mardi 29 janvier 2019

Dysfférent - Fanny Vandermeersch

Il n’a pas de chance Charlemagne. Déjà, ce prénom, quoi ! Ses parents voulaient un prénom de roi, ils auraient pu choisir Louis par exemple. Ou Charles tout court. Parce que là, Charlemagne, c’est dur à porter. Et comme si cela ne suffisait pas, le pauvre est dys. Dyslexique, dysorthographique et dyspraxique. Autrement dit, il a des difficultés pour lire, écrire, mémoriser, compter, tracer, se repérer dans l’espace ou même faire ses lacets. Au collège ses camarades le surnomment  la passoire parce qu’il ne retient rien et ses profs ne lui font aucun cadeau sur le bulletin de notes. A la maison on a vite fait de s’agacer de sa lenteur et de son air d’être en permanence dans la lune. Bref, il n’y a rien de réjouissant dans son quotidien, jusqu’au jour où il découvre une maison perdue dans les bois. Dans cette maison, il y a un piano. Et il y a Jade, une fille de son âge  qui, à force de patience et de persévérance, va lui faire comprendre qu’être dys n’est pas une fatalité.

Pas simple d’être « dysfférent » (j’aime beaucoup ce titre). Pas simple d’affronter le regard des autres, leur méconnaissance de ce trouble, leur jugement forcément négatif face à quelqu’un ne pouvant pas faire des choses qui paraissent évidentes à tout le monde. Pas simple de se sentir bien dans sa peau quand on vous rabaisse en permanence, quand on vous fait comprendre que vous ne pourrez jamais être dans la norme et que l’on se moque de vous.

Charlemagne subit. Il s’enfonce petit à petit, perdant goût à tout, appréhendant avec stress la moindre activité scolaire, la moindre activité tout court. Heureusement il suffit parfois d’une rencontre. Ou deux. D’abord une prof de musique capable de vous écouter, de vous comprendre et de trouver les mots qui apaisent. Ensuite une jeune fille, elle aussi différente, qui va donner à l’adolescent ce qui lui manque le plus : la confiance en lui. Et qui va lui prouver qu’il peut trouver sa voie. A sa façon, à force de volonté, et avec l’aide d’un tiers. Finalement Fanny Vandermeersch montre le chemin d’un enfant différent vers l’épanouissement. Avec simplicité, sans effets de manche larmoyants mais avec une tendresse et une bienveillance qui font chaud au cœur.         

Dysfférent de Fanny Vandermeersch. Le Muscadier, 2018. 90 pages. 10,50 euros. A partir de 9 ans.













vendredi 25 janvier 2019

Gangs of L.A. - Joe Ide

Isaiah Quintabe. IQ pour les intimes. Un jeune homme des quartiers mal famés de Los Angeles qui utilise son QI de surdoué pour résoudre des affaires dont les habitants du ghetto ne veulent pas parler à la police : vol dans un hôtel, fugueuse partie avec un dealer, élève harcelée au collège, parents biologiques à retrouver, etc. Problème, les membres de la communauté ne sont pas bien riches et la plupart le paient en nature en lui offrant un jeu de pneus neufs pour sa voiture ou des denrées périssables. Jusqu’au jour où un rappeur célèbre lui promet 50 000 dollars pour prouver que son ex-femme a engagé un tueur à gages afin de l’éliminer. IQ hésite mais finit par accepter. Parce qu’avec cet argent il pourrait mener à bien un projet lui tenant particulièrement à cœur.

Je ne vais pas m’étendre longtemps sur ce roman qui relève du pur divertissement. A part pour préciser que le titre est trompeur et pour prévenir les lecteurs pensant faire une plongée sordide dans les gangs de L.A. qu’ils en seront pour leur frais puisqu’il n’est question de gangs que dans un seul chapitre. Le reste du temps on évolue dans le milieu de la musique chez un richissime rappeur au bout du rouleau. La narration est simple, aucune chance de se perdre en route malgré l’alternance d’événements se passant en 2005 et en 2013. L’écriture est très orale et les dialogues percutants, on rigole beaucoup des frasques du rappeur, du cynisme de son producteur, de la stupidité de ses gardes du corps ou de la poisse du tueur à gages. Et IQ est touchant dans son rôle de « démêleur d’embrouilles », il m’a rappelé le personnage de Makoto dans la série de romans japonais Ikebukuro West Gate Park.

Quoi d’autre ? Pas grand-chose à vrai dire. Quitte à me répéter, c’est du divertissement, ni plus ni moins. De l’action, des twists improbables, un page-turner efficace mais en rien révolutionnaire. C’est bien fait, bien mené et rythmé comme un épisode de série télé. Ça tombe bien (et ce n’est pas surprenant), l’adaptation pour le petit écran vient d’être annoncée.

Gangs of L.A. de Joe Ide. Denoël, 2019. 390 pages. 21,90 euros.





mercredi 23 janvier 2019

Le Grand Mort T8 : Renaissance - Loisel, Mallié et Djian

Voilà, c’est fini. Après huit albums Le Grand Mort tire sa révérence. Une conclusion plutôt bien menée pour cette série mêlant fantastique et post-apocalyptique.

Je ne vais pas vous faire un résumé détaillé des nombreuses péripéties ayant jalonné le parcours des personnages principaux mais sachez juste qu’au moment où s’ouvre cet ultime épisode, l’humanité est à deux doigts de disparaître. Pour la sauver, Erwann va devoir rejoindre le monde du Petit Peuple dans une dimension  parallèle afin de rétablir les équilibres perdus. Dis comme ça, ça paraît un peu obscur mais ceux qui suivent la série depuis le début savent de quoi je parle.

Cette fin tient donc la route, même si j’ai un peu de mal avec l’optimisme béat des dernières pages qui succède à la noirceur absolue de ce qui précède. C’est un vrai plaisir par contre de retrouver la patte de Loisel dans la partie fantastique de l’histoire, la faune, la flore et le Petit Peuple n’étant pas sans rappeler l’univers merveilleux de La quête de l’oiseau du temps.

Clairement, les allers-retours entre le monde féérique et celui des hommes font le sel du récit. Difficile également de ne pas apprécier le souffle épique d’une narration portée par les sublimes dessins de Vincent Mallié. J’avais ressenti un petit coup de moins bien dans les tomes précédents, l’impression que l’on tournait à vide par moment, que l’on faisait du surplace pour tirer inutilement en longueur une série à succès prévue à la base en cinq volumes. Heureusement cet ultime opus est solidement charpenté, fluide et rythmé juste comme il faut, sans précipitation. Surtout, il ne laisse aucune question sans réponse, ce qui était évidemment l’équation la plus difficile à résoudre tant les pistes ouvertes par le scénario étaient nombreuses. 

Une série marquante dans la production BD de ces dernières années. Et maintenant que la boucle est bouclée, je ne veux entendre personne me dire qu’il attend la suite pour se lancer !

Le Grand Mort T8 : Renaissance de Loisel, Mallié et Djian. Vents d’Ouest, 2019. 86 pages. 18,00 euros.





Les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka





mardi 22 janvier 2019

Captain Mexico - Guillaume Guéraud

Paco n’en peut plus de sa vie misérable dans un village à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Il n’en peut plus de la cabane en planches où toute la famille se partage quelques mètres carrés, de sa mère qui lui fiche des beignes et de son père qui rêve de traverser le Rio Grande pour aller chercher fortune chez l’Oncle Sam. Paco voudrait mettre fin à la pauvreté, il sait qu’elle sera vaincue par la révolution, que les travailleurs exploités ne doivent plus accepter leur insupportable condition. Mais il sait aussi que les ouvriers ne feront jamais le poids face aux patrons. Un jour pourtant, en se coiffant d’un vieux sombrero poussiéreux trouvé par terre, le jeune garçon se découvre des pouvoirs extraordinaires. Il devient alors Captain Mexico, un super héros qui va tout faire pour défendre les opprimés.

Impayable Guillaume Guéraud, toujours prompt à dénoncer les injustices et à offrir une revanche aux sans voix. Ici c’est avec un humour dévastateur qu’il permet à un enfant de botter le c.. des puissants. Guidé par la figure tutélaire de Zapata, Paco libère les prisonniers et mène la grève, il humilie soldats et policiers et vole au secours de sa dulcinée. Le combat final contre un super vilain américain est à mourir de rire et se termine évidemment par la victoire du bien contre le mal.

Un roman engagé. Sous le vernis de l’humour et de la légèreté, Paco montre la réalité de travailleurs pauvres exploités par la grande puissance voisine qui construit des usines dans leur pays pour produire à moindre coût et refuse de les laisser franchir la frontière. Donald Trompette, le président américain, veut construire son mur mais Captain Mexico va s’employer à l’humilier sans ménagement.

Du suspens, de l’action, une langue moderne proche de l’oralité et des situations cocasses, la recette est simple mais elle fonctionne à merveille. Une pépite jeunesse à dévorer sans modération.

Captain Mexico de Guillaume Guéraud. Rouergue, 2018. 95 pages. 8,80 euros. A partir de 9 ans.

L'avis de Krol

Une pépite jeunesse partagée avec Noukette







vendredi 18 janvier 2019

Dans l’ombre du brasier - Hervé Le Corre

« Ils détruiront Paris plutôt que de laisser la ville au peuple. Et ils détruiront le peuple pour reprendre la ville. »

Paris, mai 1871. Les versaillais s’apprêtent à donner l’assaut. 60 000 soldats, des armes et des minutions à n’en plus finir. En face d’eux 10 000 communards désorganisés, à bout de souffle, manquant de tout, sans véritable chef. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Des ouvriers, des médecins, des ivrognes, des rêveurs, des salauds, des altruistes, des opportunistes. Ils attendent la marée en sachant qu’ils ne pourront la retenir, qu’ils vont être submergés. Et pendant ce temps, dans les rues, des femmes disparaissent, enlevées par un monstre à la gueule cassée. Le commissaire Roques, chargé de l’enquête, va tenter par tous les moyens de mener sa tâche à bien, pendant que la ville s’écroule. 

Ce n’est pas la première fois qu’un auteur imagine les agissements d’un criminel en temps de guerre (la BD Notre mère la guerre par exemple fonctionne sur le même principe). Si le procédé n’est pas nouveau, Hervé le Corre l’utilise pour mener une réflexion plus large sur le bien, le mal et la complexité de la nature humaine. Il ne pouvait trouver un meilleur décor que le Paris agonisant de la semaine sanglante. Pendant dix jours, du 18 au 28 mai, il nous entraîne sur les pas du commissaire, du kidnappeur et de son complice, des femmes enlevées et séquestrées dans une cave, mais aussi de communards prêts à défendre la moindre barricade, d’infirmières débordées par l’afflux de blessés ou de parisiens terrés dans leurs appartements.

Un roman à l'ambiance étouffante qui montre à hauteur d’hommes le climat d’insurrection, la chienlit, le désordre des troupes. Le chaos est partout, les rêves d’utopie ne seront bientôt plus que poussière. Et Hervé Le Corre excelle à décrire le bruit du canon, les immeubles qui s’effondrent, les incendies, les ruines, les gravats, le verre brisé sous les semelles. Il n’épargne pas les combattants aux membres arrachés, aux têtes pulvérisées par un éclat d’obus, aux tripes étalées par la mitraille. C’est incroyablement intense et réaliste, même si les descriptions deviennent par moment un peu répétitives.

On sent chez le romancier une évidente tendresse pour les communards mais son regard n’a rien de l’optimisme lyrique d’un Jean Vautrin par exemple (Le cri du peuple). Son ton est bien plus mélancolique. Certains insurgés continuent de croire au grand rêve de la liberté guidant le peuple mais chez la plupart c’est la lucidité qui l’emporte. Plus les jours passent et plus se renforce la certitude qu’il n’y aura pas de lendemains qui chantent. Qu’il n’y aura pas de lendemains du tout. Et pourtant ils restent debout face à l’ennemi. Ils font ce qu’ils ont à faire. « Ce qu’ils croient non pas raisonnable, mais juste. Ils savent l’issue. Ils connaissent la fin. » Tout est dit. C'est sombre et désenchanté comme j’aime.

Dans l’ombre du brasier d’Hervé Le Corre. Rivages, 2019. 492 pages. 22,50 euros.










mercredi 16 janvier 2019

Cachemire - Rubén del Rincon

Au printemps 1982, en catalogne, l’usine de textile d’Agustin ferme ses portes pour raisons économiques. Ce dernier, sachant qu’il ne trouvera pas de travail ailleurs, persuade ses collègues de se regrouper en coopérative pour racheter les locaux et le matériel de production. En attendant la vente aux enchères, les ouvriers tentent de réunir des fonds et s’organisent pour protéger les lieux nuit et jour afin d’empêcher les vols de câbles et de machines. L’album relate leur difficile combat pour subvenir aux besoins de leur famille et garder leur dignité de travailleur, entre espoir, coups durs et solidarité sans faille.

Rubén de Rincon s’inspire de son histoire personnelle et rend hommage à son père dans ce récit plein de vie. Un hommage tendre mais sans complaisance dans lequel il se met lui-même en scène à une époque où il n’était qu’un enfant. Loin de tout militantisme, le récit montre des prises de position bien plus pragmatiques que politiques. Et force est de constater qu’ils sont touchants ces hommes prêts à tout pour garder leur emploi et défendre leur savoir-faire. Touchants de naïveté, de maladresse et de volonté à toute épreuve.

Le dessin souple et le découpage dynamique donnent un rythme sans temps mort à cette histoire pétillante qui ne sombre jamais dans la déprime. C’est simple, si j’osais une comparaison je dirais que c’est aussi frais qu’un épisode des Beaux étés. Une plongée joyeuse et ensoleillée dans l’Espagne des années 80 ça ne se refuse pas, surtout au cœur de la grisaille hivernale !

Cachemire de Rubén del Rincon. Éditions du Long Bec, 2018. 110 pages. 19,00 euros. 





Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie.






mardi 15 janvier 2019

L’instant de la fracture - Antoine Dole

On y est. A l’instant de la fracture. Quand tout va basculer.
Ils sont là. Autour de la table. Pour le réveillon de Noël.
Bientôt il va ouvrir la bouche. Après ce sera la déflagration. L’explosion.
Il le dira une fois. Avant de hausser le ton. Et de pointer le doigt vers son père.
« Papa a abusé de moi ».

Les souvenirs douloureux affluent. Il se rappelle le loup dans la maisonnée. L’ogre qui a laissé sur l’enfant qu’il était son empreinte indélébile. La mère, Les frères et sœurs plus âgés qui n’ont rien vu. Ou qui n’ont pas voulu voir. Jusqu’alors il s’est tu. Ne rien dire pour les préserver. La famille comme un piège dont on ne peut se sortir. Pour ne pas faire souffrir les autres avec ses propres souffrances. Pour ne pas briser l’harmonie, l’équilibre. Le bonheur de façade.

C’est rien de dire qu’Antoine Dole m’a scié. Une fois de plus. Quarante petites pages dans la tête d’un fils qui s’apprête à dire l’insoutenable. L’inimaginable. Des phrases courtes. Heurtées. Comme une respiration saccadée. Ce moment où monte le vertige, où l’on prend son courage à deux mains pour franchir le pas en sachant qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible. Jusqu’à la dernière ligne on attend l’instant de la fracture. Le moment de se jeter dans le vide. Sans filet.

C’est terrible. Poignant. Intense. Percutant. Antoine Dole égal à lui-même, quoi.

L’instant de la fracture d’Antoine Dole. Talents hauts, 2018. 45 pages. 7,00 euros. A partir de 14 ans.



Une pépite jeunesse partagée avec Noukette.








vendredi 11 janvier 2019

Les frères K - David James Duncan

En 2018 ma première lecture avait été un énorme pavé américain des éditions Monsieur Toussaint Louverture qui s’est avéré être mon plus gros coup de cœur de l’année. Puisque l’histoire aime se répéter, j’ai voulu réitérer l’expérience en 2019 avec un nouveau pavé américain du même éditeur. Verdict ? Du très bon, mais pas aussi bon qu’Un jardin de sable.

Les frères K, c’est 800 pages pour relater vingt ans de la vie de la famille Chance. Une famille où le quotidien n’a rien d’un long fleuve tranquille entre le père ancien joueur de baseball aux rêves de gloire brisés, la mère obsédée par la religion et les six enfants aux aspirations et aux caractères très différents. De 1956 à 1975 on suit les méandres de leurs relations complexes et les trajectoires particulières de chacun, du Vietnam à l’Inde en passant par le Canada. Au cœur du récit se trouve le narrateur Kincaïd, l’un des fils, témoin privilégié des événements marquants de ces vingt ans.

Un roman fleuve ambitieux dont les nombreuses ramifications ne cessent de se croiser pour mieux souligner les conflits et les relations complexes entre chaque membre de la tribu. C’est ample, profond, très bien mené et jamais décousu. Mais (puisqu’il y a mais) certaines longueurs auraient pu être évitées. La description dans les premières pages d’une interminable retransmission télévisée d’un match de baseball m’a coupé les pattes d’emblée, et le cours de catéchisme qui s’est enchaîné juste derrière a failli m’achever. Heureusement que par la suite le récit est devenu plus fluide et a moins donné l’impression de s’éparpiller sur des détails sans grand intérêt. Il n’empêche, le texte aurait gagné à être quelque peu élagué, plus ramassé sur lui-même, sans gras inutile autour de l’os.

Au final ça reste un vrai bon roman où les interactions entre les personnages sont très fouillées, ou la petite et la grande histoire ne cessent de se mélanger et où la destinée individuelle de chacun ne trouve de sens que dans la globalité de l’histoire familiale. C’est aussi l’expression d’une solidarité sans réserve malgré les divergences de points de vue. Et c’est surtout un livre plein de lumière et d’ondes positives où les coups durs ne font que renforcer l’envie de se relever pour continuer à avancer, ensemble.

Les frères K de David James Duncan (traduit de l’anglais par Vincent Raynaud). Monsieur toussaint Louverture, 2018. 798 pages. 24,00 euros.









mercredi 9 janvier 2019

Les ogres-dieux T3 : Le grand homme - Gatignol et Hubert

Avec les ogres-dieux, il faut s’accrocher. Chaque nouvel album de la série prend un surprenant  virage par rapport au précédent, à tel point que les différents volumes pourraient très bien se lire comme des one shot. Mais en même temps la lecture « en continue » des trois titres offre une cohérence incroyablement solide à l’ensemble.

Les Ogres-dieux,  c’est une fresque sanglante racontant le crépuscule d’une famille de géants anthropophages régnant d’une main de fer sur leur royaume et leur peuple d’humains depuis des générations. Le premier album décrivait la chute de la famille royale provoquée par « Petit », l’un des fils du souverain en place. Dans le second, on suivait l’ascension d’un chambellan humain prêt à tous les excès pour devenir le maître du pays après la disparition des géants. Ce troisième tome propose un scénario moins complexe, plus linéaire. On y retrouve Petit qui rejoint un groupe de résistants baptisés « les niveleurs » après l’enlèvement de sa fiancée par les hommes du Chambellan. Guidé par un homme mystérieux prénommé Lours, Petit va s’enfoncer dans la forêt maudite et faire face à un danger qui dépasse tout ce qu’il aurait pu imaginer.

Encore une totale réussite ! Le monde des ogres-dieux ne cesse de s’étendre avec cet album jouant à nouveau la carte du baroque mâtiné d’ambiance moyenâgeuse. Et une fois encore Bertrand Gatignol montre l’étendue de son talent avec son découpage impressionnant et son noir et blanc intense rendant les scènes en forêt particulièrement oppressantes.

Un fascinant conte cruel aux accents gothiques. Entre lutte de pouvoir, étude de mœurs et pur récit d’aventure, la série offre, tant sur le fond que sur la forme, une expérience de lecture d’une rare profondeur.

Les ogres-dieux T3 : Le grand homme de Gatignol et Hubert. Soleil, 2018. 188 pages. 26,00 euros.




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mardi 8 janvier 2019

Les nouvelles vies de Flora et Max de Martin Page et Coline Pierré

Le titre n’est pas anodin. Il dit bien l’évolution de Flora et Max, deux ados dont j’avais fait la connaissance dans un roman précédent qui avait pour titre La folle histoire de Flora et Max. Un roman qui racontait les échanges épistolaires de Flora, en prison après avoir agressé une camarade de classe et de Max, incapable de sortir de sa chambre pour aller affronter le monde extérieur.

On les retrouve ici alors que tous deux sont sortis de leur enfermement. Flora suit des cours d’anthropologie à la fac et travaille à temps partiel dans une maison de retraite tandis que Max commence un CAP de cuisinier. Depuis qu’ils se sont rencontrés « en vrai » leur amitié, née de leur correspondance, n’a fait que se renforcer. Ensemble ils font leurs premiers pas dans un monde qui, pour ces ex-reclus, a tout d’une jungle. Et c’est ensemble qu’ils vont devoir unir leurs forces pour lutter contre un projet immobilier et commercial menaçant l’équilibre de leurs nouvelles vies.

Un vrai bonheur de retrouver dans ce texte à quatre mains des personnages aussi attachants que ces deux ados. Avec toute leur singularité, leur fragilité et leur regard décalé sur la vie en société. Martin Page et Coline Pierré se complètent une fois de plus à merveille et l’alternance des prises de parole de Flora et de Max fonctionne toujours aussi bien. L’évolution de leurs situations respectives est prétexte à développer une histoire qui gagne en épaisseur et offre à chacun un cheminement intérieur qui les pousse à s’ouvrir aux autres.

Un excellent roman, qui se dévore d’une traite le sourire aux lèvres. C’est drôle, tendre, plein d’altruisme, d'empathie et d’ondes positives. Tout ce qu’il faut pour attaquer du bon pied cette nouvelle année de pépites jeunesse avec ma chère complice Noukette.

Les nouvelles vies de Flora et Max de Martin Page et Coline Pierré. L’école des loisirs, 2018. 250 pages. 14,50 euros. A partir de 14 ans.









samedi 5 janvier 2019

Trajectoire - Richard Russo

Janet l’universitaire affronte un étudiant provocateur qui lui a rendu un devoir plagié avant de rentrer chez elle fêter Thanksgiving avec son mari et son fils autiste qui n’a d’yeux que pour son père. Nate accompagne son frère à Venise dans un voyage organisé et il se demande ce qu’il est venu faire là. Roy voudrait vendre à un couple de texans la maison de son amie Nicky mais la partie est loin d’être gagnée. Et Ryan, qui pensait pouvoir monnayer à bon prix un scénario rangé dans un tiroir depuis des années, va finalement comprendre qu’on l’a roulé dans la farine.

Quatre histoires. Quatre personnages confrontés à un événement qui va les mener au bord de la rupture. Ils ont des situations confortables, ils sont à un âge où les grands rêves ne sont plus que de lointains souvenirs et ils traînent leur mélancolie entre non-dits et tristesse.

Des nouvelles qui mêlent présent et passé avec fluidité et qui dressent les portraits de femmes et d’hommes en pleine crise, conscients qu’ils ne vont pas vers le beau, conscients des efforts à faire pour garder un aplomb de façade en société, pour montrer que l’on tient le cap alors que le naufrage est en cours.

Un recueil sombre, crépusculaire, désenchanté et d’une glaciale lucidité, porté par l’écriture élégante d’un Richard Russo aussi à l’aise dans les romans fleuve que dans la forme courte. Au final une réflexion tout en finesse sur la solitude, le temps qui passe et la perte des illusions. Tout ce que j’aime en somme.

Trajectoire de Richard Russo (traduit de l’anglais par Jean Esch). Quai Voltaire, 2018. 296 pages. 21,80 euros.







mardi 1 janvier 2019

Ces livres dont je n'ai pas pris le temps de parler...

Il y a beaucoup de livres que j’ai lus sans en parler ici cette année. Pas le temps, pas envie ou pas l’impression d’avoir quelque chose de neuf à dire sur certains titres dont on a déjà tout dit, les raisons sont nombreuses. Des coups de cœur et des déceptions dont je dresse une rapide liste ci-dessous, histoire de mettre les compteurs à zéro avant d’attaquer la nouvelle année.



Tout le monde (ou presque) en a dit le plus grand bien mais je dois reconnaître que ce roman ne m’a fait ni chaud ni froid. Encéphalogramme plat du début à la fin, je m’attendais à tellement mieux. Une grosse déception supplémentaire cette année.

Une bouche sans personne de Gilles Marchand. Aux Forges de Vulcain, 2016. 260 pages. 17,00 euros.



Superbe, tout simplement superbe ! Un récit dur, intime et pudique sur la guerre et les traumatismes qu’elle engendre, sur la perte des êtres chers et la reconstruction malgré des stigmates qui resteront à jamais indélébiles. Tout en finesse, sans grosses ficelles tire-larmes ni apitoiement malvenu. J’ai bien fait de le sortir de ma pal cet été.

La jeune fille et la guerre de Sara Novic. Fayard, 2016. 315 pages. 22,00 euros.




Un autre titre sur la guerre. Deux cabossés du Vietnam, un noir et un blanc, réunis dans la même chambre d’hôpital. Le noir n’a plus de bras ni de jambes, le blanc n’a plus de visage. Entre leurs quatre murs ils se confient l’un à l’autre, racontant leur passé et leurs traumatismes. Un huis clos à la fois glaçant et bouleversant jusqu’à son inéluctable conclusion. Là aussi j’ai beaucoup aimé.

Sale boulot de Larry Brown. Gallemeister, 2018. 260 pages. 8,20 euros.




Je me suis ennuyé dans les alpages avec Paolo Cognetti. Le regarder couper du bois et cultiver son jardin comme Charles Ingalls dans La petite maison dans la prairie m’a très vite lassé. Même les visites à ses quelques voisins n’ont fait que m’arracher des bâillements. Je m’attendais à tellement mieux ! Là encore une déception alors que tout le monde ou presque a aimé.

Le garçon sauvage de Paolo Cognetti. 10/18, 2017. 140 pages. 6,10 euros. 




Un roman surprenant, baroque, décadent, signé d’un auteur italien sulfureux en diable dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. L’histoire raconte le parcours d’un jeune italien débarquant dans le Paris de la Belle époque pour profiter de toutes les folies et excentricités de la ville lumière. Publié en 1921, le texte est d’une surprenante modernité, avec un héros plein de cynisme se moquant de tout et de tout le monde. Je ne pouvais qu’adorer.

Cocaïne de Pitigrilli. Séguier, 2018. 348 pages. 21,00 euros.




Pour une fois que j’ai lu le Goncourt ! Un roman dont la veine sociale m’a plu mais qui tombe par moment dans la caricature et manque d’une certaine finesse d’analyse dans les rapports entre les différents protagonistes. Il n’empêche, dans l’ensemble, j’en garde un très bon souvenir.

Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu. Actes sud, 2018. 425 pages. 21,80 euros.




David Thomas, roi de la microfiction, revisite dans ce recueil le sentiment amoureux dans toute sa diversité. Le résultat est inégal, alternant les petits bijoux d’humour dont il a le secret et des textes beaucoup plus anecdotiques. Sympa sans plus, et clairement pas aussi savoureux que l’excellent « On ne va pas se raconter d’histoires ».

Le poids du monde est amour de David Thomas. Editions Anne carrière, 2018. 220 pages. 16,00 euros.




Un récit autobiographique sans concession dans lequel Nick Flynn raconte son quotidien de travailleur social auprès des sans-abris de Boston pendant les années 80, à une époque où son propre père, qu’il n’a jamais connu, se retrouve à la rue. Leur rencontre dans un foyer est le point de départ d’une réflexion sur la filiation et d’une plongée sinueuse dans les douloureux souvenirs d’une jeunesse difficile. Loin du témoignage pleurnichard, Nick Flynn ose différentes formes narratives et dit l’intime avec une distance qui, paradoxalement, ne fait que renforcer la proximité avec le lecteur. Un tour de force éblouissant, loin de la branlette autofictionnelle propre à la littérature française actuelle. Prenez-en de la graine bordel !

Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie de Nick Flynn. Gallimard, 2006. 350 pages. 19,80 euros.