lundi 9 novembre 2015

Leilah Mahi 1932 - Didier Blonde

Un billet un peu particulier aujourd’hui. J’ai lu ce livre il y a plus de trois semaines et je n’ai pas gardé mon exemplaire. Donc au moment de vous en parler, il m’en reste un souvenir assez précis mais pas aussi net que si je venais de le refermer. Et finalement c’est une très bonne chose que mon ressenti sois « diffus » car il correspond bien à l’esprit de ce récit. Si je n’ai plus mon exemplaire, c’est parce que je l’ai offert à Galéa. J’ai pensé que c’était un livre pour elle, Modianesque au possible. Pas tant dans l’écriture que dans son atmosphère, sa quête de fantômes de l’entre deux guerres, ses balades dans les rues de Paris. Dans le fait aussi que le résultat de l’enquête importe bien moins que la façon dont l’auteur la mène.

« Est-ce l’éclat sombre de la passion ou celui de la folie qui brille au fond de ses yeux ? Deux grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques, qui me fixent, me fascinent, m’attirent irrésistiblement, comme un phalène. Des yeux si larges, brouillés de fièvre, en noir et blanc. Et cette imperceptible ironie sur ses lèvres. »

Didier Blonde tombe en arrêt, un jour de 2008, devant une photo ornant une plaque funéraire au columbarium du Père Lachaise. Leïlah Mahi est une belle inconnue dont l’identité se réduit à un nom et une date de décès, le 12 août 1932. En bon « détective de la mémoire », l’auteur de « L’inconnue de la seine », fasciné par les destins obscurs de femmes du début du 20ème siècle, lance son enquête avec le peu d’éléments en sa possession.

Très vite il découvre sur le net que la jeune femme a de nombreux amoureux transis, mais qu’aucun ne sait qui elle est réellement. Toquant à la porte des administrations, écumant les bouquinistes (pour découvrir l’existence de deux romans autobiographiques publiés en 1929 et 1931 par une dénommée Leïlah Mahi), voyant tantôt en elle une actrice du cinéma muet, une courtisane ou une mondaine oisive fumeuse d’opium, Blonde s’égare, se disperse, abandonne puis reprend ses investigations après plusieurs mois de pause, revenant sans cesse à l’éblouissement ressenti le jour de sa découverte : « Tout paraissait étrange en elle. Ses grands yeux qui brillait d’un éclat hypnotique, celui de la passion ou de la folie. Sa pose de femme fatale, provocante, à moitié découverte, presque indécente dans cette nécropole. L’absence de date de naissance. D’où venait-elle ? Comment avait-elle fini ? ».

Ce livre n’est pas un roman. C’est une enquête mélancolique aux accents littéraires profonds, où un écrivain en plein doute s’interroge sur l’intérêt de son projet en gardant en permanence à l’esprit ce qu’il doit à chacun de ses lecteurs. Sa façon de procéder est aussi passionnante que l'histoire de la femme qu’il traque en vain. Et au final me direz-vous, en apprend-on vraiment plus sur Leïlah Mahi ? Et bien oui. Un document parvient à lever une grande partie du mystère. Mais c’est suite à cet événement majeur que le clap de fin survient, comme si l’auteur, au moment où il va enfin pouvoir creuser les choses et avancer, décidait qu’il était parvenu au terme de sa quête et qu’il n’était pas nécessaire d’en connaître davantage. Modianesque jusqu’au bout, et absolument délicieux.

  Leilah Mahi 1932. Gallimard, 2015. 122 pages. 15,00 euros.

Une enquête qui vient de remporter le Renaudot essai et une lecture commune que je partage évidemment avec Galéa. Je m’étais promis de lui faire découvrir un texte de la rentrée littéraire, elle a eu la gentillesse d’accepter ma proposition et j'ai l'impression d'avoir fait un bon choix.








dimanche 8 novembre 2015

L’économie pour quoi faire ? - Robert Benchley

Robert Bentchley est un chroniqueur humoristique américain (1889-1945) qui a longtemps sévit dans de prestigieux magazines comme Vanity Fair ou le New Yorker. Dès 1928, il fut l’un des premiers comiques du cinéma parlant et reçut un oscar pour son film « Comment dormir ? ». Amis de Dorothy Parker, Hemingway et Errol Flynn, ce maître de l’humour décalé et absurde reste une référence pour ses pairs, de Stephen Leacock à Woody Allen.

Ne vous attendez pas dans ces douze leçons d’économie à tomber sur des analyses pointues et des concepts ardus. La première page donne d’ailleurs le ton :



Lorsqu’il propose ses perspectives économiques et financières pour l’année 1931, il insiste sur l’échec du contrôle du prix des marchandises et le déséquilibre de la répartition des réserves d’or, mais aussi sur l’excès de vermouth. Analysant la situation européenne, il relève « un accroissement surprenant de blondes à Paris » (la faute à "un dumping scandinave et allemand") et s’attarde sur la passion italienne pour les spaghettis. Jamais avare de conseils, il explique le plus sérieusement du monde (ou pas) la façon dont une famille doit tenir ses comptes : « L’avantage qu’il y a à tenir une comptabilité domestique est clair. Si vous n’en tenez pas une, vous avez le sentiment gênant de dépenser plus que vous ne gagnez. Si vous en tenez une, vous en êtes sûr. »

Quelques coups de gueule aussi au fil de ces leçons. Contre son banquier (« Mes relations personnelles avec les banques ont toujours été marqués par un certain sentiment de tension. Est-ce lié au fait qu’il n’y a jamais assez d’argent en dépôt sur mon compte ? Je suis peut-être trop susceptible à ce sujet, mais je suspecte les banques de ne pas vraiment raffoler de ma clientèle pour  cette raison. ») et contre le téléphone, devenu le jouet favori des hommes d’affaires (déjà à l’époque !) : « Ainsi va la vie. Il y a ceux qui agissent et ceux qui rêvent, les hommes pour qui chaque seconde compte et ceux qui perdent leur temps à ne rien faire. Les premiers sont les hommes d’affaire de ce pays ; les autres, des types dénués de sens pratique qui s’occupent en écrivant et en dessinant. Ou peut-être est-ce l’inverse. Je n’arrête pas de les confondre. »

Benchley, c’est surtout un ton particulier qui reflète un état d’esprit drôle et léger dans une Amérique tentant de se relever difficilement de la crise de 29. Du non sens derrière lequel affleurent des saillies bien plus virulentes qu’il n’y paraît. 

Une jolie découverte. Et un auteur qui compte dans le paysage littéraire américain du 20ème siècle. 

L’économie pour quoi faire ? de Robert Benchley. Wombat, 2015. 100 pages. 14,00 euros.





vendredi 6 novembre 2015

6 ans et des cadeaux !

Six ans que ce blog existe. Et en six ans, mes étagères se sont bien remplies.

Six ans de lectures, de billets, d’échanges, de rencontres. Des amitiés durables et sincères, des personnes dont je ne plus me passer. Ce blog fonctionne sur l’envie. Envie de partager et de découvrir, de défendre des textes qui me sont chers, de me précipiter sur ceux que l’on me recommande chaudement. Plaisir d’offrir, joie de recevoir. Et dans ce domaine, je m’estime particulièrement gâté !

Six ans au cours desquels j'ai bien grandi, dans tous les sens du terme. Aujourd’hui la frénésie du début n’est plus, je me fais plus discret, ici et ailleurs, et cela me convient parfaitement. Je garde ma liberté de ton, ma curiosité et ma mauvaise foi permanentes, mais aussi l’éclectisme de mes goûts littéraires. Je reste un simple lecteur, jamais donneur de leçon, jamais en quête d’une quelconque reconnaissance, ni de la moindre notoriété.


Un grand merci pour leur fidélité aux lecteurs réguliers, ceux qui s’expriment et les autres, les discrets qui passent sans faire de bruit. J’espère que tout le monde se sent bien accueilli sur ces berges, c’est ce qui m’importe le plus finalement.

Allez, trêve de bavardage. Qui dit anniversaire dit cadeau. Comme tous les ans, je vais offrir des livres à trois heureux élu(e)s tiré(e)s au sort par une main innocente. Pour participer il suffit juste de me le signaler en commentaire. Pas besoin de partager ce billet, de liker ma page ou je ne sais quoi, il suffit juste de vous manifester. Une fois les noms connus, vous me donnez votre adresse et je m’occupe du reste.

Précision importante, les belges, les suisses, les Dom-Tom et les québécois sont évidemment les bienvenus pour le tirage au sort.

Je vous laisse une semaine, les résultats seront proclamés samedi prochain.






mercredi 4 novembre 2015

Le vieil homme et la mer - Thierry Murat d'après Ernest Hemingway

L’histoire est connue : « Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream ». Depuis des semaines, le vieil homme rentre chaque jour bredouille. Ce matin-là, comme d’habitude, il s’embarque à l’aube. A midi, il ferre un espadon. La bête est énorme, le combat sera dantesque. Deux jours et deux nuits de lutte acharnée, sans haine : « Tu veux ma mort, poisson… C’est ton droit, camarade. J’ai jamais rien vu de plus grand et de plus noble que toi. Alors, vas-y, tue-moi.  Ça m’est égal, lequel de nous deux tue l’autre. » Le vieil homme finit par l’emporter mais la victoire aura un goût amer. L’histoire est connue…

Le roman m’avait beaucoup marqué il y a près de 25 ans. A tel point que j’ai retrouvé dans cette adaptation mon ressenti de l’époque : l’âpreté de la lutte, l’épuisement, la morsure du sel et du soleil, le respect mutuel de deux adversaires donnant le meilleur d’eux-mêmes, etc.

Le texte d’Hemingway, au symbolisme un peu simpliste et trop évident, tenait surtout par la beauté de son écriture. Cette adaptation très fidèle m’a embarqué par son esthétisme. J’avais déjà eu l’occasion d’admirer le talent de Thierry Murat avec « Les larmes de l’assassin », il confirme ici qu’il est un dessinateur exceptionnel. Usant de ces tons monochromes qu’il maîtrise à la perfection, il va à l’essentiel, sans esbroufe, dans une forme d’épure fascinante. Du grand art !

Un album sublime et un joli cadeau de Moka, que je remercie pour cette gentille attention.

Le vieil homme et la mer de Thierry Murat (d’après Ernest Hemingway). Futuropolis, 2014. 126 pages. 19,00 euros.

Les avis de Moka, Noctenbule et Noukette



mardi 3 novembre 2015

Le premier mardi c'est permis (42) : La femme de papier de Françoise Rey

Drôle de destin que celui de ce livre devenu un classique de la littérature érotique contemporaine alors que les lettres qu’il contient n’étaient au départ pas vouées à être publiées.

Françoise Rey s’adresse à son « amour interdit » à travers une succession de missives torrides, inventant les situations les plus échevelées pour le titiller. Le portrait brossé de l’amant est des plus flatteurs, « une imposture » comme elle le reconnaît, mais une imposture nécessaire pour rendre chaque épisode toujours plus excitant. Lorsqu’elle avoue sa tromperie à son mari et lui faire lire les lettres, il lui rétorque : « J’ai lu ton ramassis. C’est de la merde. Tu enverrais ça à un éditeur, il te rirait au nez. » Et c’est parce qu’elle l’a pris au mot que ce « ramassis » est devenu un incroyable succès, tant critique que commercial.

Pour être honnête, tous les chapitres ne m’ont pas émoustillé. Celui où elle lève un gamin de 15 ans dans un bar, celui avec le travesti (!), la partie SM avec des crayons (!!) ou le délire scatologique (!!!) ont été difficile à avaler. Mais à coté de cela, il y a des passages d’une sensualité et d’un érotisme inouïs, un vocabulaire incroyablement riche pour dire les choses du sexe, une langue à la fois belle et crue derrière laquelle, malgré les apparences, on sent beaucoup de pudeur.

Alors oui, l’entreprise peut paraître servile, notamment en ce qui concerne la place de la femme par rapport à la toute puissance d’un homme lui imposant ses désirs, le plus souvent par la force. Mais les situations relèvent de la pure fiction, de l’exagération, et ces lettres représentent avant tout la manœuvre d’une femme follement éprise voulant faire plaisir à celui qu’elle aime. L’épilogue est d’ailleurs, par contraste avec ce qui précède, d’une sincérité et d'une intensité bouleversantes.

Un premier roman provocant, obscène et surtout hautement littéraire. Incontournable pour tout amateur d'érotisme qui se respecte.

Un dernier mot pour souligner la qualité de cette édition enrichie d'illustrations d'Alex Varenne, d'une postface et d'un passionnant entretien avec Françoise Rey.

La femme de papier de Françoise Rey. La Musardine, 2015. 270 pages. 18,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi ou presque avec Noukette. Pour le coup, on est loin d'une pépite jeunesse mais c'est l'occasion de prouver s'il en était encore besoin que l’éclectisme nous va comme un gant.



Plein d'autres lectures coquines chez Stephie,
parce qu'aujourd'hui c'est permis !









dimanche 1 novembre 2015

Pauvre chose - Risa Wataya

« Je n’avais plus envie de vivre quotidiennement dans l’effroi que, quoique m’entendant dire je t’aime, m’envoyant en l’air et nageant dans le bonheur, j’étais peut-être aussi en train d’être prise pour une conne. »

Julie tombe des nues quand elle apprend de la bouche de son petit ami Ryûdai qu’il a décidé d’héberger son ex Akiyo dans son minuscule appartement. La pauvre n’a ni logement ni travail, il a juste voulu lui venir en aide. C’est temporaire évidemment. Et puis lui dort sur le canapé et elle dans la chambre. Et puis elle n’a rien craindre, tout est fini entre eux. De toute façon sa position est claire et la menace précise : « Si tu refuses absolument que j’aide Akiyo, je suis au regret de te le dire, mais je te quitte. »

Alors Julie va se faire une raison et avaler l’énorme pilule. Se dire que son copain est juste un bon samaritain, un altruiste. Sauf que. Ryûdai refuse que Julie vienne le voir chez lui et ne décroche plus le téléphone. Ses collègues au boulot lui disent toutes qu’une relation amicale entre ex sous le même toit, c’est juste impossible. Alors Julie gamberge. Elle va se rendre dans l’appart pour rencontrer sa rivale. Et en ressortir rassurée. Julie la bonne poire. Sauf que. Je vous laisse deviner la suite…

J’avais été moyennement convaincu par « Trembler te va si bien » mais j’ai voulu redonner sa chance à cette jeune auteure qui avait remporté le prix Akutagawa (le Goncourt japonais) à 19 ans. C’est encore une fois un texte très psychologique, trop féminin pour moi, mais je me suis quand même laissé ferrer. Parce que Julie est un personnage attachant. Elle trouve toutes les excuses possibles à Ryûdai, se persuade qu’elle n’a aucune raison de douter et s’apitoie sur le sort d’Akiyo. On se dit qu’elle est bien naïve, qu’elle refuse d’ouvrir les yeux pour ne pas voir la vérité en face ou que, tout simplement, elle est bien trop conne. Mais la fin du roman nous prouve le contraire et c’est un délice ce final inattendu, aussi revanchard que cruel.

Une comédie sentimentale à la japonaise, tout en retenue mais qui ne manque pas de piquant.

Pauvre chose de Risa Wataya. Picquier, 2015. 142 pages. 16,00 euros.



samedi 31 octobre 2015

Labyrinthes - Théo Guignard

Un incroyable livre-jeu proposant seize labyrinthes se déployant sur des double-pages fourmillant de détails. Décor animal, végétal, festif, futuriste, estival, abstrait, médiéval ou architectural, le choix est vaste. A chaque labyrinthe le style graphique change, comme le degré de difficulté. C’est incroyable d’inventivité, les énigmes proposées demandent une attention visuelle constante.

Un album que mes filles ont déjà parcouru des dizaines de fois. Car c’est bien un album, très grand format cartonné à la finition soignée. Interdit donc d’écrire dessus, même au crayon à papier ! On suit donc les chemins proposés avec le doigt, ce qui complique encore un peu les choses. Mais rien d’insurmontable au final, surtout que si l’on est vraiment coincé, les solutions se trouvent en dernière page.

Impossible de ne pas se laisser prendre au jeu, toutes les personnes passées à la maison ces derniers jours ont plongé la tête la première après l’avoir eu entre les mains. Bref, une idée-cadeau parfaite pour petits et grands.

Labyrinthes de Théo Guignard. Amaterra, 2015. 40 pages. 17,90 euros.












mercredi 28 octobre 2015

Chiisakobé T1 - Minetarô Mochizuki

Shigeji, apprenti charpentier, perd ses parents dans l’incendie de l’entreprise familiale. Décidé à sauver la société coûte que coûte, il veut reconstruire de ses mains et sans aide les ateliers détruits par le feu. De retour dans sa maison natale, il engage Ritsu, une amie d’enfance, comme cuisinière et femme de ménage. La jeune femme arrive chez lui avec cinq orphelins turbulents…

Adaptation d'un roman publié en 1957 par Shûgorô Yamamoto (célèbre écrivain dont l'oeuvre a été adaptée de nombreuses fois au cinéma, notamment par Akira Kurozawa), ce manga dégage une atmosphère vraiment particulière. Shigeji est un personnage inclassable, barbu taciturne et têtu refusant la moindre main tendue pour rebâtir ce qu'il a perdu et gardant en permanence à l'esprit les valeurs transmises par son père, "Volonté et humanité". Sa relation avec Ritsu, d'une délicatesse toute japonaise, illumine le récit d'un touchante timidité. Les orphelins sont pour leur part grossiers, irrespectueux et incontrôlables mais on sent que le charpentier, même s'il ne s'intéresse de prime abord que très peu à eux, va finir par les amadouer.

Graphiquement c'est très surprenant, proche de la ligne claire franco-belge, épuré, avec un décor minimaliste ou absent et beaucoup de gros plans. Il se dégage de l'ensemble une certaine forme de lenteur, énormément de silences et de non-dits. Le triangle amoureux qui se forme dans les dernières pages laisse augurer une intrigue plus complexe et psychologique particulièrement prometteuse.

Un premier tome qui prend son temps et distille un charme assez indéfinissable. Une série prévue en quatre volumes que je prendrai plaisir à suivre, c'est une évidence.


Chiisakobé T1 de Minetarô Mochizuki. Le Lézard Noir, 2015. 206 pages. 15,00 euros.






mardi 27 octobre 2015

Mauvais fils - Raphaële Frier

Ghislain, fils unique, n'est pas celui que ses parents attendaient. Pas bon au lycée et surtout pas hétérosexuel. Difficile de leur cacher la vérité, difficile de ne pas répondre quand sa mère lui demande quand il amènera sa petite amie à la maison, difficile d'envoyer bouler son père qui veut lui apprendre le bricolage et faire de lui un gars viril. Un paternel tellement coincé et obtus que quand la vérité éclate au grand jour, Ghislain se retrouve à la rue, livré à lui-même...

Bon, c’était mal barré. Un démarrage que j’ai trouvé trop brutal. Un malaise trop profond chez Ghislain, un père trop beauf, caricature de l’homophobe sans nuance qui veut faire de son fils un homme, un vrai. Sans compter un virage glauque avec l’épisode des bars gays (un ado de 17 ans qui va « chasser » des partenaires dans des lieux pareils, outch quand même !). Entre ce que je considérais comme très cliché et une ambiance assez malsaine, j’ai failli lâcher prise. Mais j’ai persévéré et j’ai bien fait.

Parce que le narrateur ne s’enferme pas dans sa colère et son désespoir. Il reste debout et avance. Parce que la lumière survient et balaie le glauque avec finesse. Parce s'il n’y a pas de coup de baguette magique pour résoudre la situation, si l’avenir, en pointillé, n’aura rien d’un long fleuve tranquille, les choses peuvent néanmoins s’envisager de façon positive.

Et puis j’ai beaucoup aimé cette fin (que je ne vais pas vous raconter), dont le puissant symbolisme a fini par emporter ma totale adhésion. Un texte court, percutant, tendu, nerveux et intelligent qui propose une jolie réflexion sur la tolérance et l’acceptation de soi. Bref, typiquement le genre de pépite jeunesse que Noukette et moi aimons dénicher chaque mardi ou presque.

Mauvais fils de Raphaële Frier. Talents Hauts, 2015. 95 pages. 7,00 euros. A partir de 15 ans.









lundi 26 octobre 2015

Djibouti - Pierre Deram

Le lieutenant Markus rentre à Paris demain. Pour sa dernière nuit à Djibouti, il s’embarque avec Maronsol et le capitaine Gallardo pour un adieu aux armes d’une incandescente mélancolie…

J’ai craint au départ les clichés sur les beaux légionnaires sentant bon le sable chaud et se tapant, le treillis sur les chevilles, une chèvre crevée au piquet depuis trois jours en chantant « Tiens, voila du boudin ». Mais il n’en est rien. Djibouti est un très beau premier roman, plein de souffle, qui se laisse parfois déborder par quelques emportements lyriques mais dont l’écriture est dans l’ensemble magnifiquement tenue. Un texte charnel qui dit la moiteur d’une ville au bord de l’asphyxie, une ville où la chaleur épouvantable écrase les êtres, où le soleil dissout les âmes. Sur cette terre désolée, on suit les errements nocturnes de soldats paumés et de putains fatiguées partageant la même solitude dans des rues où « l'ivrognerie et la tension sexuelle sont partout palpables ».

Pierre Deram décrit un monde en faillite dans lequel chacun navigue les « yeux perdus au fond d’une nuit d’ivresse ». Une indicible mélancolie face à laquelle Markus veut trouver un semblant de sens : «  Toute cette désolation… je veux croire qu’il y a… tout de même… quelque chose comme la flamme d’une bougie… si fragile… vacillante… Il faut qu’il y ait cela ou alors… […] ou alors c’est le naufrage ». Ici la chair est triste, la violence partout présente et l’alcool abrutit les esprits. Les corps trempés de sueur s’affrontent pour un regard ou par simple jeu, chacun semble au bord de l’abîme, toujours plus proche d’un chaos prêt à tout emporter sur son passage.

J’ai beaucoup aimé ce texte brutal et hypnotique, sans doute parce que les nuits d’ivresse et d’abandon, les bars crasseux et les rencontres d’un soir ravivent en moi les souvenirs d’une autre vie…

Djibouti de Pierre Deram. Buchet-Chastel, 2015. 114 pages. 11,00