vendredi 22 novembre 2013

Le journal d’Edward, hamster nihiliste (1990-1990) - Miriam et Ezra Ilia

« Roue – Graines – Eau. N’y a-t-il donc rien d’autre ? »

Edward le hamster est un philosophe. Il écrit son journal et ne cesse de s’interroger : « A quoi bon écrire ? La vie est une cage de mots vides. » Edward est un rebelle, il refuse de tenir le rôle de jouet auquel ses propriétaires le confine : « Leur but est de venir à bout de ma volonté, de me réduire à néant. Ils peuvent bien me priver de ma liberté, ils n’auront jamais mon âme. » C’est beau, non ? On dirait du Florent Pagny. Edward va donc entrer en résistance. Dans un premier temps, il décide de ne plus faire de roue : « Réflexions sur une roue : Ça tourne. Ça ne sert à rien. Ça grince. Je n’en ferai plus. » Puis il se lance dans une grève de la faim mais ne tient que cinq minutes avant de remettre le nez dans ses graines.

Un jour on lui amène un congénère, Lou. Edward pense enfin avoir trouvé un interlocuteur avec lequel il va pouvoir disserter mais il doit se rendre à l’évidence, Lou est totalement abruti : « J’ai tenté de l’entraîner dans un débat sur la nature de notre captivité, la vacuité de l’existence et notre irrationnelle envie de vivre. Il a émis un rot, ri et déféqué dans le bac à foin. Il est soit fêlé, soit profondément stupide. Je suis anéanti. » Lou passe son temps à faire de la roue et à s’empiffrer. Heureusement, une indigestion va le rayer de la carte. On le remplace par la jolie Camilla. Une femelle un brin intello qui va lui faire tourner la tête et lui redonner le moral. Le 25 octobre, Edward note dans son journal : « Ai fait l’amour. » On pense alors qu’un gentil happy end se profile. Las, le destin va frapper et laisser notre hamster désemparé et désespéré...

Attention, malgré les apparences, cet ouvrage ne relève pas de la littérature jeunesse. A l’origine Le journal d’Edward était une série radiophonique réalisée pour la BBC. Un truc bien barré comme les anglais savent faire. Miriam Elia a tiré de la série cet étrange livre illustré par son frère. Tous deux se sont inspirés d’un hamster mélancolique acheté par leurs parents quand ils étaient enfants. Miriam s’est glissée dans la peau de l’animal (enfin dans sa tête surtout) pour rédiger son journal intime. Edward est aussi lucide que neurasthénique mais comment ne pas l’être quand votre quotidien n’est fait que de banalité et d’ennui, quand votre environnement se résume à une cage, une roue et une mangeoire. Il y a là une évidente et effrayante parabole sur la condition humaine.

Un petit livre ovni, drôle mais pas que, qui laisse en bouche une impression douce-amère et, l’air de rien, pousse à la réflexion. En tout cas plus jamais je ne regarderai les hamsters de la même façon.

Le journal d’Edward, hamster nihiliste (1990-1990) de Miriam et Ezra Ilia. Flammarion, 2013. 92 pages. 8,90 euros.




jeudi 21 novembre 2013

Zita, la fille de l’espace T1 - Ben Hatke

Propulsée un peu par hasard de l’autre coté de la galaxie, Zita veut à tout prix retrouver son copain Joseph, enlevé par une immonde bestiole aux redoutables tentacules. Débarquant sur une planète inconnue menacée de collision avec un astéroïde, la jeune fille va faire d’étranges rencontres et se lancer dans un périple qui l’amènera au cœur des inquiétantes « Terres de Rouille ».

Avec le premier tome de cette série, Ben Hatke fait découvrir aux enfants la SF et le space-opera. Il crée un univers foisonnant dont l’étonnant bestiaire se révèle plus amusant qu’effrayant. Zita est une gamine intrépide qui va devoir faire face à nombre d’épreuves. Heureusement, elle pourra compter sur l’amitié et la solidarité du petit groupe de personnages qui l’accompagnera au fil de son voyage. Gros costaud, n°1, Pipeau, Mulot et Randy le robot feront tout pour lui venir en aide, même si certains cachent bien leur jeu…

Niveau dessin le trait, simple et nerveux, est au service d’un découpage laissant une place prépondérante aux scènes d’action. Les événements s’enchaînent sans temps mort et le texte peu abondant fait que l’on engloutit les 180 pages en un clin d’œil. Seul bémol, les couleurs sont ternes et rendent les décors un peu tristounets.

Je ne crierai pas au génie mais cet album propose une vraie lecture détente et permettra d’initier nombre de jeunes lecteurs à un genre qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de fréquenter. Et puis voir une petite fille qui n’a pas froid aux yeux jouer les aventurières et venir au secours de son copain, l’air de rien, ce n’est pas une situation si courante dans la BD jeunesse actuelle. Personnellement, c’est une  inversion des rôles qui me plait beaucoup.

Une nouvelle lecture commune que je partage avec Noukette (oui, je sais, comme hier, et alors ?).


Zita, la fille de l’espace T1 de Ben Hatke. Rue de Sèvres, 2013. 186 pages. 11,50 euros. A partir de 8 ans.



Les avis de Leiloona, Nadael et Stephie







mercredi 20 novembre 2013

Come Prima - Alfred

1958, quelque part en France. Giovanni a retrouvé son grand frère Fabio. Dix ans qu’ils ne s’étaient pas vus. Il n’est pas venu seul, leur père est avec lui. Dans une urne. Son décès a convaincu Giovanni qu’il était temps de renouer les liens. Il propose à Fabio de repartir dans leur village natal en Italie pour les funérailles. Un voyage de quelques jours sur les routes franco-italiennes, en Fiat 500. En chemin le dialogue s’instaure peu à peu. Beaucoup de silences au départ, pas mal de frustration aussi. Un soupçon d’agressivité fait rapidement surface et précède l’inévitable moment où il faudra crever l’abcès. Malgré bien des écueils, des déboires et des engueulades, ce road trip mouvementé amènera les frangins vers l’apaisement.

L’incompréhension, les malentendus, les non-dits, l’amertume laissée par des événements que l’on pense enfouis profondément mais qui ne cessent de nous accompagner tout au long de notre existence… le cadre de départ est classique (secrets de famille, rancœur et Cie) mais la façon dont Alfred déroule son histoire donne à l’ensemble une force et une émotion remarquables.

La narration est parfaitement maîtrisée. On suit au présent le périple des deux frères vers l’Italie tandis que viennent s’insérer ici et là des flashbacks surgissant comme autant de morceaux d’un puzzle que le lecteur va peu à peu reconstruire. Graphiquement, les deux temps de la narration sont traités différemment. Le présent d’une manière classique et le passé avec des traits plus simples et plus épais dominés par des tons bleus et rouges.

Une histoire d’hommes, avec toutes leurs faiblesses, leurs fêlures. Contrairement aux précédents albums d’Alfred et malgré les apparences, celui-ci est empreint d’optimisme. Comme si le chemin tortueux ayant mené Giovanni et Fabio vers la réconciliation ne pouvait que se terminer sur une note positive. Un one shot somptueux.

Come Prima d’Alfred. Delcourt, 2013. 224 pages. 25,50 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.

L'avis de Mo'.




mardi 19 novembre 2013

Coucou : le grand cache-cache des animaux d’Édouard Manceau

Édouard Manceau est un de mes illustrateurs préférés. Il y a dix ans sa souris Capucine faisait partie des premières découvertes livresques de pépette n°1. J’aime la poésie, la sobriété, l’humour de ses textes et j’adore la simplicité de son dessin.

Ici, avec un minimum de manipulations, les enfants transforment un objet en animal. Quelques éléments à bouger sur la page et le tour est joué. C’est franchement très bien fait et surtout très varié. Difficile d’imaginer transformer une montgolfière en lapin, une bouilloire en éléphant, une fusée en pingouin, ou une fleur en lion. Et bien c’est possible en quelques tours de main. En face de chaque illustration se trouve un texte drôle et enlevé qui évite de cantonner cet ouvrage au simple livre-jeu.

Un superbe album grand format au cartonnage épais qui ravira d’ici quelques temps pépette n°3. En attendant, ses grandes sœurs, qui ont pourtant passé l’âge, s’amusent comme des petites folles. Bon, j’avoue, leur papa aussi. Mais je ne vous avouerais pas que j’ai eu beaucoup de mal à recréer la bouilloire après en avoir fait un lapin. Heureusement qu’à la dernière page on retrouve tous les modèles et leur transformation…

Coucou : le grand cache-cache des animaux d’Édouard Manceau. Tourbillon, 2013. 18 pages. 13,95 euros. A partir de 3 ans.




dimanche 17 novembre 2013

Les faibles et les forts - Judith Perrignon

« Negro are pushing too far !! […] Un travail ! Une place dans le bus ! Ou au restaurant ! C’est déjà leur faire grand honneur ! Mais dans l’eau ! Dans nos vestiaires ! A poil ! Leur peau ! Leurs microbes ! Veulent pas coucher avec nos femmes pendant qu’on y est ? »

St Louis, juin 1949. Un adjoint au maire déclare : « Légalement, rien n’empêche un noir qui veut nager d’entrer dans une piscine. » Le lendemain des noirs ont accès pour la première fois aux bassins municipaux. Un « événement » qui va déclencher la colère d’une partie de la population blanche et engendrer des émeutes urbaines. Le maire de St Louis déclarera quelques temps plus tard que cette décision d’accepter les noirs dans les piscines était légalement juste mais inapplicable.

Louisiane, août 2010.  Six adolescents se noient dans une rivière. Six adolescents noirs. Aux États-Unis, 60% des enfants afro-américains ne savent pas nager. L’héritage de l’esclavage, de la ségrégation et de la pauvreté a inconsciemment poussé les noirs à intérioriser l’idée que l’eau n’était pas faite pour eux. Ce constat sonne pour Mary Lee comme une douloureuse évidence. Elle a assisté aux émeutes de 1949 et elle est la grand-mère de trois des noyés. Présente le jour du drame au bord de la rivière, elle n’oubliera jamais : « Je suis entrée dans l’eau. Vos cris, les enfants. Vos lèvres cherchant l’air, vos mains tendues vers le ciel. J’ai avancé. J’ai marché dans l’eau, avec vous. Je ne pouvais rien, je le savais, j’allais avec vous. Il y a toujours un fleuve qui sépare les vivants des morts, c’était celui-là, la rivière rouge, le moment était venu pour moi de le traverser. »

Un texte puissant, habilement construit. La voix de chacun des protagonistes résonne avec force, et vous serre les tripes. Les temps ont changé, parait-il, mais dans l’Amérique d’Obama, certaines barrières ne sont pas prêtes de tomber. La démonstration faite par Judith Perrignon en est la preuve limpide.


Les faibles et les forts de Judith Perrignon. Stock, 2013. 156 pages. 16 euros.

Un grand merci à Sylire dont le billet m’a donné en vie de découvrir ce texte. Son avis. Ceux d'In Cold Blog de Luocine et de Clara.





samedi 16 novembre 2013

Quatre ans, quatre gagnant(e)s

C’est peu de dire que j’ai été surpris par les nombreux témoignages laissés suite à mon billet anniversaire. Je vous adresse donc un énorme merci, vous n’imaginez pas à quel point vos petits mots gentils m’ont touché. L’an dernier j’avais glissé 26 noms dans le chapeau. Cette année j’en ai mis 72 !  Allez, point de suspens, roulement de tambour et en route pour le tirage au sort.


La première à sortir du chapeau fut :

Leiloona

En second :

Yueyin

La troisième gagnante :

Mirontaine

Et enfin la dernière :

Laurie

Quatre femmes, donc. En même temps vous étiez très majoritaires mesdames. Comme convenu, vous choisissez parmi les livres présentés ici cette année celui que vous souhaitez recevoir. Prenez tout votre temps, rien ne presse. En cas de rupture chez l'éditeur ou de difficulté à récupérer un exemplaire, je vous préviendrais afin que vous sélectionniez un autre titre. Pour me signifier votre choix et me donner votre adresse, il suffit de passer par le formulaire de contact.

Encore merci à tous d'avoir participé, j’en profite pour vous annoncer qu’il devrait y avoir quelques livres à gagner par ici avant Noël...   






vendredi 15 novembre 2013

Fun Home - Alison Bechdel

Un abandon. Le genre de truc qui ne m’arrive jamais avec la BD mais là, pas moyen. J’avais emprunté cet album à la médiathèque pour accompagner Mo’ dans une lecture commune.  En même temps c’est encore de l’autobiographie dessinée, comme Quatre yeux qui m’était tombé des mains il y a peu. J’aurais dû me douter.

Premier chapitre, je suis surpris par la gravité du ton. On n’est pas là pour rigoler, Alison Bechdel donne dans l’autobio sérieuse (qui a dit chiante ?), sa vie est loin d’être une comédie. Elle décrit avec force détails sa relation complexe au père, un homme qui soumet les siens à une effroyable dictature esthétique et transforme le manoir familial en reproduction à l’identique d’une maison gothique du 19ème siècle. Un papa à la fois distant et très proche, qui mourra à 44 ans, écrasé par un camion et dont on ne saura jamais si la disparition relève de l’accident ou du suicide. Puis elle revient sur son entrée à la fac, la découverte de son homosexualité, qu’elle qualifie d’abord de « purement théorique ». Suivront quelques pages sur son passage aux travaux pratiques avec Joan, une poétesse féministe « pro-matriarcat ». La suite, je ne sais pas parce que j’en suis resté là.

Pas moyen d’accrocher à cette écriture boursouflée, faussement littéraire, et à cette narration confuse. Alison Bechdel cite Fitzgerald, Camus, ou Joyce, elle en fait des caisses autour de son « éducation livresque » et accouche au final d’un texte aussi intello qu’imbuvable, froid et prétentieux. Quand je lis une phrase telle que « Sans doute ma froide distance esthétique traduit-elle, mieux que n’importe quelle comparaison littéraire, le climat arctique de notre famille » j’ai envie de me sauver en courant. C’est ce que j’ai fait d’ailleurs.

Graphiquement, le dessin est passe-partout, sans aucun charme. Les cases sont petites, assez surchargées et presque toujours surmontées de récitatifs donnant l’impression de peser de tout leur poids sur l’image, comme s’il était nécessaire d’alourdir encore le propos.

Un album qui relève pour moi de la branlette intellectuelle. Et je ne suis vraiment pas adepte du genre. Pour Time Magazine c’est une « brillantissime autobiographie en bande dessinée. » La presse américaine dans son ensemble a crié au génie et a comparé Fun Home au Maus de Spiegelman (ne me dites pas que c’est vrai sinon jamais je n’ouvrirai Maus !). Pour nombre de critiques professionnels, c’est un chef d’œuvre. Pour moi simple lecteur lambda, c’est une BD somnifère et pompeuse. Je veux bien être traité d’indécrottable ignare incapable de reconnaître une éblouissante œuvre d’art mais je n'en démordrais pas, je trouve ça très mauvais.

Fun Home d’Alison Bechdel. Denoël  Graphic, 2013. 236 pages. 24 euros. La première édition en français date de 2006 (c’est celle que j’ai eu entre les mains). 

Bon je ne suis pas mécontent de constater qu’In Cold Blog (une référence pour moi) n’a pas lui non plus été convaincu. Évidemment il le dit bien mieux que je ne le fais. (Son avis)
De son coté Mango a adoré (je ne lui veux pas pour autant^^). Et Mo’, elle en a pensé quoi ?

L'avis de Marguerite



jeudi 14 novembre 2013

Niak - Carl Hiaasen

Pour ses fans, Derek Blair n'est pas que l’animateur vedette de l’émission Expédition Survie, c'est un héros. Son credo : être lâché en milieu hostile avec un couteau suisse et une paille, le tout sous l’œil des caméras. Le bonhomme parvient toujours à s’en sortir, n’hésitant pas à bouffer tout cru la première bestiole qui lui tombe sous la main. En réalité, l’émission est une arnaque totale, le pseudo-aventurier n’affronte que des animaux dressés et inoffensifs et il termine chaque jour de tournage dans un hôtel luxueux. Pour le prochain numéro devant être tourné dans les marais de Floride au milieu des crocodiles, la production fait appel à Mickey Cray et à son fils Wahoo dont la ménagerie regorge de sauriens et de reptiles que Derek va pouvoir affronter en toute sécurité. Seulement le bonhomme possède un ego surdimensionné et il décide que cette fois-ci il va se frotter à des bêtes sauvages au cœur des Everglades. Wahoo et son père sont alors engagés pour assurer la sécurité de Derek et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils vont ne pas être au bout de leur peine…

On est dans un roman jeunesse alors forcément Hiaasen ne lâche pas les chevaux comme il peut le faire quand il s’adresse aux adultes. Il n’empêche que l’air de rien, il balance pas mal. Sur la téléralité bien sûr, sur ces émissions où l’aventure semble régner en maître mais qui sont en fait bidonnées à 100%. Il taille un costard XXL à la star du programme mais aussi à son assistante, au producteur et même au public qui gobe tout ça sans jamais se poser la moindre question. Entre deux il vous parle d’enfance maltraitée, de pauvreté, de parents alcooliques et violents, de ces Américains sans toit qui vivent dans des camping car et squattent les parkings des supermarchés. Et puis il y a la Floride qui lui est si chère et dont il défend farouchement les espaces naturelles et sauvages de plus en plus menacés. Au final on apprend pas mal de choses intéressantes sur la faune et la flore des Everglades. Bref, ça a beau être de la littérature jeunesse, ça reste engagé et sans concession.

Et pour ce qui est de l’humour, l’auteur de Pêche en trouble est toujours au sommet. Il a l’art de croquer des personnages aussi ridicules que crédibles. Ici son Derek Blair est un abruti de première dont il se moque (et nous avec) sans fioriture. Mais « Mr Blaireau » n’est pas le seul à en prendre pour son grade et chacun, à un moment ou un autre, a droit à quelques lignes dont il ne ressort pas grandi.

Un roman jeunesse intelligent, pêchu et drôle, ça ne court pas les rues. A dévorer dès 11-12 ans.

Niak de Carl Hiaasen. Gallimerd jeunesse, 2013. 295 pages. 13,50 euros.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Hélène

mercredi 13 novembre 2013

Ma révérence - Lupano et Rodguen

Quand la lecture de « Crime et Châtiments » déclenche une idée de braquage, ça pourrait donner quelque chose de flamboyant. Malheureusement, si le braqueur est aussi rompu à la grande délinquance qu’un footballeur professionnel aux arts lyriques, le résultat ne peut qu’être catastrophique. Pourtant Vincent est persuadé que son plan est imparable. Il veut faire un braquage social, non violent et altruiste. De l’atypique, du jamais vu. Un coup d’éclat avant de tirer sa révérence et de partir pour l’Afrique où l’attend la belle Rana et son fils. Problème, il a dégoté en Gaby un acolyte alcoolique et pas fiable pour deux ronds, encore plus bras cassé que lui. Un gars jamais sorti des années cinquante, gominé à la Dick Rivers, raciste, homophobe et qui a le « Gabriel » de Johnny comme sonnerie de portable. Forcément ça ne va pas le faire, forcément, le fiasco est proche, forcément, leur révérence, ils vont la tirer la queue entre les jambes…

Une lecture que je dois à Noukette. Son billet enthousiaste m’avait convaincu que cet album était fait pour moi. Parce que j’ai un gros faible pour les losers et que Vincent et Gabriel sont des spécimens rares dans leur genre. Des losers mais pas que. Ce sont des gars finalement très humains, cabossés et sacrément paumés. Vincent surtout m’a beaucoup touché. Un peu fragile, un peu lâche, un peu rêveur, très amoureux, très poissard, pas du tout sûr de lui mais parfaitement lucide. Je me suis retrouvé dans ce personnage sur bien des points (je vous laisse rayer les mentions inutiles, par certain qu’il y en ait beaucoup d’ailleurs).

La narration de Lupano est nerveuse à souhait et son écriture très orale, pleine de gouaille, ne pouvait que me plaire. Niveau dessin, ça tient aussi la route. Rodguen bosse depuis 18 ans pour les studios Dreamworks en Californie et il signe ici sa première BD. Son trait est souple, tout en mouvement. Il est surtout très fort pour exprimer un maximum de sentiments à travers les visages. Ça n’a l’air de rien mais les mimiques qu’il parvient à croquer en disent bien plus que de longs discours.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser « Ma révérence » n’est pas un polar. C’est plutôt un récit d’initiation mâtiné de tragi-comédie qui tire par moments vers la satire sociale. Mais c’est avant tout un excellent album, pêchu et jubilatoire, drôle, pétri de finesse et d’intelligence. Décidément, après le formidable Singe de Hartlepool Lupano s’affirme comme un des plus brillants scénaristes actuels.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Moka.

Ma révérence de Wilfried Lupano et Rodguen. Delcourt, 2013. 126 pages. 17,95 euros.

L'avis d'Yvan



mardi 12 novembre 2013

Exauce-nous - Pierre Makyo et Frédéric Bihel

Dans cette petite ville de province il y a Karim, le régisseur du théâtre, Frank, le scénariste en mal d’inspiration, Ernest le luthier, Phil, le vendeur de cailloux, Macha, René, Victorine et bien d’autres encore. Mais il y aussi et surtout Léonard. Léonard le simple d’esprit. Léonard qui demande à ceux qu’il croise s’ils n’ont pas vus celle qu’il cherche en vain depuis des lustres. Léonard que tout le monde apprécie mais dont personne ne semble connaître l’histoire. Frank le scénariste va se pencher sur son passé. Il va comprendre qu’un drame épouvantable est la source de ses maux. Mais il va aussi découvrir que Léonard possède un don, qu’il peut accomplir des miracles...

Cet album m'est précieux car il m’a été offert par Moka. C’est, avec l’incontournable Abélard, l’une de ses BD préférées. Le fait qu’elle ait souhaité partager avec moi un coup de cœur comme celui-là me touche évidemment beaucoup. En plus il contient deux dédicaces, l’une rédigée par ses soins et l’autre de Frédéric Bihel. Et je suis désolé de vous dire Mr Bihel que si votre dédicace est magnifique, c’est la première que je préfère.

Un ouvrage tombé à point nommé après les lectures particulièrement éprouvantes des romans de Valentine Goby et Julien Blanc. J’avais besoin d’une petite douceur, d’un bonbon doux et sucré avec une petite pointe acidulée. Quelque chose de délicat et de croquant mais garanti sans guimauve. Et bien Exauce-nous, c’est exactement cela. C’est une histoire qui fait du bien, qui met du baume au cœur. Des petites vies, des petites gens de province pour qui la fraternité n’est pas un vain mot. On passe avec plaisir du temps ensemble, au troquet ou ailleurs, on se soutient, on s’intéresse les uns aux autres en toute sincérité. Au cœur de cette chronique attachante, il y a bien sûr Léonard. Avec lui, « ça se passe ». Son innocence, sa simplicité désarmante, sa bonté permanente irradie à chaque page. C'est un personnage lumineux, il fait partie de ceux (rares) qu’un lecteur ne pourra jamais oublier.

Pour couronner le tout, l’alchimie entre le dessin et le récit est parfaite. Le trait réaliste de Frédéric Bihel est d’une grande élégance et les couleurs sont somptueuses.

Un album remarquable, apaisant et, je me répète, qui fait du bien. Vraiment.
Merci Moka, ton choix était parfait.

Exauce-nous de Pierre Makyo et Frédéric Bihel. Futuropolis, 2008. 102 pages. 19,50 euros.


Les avis de CristieLuocine ; Mo' ;  MokaOliv