mercredi 2 juillet 2025

Marshal Bass 12 : Crépuscule - Igor Kordey et Darko Macan

Bass a tout perdu à la fin du tome précédent. Sa famille a éclaté en plein vol et le marshal tente de recoller les morceaux, avec un manque de tact ne lui permettant pas de mener sa tâche à bien. Résultat, le 1er shérif noir de l’histoire américaine sombre dans l’alcool et la déprime. Sa route va à nouveau croiser celle du colonel Helena, qu’il pensait mort depuis leur dernière rencontre. Le face à face sera forcément sanglant, Bass ne pouvant tirer sa révérence autrement qu’au son du revolver.

Un final à la hauteur pour cette série ayant connu un rythme de parution plutôt soutenu (12 albums en 8 ans). Tous les personnages sont conviés à ce dernier bal et l’épilogue du voyage de Bass dans l’Amérique de la fin du 19ème siècle s’achève de manière somptueuse. S'appuyant sur sa biographie officielle, les auteurs n’ont cessé de faire de leur shérif un personnage trouble, sombre, plein de contradictions et de failles. Mélangeant réalité et fiction, ils déboulonnent le mythe tout en montrant la réalité crue de l’Amérique de cette époque : violence, traitrise, appât du gain, cruauté et racisme, rien n’est mis sous le tapis mais le ton général de la série, empreint d’une bonne dose d’humour, d’ironie et de cynisme, évite l’écueil du propos historique trop “scolaire”. Le dessin de Darko Macan n’a cessé de progresser au fil des tomes, tout comme la solidité du scénario d’Igor Kordey. Une vraie bonne série de western qui mérite largement de figurer parmi les incontournables du genre.

Marshal Bass T12 : Crépuscule d'Igor Kordey et Darko Macan. Delcourt, 2025. 55 pages. 15,95 euros



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lundi 30 juin 2025

La sieste assassinée - Philippe Delerm

Un recueil de chroniques courtes, qui observent les petits riens du quotidien. Des micro-nouvelles à la Delerm, c’est à dire oscillant entre nostalgie et ironie. On y parle de regarder Roland-Garros à la télé, de descendre les poubelles, d’un rendez-vous chez le coiffeur ou chez le dentiste, du plaisir d’aller sur la plage en fin de journée quand tout le monde la quitte, d’une cueillette de champignons et de la poêlée qui va suivre ou encore de la façon de manger un artichaut. Juste trois fois rien, juste une observation du petit monde qui nous entoure, sans grands drames ni grands enjeux.

Résultat ? Bof. Un éloge de la lenteur et d’une certaine forme d’oisiveté qui a tendance a tomber très rapidement dans l’anecdotique. Un ou deux textes surnagent mais l’ensemble est plutôt à classer dans la catégorie « aussi vite lu qu’oublié ». Les références du début des années 2000 semblent déjà datées, Delerm le boomer parle du temps qui passe, de l’évolution de la société et des petits bonheur perdus sur un air de « c’était mieux avant » qui m’a laissé de marbre. Un exercice de style certes maîtrisé mais aussi futile qu’inutile.

La sieste assassinée de Philippe Delerm. Folio, 2005. 95 pages. 6,50 euros



mercredi 25 juin 2025

La fabrique des insurgées : 1869, la première grève d'ouvrières - Bruno Loth

Années 1860. Adélaïde et Camille, deux amies, quittent l’Ardèche pour devenir ovalistes (ouvrière de la soie) dans une usine lyonnaise. Adelaïde succombe aux cadences infernales imposées par les patrons quelques mois après son arrivée alors que Camille finit par trouver sa place au milieu de ses compagnes de labeur. Elle est par la suite rejointe par ses jeunes frères et sœurs, eux aussi soumis à des conditions de travail inhumaines. Ne supportant plus les salaires ridicules, les horaires à rallonge et les violences (y compris sexuelles) des contremaîtres, les ouvrières décident d’écrire au préfet pour obtenir des avancées sociales et professionnelles. Devant le silence de ce dernier, elles n’ont d’autre choix que de se mettre en grève.

Après la grève des sardinièresbretonnes en 1924, me voilà à nouveau plongé dans un mouvement ouvrier porté par des femmes, cette fois-ci à Lyon en 1869. Ce one shot forcément militant se veut un hommage à une lutte féministe à laquelle peu d’historiens se sont intéressés. Le propos est très documenté, hyper rigoureux et fidèle à la réalité en ce qui concerne le déroulé des événements. C’est évidemment enrichissant d’un point de vue historique mais trop sage au niveau de la narration. Ce côté didactique (presque scolaire) ne permet pas de réellement s’attacher à ces femmes en lutte. Par contre les aspects sociaux sont passionnants. Il est par exemple intéressant de constater à quel point les syndicats, censés défendre les ouvrières, n’ont pu se défaire d’une vision patriarcale du travail et du rapport de force entre les grévistes et les patrons. Ou encore de voir que ces femmes n’ayant pas eu accès à la moindre instruction sont incapables d’écrire une lettre officielle et doivent engager un homme pour rédiger leur missive au préfet.

La toute première grève féminine de l’histoire de France aura duré moins d’un mois et n’aura pas accouché de grandes avancées sociales. Il n’empêche, cette page d'histoire de la lutte sociale émanant d’ouvrières méritait d’être davantage portée à la connaissance du public. C’est chose faite grâce au travail minutieux et engagé d’un Bruno Loth au meilleur de sa forme graphiquement parlant.

La fabrique des insurgées : 1869, la première grève d'ouvrières de Bruno Loth. Delcourt, 2025. 130 pages. 20,50 euros.


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mercredi 18 juin 2025

Fire Punch T1 (édition double) - Tatsuki Fujimoto

Dans un monde post-apocalyptique ravagé par une nouvelle période glacière, certains humains ont développé des pouvoirs particuliers. Agni et Luna, un frère et une sœur, ont par exemple la capacité de se régénérer. Grâce à ce don, ils nourrissent les habitants de leur village en se coupant des membres qu’ils leur offrent à manger. Jusqu'au jour où une armée menée par le redoutable Doma, maître des flammes, assassine tous les villageois, laissant Agni comme seul survivant. Ce dernier, devant dorénavant supporter le feu qui embrase son corps en continu sans jamais le tuer, n’a plus qu’un seul but dans la vie : venger la mort de sa sœur. 

Un premier volume dérangeant et malsain. La vengeance en est le fil conducteur mais la liberté que s’offre Fujimoto dans la narration oriente le récit vers des thématiques moins basiques telles que la religion ou la morale. Rien ne semble tracé d’avance, l’histoire est tout sauf linéaire, les virages, revirements, accélération et coups de frein s’enchaînent sans pour autant que l’on perde le fil. L’aspect psychologique est aussi très présent, comme la réflexion presque philosophique menée autour de la souffrance. L’ensemble est donc très riche, très violent, très sombre, en somme fort éloigné des marqueurs habituels du shonen. Pas étonnant quand on connait l’auteur et sa propension à casser les codes.

Une édition double de plus de 400 pages qui, au final, condensera l'ensemble de la série en quatre volumes seulement. Les deux premiers sont déjà sortis, le troisième arrive en juillet. Ravi de me dire qu'il ne faudra pas longtemps pour connaître la fin de l'histoire d'Agni !

Fire Punch T1 (édition double) de Tatsuki Fujimoto. Crunchyroll, 2025. 420 pages. 13,30 euros.









vendredi 6 juin 2025

Prisonnière du désert - Sandrine Beau

Savannah se réveille enterrée vivante dans le désert australien. Elle se souvient, avant le trou noir, qu’elle traversait l’Outback avec son père dans un van aménagé. Peu à peu la mémoire lui revient. Elle voit un homme accroché à la porte du véhicule, une barre de fer à la main… et puis plus rien. Après de nombreuses gesticulations, elle parvient à s’extraire de sa prison de sable. Son père est à ses côtés, inconscient. Et le van a évidemment disparu. Dans cet environnement hostile où le danger est partout, la jeune fille ne peut compter que sur elle-même pour s’en sortir… 

Le moins que l’on puisse dire c’est que Sandrine Beau ne ménage pas sa jeune héroïne. En même temps difficile de faire autrement si l’on veut être crédible et réaliste en laissant des personnages seuls et sans ressources au milieu d’un désert écrasé par le soleil. La faim, la soif, la chaleur, les serpents, les scorpions et autres animaux sauvages peu ragoutants sont au menu de l’épopée que va vivre Savannah. Une jeune fille à la fois forte et fragile, pleine d’abnégation et d’une volonté de fer malgré les éléments contraires. On suit ses hauts et ses bas, ses peurs, sa résignation, ses sursauts d’espoir, son apprentissage forcé de la survie en milieu hostile. Au passage l’autrice aborde avec finesse le sujet du harcèlement scolaire en revenant sur le passé de la jeune fille.

Un roman jeunesse sans temps mort, qui remplit à merveille son rôle de page turner tout en dressant le portrait d’une ado hyper attachante. Que du bon quoi !

Prisonnière du désert de Sandrine Beau. Alice, 2025. 205 pages. 14,00 euros. A partir de 13 ans.


mercredi 4 juin 2025

Fuck ze tourists - Maltaite et Zidrou

Ah ils sont beaux les touristes du dimanche ! À Venise, au pied des pyramides mayas, sur les plages d’Italie pour voir s’échouer des migrants, pendant les safaris photos ou en visitant un camp de concentration, force est de constater que les comportements inappropriés sont devenus la norme. Profiter du paysage ? Enrichir sa culture ? Être ému par l’héritage historique d’un lieu ? On n’est pas là pour ça, voyons. Le but est de tout faire, très vite, comme tout le monde, et de poster sur les réseaux, toujours plus vite, pour récolter like et commentaires ébahis. Toujours paraître plutôt qu’être, tout ramener à soi et ne jamais se poser de question, c’est simple d’être un touriste aujourd’hui...

Un album sans pitié pour les touristes, moutons décérébrés qui suivent le troupeau, qui prennent la pose comme tout le monde, mêmes endroits, même angle de vue, même selfie pour inonder les réseaux d’un bonheur de façade, créer une illusion et fuir la réalité. Bien sûr Zidrou force le trait, il chausse ses gros sabots pour dénoncer les ravages du surtourisme, montrant l’égoïsme des voyageurs et la résistance des locaux. Des voyageurs qu’il s’amuse à malmener et à ridiculiser de façon forcément caricaturale et, en même temps, avec (malheureusement) une évidente part de réalisme. C’est drôle, méchant et plutôt bien vu, tant pis pour ceux qui se reconnaîtront dans certaines situations !

Fuck ze tourists de Zidrou et Éric Maltaite. Fluide Glacial, 2025. 55 pages. 13,90 euros




lundi 2 juin 2025

34m² - Louise Mey

C’est une journée agréable qui s’annonce pour Juliette. Sa fille vient de faire sa première nuit complète, elle va pouvoir déjeuner et prendre une douche sans avoir besoin de s’interrompre pour calmer ses pleurs. Un peu de ménage, quelques courses et la visite quotidienne de sa voisine Clare sont au programme, une sorte de routine qui convient parfaitement à cette maman ayant fait un bébé toute seule. La sonnerie retentit, Clare est ponctuelle, comme chaque matin. Mais quand Juliette ouvre la porte, c’est face à lui qu’elle se retrouve. Celui qu’elle pensait disparu de sa vie à tout jamais. Son pire cauchemar.

Outch ! Difficile de qualifier autrement ce texte coup de poing hyper déstabilisant. Louise Mey laisse la tempête à venir s’installer dans le plus grand calme. Le début est une mer d’huile, sans vague ni vent. Un quotidien tranquille et serein, même si on se doute que Juliette a un lourd passé. Et puis la porte s’ouvre et l’enfer commence. Sans bruit ni explosion de violence, tout se joue dans la tête de Juliette. Incroyable de constater à quel point l’autrice parvient à traduire l’état d’esprit de son personnage, à quel point elle décrit le flot continu de ses pensées dans un mouvement parfait mêlant terreur, lucidité, colère et résignation. Le résultat est d’un réalisme sidérant qui tord les tripes et pousse l’angoisse à son paroxysme. Une lecture aussi effrayante qu’indispensable.

34m² de Louise Mey. Éditions du Masque, 2025. 140 pages. 14,90 euros.


mardi 27 mai 2025

Toxique - Matthias Bourdelier

Pervers narcissique, harceleur, passif-agressif, ghosteur, zéro rep, faux romantique, dominateur ou manipulateur compulsif… la diversité des comportements toxiques semble (malheureusement) infinie. À travers une série d’histoire courtes, Matthias Bourdelier met en scène des situations toxiques traitées de façon humoristique. Relations amoureuses, sexuelles, sociales ou amicales, famille, travail, politique, tout y passe, entre absurde et réalisme.

Beaucoup de cynisme dans chaque histoire, une volonté d’appuyer là où ça fait mal, de décrire des situations du quotidien qui exposent la mécanique toxique avec une indiscutable limpidité. Les scénettes se limitent pour la plupart à des conversations entre deux protagonistes. C’est souvent très bavard mais au moins chacun peut développer son argumentaire (et dévoiler d’autant plus sa nature toxique). Le prisme de l’humour et de l’absurde permet une certaine mise à distance par rapport au sujet, même si les comportements inappropriés sautent aux yeux du lecteur sans ambiguïté. 


Niveau dessin, on est clairement dans la veine de Fabcaro et Emmanuel Reuzé qui, esthétiquement, se révèle parfaite pour une telle forme d’humour et un tel format (petit livre carré).

Un recueil foisonnant, qui a le mérite d’aborder un sujet grave sous un angle décalé où le second degré règne en maître.

Toxique de Matthias Bourdelier. Expé éditions, 2025. 145 pages. 17,95 euros. 




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lundi 26 mai 2025

L’envers de la girafe - Pascal Dessaint

Gaspard est chargé de la télésurveillance d’un quartier de Toulouse. Lucas est passionné par les girafes et ne supporte plus sa mère grabataire. Zélie l’écolo observe avec rage les bûcherons élaguer les arbres qu’elle admire depuis son balcon, sous le regard inquiet de son compagnon Pierre, expert dans le transport de produits dangereux. Ahmed l’élagueur fait son job sans se poser de question, et tant pis si Zélie le traite de tous les noms. L’homme à la craie, lui, dresse l’inventaire des fleurs de bétons qui poussent au bord des trottoirs et dans les fissures des maisons. Son voisin, obsédé par les pelouses tondues au millimètre, ne supporte pas qu’il laisse son jardin ressembler à une forêt vierge. Autant de personnages qui vont se croiser de plus ou moins près, et sûrement pas pour le meilleur…

Un roman choral à la sauce Dessaint, c’est l’assurance de naviguer en eaux troubles. Personnages loufoques, situation inattendues, tension qui monte crescendo et final pour le mois surprenant, difficile de ne pas se laisser embarquer dans ce tourbillon tragi-comique. Ils sont tellement touchants ces bras-cassés aux combats dérisoires, chercheurs de bonheur illusoire. Les marqueurs de l’œuvre de Dessaint sont évidemment présents, entre solitude, marginalité et humanité. Et comme d’habitude, le fond du récit se double d’une maîtrise narrative ne souffrant d’aucune fausse note. Malicieux, culotté et cruel, cet envers de la girafe m’a permis de retrouver avec plaisir un auteur que j’apprécie particulièrement !

L’envers de la girafe de Pascal Dessaint. Rivages, 2025. 205 pages. 20,00 euros.



mercredi 21 mai 2025

Plus loin qu’ailleurs - Chabouté

« J’ai rêvé de partir, j’ai été contraint de rester… Alors je suis parti en restant. J’ai voulu les quatre coins du monde, j’ai eu les quatre coins de la rue… »

Il est veilleur de nuit dans un parking. Vingt ans qu’il n’est pas parti en vacances, qu’il se lève quand tout le monde se couche, qu’il se couche quand tout me monde se lève. Il n’a jamais vu la tête de ses voisins, n’a jamais dit bonjour à son facteur. Jamais de lumière dans sa vie, à part celle d’une ampoule électrique. Une vie de hibou qui va bientôt connaître une parenthèse enchantée, en Alaska. Quinze jours dans le Klondike, sur les traces des chercheurs d’or du 19ème siècle. La nature sauvage à perte de vue, de quoi en prendre plein les yeux…

Chabouté fait du Chabouté et c’est parfait comme ça ! Un noir et blanc intense et profond, une science du cadrage époustouflante, l’incroyable expressivité des visages, des silences qui en disent bien plus que de longs discours. Et toujours ces variations sur la solitude, l’attention portée à ce qui nous entoure, ces détails insignifiants tellement porteurs de sens pour qui sait les observer. Notre homme s’attarde sur des petits riens, des éléments de décor, des déchets sur le sol, des personnes qu’il ne fait que croiser mais dont il analyse chaque mouvement. Il compile ses notes dans un carnet de voyage merveilleusement poétique. Et puis quoi d’autre ? Eh bien rien de plus. Juste une petite musique qui nous emporte avec douceur et humanité, qui nous pousse à la réflexion sur le quotidien et sa routine aveuglante. 

Qu’il est bon de lire une histoire simple et positive, déroulée avec la maîtrise envoutante qui caractérise l’auteur de Fables amères. Tout en sensibilité, sans un mot ou une image de trop, il fait de l’insignifiant un récit aussi apaisant que passionnant. Chapeau bas monsieur Chabouté !

Plus loin qu’ailleurs de Chabouté. Vents d’Ouest, 2025. 150 pages. 24,00 euros.  


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Noukette



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mercredi 14 mai 2025

Les vacances chez pépé-mémé - Guillaume Bouzard

Tout est dans le titre !
En vacances chez pépé-mémé, on s’attache à des animaux qui vont finir dans notre assiette ou en charpie sous les roues du tracteur, on profite du grand air et des toilettes au fond du jardin, on ne fait pas un drame au moindre bobo et on doit composer avec des voisins francs du collier. En plus pépé-mémé n’ont pas beaucoup de temps à accorder à leurs petits-enfants et quand ils acceptent de jouer avec eux, c’est pour tricher à la belotte. Bref, quand on va à la campagne chez Fernand et Colette, les vacances s’annoncent forcément inoubliables, même si la liberté accordée ne se conjugue pas forcément avec le bonheur assuré.

Un album de Bouzard, ça ne se refuse pas. Comme d’habitude, l’auteur de Jolly Jumper ne répond plus a composé une galerie de personnages hilarants. Les grands-parents bien sûr mais aussi le petit Ethan qui enchaîne « les accidents », Paulo le libidineux ou Marie-Claude la commère, tous participent à leur façon au grand n’importe quoi de cet album sans filtre. L’humour est noir, trash, irrévérencieux, parfois très « pipi/caca » et les enfants, maltraités par mère-nature, sont plus souvent rabroués que consolés par leurs aïeux.

Amateurs de finesse et de bon goût, passez votre chemin. Chez pépé-mémé, on rit gras et on ne s’en prive pas. Franchement, ça fait du bien de piétiner à ce point le politiquement correct. D’ailleurs, il y a longtemps que je n’avais pas autant rigolé en lisant une BD !

Les vacances chez pépé-mémé de Guillaume Bouzard. Fluide glacial, 2025. 55 pages. 14,90 euros.



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mercredi 7 mai 2025

Shinkirari : Derrière le rideau, la liberté - Murasaki Yamada

On ne connaît pas son prénom. On sait juste qu’elle est mariée et qu’elle a deux enfants. Son quotidien de femme au foyer se résume le plus souvent à s’occuper du ménage et de sa progéniture, tout en étant au service de son mari dès que celui-ci franchit le seuil de la porte. On la suit pas à pas dans ses colères, sa fatigue, sa charge mentale, ses petits moments de bonheur aussi, parce que le tableau plutôt sombre de sa vie s’éclaire parfois de touches de lumière. Trente-six chapitres en tout, autant de petits rien semés sur le chemin d’une existence dédiée au service des autres avant de penser à soi-même.

Murasaki Yamada, décédée à 60 ans en 2009, est une icône du manga alternatif, adulée notamment par Hayao Miyazaki. Ce recueil regroupe des histoires courtes publiées entre 1981 et 1984, histoires qui oscillent entre deux formes de relations, celle que l’héroïne entretient avec ses enfants et celle qu’elle entretient avec son mari. Mais au final, le sujet central du manga reste la relation fondamentale qu’elle entretient avec elle-même et la façon dont elle juge sa vie de femme au foyer, à la fois éprise de liberté et incapable de s’imaginer très longtemps loin des siens. Une sorte d’autofiction avant l’heure puisque Murumada était elle aussi maman de deux jeunes enfants au début des années 80 et qu’elle vivait dans un appartement identique à celui de son héroïne. Graphiquement le trait est minimaliste, parfois proche de l’illustration de mode. Une forme d’épure et d’abstraction se dégage de sa mise en scène, où les décors restent très peu présents. Un choix esthétique à la fois déstabilisant et plein de charme.

Plus de quarante ans après sa publication, Shinkirari reste une œuvre inclassable, dénonçant tout en délicatesse le patriarcat et dressant avec subtilité, poésie et mélancolie, le portrait touchant d’une femme japonaise sur le chemin de l’émancipation. 

Shinkirari : Derrière le rideau, la liberté de Murasaki Yamada (traduit du japonais par Sara Correia). Kana, 2024. 380 pages. 18,95 euros.







lundi 5 mai 2025

Bastion - Jacky Schwartzmann

Jean-Marc, célibataire nouvellement retraité, profite de la vie lyonnaise à son rythme, sans prise de tête. En tout cas jusqu’au jour où il apprend que son meilleur ami Bernard s’est engagé dans l’équipe de campagne d’Éric Zemmour en vue de la présidentielle. Inquiet pour son copain, Jean-Marc décide de se joindre à lui pour récolter des parrainages. Il n’a certes aucune affinité pour le candidat d’extrême droite mais il ne voit pas de meilleure façon de protéger celui qu’il considère comme son frère. Problème, une fois à l’intérieur de la mouvance zemourienne, Jean-Marc découvre que la branche lyonnaise du parti prévoit des actions d’éclat risquant de mettre en péril la république.

Un pauvre retraité n’ayant rien demandé qui se retrouve associé à des activités criminelles, c’est typiquement le genre de personnage que Jacky Schwartzmann adore mettre en scène. Il ajoute ici une dimension politique en plongeant au cœur de l’ultra-droite lyonnaise. Ce faisant, il décortique avec une précision chirurgicale le fonctionnement d’une telle mouvance et en profite pour dresser, à sa façon unique, les portraits de bras cassés allant du supporter de foot à l’amateur de grosses voitures en passant par l’entrepreneur véreux et le flic ripoux. Le résultat est savoureux, plein de gouaille, sans langue de bois et ponctué de saillies à l’encontre des politiques de tous bords qui font mouche par leur limpide pertinence.

L’auteur de l’inoubliable Mauvais coûts garde une tendresse particulière pour les petites mains, qui agissent sans véritablement appréhender les tenants et les aboutissants de leurs actes. Aucune pitié par contre envers les donneurs d’ordre et les idéologues purs et durs dont le but est clairement de renverser la démocratie pour instaurer une autocratie réactionnaire, raciste et homophobes, entre autres joyeusetés. Bref, du Jacky Schwartzmann pur jus qui me réconcilie avec un auteur dont les dernières publications avaient parfois peiné à me convaincre.

Bastion de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2025. 300 pages. 19.90 euros.




mercredi 30 avril 2025

La terre verte - Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle

Et si Richard III n’était pas mort à la fin de la pièce éponyme de Shakespeare. Et s’il était devenu un mercenaire en route pour le Groënland avec un évêque de Rome dépêché sur place pour remettre les rares habitants de cette terre désolée sur le chemin de Dieu. Et si, tel un impitoyable Machiavel, il avait œuvré pour devenir l’indiscutable monarque de ce royaume gelé. Et si, du coup, Donald Trump n’était qu’un vil copieur avec son ambition d’annexer le Groënland. Avec tous ces si (sauf le dernier, puisque l’album a été réalisé avant l’élection américaine), Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle ont imaginé une histoire d’une profondeur et d’une puissance exceptionnelles, tout simplement la meilleure BD que j’ai lue depuis très longtemps.

Déjà, coup de chapeau à l’éditeur pour avoir décidé de publier cette saga de près de 300 pages en un seul volume alors qu’il aurait sans doute été plus lucratif de la sortir sous forme de trilogie. Dans ce one shot aussi dense qu’intense, les auteurs prennent le temps de développer leur intrigue. L’arrivée dans l’ancienne colonie viking, les conditions de vie extrêmes, les rouages politiques de cette micro communauté, la peur des autochtones, la prise de pouvoir par l’évêque puis son éviction par Richard et enfin l’avènement puis la chute de ce dernier, tout est décrit avec une maîtrise narrative qui force l’admiration.

Les complots se multiplient, la violence surgit, le bruit et la fureur précèdent la pure folie, c’est limpide, imparable, finalement très moderne et universel tant les manigances politiques, la vanité et la soif de pouvoir restent d’une dramatique actualité. Et puis quelle incarnation hallucinée d’un Richard III diabolique et manipulateur. Les dialogues sont ciselés, le dessin puissant, le rythme parfait, non, vraiment, cette tragédie en cinq actes, tellement ambitieuse, est proche de la perfection !

La terre verte d’Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle. Delcourt, 2025. 260 pages. 34,95 euros.









lundi 28 avril 2025

Sadie à Brides-les-Bains - Susie Morgenstern

Sadie, fondatrice et directrice d’une prestigieuse école maternelle privée du New-Jersey, décide de prendre des vacances estivales en France. Son but ? Perdre du poids. Direction Brides-les-Bains, une station thermale de Savoie où elle va suivre une cure d’amaigrissement drastique. Pour elle qui n’a jamais quitté les États-Unis, la découverte des français est un choc culturel. Et son quotidien, au milieu de personnes en surpoids comme elle, pas de tout repos. Heureusement quelques rencontres vont illuminer son séjour, notamment celles d’un mystérieux français et d’un compatriote au physique peu avenant mais d’une irrésistible gentillesse.

Je me réjouissais de découvrir le premier roman « adulte » de Susie Morgenstern, une autrice jeunesse que j’apprécie beaucoup, j’ai vite déchanté. Pourtant je partais sans aucun préjugé face à cette couverture criarde et la promesse d’une comédie romantique très éloignée de mes lectures habituelles. Mais au final je ne n’ai rien trouvé à sauver de ce texte sans relief. Le personnage principal n’attire aucune empathie et Susie Morgenstern enfile les clichés comme des perles. Le français est charmeur et volage, la française aussi jalouse que traitre, l’américain obèse et bienveillant. Tout est cousu de fil blanc, il n’y a aucune surprise, on sait d’avance comment cela va se terminer et on finit par s’ennuyer ferme tout en se sentant mal à l’aise face à une grossophobie ambiante dont on se demande s’il faut la prendre au premier ou au second degré.

Bref, c’est cucul, c’est gnangnan, c’est prévisible, ça manque d’humour, d’autodérision et de légèreté, en somme tout ce que j’attendais d’une lecture de vacances printanières. J’aurais adoré adorer mais c’est malheureusement un gros raté.

Sadie à Brides-les-Bains de Susie Morgenstern. Eyrolles, 2025. 310 pages. 17,90 euros.






jeudi 3 avril 2025

Sur la touche - Karen Viggers

Le roman s’ouvre avec l’arrivée d’une ambulance sur un terrain de football amateur australien. Apparemment une agression a eu lieu, on ne sait pas comment ni pourquoi. On sait juste qu’un joueur est allongé sur le sol et que sa mâchoire est fracassée. On rembobine ensuite neuf mois plus tôt pour faire la rencontre de Jonica, une mère de famille dont les jumeaux ados jouent dans une équipe de foot mixte. Alex le garçon et Audrey la fille sont mis sous pression par leur père, avocat et ancien joueur, qui voit en eux de futurs champions. Puis on découvre Carmen, maman de Katerina, l’autre fille de l’équipe. Au fil des chapitres on entre dans les pensées des parents et de leur progéniture, pour découvrir à quel point des enjeux extra-sportifs viennent pourrir une activité qui ne devrait pourtant rester qu’un simple loisir. Et on finit par comprendre comment les événements se sont enchaînés pour aboutir à l’arrivée de l’ambulance un jour de match.

La réflexion menée sur l’implication trop importante des parents dans les clubs de foot, sur et en dehors du terrain, est intéressante et présentée de manière plutôt réaliste. Tout comme les réactions des enfants, leur passage à l’adolescence qui fait évoluer leurs centres d’intérêt, quitte à les éloigner des occupations qu’ils adoraient étant plus jeunes. Karen Viggers jongle avec aisance entre ses protagonistes mais son propos est souvent aussi simpliste que caricatural. Même la question du harcèlement, abordée frontalement, se règle d’un claquement de doigt et transforme le coupable en agneau une fois ses agissements démasqués. 

Bref, l’autrice du best-seller La mémoire des embruns est, quelque part, tombée dans la facilité alors que le sujet aurait pu se prêter à bien plus de finesse et de nuances. Dernier point négatif, la platitude de son écriture, noyée dans un océan de dialogues aussi creux que dispensables. Vraiment pas une réussite.

Sur la touche de Karen Viggers (traduit de l’anglais par Aude Carlier). Les Escales, 2025. 360 pages. 23,00 euros.





mercredi 26 mars 2025

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu - Léna Merhej et Sélim Nassib

Le Liban au début des années 70 est une mosaïque de communautés vivant en paix les unes à côté des autres. A Beyrouth, dans la rue Rizkallah, on trouve des chrétiens maronites, des juifs, des Chiites, des arméniens, des filles grecques, turques et égyptiennes travaillant dans les cabarets du front de mer. Épiciers, coiffeur, boulanger, menuisier et teinturier vivent en bonne entente, sans se mélanger. Tout le monde se connaît mais personne ne se voit vraiment. Les relations se limitent à la famille et aux lieux de culte. On ne se soucie pas des autres, ils font partie du décor, de la vie du quartier, on s’accepte sans se poser de question. C’est le génie de Beyrouth, « faire tenir ensemble ce qui ne devrait pas ». Jusqu’au jour où les palestiniens réfugiés au Liban prennent les armes pour provoquer Israël, le pays qui les a chassés de leur terre. L’armée libanaise veut mater les provocateurs pour éviter l’extension des combats sur son territoire mais les musulmans du pays se joignent à leurs frères palestiniens. En réponse, la population chrétienne crée des milices pour ne pas se laisser marcher dessus. C’est le début d’une guerre civile qui durera plus de quinze ans, entre 1975 et 1990.

Dans la rue Rizkallah, l’entente cordiale n’a plus cours. On se méfie du voisin, on espionne, on s’interroge. Et quand les combats ravagent le centre-ville, l’artère pleine de vie se vide petit à petit, de ses commerces et de sa population. Léna Merhej et Sélim Nassib racontent l’évolution des relations entre les habitants, le malaise, d’abord insidieux, prend une dimension concrète lorsque la guerre devient une réalité palpable pour tous. Le propos est aussi historique qu’instructif, il montre, à une échelle très locale, un phénomène qui a touché la société libanaise dans sa globalité et a signé la fin du vivre ensemble. La confrontation des personnages avec la guerre n’est pas frontale, ça reste finalement assez doux et bienveillant, donnant à l’album un charme particulier et indéfinissable.

Ce premier tome d’une trilogie se veut plus nostalgique que politique, plus mélancolique qu’engagé, autant pour se souvenir des temps heureux que pour signifier une forme d’évidence : oui, c’était mieux avant. 

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu de Léna Merhej et Sélim Nassib. Dargaud, 2025. 130 pages. 22,95 euros.










lundi 24 mars 2025

Les mémoires de la forêt T4 : La saison des adieux - Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe

Voilà, ça y est, j’ai fini les mémoires de la forêt. Quatre tomes avalés en quelques semaines, ce fut un vrai plaisir de parcourir en long et en large les sentiers de Bellécorce, de prendre le train vers le Grand Nord, de saliver devant les tonnes de pâtisseries englouties et de vivre tant d’événements marquants au fil des aventures de la famille Renard. Je persiste à penser que, sous ses airs enfantins (anthropomorphisme, décor sylvestre, illustrations douces et enchanteresses), cette série est davantage destinée aux adultes qu’aux enfants, c’est sans doute pour cela que j’y ai autant trouvé mon compte.

Dans ce dernier volume, alors que le village s’apprête à fêter en grandes pompes les quatre-vingts ans de la librairie de Bellécorce, l’arbre qui l’abrite est frappé par le croquebois, une maladie incurable rongeant ses branches et son tronc. Pour le jeune Ernest Renard, la disparition du chêne signifierait perdre à tout jamais les derniers souvenirs de sa maman Anouchka, morte quelques années plus tôt. Son seul espoir ? Trouver l'arbre des souhaits, un pommier magique censé accomplir des miracles.

Une conclusion pleine de mélancolie et de nostalgie. On retrouve les protagonistes 25 ans après les événements du précédent. Bartholomé a pris la succession de la librairie, il est devenu père et c’est son fils Ernest qui part à l’aventure avec une petite taupe qui lui sera d’un grand secours pendant son périple. C’est clairement l’histoire la plus triste de la série, l’ambiance est sombre du début à la fin, il y a moins d’humour et les lieux visités font moins rêver. Pour autant, c’est toujours très fin au niveau de la psychologie des personnages, pétri de bienveillance et bourré de sucreries qui mettent l’eau à la bouche. Une conclusion à la hauteur de cet univers hyper touchant dans lequel Mickaël Brun-Arnaud n’a pas eu peur d’aborder des thématiques “pesantes” comme le deuil, la maladie où les violences intra-familiales avec une finesse et une intelligence qui forcent le respect et l’admiration.

Les mémoires de la forêt T4 : La saison des adieux de Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe. L’école des Loisirs, 2024. 330 pages. 15,50 euros. A partir de 9-10 ans





mercredi 19 mars 2025

L'adoption T5 : Le sourire du plombier - Zidrou et Arno Monin

L’album s’ouvre sur la mort du père. Un papa poule qui a élevé ses trois filles après le décès de sa femme. Sur les trois enfants, une seule est sortie du ventre de sa mère. Les deux autres ont été adoptées. Mais peu importe les liens du sang, elles ont toujours été des sœurs fusionnelles. La disparition de leur papa ravive les souvenirs. Avec elles nous replongeons dans leur passé. Quand maman était là, passionnée de littérature, nulle en cuisine mais toujours prête à leur lire les aventures de Fifi Brindacier. Et après sa mort, quand Papa a tout assumé, sans jamais se départir de sa bonne humeur, prêt à tous les sacrifices pour rendre la vie plus douce en dépit des épreuves à affronter.

Un album plein d’ondes positives malgré le deuil qui reste un sujet central. Contrairement aux autres opus de la série, on a ici affaire à un one shot et pas à un diptyque. Et contrairement aux autres opus de la série, l’adoption est vue comme un élément du passé et non comme le présent des protagonistes. Franchement, j’ai adoré cette histoire qui serre le cœur et en même temps donne le sourire. Zidrou revient à l’esprit des Beaux étés je trouve, ce mélange entre légèreté et gravité, cette volonté de laisser la lumière prendre le pas sur l’ombre, magnifiée par le dessin hyper expressif et tout en souplesse d’Arno Monin, qui prend parfois des faux airs de Jordi Lafebre.

Une lecture qui met du baume au cœur sans pathos ni nunucherie. La construction du récit est limpide, imparable. Une masterclass !

L'adoption T5 : Le sourire du plombier de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2024. 70 pages. 16,90 euros









lundi 17 mars 2025

La dame de ses pensées : lettres érotiques - Cécilia Dutter

Ce bouquin, je l’ai trouvé dans une boîte à livres. Le sous-titre « Lettres érotiques » m’a évidemment intrigué. La forme épistolaire aussi, assurance d’une lecture courte qui ne me ferait pas trop perdre mon temps si l’histoire et l’écriture venaient à tourner au fiasco. 

La première lettre est l’œuvre d’Edouard, un avocat parisien tombé fou amoureux d’une amie de sa femme. C’est évidemment à elle qu’il écrit. Elle s’appelle Alice, est psychologue, a vingt ans de moins que lui et n’est pas prête à recevoir ses missives enflammées. Elle l’envoie donc sur les roses sans prendre de gants mais il persévère. Elle se moque des scénarios qu’il élabore pour la séduire, lui répond qu’il s’y prend comme un manche et lui explique comment il pourrait corriger le tir. Edouard va alors commencer à respecter les consignes. Et petit à petit Alice va se prendre au jeu. Au point de devenir la plus entreprenante des deux.

Un roman épistolaire bourgeois, un peu suranné, à la prose chic et précieuse. On aurait pu tomber dans le ridicule absolu mais ce n’est pas du tout le cas. On n’est certes pas au niveau des Liaisons dangereuses mais le côté désuet est plein de charme, au point qu’on finit par se passionner pour la relation entre cet homme et cette femme, pour les atermoiements de l’avocat et la force tranquille de la psy, pour l’évolution de leurs points de vue respectifs et le réalisme des changements qui s’opèrent en eux au fil de leurs échanges. C’est fin, bien mené, sans jamais forcer le trait ou l’allure. La chute est inattendue, en tout cas je ne l’avais pas vue venir. Niveau érotique, tout est dans la suggestion, pas de gros sabots et aucune vulgarité, ça reste chic et précieux jusqu’au bout. Un texte de “boomer”, tellement pas à la mode qu’il ne pouvait que me plaire !

La dame de ses pensées : lettres érotiques de Cécilia Dutter. Ramsay, 2008. 150 pages. 15,50 euros.

PS : si j'ai bien compris, ce roman épistolaire a été réédité chez Milady sous le titre "Cher Alice" en 2016. Après, je ne sais pas si le texte a été remanié ("modernisé") pour l'occasion.





lundi 10 mars 2025

Le clan des Brumes 2 : Les héritiers - Antonio Pérez Henares

Alors que le paléolithique touche à sa fin et qu'apparaît la révolution néolithique qui bouleverse le cours de l'humanité, deux jeunes hommes du clan des brumes, le fils de l'Aigrette et l'Archer, se lancent dans une aventure initiatique. Leur voyage les mène des montagnes du cœur de l’Espagne jusqu'à la mer. Ils découvrent de nouvelles tribus, leurs coutumes et leurs techniques.

Une fiction préhistorique hyper réaliste, didactique, vulgarisatrice et captivante. On est à un moment charnière, ce moment de bascule du paléolithique vers le néolithique où cro-magnon vit ses derniers moments de cohabitations avec des néanderthaliens sur le point de disparaître définitivement. Les hommes se sédentarisent, ils cultivent des céréales et élèvent du bétail, abandonnant peu à peu leur profil “unidimensionnel” de chasseur-cueilleur. Un changement religieux et sociétal s’engage également. La déesse mère est peu à peu abandonnée au profit de figures divines masculines. Le patriarcat fait ses premiers pas, la place égalitaire, voire supérieure, de la femme par rapport aux hommes commence à être remise en cause. Nos deux héros découvrent d’autres peuples, ils s’ouvrent au monde, sont confrontés à la violence, découvrent la sexualité et l’amour. Les éléments historico-scientifiques sont amenés avec fluidité au fil du récit, rien n’est forcé, ça reste un roman avant tout. Et un roman passionnant à tous points de vue.

Le clan des Brumes 2 : Les héritiers d’Antonio Pérez Henares (traduit de l’espagnol par Anne-Carole Grillot). Hervé Chopin éditions, 2024. 245 pages. 21,50 euros.

mercredi 5 mars 2025

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... - Matt Kindt et Dan McDaid

Il y a quelques années, l’armée américaine a découvert un portail quantique permettant de se rendre sur une planète habitée par des entités extraterrestres. Une planète baptisée Terminus, sur laquelle un pied à terre a été construit pour les humains. Sur cette planète l’homme n’est pas vraiment le bienvenu, c’est pourquoi n’y sont envoyés en mission que la crème des marines. Robin est journaliste. Elle s’est jointe à l’équipage en route vers terminus pour rédiger le premier article consacré à cette incroyable planète. Problème, au bout d’à peine dix minutes sur place, les soldats censés la protéger ont tous été massacrés. Robin se retrouve seule, se demandant comment elle va pouvoir survivre… et mener à bien son reportage.

Un one shot de science-fiction qui se veut efficace mais qui balaie trop rapidement les enjeux qu’il soulève. L’équilibre entre action et réflexion est bancal, les scènes spectaculaires prenant le pas sur les questionnements philosophiques concernant la capacité de l’homme à salir tout ce qu’il touche. Car au final le propos se veut engagé, dénonçant ce travers humain qui consiste à aborder chaque nouveau territoire en conquérant plutôt qu’en invité curieux et bienveillant. L’idée est bonne mais sa mise en œuvre manque d’épaisseur. Dommage parce que le dessin est parfait pour de la SF, l’architecture de la planète Terminus s’apparentant parfois à un décor digne de Lovecraft. Une lecture agréable mais à laquelle il manque pas mal d’atouts pour passer dans la catégorie des incontournables.

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... de Matt Kindt et Dan McDaid. Delcourt, 2025. 95 pages. 17,95 euros.




Les Bd de la semaine sont à retrouver chez Blandine






lundi 3 mars 2025

Déchéance d'un homme Suivi de Goodbye - Osamu Dazai

Le narrateur de « Déchéance d’un homme » raconte son parcours dans trois cahiers distincts. Le premier est consacré à son enfance. De constitution fragile, il grandit dans le Japon des années 30, au sein d’une famille aisée. Gamin solitaire, ne trouvant pas de sens à son existence, il constate que « rien ne peut faire [son] bonheur ». Abusé sexuellement par les domestiques de ses parents, il cache son mal-être en faisant le clown et en passant pour un enfant espiègle.

Le deuxième cahier correspond à son entrée au collège, puis au lycée et, parallèlement, dans une école d’art. C’est dans cette dernière qu’il rencontre Horiki, un camarade qui va lui faire découvrir « l’alcool, le tabac, les femmes vénales, le prêt sur gage et les idées de gauche ». Sa famille lui coupe les vivres, il connaît une existence misérable et finit par se mettre en couple avec une serveuse. Ils décident ensemble d’un double suicide en se jetant dans l’océan. Il survivra, pas elle.

Dans le dernier cahier notre homme devient dessinateur de mangas bas de gamme. Il sombre dans l’alcool, se marie sur un coup de tête, tombe dans la drogue et finit par être interné en hôpital psychiatrique.

Rarement un titre de roman aura été si pertinent. La déchéance d’un homme, c’est le parcours chaotique d’un inadapté. Un texte culte, par un auteur considéré comme l’enfant terrible de la littérature japonaise. Le récit est profondément autobiographique, que ce soit par rapport à la rupture familiale, le double suicide, la drogue, l’alcool et les femmes ou encore l’engagement politique auprès du parti communiste. Le portrait dressé est celui d’un homme mal dans sa peau, pas à sa place. Un décadent lucide maniant l’autodérision, un désespéré à l’ironie mordante. « Goodbye », texte inachevé, est plus léger, moins nihiliste que « Déchéance d’un homme ».  Le couple qui y est mis en en scène a quelque chose d’absurde, l’humour est grinçant, les dialogues savoureux. Dommage que Dazai se soit suicidé avant d’en avoir écrit la conclusion…

Déchéance d'un homme Suivi de Goodbye d’Osamu Dazai (traduit du japonais par Didier Chiche). Les Belles Lettres, 2024. 220 pages. 23,00 euros.





mercredi 26 février 2025

L’abîme de l’oubli - Paco Roca et Rodrigo Terrasa

Septembre 1940, en Espagne, dans la province de Valence. Des prisonniers républicains sont fusillés par les franquistes et jetés dans une fosse commune. Parmi eux, José Celda, un père de famille accusé de rébellion. Soixante-dix ans plus tard, sa fille Pepica arpente les méandres de l’administration pour sortir la dépouille de son père du charnier et lui offrir la sépulture qu’il mérite.

C’est l’histoire d’une octogénaire ayant promis à sa mère de ramener son mari près de lui, dans leur dernière demeure. Une fille déterminée à réunir ses parents malgré les difficultés. En 2007, une loi sur la « mémoire historique » a permis pour la première fois une condamnation explicite de la dictature et la reconnaissance des martyrs du franquisme. Dans cette loi, l'État s'engageait également à aider à localiser et éventuellement exhumer les victimes de la répression dont les corps étaient encore disparus. Pepica a profité de cette opportunité et est parvenue à obtenir la mobilisation d’une équipe d’archéologues. Grâce à une mèche de cheveux qu’elle a gardée pendant des décennies, son papa a pu être identifié, et sa dépouille lui être restituée.

Les auteurs montrent à la fois la détermination de Pepica, le sérieux des archéologues et le manque de volonté d’instances politiques réfractaires à revenir sur des épisodes douloureux de l’histoire du pays. Le passé et le présent s’entremêlent, mettant en lumière la figure héroïque de Leoncio Badia, le gardien du cimetière au moment des exécutions. Prenant tous les risques pour offrir un minimum de dignité aux suppliciés qu’il enterrait, il s’évertua également à garder des traces des défunts, ce qui facilitera leur identification bien après sa propre mort.

Le travail de Paco Roca et Rodrigo Terrasa offre une magnifique réflexion sur le devoir de mémoire et montre à quel point la question de l’héritage de la guerre civile espagnole est un enjeu complexe, relevant aujourd’hui encore d’une forme de « malaise national ». Un album poignant, alliant pudeur, respect et humanité.

L’abîme de l’oubli de Paco Roca et Rodrigo Terrasa. Delcourt, 2025. 300 pages. 29,95 euros.



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