Fountain © Albin Michel 2013 |
Parmi ces combattants revenus
temporairement du front, il y a Billy Lynn, 19 ans. Obligé de s’engager pour
éviter la prison après avoir saccagé la voiture de son beau-frère, Billy ne
sait plus où il en est. Érigé en sauveur de la nation avec ses sept compagnons
d’armes, il constate, lucide et impuissant, que leur gloire ne leur appartient
pas, « qu’ils baignent dans la manipulation, c’est leur élément, car quel
est le boulot d’un soldat sinon d’être un pion qu’on avance ? »
Tout est là, dans ces chimères
que chaque personne croisée leur fait miroiter, notamment Albert, producteur de film leur assurant qu’il
va vendre à prix d’or les droits de leur histoire à Hollywood. Depuis une
semaine, les mêmes mots reviennent dans la bouche de leurs interlocuteurs :
fierté, liberté, héros, sacrifice, 11 septembre, etc. « Vous êtes l’Amérique »
ne cesse-t-on de leur dire. On les étreint, on leur demande des autographes, on
les remercie. Billy et les siens n’écoutent plus. Ils sont emportés dans un maelström
qui les dépasse totalement. Marionnettes manipulées par l’administration Bush,
ils vivent cette dernière journée avant de repartir en Irak comme un mauvais
trip dont il sera difficile de se relever. Pour Billy, seule la rencontre avec
la jolie cheerleader Manon apportera un soupçon de lumière dans cette sombre
mascarade, même si au final la jeune fille, béate d’admiration devant le héros
de guerre, ne se révélera pas différente des autres.
Après un recueil de nouvelles,
Ben Fountain signe un premier roman engagé. Une charge sans complaisance contre
l’Amérique conservatrice. Il dénonce en vrac l’égoïsme, l’opulence, la cupidité
et le cynisme de ces républicains texans aussi gras qu’ignorants. L’auteur
souligne aussi les névroses d’une société gavée d’images et de publicité qui
laisse ses propres enfants se faire dévorer aux jeux d’un cirque médiatique qui
les dépassent.
La construction du texte est
limpide : toute l’action se déroule en une seule journée, avec simplement
un flashback permettant de retrouver Billy de retour pour quelques heures dans
le cocon familial. La plume est corrosive, les dialogues savoureux et les
portraits au vitriol des républicains 100% pur jus s’enchaînent sans temps mort
(avec une mention spéciale pour Norman Obesgly, le richissime propriétaire de l’équipe
de foot de Dallas). Entre ironie grinçante, satire impitoyable et roman
profondément politique, Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn est en quelque sorte un
miroir que Ben Fountain voudrait tendre à ses contemporains les plus ordinaires
pour qu’enfin peut-être ils cessent de se voiler la face. Une vraie belle
réussite.
Fin de mi-temps pour
le soldat Billy Lynn de Ben Fountain. Albin Michel, 2013. 402 pages. 22,00 euros.