vendredi 31 janvier 2025

Le ciel de Joy - Sophie Adriansen

Joy, 17 ans, connaît pour la première fois le grand amour. Avec Robinson tout est simple, fluide, limpide, évident. Même leur première fois. Les choses changent le jour où Joy découvre qu’elle est enceinte. Une grossesse adolescente, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Pour ces dernières, il faut garder l’enfant à venir, entretenir en quelque sorte la « tradition » familiale. Mais la jeune fille ne l’entend pas de cette oreille. Ce schéma à reproduire, elle n’en veut pas. Ce qu’elle veut, c’est être libre de son choix. Ce qu’elle veut, c’est ne plus porter en elle cet embryon qui gâcherait son avenir. La possibilité d’avorter existe pour les mineurs en France, sans le consentement des adultes. Néanmoins, la présence d’un majeur est obligatoire tout au long du processus. Et sans le soutien de sa famille, Joy va découvrir que son chemin vers l’IVG va être bien plus compliqué qu’elle ne l’imaginait.

Un roman pro-ivg forcément engagé. Sophie Adriansen aborde le sujet en finesse, elle dresse le portrait d’une jeune fille touchante, fragile et déterminée. Se faisant, elle décortique chaque phase du processus allant de la découverte de la grossesse jusqu’à l’avortement de façon didactique mais sans lourdeur. Une forme de vulgarisation fictionnelle qui, au-delà de l’aspect purement médical, aborde également les répercussions intimes et familiales d’un tel bouleversement dans la vie d’une ado. Les témoignages qui encadrent les chapitres montrent par ailleurs les difficultés, partout dans le monde, que rencontrent les femmes pour disposer de leur corps comme bon leur semble. Aussi édifiant que révoltant ! 

Le ciel de Joy de Sophie Adriansen. Flammarion, 2025. 230 pages. 16,90 euros. A partir de 15-16 ans.



mardi 28 janvier 2025

Chien des Ozarks - Eli Cranor

Mettre dans le même sac une famille de suprémacistes blancs, un gang mexicain et un ancien sniper de l’armée américaine décoré pour ses « exploits » au Vietnam équivaut à jeter une allumette dans un baril de poudre. Au départ pourtant, c’est le calme plat à Taggard, coin paumé du fin fond de l’Arkansas. Jeremiah s’apprête à accompagner sa petite fille Jo au bal de fin d’année. Il tient à cette gamine comme à la prunelle de ses yeux, lui qui l’a élevée depuis que son père a été condamné à perpétuité pour meurtre alors qu’elle n’était qu’un nourrisson, juste après que sa mère camée l’ait abandonnée. Problème pour Jeremiah et Jo, Evail Ledford veut gâcher la fête. Lui, dont le frère a été abattu par le père de Jo au cours d’un cambriolage, n’a que la vengeance en tête. Pour l’accomplir, son plan est simple : kidnapper l’adolescente et la vendre à un cartel mexicain contre des kilos de drogue. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Et évidemment, le papy va faire de la résistance (et des dégats) pour protéger la seule chose qui lui reste.

Eli Cranor sait jouer avec des ingrédients hautement inflammables pour créer une situation explosive. Il prend son temps, accélère quand la situation l’exige, enclenche une marche arrière pour mieux expliquer les motivations des uns et des autres et n’hésite pas à se lancer dans des dérapages incontrôlés pour tout faire valser. Pour autant il ne fonce pas tête baissée, en gros bourrin. Ces personnages ont de l’épaisseur. Sous le vernis de la brutalité pure, tous trimballent une sacrée cargaison de tristesse et de fragilité. Les héritages sont lourds à porter, les rancœurs tenaces et dès le départ, on sait comment les choses vont se terminer.

Du noir serré, amer, brûlant comme j’aime. Eli Cranor est assurément une nouvelle voix du polar américain à suivre de près, aux côtés de S.A Cosby, Benjamin Whitmer ou Jake Hinckson (liste évidemment non exhaustive).

Chien des Ozarks d'Eli Cranor (traduit de l'anglais par Emmanuelle Heurtebize). Sonatine, 2025. 300 pages. 22,00 euros.




vendredi 24 janvier 2025

Le testament de Sully - Richard Russo

Une ombre plane sur North Bath. Alors que la cité, au bord de la faillite, vient d’être rattachée à sa cossue voisine Schuyler Spings, ses habitants semblent hantés par la présence envahissante du défunt Sully. Le fils de ce dernier, Peter, a acheté des parts du bar dans le lequel son père passait la majeure partie de ses journées pour aider Birdie, la vieille tenancière de ce lieu iconique de la ville. Tandis que Ruth, ancienne maîtresse de Sully, entretient des rapports compliqués avec sa fille et sa petite fille, Rub, son meilleur ami, sombre dans la dépression. Au même moment Doug Raymer, shérif démissionnaire de North Bath, retrouve Charyce Bond, son ancienne adjointe nommée à la tête de la police de Schuyler Spings, après la découverte d’un corps en décomposition dans le hall d’un hôtel à l’abandon. Et que vient faire Thomas, le fils de Peter qu’il n’a pas vu depuis des années, sur le seuil de sa maison avec dans son coffre une cargaison de bidons d’essence ? Bref, la petite communauté est en pleine agitation, et les exactions du flic ripoux Delgado ne vont pas arranger les choses.

La boucle est bouclée. Après Un homme presque parfait et À malin, malin et demi, Richard Russo conclut la trilogie de North Bath comme il l’a commencée, avec beaucoup d’humanité. Orchestrant en maestro ce ramassis de médiocrité, il papillonne entre la myriade de personnages, offrant à chacun toute l’attention nécessaire. Des personnages qui, à défaut d’autodérision, démontrent une impressionnante capacité d’auto apitoiement. Il faut dire que leur quotidien ne les épargne guère et que leurs maladresses s’avèrent coûteuses. Tout le roman se passe en deux jours, les existences se croisent, les ressentiments s’accumulent, remords et regrets se conjuguent pendant que la neige tombe à gros flocons sur la ville. 

C’est beau comme du Russo. Mélancolique, désabusé, ambitieux, foisonnant. Avec peut-être un poil moins d’ironie mordante et de d’humour grinçant que d’habitude. Sans doute un choix judicieux pour achever la trilogie en douceur et offrir à ses protagonistes le réconfort qu’ils méritent après les avoir tant malmenés. Seul bémol pour mon goût de lecteur pessimiste, une conclusion « positive » qui aurait pu être saupoudrée d’une pincée supplémentaire de noirceur. Parce que oui, à la fin, tout se termine bien. Les méchants sont punis et les gentils s’en sortent. Un peu simple, un peu facile. Et pas forcément réaliste. Imaginer de la justice, de l’amour, de la joie et de l’espoir dans l’Amérique d’aujourd’hui, c’est presque de la science-fiction, non ?

Le testament de Sully de Richard Russo. La Table Ronde / Quai Voltaire, 2025. 550 pages. 24,00 euros.






mercredi 22 janvier 2025

Le Mystère Henri Pick - Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini

À Crozon, au début des années 90, la bibliothèque municipale a créé une section dédiée aux manuscrits refusés par les éditeurs. Trente ans plus tard, Delphine, une éditrice parisienne en vacances chez ses parents, découvre sur une étagère de cette section un roman intitulé : « Les dernières heures d’une histoire d’amour ». Persuadée d’avoir mis la main sur un chef d’œuvre, elle part en quête de son auteur, un certain Henri Pick. Décédé depuis peu, Mr Pick était le pizzaïolo du village. Sa femme, qui ne l’a jamais vu lire et encore moins écrire, peine à croire qu’il était un homme de lettres. Une fois publié, le roman rencontre un incroyable succès. L’histoire semble trop belle et les zones d’ombres sont trop nombreuses, à tel point qu’une partie du public et des médias ne se mettent à douter de sa véracité. Supercherie ou conte de fée ? Un critique littéraire va se lancer dans la résolution du mystère Henri Pick, persuadé de découvrir une vérité bien différente de celle que l’on a vendue aux lecteurs.

Je n’ai pas lu le roman mais j’ai vu le film avec Lucchini, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette adaptation en bande dessinée du texte de David Foenkinos a donc été en quelque sorte une totale découverte. Et plutôt une bonne surprise. On se laisse prendre au jeu, orienter vers des fausses pistes, balloter entre des infos d’une crédibilité douteuse et des éléments tangibles qui restent malgré tout fragiles. Et puis quel plaisir de se plonger dans la réalité du monde de l’édition germanopratin. Il est appréciable également que le récit prenne son temps, qu’il se déploie avec tous les détails nécessaires, sans raccourcis ni accélérations malvenus.

L’italienne Ilaria Tebaldini signe ici sa première BD et le résultat est plus que prometteur. Son trait est souple et dynamique, le choix des couleurs pertinent et le découpage sans fausse note. Un roman graphique qui se lit tout seul et avec plaisir, jusqu’à la résolution finale du mystère Henri Pick !

Le Mystère Henri Pick de Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini (d’après le roman de David Foenkinos). La Boîte à Bulles, 2024. 180 pages. 28,00 euros.   






mercredi 15 janvier 2025

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire

Se nourrir est longtemps resté un besoin primaire. Les habitudes des chasseurs cueilleurs dans ce domaine ont changé avec l’apparition du feu puis de l’agriculture mais il faudra attendre la naissance des civilisations pour que la diversité alimentaire s’intensifie. Dans l’Antiquité les épices dominent, au Moyen-Age, les nobles se gavent de plats lourds et bien trop caloriques pendant que les paysans se contentent de légumes et de céréales. 

C’est grâce à Catherine de Médicis que la gastronomie et les arts de la table vont gagner en raffinement. Louis XIV prend son dîner en public alors qu’après la révolution, les cuisiniers des aristocrates quittent leurs patrons pour ouvrir des restaurants. Paris devient une référence en la matière en Europe, une position qui se renforcera sous Napoléon. C’est à cette époque que naît une autre révolution, celle des conserves, bientôt suivie par le début des chambres froides. Le 19ème siècle voit aussi apparaître les critiques culinaires dans les journaux et le début du 20ème la première édition du guide Michelin. 

Après les privations de la seconde guerre mondiale, les outils de cuisine et la façon de consommer font un saut dans la modernité. Plus tard, les nutritionnistes entrent en guerre contre la malbouffe, la demande de bio et de végétal s’accroît aussi vite que la construction de fastfood. Finalement, chacun choisit son alimentation selon ses goûts et ses moyens. Manger est toujours vital, mais la cuisine est aussi un marqueur culturel pour tous les peuples du monde. Et une source de revenus pour les influenceurs qui en ont fait leur fonds de commerce.

Pas simple de balayer des millénaires d’histoire de la gastronomie. C’est à la fois trop rapide, trop bavard et incomplet. Les auteurs proposent une présentation chronologique, parsemée de portraits des grands noms de la cuisine française. On a malheureusement souvent l’impression de crouler sous des informations dont on peine à faire le tri entre l’essentiel et l’anecdotique. Heureusement, de petites touches d’humour offrent des respirations bienvenues dans la densité du texte. 

Le projet était ambitieux, sa réalisation souffre d’une trop grande volonté d’exhaustivité. Le résultat final en impose mais il aurait sans doute été préférable de scinder cette histoire de la gastronomie en deux tomes pour la rendre plus digeste.

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire. Delcourt, 2024. 160 pages. 25,95 euros.



Toutes les BD de la semaine sont chez Fanny





mercredi 8 janvier 2025

Au chant des grenouilles T2 : Le concours - Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza

Dans l'épisode précédent, on avait laissé les membres du club du samedi chercher LA recette parfaite pour remporter le grand concours de pâtisserie organisé par le village. On retrouve dans ce deuxième tome nos amis animaux déterminés à créer le gâteau qui leur permettra de rafler la mise en respectant les trois contraintes imposées par le règlement : utiliser un légume, trouver un ingrédient provenant d'un arbre qui ne soit pas un fruit classique et ne rien acheter en magasin. Basil le grillon, Fog le corbeau et Vanille la chouette sont fiers de leur réalisation et ne doutent pas un instant que le jury va succomber à leur douceur. Ils ne vont malheureusement pas se tromper, pour leur plus grand malheur !

Particularité de cette série, chaque tome est réalisé par un dessinateur différent. Dans ce deuxième volume, le trait de Jérémie Almanza est moins rond que celui de Florent Sacré mais l’ambiance chaleureuse qui se dégage de l’environnement sylvestre reste présente. Les décors intérieurs sont particulièrement soignés et donnent envie de s’installer au coin de la cheminée sous un plaid pour papoter avec nos héros. L’histoire est simple, linéaire, et les illustrations pleine page permettant de mieux comprendre les mystères de la nature et les secrets de la forêt continuent d’offrir des respirations bienvenues dans le récit. 

Une lecture apaisante. L'intrigue apporte un semblant de mystère qui n'a rien d'anxiogène, ce n'est clairement pas le but. On évolue plutôt ici dans un environnement "doudou" où il fait bons vivre des aventures simples, sans enjeux démesurés. Franchement, ça fait du bien !

Au chant des grenouilles T2 : Le concours de Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza. Oxymore, 2024. 48 pages. 14,95 euros.

Mon avis sur le tome 1 : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/05/au-chant-des-grenouilles-t1-urania-la.html


Les BD de la semaine sont à retrouver chez Blandine








mercredi 1 janvier 2025

Le top de l'année : les romans


De trop rares excellentes lectures cette années mais les trois qui suivent ont vraiment été de magnifiques surprises.  Des vrais coups de cœur, quoi !




De très loin ma meilleure lecture de l’année. Le propos est dense, profond, poétique et engagé. La réflexion d’une incroyable maturité, intime et pudique, sensible et sans faux-semblants. Un petit bijou d’une grande qualité littéraire ! 

Mon avis complet : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/10/dire-babylone-safiya-sinclair.html




Un texte magnifique, une lecture poignante, où le drame ne sombre à aucun moment dans le mélo. Des personnages qui ne s’oublient pas, dans une langue magnifiée par une traduction incroyable. La littérature irlandaise est décidément pleine de ressources.

Mon avis complet : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/08/parfois-le-silence-est-une-priere-billy.html




Encore un roman sur la guerre d’Algérie. Certes, mais celui-ci est au-dessus du lot, proposant un texte choral, épuré à l’extrême, dans une versification libre qui, loin d’être bancale, est d’une grande puissance. A peine 120 pages et une grosse claque !

Mon avis complet : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/09/lappele-guillaume-viry.html