même de tronquer le titre original).

J'adore Thompson parce qu'il possède cette faculté unique de mêler le pessimisme à un humour noir dévastateur. Ici, Nick Corey le shérif de prime abord crétin est d’un cynisme et d’un machiavélisme à toute épreuve. Cocu et lui-même queutard invétéré, il se révèle manipulateur, perfide, cruel, retors. Avec ce personnage, Thompson pose un regard sombre et désespéré sur la nature humaine dans un style inimitable. Comme toujours chez lui, les âmes sombres sont synonymes de bêtise crasse et les dialogues peuvent à tout moment déclencher une incontrôlable hilarité. Exemple type de cet humour décalé et ravageur que j’adore :

- Va te faire foutre ! Je ne te révélerai pas ce que j’avais décidé de te dire parce que j’ai le sens des convenances. Sinon, tu sais ce que je dirais ? Tu sais ce que je te ferais espèce d’ordure ? Je lèverais la jambe et je te pisserais dans l’oreille pour te vidanger le crâne de ce tas de merde puante qui te sert de cervelle !
Allons, Rose, un peu de retenue. Tu ferais mieux de peser tes paroles, tu vas finir par dire des horreurs.

Pas besoin de vous faire un dessin, Je suis sans doute un lecteur bien trop prévisible, mais il va de soi qui Jim Thompson est un écrivain qui me va comme un gant et que ce roman a été pour moi un régal de bout en bout.

Pottsville, 1280 habitants de Jim Thompson. Rivages, 2016. 272 pages. 8,00 euros.





dimanche 12 juin 2016

Les lectures de Charlotte (18) : Petit Renard - Nicolas Gouny

Petit Renard quitte le terrier pour suivre un oiseau. Il est surpris par la pluie, le vent et le froid. Il continue d’avancer mais finit par se perdre. Dehors, il découvre de nouvelles odeurs et fait quelques rencontres. La nuit venue, il entend de drôles de bruits et se réfugie sous un arbre…

Un album en randonnée au texte minimaliste dont l’originalité tient aux illustrations, entièrement réalisées avec des collages de feuilles mortes découpées. Le résultat est bluffant, particulièrement expressif et d’une esthétique des plus singulières, qui a charmé ma petite lectrice. Le renard, l’oiseau, la vache, le loup et le hérisson sont reconnaissables au premier coup d’œil, avec une mention spéciale  pour le loup aux grandes dents, qui est de loin mon préféré.

Cerise sur le gâteau, l’enfant est invité à créer avec des feuilles mortes séchées un ami pour Petit Renard, qu’il viendra coller en face de lui sur la page de garde finale. Une proposition ludique qui suscite forcément l’enthousiasme et incite à se mettre en quête de matériau pour composer au plus vite son personnage. Dommage que l’automne soit si loin…



Petit Renard de Nicolas Gouny. Balivernes, 2016. 32 pages. 16,00 euros. A partir de 3 ans.






vendredi 10 juin 2016

Challenge - Coupe d'Europe des Livres : ma fine équipe !

Après la Coupe du monde des livres il y a deux ans, je relève à nouveau le challenge proposé par Cajou à l'occasion du lancement de la coupe d'Europe.

Le principe reste le même et consiste à réunir, afin de créer notre équipe :

Un gardien de but : THE roman que vous voulez à tout prix lire, celui qui n'a pas le droit de passer à travers les mailles du filet des profondeurs de votre PAL.
Des attaquants : les 4 romans de votre PAL que vous voulez ABSOLUMENT lire.
Des milieux de terrain : les 3 romans de votre PAL que vous avez envie de lire juste après.
Des défenseurs : les 3 romans que vous n’avez pas encore dans votre PAL mais que vous voudriez vous offrir -sans attendre le Mercato- pour parfaire votre équipe.

Voila donc à quoi ressemble mon équipe idéale :

Gardien



Attaquants




Milieux




Défenseurs





Le gardien sera ma toute prochaine lecture, dès ce week-end sans doute, donc impossible pour lui de passer à travers les mailles du filet. 

Les attaquants seront mes autres lectures incontournables de juin-juillet. Thompson parce que c'est un génie et que ce roman enfin traduit à sa juste valeur est son chef d'oeuvre. Padura parce que je l'adore, que c'est un recueil de nouvelles et que je me suis fixé comme challenge personnel de lire au moins un recueil de nouvelles par mois. Stephie parce qu'il est inconcevable que je laisse son roman prendre la poussière sur mes étagères et Günday parce que cet écrivain turc rock'n'roll a, je pense, tout pour me plaire.

Les milieux sont trois livres de poches parfaits pour les vacances qui s'annoncent. Lemaître sera mon pavé de l'été, c'est une certitude. Pour les deux autres, je vais faire les efforts nécessaires pour qu'ils ne traînent plus sur ma pal.

Les défenseurs sont les trois seuls et uniques romans de la rentrée que j'ai repéré pour l'instant (il faut dire que je ne me suis pas du tout penché sur la question, chaque chose en son temps). Mais si je ne devais en lire que trois parmi les centaines à paraître cet automne, ce serait forcément ceux d'Anne Percin, de Valentine Goby et de Marcus Malte.

Voila en tout cas sur le papier une équipe prometteuse qui devrait me faire gagner de belles heures de lecture dans les semaines qui viennent.










mercredi 8 juin 2016

Les beaux étés T2 : La Calanque - Zidrou et Jordi Lafebre

On avait laissé la famille Faldérault en 1973 dans l'album précédent, on la retrouve ici quatre ans plus tôt, encore une veille de départ en vacances. Déjà allergique à l’autoroute, la tribu s’engouffre dans la 4L et quitte la Belgique, direction le sud. Après avoir accueilli un auto-stoppeur en route pour Katmandou, les parents et leurs trois enfants s’arrêtent en pleine nuit sur un chemin tranquille pour planter la tente. Ils se réveillent le lendemain au milieu du potager d’un marseillais exilé au nord de la Loire. Ce dernier, loin de mal prendre la chose, leur offre le petit déjeuner et leur recommande une calanque tranquille où ils pourront profiter d’un cabanon abandonné. Arrivés sur place, les Faldérault découvrent un cadre idyllique, annonciateur de vacances inoubliables…

Quel bonheur, mais quel bonheur ! Un album qui se parcourt le sourire aux lèvres, distillant à chaque page une dose de bonne humeur revigorante. Les dialogues sont savoureux, les personnages débordent d’humanité, les belles rencontres se succèdent et "l’autre", cet étranger, cet inconnu, est toujours appréhendé avec un sourire et une chaleur qui mettent d’emblée en confiance.

1969 où le temps de l’insouciance. Partir à l’aventure, se laisser porter, jouer, profiter, prendre de la vie comme elle vient. Paul, le père dessinateur de BD, vient de se lancer dans une nouvelle série dont il espère beaucoup. Mado, la mère, est enceinte du petit quatrième et les enfants pètent la forme, toujours prêts à suivre des parents jamais avares d’idées farfelues pour illuminer le quotidien. C’est frais et ensoleillé, le dessin de Jordi Lafebre, expressif et lumineux en diable, dynamise chaque séquence avec une vitalité contagieuse.

Rare de lire une BD qui respire autant la joie de vivre. Rare de ressentir aussi fortement le plaisir qu'ont eu les auteurs a créé une histoire dans laquelle on se sent aussi bien, de la première à la dernière planche. Un parfait remède à la morosité ambiante !

Les beaux étés T2 : La Calanque de Zidrou et Jordi Lafebre. Dargaud, 2016. 56 pages. 14,00 euros.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.








mardi 7 juin 2016

A coeur Pervers - Octavie Delvaux

Cinq ans que le rendez-vous de Stephie existe. Cinq ans que chaque premier mardi du mois, je donne dans la lecture inavouable. Pour être tout à fait honnête, j’ai pris le train en marche, je n’étais pas là au début de l’aventure mais il me semble ne pas avoir raté beaucoup de premiers mardis depuis le 4 octobre 2011 et mon billet sur « L’anthologie littéraire de la fellation » (je m’étais dit, autant attaquer avec un sujet qui me parle – oui, l’anthologie littéraire, c’est mon truc^^). Bref, pour fêter ces cinq ans et marquer le coup, j’ai eu l’immense plaisir de m’acoquiner avec la divine Framboise. Nous avons donc lu ensemble « A cœur Pervers »,  un recueil de nouvelles chaud-bouillant qui ne nous a pas laissés de marbre (t’inquiète Framboise, je n’en dirais pas plus, je sais garder les secrets, surtout les plus inavouables…).

Vingt-trois nouvelles et deux parties bien distinctes dans ce recueil, pour deux effets totalement différents, en ce qui me concerne du moins. La première moitié, « Éros », joue sur un registre classique d’érotisme chic et élégant. Classique donc, mais efficace, comme cette histoire de jeux torrides au restaurant un soir de Saint-Valentin ou ces vacances en club qui prennent une tournure inattendue pour un couple au mari volage. L’adultère est d’ailleurs un sujet redondant et les nouvelles traitant de ce thème offrent les plus beaux passages littéraires du recueil ainsi que les réflexions les plus profondes sur la question du désir et de l’abandon à l’autre, sans remords ni culpabilité.

Une première partie très réussie mais une seconde, « Thanatos », qui a eu sur moi l’effet d’une douche froide, notamment avec deux histoires de vampires où le mélange sexe, sang et morsures n’a pas été loin de me faire vomir. Dans les autres, il n’est question que de domination, de SM et de masques de cuir, des joyeusetés pour lesquelles je n’ai aucune attirance. Les fessées, la cravache, le collier de chien, la cire de bougie qui coule sur les roubignoles ou le piercing de tétons sans anesthésie, très peu pour moi. Comble du comble, ce texte où une maîtresse SM prend son pied avec des seringues. Du sadisme pur, juste insupportable pour une chochotte comme moi. Exemple qui a failli me faire tourner de l’œil : « Sans nous prévenir, Sonia planta l’aiguille, qui entra dans la peau comme dans du beurre. Elle traversait à présent la verge de John de Part en part ». Il m’a suffi de visualiser la scène pour grimacer et avoir des frissons d’horreur ! Heureusement que Framboise n’est pas non plus portée sur ce genre de choses, ça a permis d’éviter tout malentendu entre nous.

Un recueil inégal, donc. La première partie est excellente et justifie à elle seule la lecture. Pour le reste, les amateurs de pratiques extrêmes y trouveront leur compte. Les autres en sortiront comme moi, tremblants et effarés…

A cœur Pervers d’Octavie Delvaux. La Musardine, 2016. 300 pages. 18,00 euros.




Une lecture commune que j'ai donc le plaisir de partager avec Framboise. Et croyez-moi, pour ce qui est de l'inavouable, elle ne donne pas sa part au chien !



lundi 6 juin 2016

Treize - Aurore Bègue

1992. Alice passe ses vacances avec ses parents et sa grande sœur Marie au bord de la méditerranée. C'est l'été de ses 13 ans, un été de tous les bouleversements. Alice observe celles et ceux qui l'entourent. Marie, qui compte bien perdre sa virginité avant de retourner au lycée et avec laquelle elle est de moins en moins complice. Ses parents dont le couple bat de l'aile en grande partie à cause de la fragilité psychologique de sa mère. Paul, l'ami de son père qui la trouble au plus au point. Et elle même, son corps qui change, ses premières règles, son incapacité à communiquer avec des ados de son âge. Des bouleversements qui, elle l'ignore encore, vont la marquer à jamais.

Un premier roman que je qualifierais de « timide ». Trop psychologique pour moi mais aussi un peu trop sage. Aucune surprise dans la construction du drame à venir, annoncé assez lourdement d’ailleurs à plusieurs reprises avant la fin, au cas où le lecteur pas très futé ne serait pas en mesure de comprendre ce qui va se passer. Tout est logique dans l’enchaînement des événements et dans les comportements des protagonistes. Les réactions des uns et des autres sont attendues, elles s’enchaînent avec une évidence qui donne malheureusement des airs de déjà vu.

Après, l’écriture est maîtrisée, l’ambiance pesante bien rendue, les émois et les questionnements propres à l’adolescence sonnent juste et le personnage de la mère, difficile à cerner, apporte un vrai plus. Dommage que le sujet ait déjà été abordé mille fois, notamment le regard d’une sœur cadette sur son aînée s’approchant du monde des adultes et s’éloignant irrémédiablement de la complicité qui les unissait depuis l’enfance. Pas un texte désagréable à lire, loin de là même, mais bien trop convenu pour susciter mon enthousiasme.

Treize d’Aurore Bègue. Rue Fromentin, 2016. 140 pages. 16,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Philisine !






vendredi 3 juin 2016

L’érection Tome 1 - Jim et Lounis Chabane

Un album de circonstance. Pas parce que j’ai des problèmes d’érection, cela va de soi (et la question ne se pose même pas, tout va bien de ce côté-là, merci !), mais parce que ce week-end se tiendront les 21es rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens et que je ne raterais ce festival pour rien au monde, quitte à y aller à la nage cette année. C’est donc pour coller au plus près de l’actualité (du moins de la mienne) que je vais vous parler BD aujourd’hui avec le premier tome de ce diptyque signé Jim, scénariste prolifique s’il en est.

Ça commence comme une soirée tranquille entre amis. Florent et Léa se préparent à accueillir Alexandra et Jean-Fabrice pour le dîner. Léa fête ses 48 ans et accepte difficilement de vieillir. Le repas se passe bien mais au moment de se dire au revoir, La maîtresse de maison constate que son homme « bande comme un gros malade ». Elle en déduit, à tort, que « cette pute d’Alexandra », sa mini-jupe et son physique avantageux lui ont fait de l’effet. Commence alors une engueulade carabinée où les masques vont tomber et révéler un profond mal-être.


Une histoire de couple, donc. Un peu l’obsession de Jim, il faut dire. Ici, il détourne les codes du théâtre, installe ses « acteurs » dans un huis clos où un malentendu déclenche une réaction en chaîne aussi surprenante qu’incontrôlable. On a vraiment l’impression d’être dans une pièce de boulevard, avec ce décor d’appartement bourgeois, les portes qui claquent et le découpage en actes.

C’est drôle mais pas que. On déconstruit l’intimité d’un ménage où l’ambiance n’est pas au beau fixe malgré les apparences. On gratte des fêlures qui semblent s’approfondir à chaque page. Vingt-cinq ans que Florent et Léa sont ensemble. A l’approche de la cinquantaine, cette dernière s’interroge. Sur son pouvoir de séduction, sur le regard que porte sur elle son homme. Et elle s’agace, un peu trop rapidement sans doute. Florent encaisse, se défend et argumente. Mais rien ne semble y faire. Et la dernière page laisse augurer une suite « pimentée »…

Pas simple pour un dessinateur de réaliser 70 planches dans un seul et même décor avec les mêmes personnages, surtout quand l’intrigue tient davantage grâce aux dialogues qu’aux images. Lounis Chabane s’en sort avec brio, multipliant les mouvements de caméra, variant au maximum les postures et l’intensité des regards. Il joue aussi beaucoup sur les silences pour souligner les non-dits et la tension qui ne cesse de monter.

Étrange de « voir » du théâtre en BD. L’exercice est difficile. Mais la lecture se révèle particulièrement fluide, dynamique, vivante. Et la mise en scène tient la route du début à la fin. Du moins jusqu’au terme de ce premier tome. Pour la suite, il faudra attendre un peu. En espérant que l’entracte entre les deux albums ne durera pas trop longtemps.

L’érection, livre 1 de Jim et Lounis Chabane. Grand Angle, 2016. 68 pages. 16,90 euros.






jeudi 2 juin 2016

Destiny - Pierrette Fleutiaux

« Les humains de ces régions ne veulent pas frapper à coups de bâton, tirer au bazooka, décapiter, tailler à la machette, ils ne veulent pas tuer, mais ils ne veulent pas non plus, ils ne peuvent pas non plus, ouvrir les bras, changer leurs habitudes, leurs croyances, devenir de meilleurs humains, ils ne réussissent pas à ouvrir les yeux sur ce qui leur arrive, à porter leur regard vers l’horizon, à y lire les contours de ce qui avance vers eux. »

Anne tombe sur Destiny dans un couloir du métro. Elle la dépasse, s’arrête, puis revient vers elle. « La femme appuyée contre le mur est jeune, noire, enceinte et semble en souffrance ». Dans un anglais approximatif, Destiny explique qu’elle se rend à l’hôpital. Anne, sans se poser de question, décide de l’accompagner. Le début d’une étrange relation entre une sexagénaire un peu bobo et une migrante d’origine nigériane, arrivée d’Italie après un long et douloureux périple. Anne ne sait pas, ne comprend pas pourquoi elle va revoir Destiny le lendemain de leur première rencontre. Certes, elle lui en a fait la promesse, mais il lui serait facile d’oublier cette promesse. Pourtant, quelque chose la pousse, une sorte d’altruisme mêlé de fascination pour cette femme dont elle admire le parcours. Le bébé vient au monde et Anne est toujours là. Destiny ne manifeste pas vraiment d’affection envers sa bienfaitrice, elle cherche un toit, fait appel chaque soir au 115, se débrouille comme elle peut. Au fil des semaines, la dépression la gagne, les crises se succèdent, l’internement devient inévitable. L’enfant lui est retiré mais Anne ne l’abandonne pas. Malgré sa propre vie, sa propre famille, les vacances qui l’éloignent de Paris. Elle vient aux nouvelles, apporte son soutien, modestement et avec une certaine retenue.

Un roman qui dresse le portrait sans concession d’une relation aussi particulière que fragile. Aucun angélisme dans cette rencontre, dans ces rapports à la fois bienveillants et distants. On se demande si l’attitude d’Anne relève de la charité chrétienne, d’une volonté de se donner bonne conscience. On se demande pourquoi elle fait subitement de Destiny sa « protégée » et pourquoi cette dernière, sans aller jusqu’à mordre la main qui lui est tendue, ne montre jamais de signe de reconnaissance.

Anne est parfois traversée par des pensées négatives, venant à se demander si son « amie » ne cherche pas uniquement à profiter de sa bonté. Elle ne poussera d’ailleurs jamais cette bonté jusqu’à inviter la migrante chez elle : « Son appartement lui paraît trop étroit pour la contenir, pour contenir Destiny et son énorme cargaison de malheur. Il lui semble que si Destiny entrait dans son appartement, celui-ci, tel un bateau surchargé, pourrait sombrer. Elle voit littéralement Destiny posant le pied dans l’entrée et aussitôt les murs tanguer, le parquet s’incliner. »

En fait, le lien entre les deux femmes reste impossible à définir et c’est dans cette complexité permanente que le roman prend toute son ampleur et déploie une image d’équilibre instable où, sans fard et sans surjouer, chacune trouve sa place en toute sincérité. Un très beau texte qui, au-delà de la question des migrants et de « l’accueil » qui leur est réservé dans nos contrées, traduit magistralement l’aspect fluctuant, inquiet et incertain de la plupart des rapports humains.

Destiny de Pierrette Fleutiaux. Actes Sud, 2016. 184 pages. 19,00 euros.



mercredi 1 juin 2016

La maison - Paco Roca

Un an que la maison n’a pas été ouverte. Depuis la mort du père, personne n’y a mis les pieds. Les enfants sont décidés à la vendre. Mais avant, ils veulent la rafraîchir un peu, histoire de la rendre plus présentable aux futurs acheteurs. Murs lézardés, piscine en ruine, arbres fruitiers en piteux état, chasse d’eau qui fuit… José est le premier à découvrir l’ampleur des dégâts. Écrivain vivant à Madrid, il n’était pas revenu depuis des lustres. Accompagné de sa femme et aidé par un voisin, il effectue un premier toilettage rapide. Vicente, son frère aîné, arrive quelques jours plus tard, bientôt rejoint par Carla, la cadette. Dans cette maison de campagne où leurs parents les emmenaient chaque week-end et que leur père Antonio a construite de ses propres mains, dans ce lieu qui a accompagné leur enfance, quelques moments particuliers leur reviennent en mémoire.

Une magnifique réflexion sur le deuil, la filiation, les rapports entre frères et sœurs ou encore l’influence du poids du passé sur nos actes. Rien de nouveau sous le soleil d’Espagne à première vue mais le récit se déploie par petites touches, de flash-back en flash-back, avec une subtilité remarquable. Chacun se souvient d’un père froid et égoïste, travailleur infatigable à première vue peu intéressé par sa progéniture. Mais en laissant les souvenirs remonter, José, Vicente et Carla vont dresser un portrait plus en nuances. Et dans chaque pièce, devant chaque fissure du carrelage, sur la terrasse où l'on se réunissait pour manger, l’émotion va peu à peu prendre le pas sur le pragmatisme et ébranler les certitudes. Cette maison, faut-il la vendre finalement ?  

Le dessin, proche de la ligne claire, donne dans l’efficacité et est servi par un format à l’italienne permettant de multiplier les gaufriers et d’exprimer au mieux les nombreux moments d’introspection.

Une histoire simple, d’une justesse qui force l’admiration, empreinte de sensibilité mais écartant toute sensiblerie. Je me suis retrouvé dans les relations compliquées entre frères, dans les indécisions, les rancœurs et les complicités. Je suis sans doute d’un prévisible incurable mais je ne peux m’empêcher de tomber sous le charme d’un ouvrage qui parle du temps qui passe, de la mémoire et des sentiments, de la nostalgie d’une enfance vers laquelle il est toujours bon de se retourner pour mieux comprendre celui que l’on est devenu. C’est beau, triste et mélancolique comme la vie. Forcément j’ai adoré. Sans conteste un de mes coups de cœur BD de l’année !

La maison de Paco Roca. Delcourt, 2016. 128 pages. 16,95 euros.