lundi 22 septembre 2014

Entre ciel et terre T1 - Golo Zhao

Soyons honnête, je n’ai pas tout compris. Pourtant j’aime beaucoup Golo Zhao et sa balade de Yaya m’avait enchanté mais là, rien à faire, je me demande encore où il a voulu m’emmener.

Ça commence par l’histoire de Huit, une petite fille qui voudrait monter au ciel pour rejoindre sa maman décédée (déjà, bonjour l’ambiance !). Un soir, elle escalade le plus grand arbre du village avant de disparaître. Son ami Ming, parti la secourir, ne retrouvera que ses chaussures posées sur des branches. Quelques années plus tard, Ming s’est installé dans un autre village. Devenu marchand de graines, il se perd un jour dans la forêt, rencontre une créature fabuleuse ayant pris l’apparence d’une jeune fille et la ramène chez lui. Au même moment entrent en scène un prêtre taoïste, une chasseuse de démon et l’inspecteur Zhou Butong, chargé d’enquêter sur la disparition de Huit. Quant à la créature fabuleuse, elle explique à son hôte qu’elle doit pratiquer la Voie (????), « un processus incessant d’apprentissage et d’imitation des humains ».

Vous me suivez ? Ça m’étonnerait… En tout cas c’est tout ce qui m’est resté en tournant la dernière page. Une grande confusion, l’impression que l’on ouvre des tas de porte sans jamais penser à les refermer. Les fils narratifs jetés dans tous les sens vont sans doute se rejoindre à un moment ou l’autre mais ce n’est malheureusement pas le cas à la fin de ce premier tome. En plus, les références au taoïsme semblent importantes pour saisir le pourquoi du comment mais je manque cruellement de connaissances sur le sujet pour y voir clair.

Au final, il me reste la désagréable sensation d’avoir perdu mon temps. Le dessin est toujours aussi agréable mais pour le reste, mieux vaut attendre la suite et tout lire d’une traite parce que là, je ne suis que frustration.

Entre ciel et terre T1 de Golo Zhao. Cambourakis, 2014. 206 pages. 15,00 euros.



samedi 20 septembre 2014

Orphelins de Dieu - Marc Biancarelli

« Une justice devait s’accomplir, et si les tribunaux, dans leur iniquité perpétuelle, ne pouvaient se montrer dignes de leur charge, peut-être Dieu abattrait-il le glaive rédempteur sur les poitrails des Philistins, et si Dieu, qui, Lui aussi, semblait avoir oublié cette terre, si Dieu Lui-même regardait ailleurs et se refusait à accomplir son devoir, alors la tâche qui consistait à rendre cette haute justice incomberait à l’Enfer. Et dans son pays, l’Enfer était un nom d’homme, et cet homme, disait-on, pourvoyait à la résolution de bien des problèmes que les lointains tribunaux étrangers, et Dieu Lui-même, ne semblaient pas considérer. »

Rendre la justice, Vénérande n’a que cette idée en tête. Faire payer les salopards qui ont tranché la langue de son frère après l’avoir défiguré. L’Infernu est son seul salut. Une légende vivante, un tueur à gage craint dans tout le pays. Avec lui, elle va chevaucher vers la tanière des Santa Lucia (la fratrie à abattre) pour accomplir sa vendetta. En chemin, l’Infernu va lui raconter les plus mémorables épisodes sa longue carrière d’impitoyable desperado…

Un western, au cœur des montagnes corses, à la fin du 19ème siècle, fallait oser ! Un western hanté par le mal et la violence, par des hommes orphelins de Dieu devenus des créatures maléfiques. J’ai retrouvé dans le personnage de l’Infernu les caractéristiques que j’avais appréciées chez celui du Tireur de Glendon Swarthout : un tueur légendaire en bout de course voulant sortir par la grande porte et une scène finale crépusculaire dont on devine facilement l’issue.

Mais l’intérêt principal tient dans l’évocation de son passé de brigand, du basculement de son engagement idéologique vers le grand banditisme. A cet égard, la bande de pillards sanguinaires à laquelle il a appartenu n’a rien à envier aux coquillards de François Villon.

La langue de Marc Biancarelli est riche, âpre et lyrique. Les descriptions possèdent une force d’évocation particulièrement puissante. Après, je le reconnais, le récit est traversé par une violence telle qu’elle pourra heurter les âmes sensibles. Pour ma part j’ai pris un vrai plaisir à découvrir ce texte atypique et plein de souffle qui détonne par rapport à ce que j’ai pu découvrir de la rentrée littéraire jusqu’alors.

Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli. Actes sud, 2014. 236 pages. 20,00 euros.

L'avis de Sandrine




vendredi 19 septembre 2014

Sous les couvertures - Bertrand Guillot

Une librairie de quartier comme il en reste de moins en moins. Un samedi soir, au moment où les portes se ferment. Le vieux libraire rentre chez lui et s’interroge sur l’avenir de son échoppe, sur les clients de plus en plus rares. Retranché sur des positions d’une autre époque, incapable de se remettre en cause, ne laissant aucune initiative à Sarah, son apprentie pourtant compétente et pleine de bonne volonté, il lui est difficile de faire face à une baisse d’activité qui l’étrangle un peu plus chaque jour.

Sur les rayonnages, le moral est aussi au plus bas. Les livres du « boudoir », ceux qui attendent depuis des mois de trouver un acquéreur, savent que le lundi suivant sera pour eux synonyme de retour chez l’éditeur avant la mise au pilon. Réunis en Grand Conseil, ils décident de mener une attaque frontale en direction de la table située près de la caisse, celle réservée aux best-sellers. L’objectif est d’arracher à ces parvenus leurs jaquettes attractives et leurs bandeaux accrocheurs pour s’en parer et ainsi attirer l’attention des clients. Un baroud d’honneur radical censé leur donner une dernière chance de sortir de la librairie par la grande porte…

Chic, un livre sur les livres ! Un livre drôle et léger, au propos bien plus lucide et grinçant qu’il n’y paraît. La situation du marché du livre et de tous ses acteurs est analysée avec une grande subtilité : la versatilité de lecteurs de plus en plus difficile à fidéliser, les boutiques en lignes, le numérique, le rôle des critiques, la surproduction, la loi du marché qui fait des romans de simples produits de consommation, l’impossibilité pour une très grande majorité d’auteurs d’espérer la moindre exposition dans les médias, etc. Le fait de mettre en scène les livres se battant pour obtenir la meilleure place possible dans la librairie est une excellente idée à la base. Il y a des passages fort réussis, notamment celui ou les ouvrages « papier » échangent avec une liseuse. La scène est drôle et balaie l’air de rien les problématiques qu’implique ce nouvel outil.

Après, j’avoue que la bataille rangée entre les livres ne m’a pas emballé plus que ça. Trop longue, trop confuse, difficile à visualiser, je me suis un peu perdu en route. J’ai préféré les chapitres avec le libraire ou Sarah et j’aurais aimé passer davantage de temps avec eux et leurs questionnements. Mais au final l’impression générale reste très positive. Bertrand Guillot a l’intelligence d’offrir un chant d’amour aux livres sans militantisme enflammé ni étude sociologique barbante sur la lecture. Il pose des questions pertinentes telles que : "Et comment on pouvait encore être libraire, à l'heure où les mêmes clients qui vous reprochaient de ne pas avoir tout lu se tournaient vers des libraires en ligne qui précisément ne lisaient rien ?".  Bref, il donne à réfléchir en toute simplicité, et force est de reconnaître qu'il fait mouche.

Sous les couvertures de Bertrand Guillot. Rue Fromentin, 2014. 176 pages. 16,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Leiloona et Stephie.







jeudi 18 septembre 2014

Les fils de rien, les princes, les humiliés - Stéphane Guibourgé

« Nous choisissons la haine. Nous sortons la nuit pour casser du bicot, défoncer des youpins. Nous sortons la nuit pour humilier des pédés, des gauchistes, des branleurs. Les passants s’effacent, La colère nous hante depuis l’origine. C’est un écho qui ne faiblit pas. 
Nous sommes treize. Des hommes forts, des hommes pâles. Rangers noires lacées haut, bombers sombres, tee-shirt blancs. Une faction. Phalanges tatouées, crânes, fraternité européenne. Nul ne s’oppose à nous, vitesse et violence rassemblées. Dans la pureté de l’instant, chacun de nos pas est une conquête. La ville, les faubourgs nous appartiennent. »

Ainsi s’ouvre la douloureuse confession d’un ancien skinhead. Falco a aujourd’hui 47 ans et il se souvient. Les vols de voiture, les agressions gratuites, les viols, les bagarres entre hooligans autour du Parc des Princes. La Meute l’a accueilli alors qu’il sortait à peine de l’adolescence. Elle est devenue sa seule famille au cœur des années 80, au moment où la France comptait pour la première fois 2,5 millions de chômeurs et où la jeunesse des classes populaires n’avait devant elle qu’un horizon bouché. Enfant de la banlieue né du mauvais coté du périph, fils d’un ouvrier licencié de l’usine Citroën de Poissy, Falco a choisi la haine : « La déroute de nos pères est la nôtre. L’accepter. Tuer ainsi le vieil homme en nous. Rentrer dans la maison de nos pères et y mettre le feu. Retourner dans la maison de l’enfance. La dévaster. Alors seulement nous serons libres, nous pourrons vivre. »

A l’aube de la cinquantaine, sans remords ni nostalgie, Falco cherche l’impossible apaisement. Le chiot enragé qu’il était a commis l’irréparable, le meurtre gratuit. Il a connu la prison, il a trahi, il est devenu un lâche, un père abandonnant son enfant sans se retourner. Aujourd’hui retiré dans les montagnes, vivant dans une caravane avec son chien, construisant pierre par pierre sa maison, il voudrait se réconcilier avec lui-même. Surtout, il voudrait comprendre sa violence, la nommer : « Qu’y a-t-il au fond de moi de sauvage, de mauvais ? Quel est ce mal ? Une force profonde, qui me précédait je crois. Qui me l’a transmise ? Une maladie présente depuis l’origine, qui surgit soudain et se déploie. Certains savent la juguler, d’autres cèdent et se laissent emporter. Ceux-là dévastent tout sur leur passage. »

L’auteur précise en préambule que les opinions qui agitent la Meute dans certaines pages du livre ne sont pas les siennes. Ce n’était pas nécessaire je pense. Ce texte est âpre, traversé par un désespoir poisseux, irrigué par une violence abjecte, mais il est impossible d’y voir une quelconque apologie de la haine ordinaire. C’est bien plus profond. Pas de fascination ni de dégoût pour le personnage, on touche ici à l'angoisse, à la peur, à « la douleur nue, les nerfs qui frottent contre l’os. La solitude. »

Ce roman est un roman social, un roman éminemment politique. Il vous heurte par ses mots crus, sa prose habitée, sa force brute. Il secoue furieusement, il interpelle, il laisse sans voix. Un choc dont on sort ébranlé, et pas qu’un peu.

Les fils de rien, les princes, les humiliés de Stéphane Guibourgé. Fayart, 2014. 200 pages. 17,00 euros.









mercredi 17 septembre 2014

Carnation - Xavier Mussat

Dessinateur formé à Angoulême, Xavier Mussat a choisi de rester sur place à la fin de ses études. En 1998, le studio dans lequel il travaille s’attaque à la réalisation du dessin animé « Kirikou et la sorcière » de Michel Ocelot. Une fois ce travail titanesque terminé, les productions suivantes, formatées pour la télévision, lui paraissent bien fades. Décidé à se lancer dans la BD, il abandonne son job et se retrouve du jour au lendemain à dépendre des ASSEDIC. C’est à cette époque que débarque dans sa vie Sylvia, jeune femme instable, fragile et un peu sauvage. Le début d’une relation tumultueuse dont il ne sortira pas indemne…

Xavier Mussat ne nous épargne rien dans cet album introspectif, disséquant la moindre parcelle de ses moments passés avec Sylvia, de leur rencontre à la rupture, du désir au rejet, de la tendresse à l’indifférence. Comment Sylvia l’a isolé de ses amis, comment elle l’a dévoré peu à peu, comment il n’a pu faire face à son instabilité chronique. Leur histoire est un grand huit permanent  dont la toxicité sonne comme une évidence mais avec laquelle ils finissent par s’accommoder. « On ne s’enferme pas dans une relation secouée de tant de dissemblances sans que quelque chose ne finisse par changer. Au début on cherche les similitudes et on s’indigne des désaccords, on essaie de tordre la matière. Et puis, ne parvenant ni à extraire ni à modifier ce corps étranger, on intègre les paradoxes. On apprend à aimer et  on se surprend à vouloir que cet amour devienne véritable. »

Deux cent quarante pages d’une mise à nue complète pour une histoire d’amour tellement tumultueuse qu’elle ne pouvait qu’être émouvante. Oui mais voila, je n’ai pas été touché une seconde par ce récit beaucoup trop intime pour moi. Sans doute parce que je déteste avoir l’impression de jouer les voyeurs. L'ensemble est aussi bien trop bavard. Joliment écrit mais avec des tonnes de récitatifs au verbiage très, très plombant.

Visuellement, par contre, c’est impressionnant. Je trouve la prise de risque formidable et je dois bien reconnaître que les nombreuses allégories présentes quasiment à chaque page sont aussi variées qu’originales.

Un exercice purificateur, une catharsis sans doute nécessaire, mais cette séance de psychanalyse géante m’a laissé de marbre. Rien à faire, je suis allergique à l’autofiction, même en BD !

Carnation de Xavier Mussat. Casterman, 2014. 247 pages. 25,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Mo’Ça faisait longtemps, bien trop longtemps

L'avis de Moka qui a pour sa part beaucoup aimé. L'avis de Marion.










mardi 16 septembre 2014

Rien dire - Bernard Friot

C’est un stage de préparation au bac de français. Quatre jours en rase campagne, dans un ancien pensionnat transformé en centre d’accueil pour colonies de vacances. Le soir, la prof a mis en place un petit jeu d’improvisation. Le principe : s’asseoir sur une chaise au milieu de ses camarades et parler. « De soi, de sa situation, de ses projets, de ses passions. Sans rire. » Le temps qu’une bougie se consume.

Le tour de Brahim approche. Mais il n’a rien à dire. Il ne veut rien dire. « J’arrête. J’arrache ma langue, je vide ma tête, j’écris fin. Et puis plus rien. Ce serait bien. Mais on peut pas s’arrêter de penser. Penser à rien, ça n’existe pas, c’est impossible ça. » Alors Brahim va parler. Raconter sa passion pour l’Allemagne, pour la langue et les pâtisseries allemandes surtout. Chaque été il rend visite à son oncle, à Dresde. Voila, c’est ce qu’il va raconter. Les vacances, les gâteaux allemands. Le Stollen, le Käsekuchen, la Herrentorte. Les ingrédients, le mode de préparation, la cuisson. Pendant ce temps au moins, la cire pourra fondre. Mais emporté par les mots, Brahim aborde d’autres sujets. Son statut de FOI (Français d’Origine Incontrôlé) en opposition aux FOC (Français d’Origine Contrôlé), par exemple : «  Moi je suis né en France d’une mère née en France. Mais manque de pot, mes grands-parents sont nés en Algérie. Alors ça me poursuivra jusqu’à la fin des temps, certainement. » Et là, les vannes s’ouvrent, la colère monte, Brahim change de ton…

Un bien joli texte sur la parole libérée d’un ado au départ plein de retenu dont l’armure se fendille peu à peu. L’émotion à fleur de peau, les confidences touchantes, le malaise lié à ses origines, tout s’enchaîne dans un flot ininterrompu. D’une seule voix. Une réussite de plus pour cette collection absolument incontournable.

Extrait :

« Dis rien s’il te plait, Brahim, dis rien, ça sert à rien. Te fais pas remarquer et tout ira bien. 
C’est le refrain de ma mère, pauvre mama, je t’aime, alors je ne dis rien, je presse sur mon ventre pour que ça s’enfonce tout au fond, et que ça sorte pas, hein, que ça sorte pas. Lisse, toujours lisse… Bien lavé, bien peigné, bien habillé, clean, cool, poli, propre sur moi, bon élève, délégué de classe, club de judo, groupe de rock, et aide aux devoirs pour les minots, tout comme il faut. Comme notre pelouse, devant notre pavillon de banlieue, la plus belle pelouse du lotissement, taillée aux ciseaux, pas une mauvaise herbe. Et les jardinières de fleurs sur mes rebords de fenêtres, et les rideaux lavés tous les quinze jours.  Mes pantalons bien repassés, même les jeans – non, maman, on ne repasse pas les jeans-, et les baskets nettoyées tous les samedis… Lisse, bien lisse… Même le vocabulaire, propre, bien astiqué – dis pas ça Brahim, parle correctement Brahim – Et j’obéis, oui, maman, oui, maman… Lisse, lisse, lisse… ça sert à quoi ? Je m’appelle Brahim, justement, et j’ai les yeux noirs. Et ça, ça ne s’efface pas, ça ne se lisse pas. »

Rien dire de Bernard Friot. Actes Sud Junior, 2014. 78 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle lecture commune du mardi que je partage comme d'habitude avec Noukette.




lundi 15 septembre 2014

J'aurais dû apporter des fleurs - Alma Brami

Gérault est un personnage romanesque comme je les aime. La cinquantaine bien engagée, bedonnant, le crâne lisse et luisant comme une pomme, pas de femme, pas de famille, pas de boulot depuis que sa boîte a fermé... un vrai potentiel de loser magnifique !

Un repas chez un ancien camarade de collège croisé par hasard et Gérault se retrouve avec une proposition d'embauche. Le neveu du camarade cherche quelqu'un pour l'épicerie de quartier qu'il vient d'ouvrir. Un jeune trouduc qui joue au patron, qui pourrait être son fils et va lui donner des ordres à longueur de journée, le pied ! Sentimentalement parlant, Gérault fréquente plus ou moins Françoise, dont le parfum bas de gamme et les allures bobonnes le désespèrent. Il lui reste sa mère, vieille femme acariâtre qu'il déteste et à qui il rend visite de moins en moins souvent et Étienne, son seul ami, beauf bon teint et queutard invétéré qui trompe sa femme comme d'autres vont acheter du pain.

Ah oui, j'ai oublié de préciser que Gérault est aussi un lâche et un menteur. Un gars qui ne dit jamais non, s'interdit d'exprimer ce qu'il pense et refoule profondément la colère qui le consume en permanence. Sauf que le lecteur, lui, entend cette voix intérieure aussi cynique que sincère. Elle offre un délicieux décalage entre l'image qu'il donne en société et la réalité de ses pensées. Tout le sel du roman tient dans ce décalage. C'est drôle, cruel, terriblement humain. Le Gérault, on le plaint mais pas trop non plus. Une certitude, on ne l'envie pas. Mais il est touchant tant ses révoltes sont d'une évidente lucidité. Bref, le genre de personnage que j'aime vraiment beaucoup, beaucoup.

J'aurais dû apporter des fleurs d'Alma Brami. Mercure de France, 2014. 154 pages. 15,80 euros.

Extrait 

" Je vous passe votre mère, elle sera contente de vous entendre, vous devriez l'appeler plus souvent quand même. » Gros yeux autoritaires à l'autre bout du fil. La garde-malade donne des ordres, c'est nouveau ça. Mme Gros-Yeux ferait bien de se tenir à carreau si elle ne veut pas être remerciée. « Oui vous avez raison, j'essaierai. » Elle peut parler tant qu'elle veut, je n'essayerai rien du tout, je suis un fils à la hauteur de sa mère. Point final. On n'a que ce qu'on mérite il paraît."










vendredi 12 septembre 2014

Je suis très sensible - Isabelle Minière

« Le bonheur ce n’est pas d’être heureux, c’est de ne pas souffrir »

Grégoire aime se coucher tôt. Grégoire aime aller au cinéma, surtout pour voir les paysages. Grégoire aime aussi aller au bureau chaque matin. Grégoire prépare les repas d’Agathe, la prof de philo qui partage sa vie. Agathe, il trouve qu’elle fume trop, qu’elle ne mange ni ne dort pas assez. Pour autant, il n’ose pas lui dire. Grégoire n’est pas contrariant, il est toujours d’accord. Grégoire parle peu, il ne veut pas déranger. Grégoire est un gentil, un vrai. Mais avec le décès soudain du président de la république et la présence de plus en plus régulière de Vivien, un collègue d’Agathe, le monde bien ordonné de Grégoire va s’écrouler peu à peu, sans qu’il s’en rende vraiment compte…

Impayable ce Grégoire ! Élevé par une maman solo cafardeuse qui lui sortait des phrases telles que « Tu n’y peux rien Minou, mais j’aurais préféré que tu restes ou tu étais » ou encore « Je t’aurais pas connu, tu m’aurais pas manqué », le garçon est devenu un adulte aussi routinier que prévisible. Un cœur simple à la logique parfois décalée. Un homme tellement gentil qu’il en deviendrait presque inquiétant.

Un texte à la première personne qui retranscrit les événements à travers le regard innocent d’un antihéros ne pensant jamais à mal. Grégoire est drôle malgré lui. A première vue transparent, il perçoit les choses de façon originale, avec beaucoup de sensibilité, ce qui le rend très attachant. Il serait facile de se moquer ou d’être agacé par cette normalité poussée à l’extrême, cette insignifiance permanente, mais au final je suis tombé sous le charme de cette voix et de ce comportement en apparence (je dis bien en apparence !) inoffensifs.


Je suis très sensible d’Isabelle Minière. Serge Safran éditeur, 2014. 170 pages. 14,50 euros.


Un ouvrage lu dans le cadre de l'opération
 "La voie des indés" de Libfly










mercredi 10 septembre 2014

Ceux qui me restent - Damien Marie et Laurent Bonneau

Florent a beaucoup perdu tout au long de sa vie. D'abord sa femme, dont le suicide a fait de lui un père esseulé et incapable de faire face. Sa fille, ensuite. Lilie ne lui a jamais pardonné la mort de sa mère et l'a toujours tenu responsable de cette tragédie. Aujourd'hui, il voudrait la retrouver mais il ne la reconnaît plus. Son mal porte un nom terrible et glaçant : Alzheimer. La maladie n'est pas le seul sujet de cet album bouleversant. La rancœur, les non-dits, ces choses qui nous éloignent les uns des autres et n'engendrent au final que tristesse et remords sont également des thématiques abordées avec beaucoup d'habileté.

Difficile de mettre en images une mémoire défaillante. Les souvenirs surgissent par bribes, sans réelle hiérarchie. Ils s'imbriquent, se chevauchent, se télescopent, s'estompent, s'effacent. Que reste-t-il de tangible ? A quoi se cramponner ? Le récit restitue à merveille ce puzzle mémoriel dont les pièces se perdent peu à peu.

Le dessin de Laurent Bonneau, d'une grande sobriété, suggère les périodes de flottement, de vide, d'absence d'éléments temporels concrets auxquels Florent pourrait se raccrocher. Les grandes cases, très dépouillées, illustrent le "brouillard" dans lequel son esprit s'enfonce chaque jour davantage. C'est subtil et très lisible malgré l'aspect à première vue "décousu" de la narration.

Un album à lire comme une course poursuite. Contre le temps qui passe et efface. Contre une maladie impossible à vaincre. Contre l'amour perdu d'une fille à laquelle on n'a jamais, absolument jamais, cessé de penser au fil des années. Le récit émouvant d'un combat perdu d'avance, déroulé avec une intelligence et une pudeur remarquable.


Ceux qui me restent de Damien Marie et Laurent Bonneau. Grand Angle, 2014. 160 pages. 21,90 euros.


Encore une BD du mercredi que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis de Cynthia, L'ivresse des mots, Marion et Yaneck.















mardi 9 septembre 2014

Oublier Camille - Gaël Aymon

C’est une histoire d’amour qui finit mal. Trois ans qu’ils étaient ensemble. Plus ou moins. Camille, il l’aimait à la folie depuis le collège, mais il n’a jamais su lui dire. Il a raté leur rendez-vous le plus crucial, celui où elle attendait qu’il se livre enfin. Mais il n’a pas osé et il l’a perdue.

Yanis entre en seconde et il voudrait oublier Camille. Pas simple. Pas simple de tirer un trait sur le premier amour, celui que l’on imagine forcément éternel. Son attirance pour la jeune fille est toujours restée platonique. Mais ça n’empêche pas la sincérité et l’intensité des sentiments. Le problème, c’est que ce chagrin, qu’il ne parvient pas à surmonter, perturbe son quotidien et sa scolarité. Sans doute Yanis a-t-il besoin d’un déclic pour passer le cap…

Gaël Aymon dresse avec une justesse remarquable le portrait d’un ado en plein doute. Un ado à la recherche d’une certaine forme de normalité, un ado qui voudrait se fondre dans le moule, être comme ses camarades de classe. Yanis a du mal à trouver sa place, il se sent différent. Il ne se met pas pour autant au-dessus de la mêlée, mais il comprend peu à peu que l’identité que l’on se forge nous est propre, que notre destin est individuel. Il est touchant dans le sens où il s’interroge sur sa perception particulière des choses, sa difficulté à se sentir à l’aise avec tout le monde, son incapacité à se livrer, à s’ouvrir aux autres. Sur son rapport à la sexualité aussi, son dégoût de la pornographie qui, quelque part, le marginalise : « Je ne comprends pas comment je pourrais passer avec Camille de notre amour tellement beau à ce truc… tellement crade ! J’ai trop d’amour pour elle. La toucher et l’embrasser me paraissent comme une offense. A coté de sa silhouette si pure, mon corps me semble animal, presque monstrueux. »

Si ce roman me touche me touche à ce point, c'est peut-être parce que j’ai ressemblé à Yanis à un moment donné de mon adolescence... Bref, tout ça pour dire que son histoire, je l’ai trouvée simple et belle. Surtout pas naïve, ni cucul. Un texte tout en finesse, à lire et à faire lire, aux ados et à ceux qui ne le sont plus depuis longtemps.

Oublier Camille de Gaël Aymon. Actes Sud Junior, 2014. 76 pages. 10,90 euros. A partir de 13-14 ans.

Une lecture que je partage avec Noukette et Stephie. J'espère qu'elles ont aimé autant que moi sinon je boude !