jeudi 15 décembre 2011

Ami ou ennemi ? (calendrier de l'avent 15)

Beigel et Saillard © L'élan vert 2011
Au bout du monde, près du pôle Nord, se trouve une toute petite maison blanche. Dans cette maison habite un écureuil. Il a fait ses provisions pour l’hiver et s’il est maintenant tranquille, au chaud, loin du bruit, des ennuis et des ennemis, il est aussi très seul. Quand on frappe à la porte une première fois, il ouvre et laisse entrer une souris paniquée. Lorsqu’il entend toquer à nouveau, c’est un éléphant effrayé qui se précipite à l’intérieur. Quand un chat effaré franchit à son tour le seuil de la porte en courant, l’écureuil se dit que le prochain invité sera sans doute cette chose monstrueuse qui terrorise ses nouveaux amis…

Un album tout simple à réserver aux plus petits. L’intrigue est construite selon une structure par accumulation (chaque page voit l’entrée en scène d’un nouveau personnage). La tension monte jusqu’au dénouement, forcément inattendu et rigolo. Le trait dynamique de Rémi Saillard rend parfaitement les mouvements des protagonistes : on court, on crie, on lève les bras ou on se cache… l’ambiance est survitaminée !

Une construction efficace, un texte drôle et des illustrations pleines de charme. Voila donc une belle lecture complice à partager avec un petit bout.


Ami ou ennemi ? de Christine Beigel et Rémi Saillard, L’élan vert, 2011. 20 pages. 11 euros. A partir de 3 ans.


Beigel et Saillard © L'élan vert 2011

mercredi 14 décembre 2011

C’est pas du Van Gogh, mais ça aurait pu... (calendrier de l'avent 14)

Heitz © Gallimard 2011
Après avoir failli tuer De Gaulle (dans l’album J’ai pas tué De Gaulle… mais ça a bien failli), Jean-Paul s’est réfugié en Lorraine chez sa tante Ninine. Au cœur de l’hiver 1962, la vie est rude à la campagne. Mais comme le dis Jean-Paul, « chez nous, passer l’hiver c’est un métier. » Avec la charcutaille, le gros rouge qui tache, et surtout la cuisinière à bois qui réchauffe toute la maisonnée, on peut voir venir. Le vrai problème, c’est l’ennui. Pour le tromper, tata a ressorti les carnets dans lesquels elle a consigné ses souvenirs. Arrivé à l’année 1939, il y a quelque chose qui coince. Des zones d’ombre impossibles à éclaircir. Pourquoi, au moment de l’exode, Georges, son mari, a disparu pendant trois mois ? Quand il est revenu, il n’était plus le même. Il s’est arrêté de travailler et a dit qu’il n’avait plus besoin d’argent. Sa version officielle ? Il avait passé ces trois mois à Arles, sur la tombe de sa mère. Sa femme n’a jamais pu en savoir plus. Ni une ni deux, Jean-Paul décide de tirer l’affaire au clair. Le voila donc parti sur les traces de tonton Georges, à bicyclette. Si seulement il avait su dans quel ni de serpents il allait mettre les pieds…

Quel plaisir de retrouver Jean-Paul, l’escroc à la petite semaine qui attire les ennuis comme un aimant. Dans cette nouvelle aventure, il croisera des dessins de Van Gogh, des faussaires, une nymphomane, des religieuses pas catholiques et quelques balles perdues. Bruno Heitz n’a pas son pareil pour trousser des intrigues savoureuses qui fleurent bon la France profonde des années 60. L’ambiance, c’est vraiment le point fort de cet album. La balade en DS, le train Lyon-Arles, les troquets et les hôtels de province, le panier à salade Citroën et la Simca du commissaire de police, on plonge avec plaisir dans la France du Général.

Nombre de lecteurs apprécient moyennement le trait minimaliste et tout en rondeur de Heitz. Personnellement, j’aime beaucoup. Sans chichi, il sait aller à l’essentiel. Cinq ou six cases maximum par page, une vraie facilité à rendre les mouvements et les scènes d’action. Seul regret, l’usage de la couleur qui n’apporte rien à l’ensemble. Je préfère le travail de ce dessinateur en noir et blanc, il n’y a qu’à voir le premier volume de l’intégrale d’un Privé à la cambrousse pour s’en convaincre !

Humour, dérision et truculence sont au menu de cet album réjouissant où Jean-Paul, l’anti-héros un brin couillon se révèle décidément d’un charme irrésistible.


C’est pas du Van Gogh, mais ça aurait pu… de Bruno Heitz. Gallimard, 2011. 122 pages. 17 euros.

Pour finir, une petite info qui n'a rien à voir avec le billet ci-dessus mais qui pourra intéresser quelques personnes venant régulièrement faire un tour par ici : j'ai été sollicité pour participer à l'émission La vie des livres sur Radio plus afin de présenter Formose, le roman graphique de Li-Chin Lin. Oh, rien de transcendant, je vous rassure, mais sachez quand même que l'exercice n'est pas facile : 6 minutes de monologue pour parler d'un livre sans avoir l'air trop couillon, ce n'est pas évident. Est-ce que je m'en suis bien sorti ? Pas certain, mais l'expérience était très sympa à réaliser. Et puis Mo' s'est également pliée à l'exercice pour l'ouvrage Reportages de Joe Sacco du coup, je me suis senti moins seul.

Si vous voulez nous entendre, rendez-vous sur le site Libfly, partenaire de l'opération.
Pour écouter l'avis de Mo', c'est ici : http://www.libfly.com/reportages-joe-sacco-livre-1556373.html
Et pour moi : http://www.libfly.com/formose-li-chin-lin-livre-1539563.html


Heitz © Gallimard 2011




mardi 13 décembre 2011

Le chat qui s'en va tout seul (calendrier de l'avent 13)

Dégruel © Delcourt 2011
Dans Le chat qui s’en va tout seul, Kipling imagine comment les animaux ont été domestiqués par l’homme aux temps ancestraux. Il y a d’abord eu le chien qui, grâce à ses talents de chasseur et sa capacité à garder le logis, a été accepté dans la grotte. Ensuite, ce fut au tour du cheval et de la vache, amadoués par le foin fraîchement coupé. Le premier devint un fidèle destrier tandis que la seconde fournit chaque jour son lait frais et onctueux. Seul le chat resta sauvage. Vagabond dans l’âme, il ne devint jamais un ami ou un serviteur de l’homme. Mais quand il décida d’entrer dans la caverne pour profiter du feu et du bon lait, il dut se montrer plus malin que les humains pour devenir le roi du foyer tout en gardant son indépendance et cette petite dose d’ingratitude qui le caractérise.

Après L’enfant d’éléphant et avant La première lettre (à paraître en février 2012), Yann Dégruel adapte en BD une seconde nouvelle du recueil Histoires comme ça de Rudyard Kipling. Les ingrédients sont toujours les mêmes : ouvrage au format carré idéal pour les petites mains ; respect, à la virgule près, du texte original ; utilisation du crayon gras et de la craie pour un rendu des plus séduisants ; dominante de tons ocre et bleu qui apportent beaucoup de douceur ; découpage dynamique et très pertinent. Le coté allégorique de la fable est ici plus présent, ainsi que l’humour, plus fin. Un travail à la fois respectueux et original visuellement parlant.

Voila donc une adaptation fidèle dont le charme « graphique » évident permettra à nombre de jeunes lecteurs de découvrir et d’apprécier le ton si particulier de l’auteur du Livre de la jungle.


Le chat qui s’en va tout seul, de Yann Dégruel, Delcourt, 2011. 44 pages. 10.50 euros. A partir de 7 ans.


Dégruel © Delcourt 2011

lundi 12 décembre 2011

L’Herbier des Fées (calendrier de l'avent 12)

Lacombe et Perez © Albin Michel 2011
Aleksandr Bogdanovitch, un botaniste russe, est envoyé par Raspoutine dans la forêt de Brocéliande pour trouver les ingrédients devant permettre d’élaborer un élixir d’immortalité. Arrivé sur place en mai 1914, le scientifique découvre que les plantes de Brocéliande possèdent des vertus uniques. Ainsi, le sirop préparé avec la racine de la grande gentiane permet de retrouver la vigueur de sa jeunesse. Plus surprenant encore, Bogdanovitch observe que certaines plantes renferment de minuscules êtres vivants. Stupéfait par cette découverte, il en informe ses supérieurs et procède à des examens poussés sur cette étrange faune propre à la forêt bretonne. Les mois passant, Bogdanovitch se persuade que les êtres qui habitent dans les plantes sont les fées dont parlent les légendes. Une découverte incroyable qui va définitivement bouleverser son existence. Oubliant les raisons premières de sa mission, le botaniste déclenche la colère de Raspoutine...

Un album au charme envoutant. Les planches naturalistes décrivant les différentes espèces sont somptueuses. Les lettres envoyées par le scientifique à ses collègues semblent tout à fait réelles et les illustrations pleine page de Benjamin Lacombe sont d’une rare poésie. Aucun détail n’est laissé au hasard, de la majestueuse couverture aux pages de garde ciselées en passant par le papier épais, blanc-cassé, qui donne un air « vintage » du plus belle effet.

Une fois de plus, le duo Perez/Lacombe impressionne. Quelle inventivité, quelle justesse de ton, quelle maestria graphique ! Seul soucis, il ne faudrait pas que cette maestria graphique devienne pour les enfants l'unique de l’ouvrage. Il y a un vrai risque (j’ai testé et constaté à la maison !) que les jeunes lecteurs se focalisent uniquement sur les images et se désintéressent totalement de l’histoire. Ce serait faire bien peu de cas du texte de Sébastien Perez qui mérite pourtant que l’on s’y attarde. Sans compter que la fin, volontairement ambiguë, laisse place à nombre d’interprétations passionnantes.

Un gros coup de cœur donc, qui réjouira petits et grands, pour peu qu’ils soient attirés par la magie et les personnages féériques.


L’Herbier des Fées de Benjamin Lacombe et Sébastien Perez. Albin Michel 2011. 64 pages. 28 euros.


Lacombe et Perez © Albin Michel 2011

dimanche 11 décembre 2011

Écrire est une enfance (calendrier de l'avent 11)

Delerm © Albin Michel 2011
En passant la soixantaine, Philippe Delerm a ressenti le besoin de jeter un œil dans le rétro. Un retour vers l’enfance pour traquer le pourquoi de son écriture en délaissant le plus possible le comment. Une plongée introspective dans les souvenirs d’un petit garçon paresseux, fils d’instituteurs, élève médiocre, nul en maths et en sciences. Sa rencontre avec les livres sera capitale : Colette, Crin-Blanc, la collection « Rouge et Or »… Suivront, bien plus tard, son basculement dans l’enseignement après des études littéraires, la rencontre de sa femme Martine, le difficile chemin vers la publication de son premier texte, les ventes médiocres jusqu’à l’explosion de « La première gorgée de bière ».

Delerm se livre en toute franchise, sans retenue ni fausse modestie. Proust, la peinture, le cinéma ou encore la chanson française sont autant de passions qui ont balisé son parcours. Son refus de divorcer d’avec ses jeunes années est à la base de son succès : « C’est en passant par le désir de retrouver mon regard de dix ans que j’ai eu tout à coup accès à ce qui serait mon genre : le texte court, rédigé avec le pronom « on » et évoquant des éclats isolés, qui pouvaient être de petites madeleines, ou des épiphanies, la volonté de réenchanter le quotidien. »

Delerm agace souvent. Ses détracteurs sont nombreux. Personnellement, j’aime beaucoup sa petite musique. Son écriture, d’un « minimalisme solaire », a quelque chose d’impressionniste. Sa recherche un peu naïve des petits bonheurs me touche et me parle.

Un joli recueil, certes très personnel, mais dont nombre de réflexions sur la richesse de l’enfance gardent une portée universelle.


Écrire est une enfance, de Philippe Delerm, Albin Michel, 2011. 190 pages. 15 euros.

samedi 10 décembre 2011

L’âge d’or de Mickey Mouse 1 : 1936-1937 (calendrier de l'avent 10)

 
Gottfredson © Glénat 2011
L’âge d’or de Mickey, c’est la période pendant laquelle le génialissime Floyd Gottfredson a pris en main la destinée du plus célèbre héros de Walt Disney. Tout commence en 1930 au moment où est publiée la première aventure de Mickey en bande dessinée (pour info le personnage est d’abord apparu en dessin animé en novembre 1928). Pendant près de 45 ans, Gottfredson sera le maître d’œuvre des aventures de la fameuse souris. Mickey, Minnie, Dingo, Clarabelle, Pluto, Pat Hibulaire… il a développé et enrichi chacun de ces personnages emblématiques de l’univers Disney.

Publiées au départ uniquement dans les journaux, les histoires de Mickey se déclinaient en strips quotidiens de quatre cases du lundi au samedi. Chaque histoire pouvait durer des mois et répondait à une mécanique immuable : rebondissements nombreux et variés, cliffhangers, action, mystère, dépaysement… Le but était de tenir chaque jour le lecteur en haleine et de lui donner envie de revenir le lendemain. Pour varier les plaisirs, le scénariste/dessinateur Gottfredson touche à tous les genres, de la science-fiction au western, du polar au récit d’espionnage, du voyage dans le temps à la chasse au trésor. Mickey est un héros optimiste, espiègle et enthousiaste qui brave le danger et affronte des situations à priori inextricables. Il combat des méchants qu’il finit (évidemment !) toujours par vaincre. A une époque, les années 30, où l’Amérique peine à sortir de la crise, Mickey apparaît comme un rayon de soleil divertissant.

Les éditions Glénat publient pour la 1ère fois en France l’intégralité des strips de Gottfredson de manière chronologique. Ce volume couvre les années 1936-1937. Le choix a été fait de ne pas commencer cette intégrale prévue en 12 volumes avec les débuts de Mickey en 1930 pour proposer d’emblée les histoires les plus passionnantes. Les strips de 1930 à 1935, moins aboutis, seront donc proposés en dernier. Un choix décevant pour les collectionneurs mais qui, du point de vue de l’éditeur, s’explique par le fait qu’il vaut mieux, lorsqu’on lance une telle collection, commencer par le meilleur.

L’édition proposée ici est particulièrement soignée. Un très grand format (29 x 37 cm) qui permet de réunir sur chaque page les six strips hebdomadaires du lundi au samedi. Le recueil regroupe également les planches dominicales, des histoires complètes en trois bandes, le plus souvent des gags davantage destinés à un public enfantin.

Un album somptueux (avec signet, tranchefile, papier et carton très épais) qui ravira passionnés et nostalgiques, mais aussi tous les curieux souhaitant découvrir un monument de la BD mondiale. Seul bémol pour moi, le fait qu’il soit en couleur alors que les strips sont à l’origine parus dans les journaux en noir et blanc. Une faute de goût que je pardonne néanmoins car la colorisation, tout en douceur, n’est pas aussi déplaisante que je l’aurais cru.

Vous cherchiez un beau livre à offrir à Noël ? Cette intégrale du Mickey de Gottfredson pourrait à mon avis constituer un cadeau de choix !

L’âge d’or de Mickey Mouse T1 : 1936-1937 de Floyd Gottfredson. Glénat, 2011. 128 pages. 29 euros.


Gottfredson © Glénat 2011

vendredi 9 décembre 2011

Machin Truc Chouette (calendrier de l'avent 9)

Ben Kemoun et Joffre
© Rue du Monde 2011
Il est arrivé un matin d’été. Personne ne savait d’où il venait. Seule certitude, il n’était pas de chez nous. Avec son nom imprononçable et le charabia qui lui servait de langage, on l’a vite catalogué. Il s’est installé dans une cabane près de la rivière et il a appris à parler comme nous. C’est là qu’on a compris qu’il était venu chercher un emploi. Pour gagner de l’argent, il a travaillé aux champs. Il a aussi fait le charpentier, le pêcheur, le mécano pour nos voitures… Quand la guerre a éclaté très loin, on lui a dit « va défendre le pays ». En revenant de la guerre, il avait une main en moins. Il a recommencé à travailler mais comme il lui manquait une main, on ne le payait plus qu’à moitié. Tout se déroulait plutôt bien, jusqu’au jour où il nous a dit qu’il allait faire venir sa femme et ses enfants, puis ses frères et ses cousins. On lui a répondu : « Une armée d’étrangers et toute leur marmaille ? Non mais, Truc-Machin, tu dérailles ! Ce n’est pas ton pays, tu ne seras jamais vraiment d’ici ! ». Finalement, il a compris qu’on ne voulait pas de lui et il est parti. On ne l’a jamais revu.

Une lecture utile par les temps qui courent… Un album qui aborde en finesse les thématiques du racisme, de la différence et de l’intégration. L’illustratrice utilise une technique de papiers découpés et collés qui se révèle d’une grande expressivité. Le texte d’Hubert Ben Kemoun est simple et bien construit, il résume parfaitement l’état d’esprit des autochtones qui supportent l’étranger tant qu’il leur rend service et se dépêchent le rejeter dès qu’il parle de faire venir les siens.

A lire et à faire lire pour provoquer échanges et réflexions. Un album qu’il faudrait presque reconnaître comme une œuvre d’utilité publique tant le message de tolérance qu’il véhicule est devenu important à l’heure où les débats autour de l’immigration se font plus vifs que jamais.


Machin Truc chouette d’Hubert Ben Kemoun et Véronique Joffre, Rue du monde, 2011. 32 pages. 17 euros. A partir de 7 ans.


Ben Kemoun et Joffre
© Rue du Monde 2011

jeudi 8 décembre 2011

Un piège pour le Père Noël (calendrier de l'avent 8)

 Emmett et Bernatene
© Mic Mac 2011
Valentin est un sale gosse. Un vrai de vrai. A tel point que ses parents, très riches, lui donnent tout ce qu’il souhaite. Pas parce qu’il le mérite, mais parce que leur fils les terrifie ! Chaque année, avant Noël, c’est la même comédie. Valentin prépare une liste incroyablement longue  et quand le Père Noël la reçoit, il n’y jette même pas un œil. Il faut dire que le Père Noël sait à quel point Valentin est un horrible garnement. Mais le gros barbu est magnanime et il ne peut laisser un enfant, aussi mauvais soit-il, sans cadeau. Alors, chaque 25 décembre, Valentin a droit à un petit paquet au pied du sapin. A l’intérieur, toujours la même chose : une paire de chaussettes. Insupportable pour le jeune garçon. C’en est trop, sa décision est prise. L’année prochaine, quand le Père Noël passera par la cheminée, il tombera dans un piège : « Je vais attraper ce vieux fou et lui voler tous ses cadeaux. » Mais les choses ne se passent pas toujours comme on l’espère…

Les auteurs ont choisi de prendre à contre-pied les poncifs propres à nombre d’albums ayant Noël pour thème. L’histoire repose ici entièrement sur le machiavélisme de Valentin. Une sorte d’humour noir et décalé qui surprend agréablement même si, à la fin, le piège se referme sur son créateur et le bien l’emporte. Les différentes étapes du déroulement du plan s’enchaînent avec clarté. On suit avec une certaine inquiétude la progression du funeste projet et on rit de son lamentable échec.
Les illustrations, dont le grain est parfois proche de l’animation, sont un régal d’expressivité. L’air sournois et déterminé de Valentin est parfaitement rendu, de même que son terrible dépit en fin d’album.
  
Les enfants sages se réjouiront de constater que le Père Noël a le dernier mot. Certains seront peut-être déçus de ne pas voir le mal triompher. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : tous auront passé un agréable moment à la lecture de cet album franchement drôle.


Un piège pour le Père Noël, de Jonathan Emmett et Poly Bernatene, Mic_Mac, 2011. 32 pages. 12.90 euros. A partir de 4 ans.


Emmett et Bernatene
© Mic Mac 2011

mercredi 7 décembre 2011

L’étoffe des légendes 1 : L’Obscur (calendrier de l'avent 7)

Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2011
Ça commence comme un cauchemar. Il fait nuit. Un enfant dort tranquillement dans sa chambre. Soudain, le placard s’ouvre. Des tentacules en sortent et saisissent l’enfant. Ce dernier est traîné sur le sol jusqu’au seuil de la porte où il disparaît. Une fois le silence revenu dans la pièce, les jouets du garçon quittent leur coffre et décident, après un court conciliabule, d’organiser une mission de sauvetage pour aller récupérer leur maître. Tous savent à quel point le risque est grand. C’est le Croquemitaine qui a kidnappé l’enfant et pour le retrouver, il va falloir se rendre dans son mystérieux royaume, l’Obscur. Une fois dans le monde du Croquemitaine, les jouets subissent une étrange transformation : l’ours en peluche devient un véritable ours brun, la poupée Pocahontas devient une princesse indienne, le colonel, un soldat de plomb, devient un vrai soldat, le canard en bois devient un vrai canard, etc. Une quête pleine de dangers et de rebondissements commence alors…

Un comics inclassable, à la frontière du conte et du récit fantastique. Bien sûr, ces jouets qui s’animent font penser à Toy Story. Mais on est loin du monde de Disney. L’univers est ici bien plus proche de celui de la série Fables avec le personnage du Croquemitaine (équivalent de l’Adversaire) et son mystérieux royaume sur lequel il règne en maître tout puissant. Malgré ces quelques points communs L’étoffe des légendes reste une œuvre originale. Les protagonistes ont chacun une vraie profondeur psychologique et les relations à l’intérieur du groupe sont très fouillées. Résultat, on découvre un récit riche et intense où sont abordées des notions telles que l’honneur, l’amitié ou la trahison. Avec le soupçon supplémentaire de violence et de cruauté propre aux contes, force est de constater que l’ensemble apparaît solidement charpenté. Sur la quatrième de couverture Brian K. Vaughan, auteur de Y le dernier homme, qualifie l’histoire de « sombrement merveilleuse ». Je n’aurais pas dit mieux.

Le dessin de Charles Paul Wilson III est superbe : de grandes cases très détaillées, beaucoup de gros plans, un découpage dynamique. L’animation des jouets devenus vivants est parfaitement rendue et l’alternance entre les scènes d’action et celles plus calmes donnent rythme et fluidité au récit. Niveau couleur, le ton sépia utilisé à chaque page offre une patine particulière à l’ensemble du recueil. Pour ne rien gâcher, l’ouvrage est superbe : format carré, papier et cartonnage épais, vernis sélectif sur les couvertures, sans compter cette entêtante odeur d’encre que j’adore. Un vrai bel objet que l’on prend plaisir à manipuler et à sentir (oui je sais, ça peut paraître bizarre mais j’aime sentir les livres, c’est un fétichisme comme un autre !).

Une énorme et belle surprise que cette nouvelle série découverte par le plus grand des hasards sur une table de mon libraire. On discutait la semaine dernière avec Mo’ de la diversité des comics suite à mon billet sur Criminal. C’est une réalité incontestable, l’univers de la BD américaine est décidément d’une richesse sans limite, loin, très loin des sempiternels super-héros en collants moule-burnes qui focalisent l’attention du grand public.


L’étoffe des légendes T1 : L’Obscur, de Mike Raicht, Brian Smith et Charles Paul Wilson III. Soleil, 2011. 128 pages. 19,95 euros.




Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2011





mardi 6 décembre 2011

Mäko (calendrier de l'avent 6)


Béziat © Pastel 2011
C’est tous les jours la même chose. Mäko le morse plonge pour observer le fond de l’eau. Une fois revenu à la surface, il sculpte la glace pour marquer les endroits les plus poissonneux. Grâce à ce talentueux cartographe, chacun des animaux de la banquise sait où trouver sa nourriture. Mais une nuit, c’est le grand crac ! La banquise part en morceau et emporte toutes les sculptures. Pire encore, les poissons ont disparu. Affamés, ses amis se tournent vers le morse : « On a faim, Mäko… S’il te plaît… Fais-nous d’autres poissons. » Heureusement pour eux, Mäko est un petit peu magicien…

Pas souvent que l’on tombe sur un morse altruiste et artiste ! En filigrane, l’auteur aborde la question du réchauffement climatique et des conditions de vie toujours plus difficiles pour les animaux qui en subissent les conséquences. Le dessin, très épuré, est proche du crayonné et de très belles vues en plongée permettent au regard d’appréhender l’immensité des étendues glacées.

Un magnifique album, poétique et plein d’espoir dont le format à l’italienne offre des double-pages panoramiques du plus bel effet. Tout simplement superbe !


Mäko de Julien Béziat, Pastel, 2011. 32 pages. 13,50 euros. A partir de 4 ans.


Béziat © Pastel 2011

lundi 5 décembre 2011

Que fait le Père Noël quand il ne distribue pas de jouets aux enfants ? (calendrier de l'avent 5)

Lamour-Crochet et Daumas
© bilboquet 2011
Tout le monde sait qu’au mois de décembre le Père Noël prépare et livre les cadeaux. Mais que fait-il les autres mois de l’année ? En janvier, il partage la galette avec ses lutins. En février, il part au ski. En mars, il se déguise pour le carnaval. Et les autres mois ? Je vous laisse deviner !

En refermant cet album, on comprend que la vie du Père Noël n’est pas de tout repos. Les auteurs ont fait preuve d’une belle imagination pour décliner chaque mois une activité drôle et surprenante. L’univers graphique d’Olivier Daumas est d’une grande inventivité. Cet illustrateur possède une « patte » qui se reconnaît au premier coup d’œil. Originales et toujours très expressives, ses compositions s’étalant ici sur des double-pages déclenchent systématiquement le sourire.

Cet album est le quatrième de la collection Cracontes. Après Que font les loups quand ils ne font pas peur aux enfants ? Que font les sorcières quand elles ne font pas peur aux enfants ? et Que font les princesses quand elles n’attendent pas le prince charmant ? les auteurs se penchent cette fois-ci sur le cas du Père Noël. Un album de saison qui ne se prend pas au sérieux et qui éclaire avec une bonne humeur communicative la face cachée du gros barbu préféré des enfants.


Que fait le Père Noël quand il ne distribue pas de jouets aux enfants ? de Céline Lamour-Crochet et Olivier Daumas, éditions Bilboquet, 2011. 28 pages. 12,00 euros. A partir de 3 ans.


Lamour-Crochet et Daumas © bilboquet 2011

dimanche 4 décembre 2011

Dans les forêts de Sibérie (calendrier de l'avent 4)

Tesson © Gallimard 2011
Sylvain Tesson s’est fait un serment : avant ses 40 ans, il vivra plusieurs mois dans une cabane. Direction donc le fin fond de la Russie, sur les bords du lac Baïkal. De février à juillet 2010, l’écrivain voyageur investit une Isba, une cabane sibérienne isolée à cinq heures de marche de toute présence humaine. Dans les forêts de Sibérie est son journal d’ermitage. Il y consigne chaque jour ses réflexions et les menus événements qui rythment son quotidien : « La cabane, royaume de simplification. Sous le couvert des pins, la vie se réduit à des gestes vitaux. Le temps arraché aux corvées quotidiennes est occupé au repos, à la contemplation et aux menus jouissances. L’éventail des choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l’eau, couper le bois, écrire et verser le thé deviennent des liturgies. En ville, chaque acte se déroule au détriment de mille autres. La forêt resserre ce que la ville disperse. »

La lecture, l’écriture, la pêche, les longues promenades, le patinage sur le lac gelé et les excursions en canoë après le dégel... L’existence se réduit à une quinzaine d’activités. Quelques visites impromptues viennent troubler la solitude du reclus. L’occasion de partager des litres de vodka et de refaire le monde.

Il y a du Rousseau et du Walden dans ce journal. Tesson se fait le chantre de l’autosuffisance : « L’homme des bois est une machine de recyclage énergétique. Le recours aux forêts est recours à soi-même. Privé de voiture, l’ermite marche. Privé de supermarché, il pêche. Privé de chaudière, son bras fend le bois. Le principe de non-délégation concerne aussi l’esprit : privé de télé, il ouvre un livre. »

Épris de silence et de solitude, l’ermite Tesson s’enchante à chaque tressaillement de la nature. L’activité des mésanges, la noblesse de l’ours, la force du vent, la noirceur du lac, le vrombissement des milliards d’insectes l’été venu, tout est prétexte à la contemplation et à l’éblouissement. Par rapport à nombre de récits du même genre, Dans les forêts de Sibérie se distingue par sa qualité littéraire. La plume est ici d’une rare élégance, la profondeur de la réflexion impressionne et les aphorismes sont d’une concision remarquable. Petit exemple en passant : « La vie en cabane est un papier de verre. Elle décape l’âme, met l’être à nu, ensauvage l’esprit et embroussaille le corps, mais elle déploie au fond du cœur des papilles aussi sensibles que les spores. L’ermite gagne en douceur ce qu’il perd en civilité. » Magnifique, non ?

En quête de liberté intérieure, Sylvain Tesson aura appris pendant ces quelques mois de réclusion volontaire à vivre non plus contre lui-même mais avec lui-même. Un texte somptueux.


Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson, Gallimard, 2011. 268 pages. 17,90 euros.

samedi 3 décembre 2011

Plouf, Splat ! (calendrier de l'avent 3)

Scotton © Nathan 2011
Splat le chat est persuadé qu’il va passer une sale journée. Il faut dire qu’elle a particulièrement mal commencé. A peine sorti du lit, il apprend que son copain Grouff va venir à la maison après l’école pour jouer avec lui : « Il faut toujours qu’il fasse le malin et il se moque toujours de moi. Il me déteste. » Deuxième catastrophe, Splat doit prendre un bain, ce qui pour lui est un vrai cauchemar : « L’eau, c’est horrible ! Ça fait froid partout et en plus c’est mouillé. » Pour couronner le tout, sa mère lui annonce la plus mauvais nouvelle du jour : « Ah ! J’oubliais encore, dit sa maman : aujourd’hui, avec la classe, vous commencez les séances à la piscine. » Pour Splat, c’est la goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase…

Pas la peine de se demander longtemps pourquoi Splat le chat remporte un tel succès auprès des enfants. Il suffit de regarder la trogne impayable de ce matou au poil ébouriffé pour comprendre. Dans ce nouvel opus de la série, on retrouve avec plaisir Harry la souris, Mme Miouffet la maîtresse et tous les copains de Splat. Les attitudes, l’expressivité des visages, les petits détails disséminés au fil des illustrations, tout concourt à faire rire. Entre les mimiques des protagonistes et les scènes franchement comiques, l’humour est présent à chaque page.

Avec Splat, les enfants peuvent facilement s’identifier au héros tant l’environnement et les situations leur paraissent familières : le copain qui vient à la maison et qui casse les jouets, l’angoisse du premier jour d’école, la copine dont on tombe amoureux mais qui a déjà un prétendant, la difficulté à trouver le sommeil le 24 décembre… Au fil des albums, chacun s’approprie cet univers à la fois drôle et tellement proche. Une vraie réussite !


Plouf, Splat ! de Rob Scotton. Nathan, 2011. 32 pages. 12,90 euros. A partir de 4 ans.

Scotton © Nathan 2011

vendredi 2 décembre 2011

Première neige (calendrier de l'avent 2)

Bailly-Maître et Guilloppé
 © L'élan vert 2011
C’est l’hiver. Mine la souris attend son ami Gaspard le loup. Autour d’elle, tout est blanc. Elle ne sait pas quand il viendra mais elle est certaine qu’il va venir. Ils se sont donné rendez-vous à la première neige. Quand son ami arrive, Mine saute sur son dos. Tous deux traversent la forêt et s’arrêtent dans une clairière. Mine forme un tas de neige et le sculpte pour lui donner la forme du loup. Puis elle demande à Gaspard s’il peut faire son portrait. Le loup gratte et creuse la neige pour découvrir une étendue de terre brune. Mine s’approche et ne voit rien. Déçue, elle se met à bouder et à pleurer. Heureusement, une corneille qui a vu la scène invite la souris à monter sur son dos. Et une fois au-dessus de la clairière, Mine comprend que son ami ne s’est pas moqué d’elle...

Une histoire d’amitié simple et touchante. Très peu de texte, de grandes illustrations à la composition travaillée pour faciliter la lisibilité. Chaque personnage, entièrement noir, contraste à merveille avec le blanc de la neige.

Un album de saison à lire aux petits bouts le soir au coin du feu pour partager avec eux un moment de tendre complicité.


Première neige de Marie-Astrid Bailly-Maître et Antoine Guilloppé, Éditions L’élan vert 2011. 24 pages. 12,50 euros. A partir de 3 ans.


Bailly-Maître et Guilloppé
© L'élan vert 2011

jeudi 1 décembre 2011

Une chanson d’ours (calendrier de l'avent 1)

Chaud © Hélium 2011
L’hiver approche et Papa ours ronfle déjà. Lorsqu’une abeille surgit dans la tanière, Petit ours décide de la suivre car qui dit abeille dit miel. En sortant, Petit ours laisse la porte de ouverte et un courant d’air vient réveiller son père. Ce dernier, s’apercevant de la disparition de son fils, se précipite dans la forêt à sa recherche.

Un album d’observation d’une incroyable finesse. A chaque double page un décor différent fourmillant de détails (la forêt, la ville, l’opéra) et un seul Petit Ours caché dans un coin. Les tons vert, brun, ocre et sépia renforcent la difficulté à retrouver l’intrépide galopin. Le texte plein d’humour, donne de nombreuses fausses pistes. Rien d’insurmontable cependant. Avec un minimum d’attention, les enfants retrouveront Petit ours sans coup férir. Par rapport à d’autres ouvrages du même genre, Une chanson d’ours n’est pas un simple livre-jeu comme la série des « Où est Charlie ? ». Benjamin Chaud a construit une véritable histoire, drôle et pleine de rebondissements. Le dessin est à la fois simple et précis. Nul doute que la composition de chaque « tableau » a dû demander un énorme travail à l’auteur.

Attention danger. Avec un tel album à la maison, vous allez souvent être sollicité pour faire la lecture. Un avantage cependant, les enfants pourront s’amuser tout seul à retrouver Petit ours sans rien demander à personne. Bien sûr, à force, ils connaîtront chaque page par cœur, mais ce n’est pas cela qui va les empêcher d’y revenir encore et encore.

Une chanson d’ours, de Benjamin Chaud, Hélium, 2011. 28 pages. 14.90 euros. A partir de 4 ans.

Chaud © Hélium 2011

Mon calendrier de l'avent 2011 : Des livres à gagner

Et voila ! Nous sommes le 1er décembre. Plus que 24 jours avant que le gros barbu ne fasse sa tournée. Cette année, pour fêter l’événement, je me suis lancé un petit défi personnel : réaliser mon propre calendrier de l’avent. Chaque jour jusqu’au 24 je présenterai un livre à déposer au pied du sapin. Roman, BD ou album de littérature jeunesse, uniquement des ouvrages parus dans l’année. Au moment de me lancer, je n’ai pas encore tous les titres en tête et je ne sais pas si pourrais tenir sur la longueur. Il suffit que la grippe ou n’importe quelle autre cochonnerie de saison vienne me frapper de plein fouet pour que je ne puisse par mener mon projet à bien. Mais peu importe, la question ne se pose pas pour l’instant et je compte bien mener mon calendrier à son terme.

Cerise sur le gâteau, j’organiserai le 25 décembre un tirage au sort parmi toutes les personnes ayant laissé un commentaire sur au moins un billet du calendrier. Les deux premiers noms qui sortiront du chapeau pourront choisir leur titre préféré parmi les 24 livres présentés et je me ferai un plaisir de leur offrir. Un cadeau de plus le jour de noël, ça ne se refuse pas !

mercredi 30 novembre 2011

Criminal 1 : Lâche !

Brubaker et Phillips
 © Delcourt 2007
« Le truc à savoir, c’est que la plupart des plans, même les bons, sont des châteaux de cartes. Le moindre détail qui foire, et tout se casse la gueule. » Léo savait qu’il n’aurait pas dû dire oui. Des flics véreux qui réunissent une équipe pour faire main basse sur cinq millions en diamants, c’était trop gros. Il a d’abord refusé, mais Greta est entrée en scène. Pour ses beaux yeux, il a fini par accepter. Il faut dire aussi que Léo n’est pas un débutant. Dans le milieu, il est réputé pour mettre au point les plans les plus minutieux. Avec lui, rien n’est laissé au hasard, tout est calculé au millimètre. Et s’il ne s’est jamais fait poisser, c’est pour une autre raison. Léo est un froussard. Au moindre signe de pépin, il décroche ventre à terre et tant pis pour les petits copains. Pas reluisant comme attitude, mais la survie est à ce prix. Seulement, cette fois-ci, les choses vont prendre une tournure différente. Il le savait pourtant, il ne faut jamais faire confiance à un flic ripoux…

Le rouge crépusculaire de la couverture annonce la couleur. Criminal est un polar sans concession. Un « héros » en perdition, des méchants vraiment méchants, une femme qui vient brouiller les cartes, beaucoup de violence et une fin tragique… tous les ingrédients sont réunis pour concocter un petit noir bien serré. Le scénariste Ed Brubaker donne dans l’efficacité. Il tisse sa toile avec une précision diabolique alternant temps forts et moments calmes tout en insérant ici et là quelques flash back bienvenus. Il plonge dans les bas fonds et met en scène des protagonistes au sens moral plus que douteux. Les attitudes et les dialogues sonnent juste, sans chichi ni fioriture. Du travail ciselé.

Niveau dessin, Sean Phillips s’applique pour rester dans le ton avec un encrage épais, un gros travail sur les ombres et un découpage au cordeau qui rend la tension parfaitement palpable. La violence est omniprésente mais elle n’est jamais surjouée, la mise en scène des différentes fusillades restant au final assez sobre.

En matière de polar, Criminal est devenue une référence. Avec mon chouchou Scalped, c’est sans doute la série noire actuelle la mieux troussée. Avis aux amateurs du genre qui ne connaitraient pas ce petit bijou : vous pouvez foncer les yeux fermés.

Criminal T1 : Lâche ! d‘Ed Brubaker et Sean Phillips, Éditions Delcourt, 2007. 132 pages. 14.95 euros.



Brubaker et Phillips
© Delcourt 2007











Will Eisner Awards
Meilleure nouvelle série 2007

lundi 28 novembre 2011

Jérôme K. Jérôme Bloche 11 : Le cœur à droite

Dodier © Dupuis 1996
Jérôme s’est lancé dans l’écriture d’un polar mais rien n’y fait, tout ce qu’il écrit lui semble tarte. Découragé, il sort prendre l’air et tombe sur un vieux clochard transi de froid. Il décide de venir en aide au SDF en lui proposant de passer la nuit au chaud dans son appartement. Le matin suivant, l’homme a disparu mais il a oublié sous le matelas un cahier manuscrit dans lequel est rédigé un roman. Le texte enthousiasme Jérôme qui décide de partir à la recherche du clochard pour lui restituer son bien. Lorsqu’il le retrouve, il dit au vieil homme que son roman mérite d’être édité et lui propose de devenir son agent. Le manuscrit, remis au propre, est envoyé chez différents éditeurs. Gallimard décide de le publier sous le titre Le cœur à droite. L’ouvrage obtient le prix Goncourt mais son auteur, effrayé par le succès, disparaît sans laisser de traces…

Avec JKJ Bloche, Dodier a trouvé une sorte de formule magique. L’idée de départ de sa série (dont les premiers tomes ont été scénarisés par Makyo et Le Tendre) est fort simple : mettre en scène un détective privé très influencé par les figures américaines du genre mais en même temps fondamentalement différent de ses modèles Philip Marlow et Sam Spade. Certes, Jérôme porte le feutre mou et l’imper. Certes, son bureau est un capharnaüm sans nom sur lequel trône une machine à écrire antédiluvienne. Certes, le jeune homme est courageux et possède un vrai sens de la déduction ainsi qu’une facilité certaine pour s’attirer des ennuis. Mais les points communs s’arrêtent là. Jérôme n’est pas viril pour deux ronds. Il est sympathique, généreux et fragile. Sa petite copine n’a rien d’une femme fatale et son univers très parisien, tout en simplicité, est loin des frasques hollywoodiennes.

Dodier non plus ne donne pas dans le clinquant. Ses albums ne sont pas envahis de meurtres sanglants, de poursuites en voitures et de bagarres dans les ruelles sombres. Il préfère raconter les petits riens, les choses simples de la vie. En cela, JKJ Bloche, c’est un peu du Raymond Chandler revisité à la sauce Simenon.

Il faut reconnaître que Le cœur à droite n’est pas le meilleur album de la série. Cette histoire de prix Goncourt pour un manuscrit sorti de nulle part est un peu tirée par les cheveux. Mais peu importe. Pour le lecteur, l’important n’est pas là. Ce qui compte, c’est de retrouver le sympathique Jérôme et tous les personnages familiers qui traversent la série : Babette la petite amie, la vieille voisine avec son petit chien, Mme Rose la concierge ou Burhan l’épicier arabe… A force, l’univers du détective privé est devenu familier. Cela tient aussi beaucoup au trait de Dodier. On reconnaît au premier coup d’œil la précision de ses décors d’intérieur et le réalisme des quartiers parisiens où l’intrigue se déroule. Le découpage est simple et fluide, la lisibilité étant la préoccupation première de l’auteur au-delà de toute « esbroufe graphique ».

JKJ Bloche est un polar atypique où le registre intimiste prend le pas sur le grand spectacle. Assurément une des séries les plus attachantes du catalogue Dupuis.


Jérôme K. Jérôme Bloche T11 : Le cœur à droite de Dodier. Dupuis, 1996. 48 pages. 11,95 euros.

Dodier © Dupuis 1996


(Fauve)
Alph-Art jeunesse
9-11 ans
1997

samedi 26 novembre 2011

Toto l’ornithorynque 1 : L’arbre magique

Yoann et Omond © Delcourt 1997
Dans une forêt australienne, Toto l’ornithorynque se réveille affamé. Pour le petit déjeuner, il a prévu de se goinfrer de crevettes et de vers de vase qui pullulent dans la rivière entourant sa maison. Mais ce matin-là, Toto découvre la rivière à sec. Avec son ami Wawa le koala, il décide de remonter le lit du cours d’eau afin de trouver l'origine du tarissement. En chemin, les deux animaux vont aller de surprise en surprise et, au fil des rencontres, leur petite équipe ne va cesser de s’agrandir…

Ce premier volume de la série est une fable animalière et écologique. Sans eau, denrée précieuse et vitale, c’est la survie de la toute la communauté qui est mise en danger. La structure de l’album réunit les cinq étapes du schéma narratif propre au conte : la situation initiale (présentation de Toto dans son environnement), l’élément perturbateur (Toto découvre la disparition de la rivière), l’action (les nombreuses péripéties dans la forêt), la résolution (Toto et ses amis parviennent à faire sauter le barrage), la situation finale (les protagonistes rentrent chez eux heureux et soulagés d’avoir résolu leur problème). L’album véhicule des valeurs importantes telles que l’amitié et la solidarité. Les auteurs ont aussi choisi de placer leur intrigue dans un endroit peu commun, au cœur de l’Australie. Cette singularité leur permet de faire découvrir la faune et la flore de ce continent finalement peu connu. Les pages de garde proposent d’ailleurs une description succincte des drôles d’animaux qui peuplent le récit.

Le graphisme tout en rondeur et de prime abord naïf est particulièrement expressif. Yoann a fait un gros travail sur la lumière. Ses couleurs pétaradantes sont somptueuses et son découpage, s’il propose peu de cases par planche, se révèle d’une grande variété, notamment grâce aux nombreuses plongées et contre plongées.

Ce premier tome immerge le lecteur dans un univers fantastique où rêve, magie et aventures exotiques se côtoient avec brio. Originale et éducative, cette BD très souvent utilisée comme support pédagogique dans les écoles primaires est à recommander chaudement à tous les enfants dès 7 ans.


Toto l’ornithorynque T1 : L’arbre magique de Yoann et Eric Omond. Éditions Delcourt, 1997. 32 pages. 9.40 euros. A partir de 7 ans.

L'avis de Mo'


Yoann et Omond © Delcourt 1997




Festival BD Boum 1997
Prix ligue de l'enseignement

vendredi 25 novembre 2011

Monsieur Blaireau et Madame Renarde 4 : Jamais tranquille !

Luciani & Tharlet - © Dargaud 2010
L’hiver approche. Monsieur Blaireau et Mme Renarde préparent le terrier pour la rude saison qui s’annonce. Les blaireaux n’arrêtent pas de manger pour se constituer des réserves de graisse. Chez les renards, la fourrure s’épaissit pour les protéger du froid. Lorsque le mauvais temps s’installe, l’ennui gagne les enfants, obligés de rester à l’intérieur. Pour les blaireaux, la sieste prolongée devient l’activité principale, ce qui a le don d’irriter Roussette la petite renarde. Sa mère décide de lui apprendre les rudiments de la chasse dans la neige…

La cohabitation continue pour cette drôle de famille recomposée imaginée par Brigitte Luciani et Eve Tharlet. Une fois encore, ce sont les caractères bien trempés des enfants et leurs chamailleries qui font tout le sel de l’histoire. Aux pinceaux, l’illustratrice propose toujours de magnifiques aquarelles à chaque case. Dans cet album, sa restitution de la campagne sous la pluie et sous la neige est de toute beauté.

Malgré un petit coup de moins bien dans l’épisode précédent, cette série garde une qualité indéniable. Sur un sujet difficile, les deux auteurs ont su créer un environnement plein de tendresse et de douceur. Un album idéal pour les enfants qui ont commencé à lire depuis peu et veulent découvrir la bande dessinée.


Mon avis sur le tome 1


Monsieur Blaireau et Madame Renarde T4 : Jamais tranquille ! de Brigitte Luciani et Eve Tharlet. Éditions Dargaud, 2010. 32 pages. 15,50 euros. A partir de 6-7 ans.


Luciani & Tharlet - © Dargaud 2010





Festival BD Boum 2011

Prix ligue de l'enseignement

mercredi 23 novembre 2011

Formose

Lin - © çà et là 2011
Li-Chin Lin est née à Taïwan en 1973. Une île à l’histoire mouvementée, au départ uniquement peuplée d’aborigènes mais très rapidement annexée par les chinois (dès le IIème siècle). Au XVIème siècle, les portugais la rebaptise Formose, nom qu’elle gardera jusqu’à la création de la république de Taïwan en 1895. Cette même année, la Chine cède la toute jeune république au Japon. Il faudra attendre 1945 et la défaite japonaise pour que l’île retourne dans le giron chinois. En 1949, lorsque les nationalistes dirigés par Chiang Kaï-Chek sont chassés du pouvoir par l’Armée Populaire de Mao Zedong, le gouvernement des vaincus s’exile sur l’île. Taïwan devient alors officiellement la république de Chine (à ne surtout pas confondre avec la République Populaire de Chine de Mao). Pendant près de 50 ans la famille Chiang, farouchement anti-communiste, va régner sans partage sur l’île en instaurant la loi martiale. Il faudra attendre 1996 pour voir les premières élections au suffrage universel. Aujourd’hui, si la dictature a disparu, la démocratie reste fragile.

Cette remise en contexte historique un peu lourde est un préalable nécessaire pour bien comprendre cet album autobiographique. Au début des années 80, la petite Li-Chin vit dans le sud de l’île. Difficile pour elle de s’y retrouver entre la propagande officielle anti-communiste, la nostalgie de ses grands parents qui regrettent l’époque de la colonisation japonaise ou encore le dédain affiché à l’égard des autochtones que les chinois considèrent comme des êtres inférieurs. A la maison, sa mère parle le holo (le taïwanais) et sa grand-mère le japonais tandis qu’à l’école seul le mandarin est autorisé. La petite, endoctrinée par ses enseignants, pense que cette dernière langue est la plus noble et la plus à même de faire d’elle une chinoise de Taïwan modèle. Passionnée par le dessin, Li-Chin tombe amoureuse des mangas. Un vrai dilemme pour elle, conditionnée pour mépriser tout ce qui n’émane pas de la république de Chine. La culture japonaise dans son ensemble la fascine malgré elle, ce qui lui pose quelques soucis « patriotiques ».

En 1983, c’est le départ pour le collège, un établissement où on prépare les enfants au concours d’entrée au lycée. Élève appliquée, Li-Chin est acceptée en 1988 dans un lycée de filles de Taipei, la capitale. Un choc pour elle, issue des campagnes du sud et découvrant pour la première fois la vie en ville. En 1989, les événements de la place Tian-An-Men la bouleverse et en 1991, son entrée à la faculté pour suivre des études d’histoire sonne comme une révélation : « c’est à ce moment-là que j’ai vraiment eu l’impression de commencer ma métamorphose, de vivre ma propre vie. […] A la fac, j’ai enfin ouvert les yeux. […] Je me suis rendu compte que, finalement, on nous avait bourré le crâne de mensonges et coupés des vrais témoins historiques.»

Formose est un roman graphique ambitieux et fort bien construit. Li-Chin y évoque sa quête d’identité. En même temps, elle analyse avec clairvoyance l’évolution de son île, l’endoctrinement de la population et la construction de son propre esprit critique. Sans amertume, avec une belle lucidité, elle revient sur le parcours qui a modelé sa conscience politique.

Graphiquement, l’auteur se situe entre Hisaichi Ishii (Mes voisins les Yamada) et une Aurelia Aurita (Fraise et chocolat) qui aurait appris à dessiner : pas d’encrage, pas de cases, un trait proche du crayonné, tout en souplesse et très agréable sur la longueur. Surtout, Li-chin Lin fait preuve d’une belle inventivité. Visages et corps déformés, alternance entre séquences oniriques et réalistes, il y a à travers ses pages une vraie force d’évocation. Le découpage en chapitres et la présentation chronologique des différents événements rend l’ensemble très fluide. Seul petit bémol, l’absence de véritable évolution physique chez l’héroïne. La Li-chin de l’école primaire et l’étudiante de fac semblent être une seule et même personne dont l’apparence n’a pas changé d’un iota malgré les années.

Une fois encore, les éditions çà et là sortent des sentiers battus avec un album inclassable et de qualité. Merci à eux et Libfly de m’avoir permis d’élargir mon champ de connaissance de la BD mondiale avec cette belle découverte.


Formose, de Li-Chin Lin, Éditions çà et là, 2011. 252 pages. 22 euros.

Lin - © çà et là 2011


Lin - © çà et là 2011