vendredi 25 janvier 2013

Thermae Romae 5 - Mari Yamazaki

Yamazaki © Casterman 2013
Toujours coincé dans le Japon d’aujourd’hui, l’architecte romain Lucius poursuit sa découverte des mœurs locales, notamment à travers l’art du massage et de la chiropraxie. Lorsque des mafieux s’intéressent de trop près à l’établissement dans lequel il est accueilli, Lucius voit rouge, surtout quand ces misérables s’en prennent à la belle Satsuki.

J’étais déjà sorti très sceptique de la lecture du quatrième volume mais là le doute n’est plus permis : cette série part vraiment en cacahuète ! Un cheval qui tombe raide dingue amoureux de Lucius, lui-même épris de Satsuki, un grand père roi du kung-fu, des yakusas de pacotille, l’utilisation d’un char de course romain pour arrêter une grosse berline, etc. Mari Yamazaki pousse à l’évidence le bouchon trop loin et elle le reconnaît d’ailleurs dans la postface : « On est donc sorti du manga d’étude comparée des bains pour arriver à du grand n’importe quoi. » Faute avouée à moitié pardonnée ? Ben non, malheureusement, cette belle lucidité n’excuse pas le piètre tournant que prend Thermae Romae. Une fois de plus la quasi totalité de l’intrigue se passe au Japon. A peine une courte incursion dans la Rome antique pour revenir sur la situation critique de l’empereur Hadrien, c’est bien peu. Pas grand-chose à sauver donc, à part peut-être les interludes entre certains chapitres qui restent dans l’ensemble agréables à lire et sont souvent fort instructifs.

Le tome 6 devrait être le dernier. Franchement, il est temps de mettre un terme à une série qui, après un démarrage surprenant et de qualité, sombre au fil de chaque nouveau volume dans une médiocrité de plus en plus criante.  

Thermae Romae T5  de Mari Yamazaki, Casterman, 2013. 194 pages. 7,95 euros.

Mon avis sur les tomes 1 et 2, le tome 3, le tome 4


Yamazaki © Casterman 2013


Une nouvelle participation au challenge de  Soukee


jeudi 24 janvier 2013

La place - Annie Ernaux

Ça  commence par la mort du père. Puis Annie Ernaux remonte le fil d’une vie commencée au tournant du siècle. Ce père né en Normandie dans une famille de journaliers agricoles qui deviendra d’abord ouvrier avant de se marier et d’ouvrir un commerce. Un café-épicerie dans un quartier d’Yvetot. Une vie de peu, entièrement dédiée à sa boutique. Des gens simples, modestes. Des braves gens, comme on disait après-guerre. 

L’exercice n’est pas aisé : « je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. » Parce qu’il restera viscéralement attaché au « monde d’en bas » qui est le sien alors que sa fille, par les livres et les études, va découvrir et intégrer une petite bourgeoisie dont il ignore tout. Son univers à lui sera toujours resté confiné dans un espace limité dont il ne cherchera jamais à s’écarter.

Point de tristesse, d’amertume ou de lyrisme malvenu. Ernaux a préféré employer le ton du constat. « Je me tiens au plus près des mots et des phrases entendues, les soulignant parfois par des italiques. Non pour indiquer un double sens au lecteur et lui offrir le plaisir d’une complicité, que je refuse sous toutes ses formes, nostalgie, pathétique ou dérision. Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j’ai vécu aussi. Et l’on n’y prenait jamais un mot pour un autre. »

Une prose épurée à l’extrême, dépouillée de toute emphase. Annie Ernaux parle d’elle et pourtant son « je » est un « nous ». Toute la force de son écriture tient dans cette universalité, cette volonté de rester à l’écart d’une indécente forme d’autofiction. Sans doute son succès populaire s’explique en grande partie par le fait que son œuvre s’articule autour de la valeur collective du « je » autobiographique. La place est pour moi un roman magnifique, tout en retenu et pourtant d’une incroyable force. Pas pour rien que ce texte est devenu un incontournable du programme de français au lycée, tant pour l’analyse du genre autobiographique que de la relation père/fille ou encore, dans les filières économique et sociales, pour l’étude des classes sociales.
  
La place d’Annie Ernaux. Folio, 2004. 114 pages. 4,80 €.

Prix Renaudot 1984

Les avis de : manU17 ; Clara ; Jacky Caudron


Ce billet signe ma 1ère participation
au challenge "A tous prix" de Laure

mercredi 23 janvier 2013

Le vagabond de Tokyo 3 - Takashi Fukutani

Fukutani © Le lézard Noir 2012
Difficile de faire un plus grand écart avec les BD des mercredis précédents. Après deux superbes albums d’Emmanuel Lepage, je mets les mains dans le cambouis avec ce manga aussi inclassable que cradingue. Je vous préviens d’emblée, âmes sensibles s’abstenir. Si vous cherchez du glamour, il faudra éviter de passer par ici aujourd’hui.

Le vagabond de Tokyo, c’est Yoshio, un branleur dans tous les sens du terme. Au sens propre d’abord, la masturbation étant son loisir favori. Au sens figuré ensuite puisque ce jeune homme est sans doute la plus grande feignasse de l’histoire du manga. Quelques boulots sur des chantiers afin de payer son saké quotidien (oui, parce que Yoshio picole pas mal aussi, ça occupe) et pour le reste, rien de mieux que la sieste et la glandouille. Résultat, il vit dans une chambre délabrée sur un vieux futon tout pourri, au milieu des bouteilles vides et des magazines porno tout en se nourrissant quasi exclusivement de nouilles instantanées. Son existence n’est qu’une succession d’échecs plus retentissants les uns que les autres. Le loser absolu, quoi.  

Pour être franc j'ai eu quelques craintes parce que ce troisième tome démarre doucement. Après un retour dans sa campagne natale, Yoshio nous raconte son dépucelage à 17 ans (rien de glorieux, forcément) puis les dures journées sur les chantiers qui se terminent toutes au troquet où il dépense en alcool sa paie quotidienne. Quelques passages onirico-érotique par-ci par-là mais rien de bien méchant, pas la moindre trace de scatologie ni de situations vraiment répugnantes alors que les volumes précédents en regorgeaient. Je me suis dis que Takashi Fukutani avait mis de l’eau dans son vin. Et puis arrivé au trois quart du recueil, je tombe sur l’histoire du « Lucky Hole » et je retrouve toute la verve trash et sans limite qui me plait tant dans cette série. C’est quoi un Lucky Hole ? Comme un petit dessin vaut mieux qu’un grand discours, je vous montre :



Le principe est on ne peut plus simple. On pose une serviette dans le trou, on y glisse son engin et de l’autre coté de la cloison une jeune fille s’occupe de vous manuellement. Glauque, non ?  Le problème quand il y a une pénurie de main d’œuvre c’est que les tenanciers de ces lieux sordides doivent parfois faire appel à des femmes bien moins jeunes et quand ils ne trouvent pas de femmes, ils doivent se tourner vers des hommes qui prennent une voix de fausset pour masquer la supercherie. Et devinez qui va se retrouver derrière la cloison d’un Lucky Hole ? Yoshio bien sûr. Rien ne lui sera épargné, de l’odeur abominable répandue dans la pièce au fil de la journée à ses vêtements, sa figure et ses cheveux recouverts de… Une expérience effrayante qui tournera à la catastrophe quand l’un des clients ne se contentera pas du massage manuel et voudra passer à la vitesse supérieure (je vous avais prévenu, pas de glamour ici aujourd’hui).

Je me suis régalé. J’adore quand un auteur lâche prise à ce point. C’est tellement énorme, tellement barré, tellement drôle (bon il faut aimer l’humour très noir et très vulgaire mais je suis bon public pour ce genre de chose). Et puis ce n’est pas tous les jours que l’on tombe sur un personnage aussi navrant et aussi pathétique.

Est-que je vous conseille de vous ruer sur ce manga ? Surement pas ! D’ailleurs même si je vous le recommandais chaudement, je crois que vous ne seriez pas beaucoup à me suivre. En tout cas si vous voulez tenter le coup, je serais ravi de savoir ce que vous en pensez.

            
Le vagabond de Tokyo T3  de Takashi Fukutani. Le Lézard Noir, 2012. 408 pages. 23 euros. 

Fukutani © Le lézard Noir 2012





mardi 22 janvier 2013

Une longue journée de novembre - Ernest J. Gaines

Gaines © 10/18 1996
Ernest J. Gaines est l’un de mes écrivains préférés. J’ai lu tous ses ouvrages. Autobiographie de Miss James Pittman est pour moi un petit chef d’œuvre. Dites-leur que je suis un homme, lauréat de National Book Award, est un roman absolument bouleversant. Mais c’est avec Une longue journée de novembre que j’ai découvert cet écrivain afro-américain né en 1933 sur une plantation de coton.

Dans ce recueil composé de deux nouvelles, Gaines revit en quelque sorte son enfance en Louisanne. Dans le premier texte éponyme, une mère décide de quitter le foyer avec son fils. Le mari est trop absent depuis qu’il a acheté une voiture. Ne supportant plus de le voir rentrer chaque nuit à deux heures du matin, sa femme fait ses valises. L’histoire est racontée par Ti-Bonhomme, l’enfant du couple. Une immersion dans la vie quotidienne des coupeurs de canne à sucre du sud profond. Beaucoup de dialogues, quelques échanges savoureux, un père un peu couillon et une femme qui, à l’évidence, porte la culotte. Ti-Bonhomme essaie de comprendre le monde des adultes avec ses mots à lui. C’est simple et touchant.

La seconde nouvelle met en scène un gamin de huit ans et sa mère. Il a une rage de dent, il faut l’emmener en ville pour le soigner. La mère a de quoi payer le bus et le dentiste, pas plus. En partant tôt, ils devraient être de retour avant onze heures et elle pourra aller travailler dans les champs en rentrant. Mais la salle d’attente est bondée et lorsque la pause du midi arrive, le cabinet ferme ses portes sans que le gamin ait pu être soigné. Mère et fils vont traîner en ville dans un froid glacial, sous la grêle, en attendant la réouverture. Le gamin est gelé et crève de faim mais il ne dit rien. Il sait que sa mère n’a pas les moyens de lui payer un repas. A travers le regard du fils se dresse le magnifique portrait d’une maman fière et indomptable.

Deux très beaux textes, racontés à hauteur d’enfant. La prose est limpide, d’une désarmante simplicité qui fait mouche. Sans doute l’idéal pour appréhender l’univers de ce grand écrivain américain. Le recueil publié par les éditions 10/18 en 1996 est aujourd’hui épuisé. Liana Levi a ressorti la première nouvelle dans sa collection Piccolo sous le titre Ti-Bonhomme. Il serait néanmoins dommage de s’en contenter tant le deuxième texte, absent de cette réédition, est un petit bijou. 

Une longue journée de novembre d’Ernest J. Gaines. 10/18, 1996. 140 pages. 4 euros.


lundi 21 janvier 2013

Jour de grève chez les marmottes / Nina Têtemba

C’est quoi ces gosses qui ne veulent pas dormir ! C’est peut-être parce que je vais bientôt être confronté au problème que j’ai choisi ces deux albums. Les histoires sont différentes mais le point de départ est le même : un personnage refuse d’aller se coucher et en route pour l’aventure !


Snitselaar et Saudo © Balivernes 2012
Bientôt l’automne dans les alpages. Les parents préparent le terrier pour l’hibernation mais les petites marmottes ne l’entendent pas de cette oreille : cette année, c’est décidé, elles font la grève du sommeil. A la place de la longue sieste qui s’annonce, elles préfèrent jouer à cache-cache dans la forêt, construire un barrage sur la rivière ou encore grimper en haut de la montagne. Mais malgré toute leur bonne volonté, c’est la fatigue qui aura le dernier mot...
Trop mignonnes ces marmottes en forme d’œuf de pâques. Chacune possède sur la fourrure un motif spécifique, ce qui permet de les distinguer les unes des autres et si on le souhaite, de mettre en place un petit jeu d’observation et de discrimination visuelle pour les plus petits. Un album très simple et rigolo comme tout. Et puis les marmottes, ça change des lapins et des souris !

Jour de grève chez les marmottes de Nicole Snitselaar et Coralie Saudo. Balivernes éditions, 2012. 28 pages. 8 euros. A partir de 3-4 ans

Snitselaar et Saudo © Balivernes 2012



Puidebois et Lacombe © Balivernes 2012
Chez les chauves-souris, il est l’heure d’aller se coucher. Mais la petite Nina refuse de dormir la tête en bas. Elle descend donc voir l’oiseau et lui demande comment il s’y prend pour trouver le sommeil. En équilibre sur une patte, ce n’est pas pratique ! Elle rencontre ensuite le lapin, le poisson, le hérisson et le putois mais aucun ne dort de façon convenable. Déçue, la chauve-souris n’a d’autre choix que de rentrer chez elle…
Un album en randonnée classique qui se démarque visuellement grâce à la subtile technique de collage utilisée par Nicolas Lacombe dont le rendu sur fond noir est réellement superbe.  
Si l’on devait trouver une morale à cette histoire, ce serait que rien ne vaut le cocon familial pour passer une bonne nuit !

Nina Têtemba de Laurence Puidebois et Nicolas Lacombe. Balivernes éditions, 2012. 28 pages. 8 euros. A partir de 3-4 ans.


Puidebois et Lacombe © Balivernes 2012


Ce billet signe ma première participation au challenge Je lis aussi des albums de Sophie 


samedi 19 janvier 2013

Pêche en eau trouble - Carl Hiaasen

Hiaasen © 10/18 2004
Voila, ça y est. Enfin. J’ai lu un polar de Hiaasen. J’avais pourtant dit que c’était pas mon truc les polars. Pas du tout même. Et puis Hélène a insisté. A force de persuasion, elle a su me convaincre : si je ne devais en lire qu’un, il fallait qu'il soit de Hiaasen. Je lui ai demandé lequel et elle m’a tout de suite conseillé Pêche en eau trouble. J’ai dit banco et j’ai bien fait.
 
Au cœur de la Floride profonde, celle des rednecks racistes et incultes, les concours de pêche au bass (un poisson d’eau douce proche de la perche) sont à la fois une passion et une grosse industrie. Engagé par un richissime pêcheur pour piéger la star incontestée de la discipline soupçonnée de tricherie, le privé RJ Decker va mettre les pieds dans un engrenage dont il va devenir malgré lui un rouage essentiel.      
  
Quelle galerie de personnages : un révérend véreux, un ermite se nourrissant exclusivement d’animaux écrasés récupérés sur la route, une garce incendiaire, un champion de pêche crétin, une tripotée de ploucs décérébrés, j’en passe et des meilleurs. Hiaasen ne ménage personne. Les héros et les salauds en prennent tous pour leur grade à un moment ou à un autre. Il décrit un nombre incalculable de situations barrées à souhait et pourtant on y croit (le coup du pitbull sur le tueur à gage, je ne l’avais pas vu venir !). Pas une seconde de répit, tout s’enchaîne avec fluidité et jamais l’auteur ne se laisse déborder par la surenchère permanente qu’il met en place. Dialogues surréalistes et humour noir cohabitent avec une violence qui fait parfois froid dans le dos. Mais derrière la grande pochade de façade se cache une dénonciation sévère de la pression immobilière qui détruit les derniers espaces naturels à grand coup de corruption ou encore de ces prédicateurs arnaqueurs qui pullulent sur les chaînes chrétiennes du câble. Le tout sans en rajouter, sans jamais tomber dans ce coté « donneur de leçon militant » qui pourrait lasser à la longue. 
                
Pour faire court, je me suis régalé. Comme quoi ça vaut toujours la peine d’écouter les bons conseils. Maintenant, j’en suis à deux polars depuis le 1er janvier, soit deux de plus que sur l‘ensemble de l’année dernière. Faudrait voir à ralentir sacrément la cadence avant que je n’y prenne goût.      
         
Pêche en eau trouble de Carl Hiaasen. 10/18, 2004. 478 pages. 8,80 euros. 

vendredi 18 janvier 2013

Le singe de Hartlepool

Lupano et Moreau
 © Delcourt 2012
1814. Un navire français sombre à quelques encablures des côtes anglaises, face au village d’Hartlepool. Le lendemain les villageois trouvent sur la plage un survivant du naufrage. C’est un chimpanzé, habillé d’un uniforme français, qui servait à bord de mascotte. Le prenant pour un être humain (et surtout pour un ennemi), ils le capturent et organisent un procès où le pauvre animal sera condamné en bonne et due forme par la vindicte populaire.     
      
On se dit au départ que c’est gros, trop gros. Comment peut-on confondre un singe et un homme ? Tout simplement en pensant que cet énergumène braillard dont la langue semble si agressive à l’oreille ne peut être qu’un de ces « fils de chienne engrossée par le diable déguisé en porc » que l’on trouve sur le sol français. Après tout, dans ce trou perdu d’Hartlepool, personne n’a jamais vu un soldat de Napoléon. Lupano s’est inspiré d’une légende toujours vivace en Angleterre. D’ailleurs la postface nous apprend qu’aujourd’hui encore les habitants d’Hartlepool continuent d’être la risée du royaume et sont affublés du sobriquet peu flatteur de monkey hangers, « les pendeurs de singe ».

Le récit dénonce, en vrac et sans hiérarchie, l’ignorance crasse, la haine, le nationalisme exacerbé, l’obscurantisme le plus désolant ou encore l’effet de masse qui transforme des individus en un groupe d’abrutis (petite dédicace personnelle en passant aux supporters des équipes de foot que j’adore…). Le tout sans jamais tomber dans un quelconque didactisme plombant. Parce qu’il faut bien reconnaître que cette histoire sordide est aussi drôle, surtout grâce à son incroyable galerie de personnages (avec une mention spéciale pour le vieux cul-de-jatte Patterson), tous plus lourdauds et ridicules les uns que les autres et à ses savoureux dialogues truffés d’injures que les rosbeefs adressent aux bouffeurs de grenouilles : « Saleté de cloporte nourri à la fiente de poule ! Crevure de bouffeur de tripes de rats ! Sale glaviot de vieux ragondin malade ! Espèce de déjection d’hirondelle africaine bouffée par les vers ! » L’outrance des propos va de pair avec la violence sourde de certaines scènes qui peuvent mettre le lecteur mal à l’aise mais l’équilibre fragile entre le cocasse et l’insoutenable n’est jamais rompu. Et si le sort du pauvre singe est abominable, le clin d’œil final apporte un peu de lumière dans cette sombre tragédie.  
  
Graphiquement, le trait nerveux de Moreau sonne juste et traduit bien les emportements incontrôlés de la populace, le tout sous un ciel gris délavé typiquement anglais.  
  
Assurément un titre qui me marquera durablement tant la portée de son message reste malheureusement universel. Une découverte que je dois à Noukette (rendons à César !) et que j’ai le plaisir de partager avec Mo’, Lunch et Badelel. Encore une lecture commune me direz-vous. Et oui, il n’y pas de mal à se faire du bien !

Le singe de Hartlepool de Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau. Delcourt, 2012. 94 pages. 14,95 euros.  

Les avis de Mango, Yvan, Hélène, MokaNoukette


Lupano et Moreau © Delcourt 2012



jeudi 17 janvier 2013

Éloge des garces

Liaut © Payot 2013
Saviez-vous que jusqu’au 16ème siècle, garce était le féminin du mot gars. Les dictionnaires lui donnèrent par la suite un autre sens, faisant de la garce une méchante, une fille de mauvaise vie. L’auteur prévient d’emblée : si la garce aime défier les conventions sociales, ne voyez pas en elle une féministe ! Cette femme, le plus souvent  « magnifique effrontée », se caractérise en premier lieu par son appétit de vivre : « Elle n’est intolérante qu’à la frustration. »

Dans son éloge, Jean-Noël Liaut dresse une rapide classification des différents types de garces, en commençant par la courtisane, garce parmi les garces, voleuse de mari qui n’aime rien moins que presser ses richissimes protecteurs « jusqu’au moment où ils ne donnent plus de jus. » Ainsi « La Belle Otero », chanteuse et danseuse de cabaret de la belle époque. Fille de prostituée, violée à 11 ans, elle haïssait tant les hommes que les détruire devint son passe-temps favori. Rien ne lui faisait plus plaisir que de comptabiliser les suicides de ses amants délaissés. 

Parmi les nombreuses femmes de lettres que l’on peut qualifier de garces, l’auteur retient trois noms : Louise de Vilmorin, connue pour son égocentrisme qui « portait plus volontiers le deuil d’un vase que celui d’un être humain » et qui déclara : « Une personne est intéressante parce que je l’intéresse. » Anaïs Nin, fieffée menteuse qui ne cessait dans son journal de travestir la réalité à son profit. Et enfin Dorothy Parker, célèbre pour son incommensurable méchanceté et sa capacité à afficher au fil de son œuvre ses multiples dégoûts et sa cruelle lucidité. 

Une autre caractéristique de la garce est son coté glamour. L’icône absolue des GG (Garces Glamour, un acronyme imaginé par l'auteur) reste incontestablement la somptueuse Marlène Dietrich. On peut y ajouter Joan Crawford et Bette Davis, flamboyantes garces hollywoodiennes devenues les pires ennemies. Quand Davis balançait, apprenant que Crawford voulait jouer du Shakespeare : « Nous sommes tous tellement excités de savoir que Joan a appris à lire », l’autre rétorquait : « Miss Davis a couché avec toutes les stars masculines de la MGM, à l’exception de Lassie. »

Toujours dans le domaine des garces glamour, on pourrait citer les filles de la famille Gabor qui, à elle quatre (les trois sœurs et leur mère) comptabilisèrent vingt-trois maris. Des croqueuses de mâles assumant leurs actes avec une épatante répartie. Ainsi Zsa Zsa déclara-t-elle : « Je n’ai jamais assez détesté un homme pour lui rendre ses diamants. »

Pour Liaut, le mot « garce » est à l’évidence un titre de noblesse en voie de disparition. Parmi les figures féminines actuelles, il n’y a guère que les couguars et les belles-mères qui méritent selon lui ce qualificatif. Ce n’est pas Blanche Neige et Cendrillon qui diront le contraire. Et puis un dicton italien n’affirme-t-il pas : « La vipère qui a mordu ma belle-mère est morte empoisonnée. »

Cet éloge est donc un bel hommage (certes un peu rapide) empreint de nostalgie. Les suppôts du politiquement correct ont fini par faire des garces une espèce quasi éteinte : « aujourd’hui, l’inventaire des spécimens les plus célèbres de ces trois cents dernières années ressemble à une liste de braves tombés au combat. La garce fière de son état, qui s’affichait avec franchise, sans remords, est délaissée au profit d’une fadeur frileuse et soporifique. » Les garces auraient donc disparu. Personnellement ça ne me gêne pas mais à y regarder de plus près, je ne suis pas loin de partager ce constat. Je travaille depuis longtemps dans un milieu très féminin et je n’ai jamais eu l’impression de côtoyer la moindre garce. Pareil avec la blogosphère (du moins pour ce qui concerne les blogs consacrés à la lecture) : quasiment que des filles et, il me semble, pas l’ombre d’une garce. Suis-je naïf à ce point ?     

Éloge des garces de Jean-Noël Liaut. Payot, 2013. 120 pages. 13,50 €

PS : je veux bien faire de cet ouvrage un livre voyageur. Si certaines d’entre vous veulent en savoir plus sur les garces célèbres, n’hésitez pas !

mercredi 16 janvier 2013

Voyage aux îles de la Désolation - Emmanuel Lepage

Lepage © Futuropolis 2011
Em-ba-llé ! J’ai été tellement emballé par la lecture d’un printemps à Tchernobyl la semaine dernière que j’ai voulu enchaîner de suite avec le précédent album d’Emmanuel Lepage, Voyage aux îles de la Désolation. Aussitôt dit, aussitôt fait et j’ai embarqué durant le week-end pour une croisière des plus dépaysante. 
      
En mars 2010, Emmanuel Lepage et son frère photographe passent un mois à bord du Marion Dufresne, un navire assurant le ravitaillement et la relève de personnel des TAFF (Terres australes et antarctiques françaises). De la Réunion aux Kerguelen en passant par St Paul et les îles Crozet, le dessinateur découvre la fureur des 40èmes rugissants et des 50èmes hurlants et vit une incroyable aventure humaine vers « le bout du bout du monde ». A bord du bateau, des scientifiques, des militaires et quelques touristes triés sur le volet. Lepage décrit l’expérience de manière linéaire et chronologique, réalisant des portraits, recueillant des témoignages et croquant sur le vif la faune et la flore propres à chaque île. Il s’autorise aussi quelques flash-backs historiques sur l’histoire de certains lieux emblématiques (notamment les Kerguelen) et s’attarde le plus souvent sur les menus détails qui régissent la vie à bord, focalisant son attention sur les liens qui se créent à l’intérieur de ces petites communautés isolées. La tension est souvent palpable dans cet univers clôt mais au final l’entraide et la fraternité demeurent les garants d’une certaine forme de stabilité.

Le dessin, tantôt au pastel, à l’aquarelle ou au fusain, est somptueux. Le rendu de la texture de l’eau, sa transparence, le jeu sur la lumière, tout est magnifique. Lepage a établi un code simple pour que le lecteur s’y retrouve entre ce qui a été dessiné sur place et le reste : la couleur pour les croquis d’après nature, le sépia pour les flashs-back et le lavis en noir et blanc pour le présent du récit.    

Hommage à la France du bout du monde et aux hommes qui y consacrent une bonne partie de leur vie, Voyage aux îles de la Désolation n’est pas qu’un simple carnet de voyage, loin de là. Si je devais le comparer avec Un printemps à Tchernobyl, il me semble que je préférerais quand même ce dernier. Sans doute pour son coté plus introspectif. L’expérience menée en Ukraine a quelque chose d’intime, c’est une réflexion très personnelle alors que ce récit maritime est davantage tourné vers autrui. En soi, ce n’est pas un défaut mais cela me touche moins. Ne vous méprenez pas pour autant, cet album reste une pépite et si vous êtes en manque d’embruns et de dépaysement, vous ne trouverez pas mieux pour respirer à pleins poumons l’air du grand large.  

Voyage aux îles de la Désolation d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2011. 158 pages. 24,50 euros.




Les avis de Marilyne ; Yvan ; Choco ; Noukette ; Yaneck ; Mango



Lepage © Futuropolis 2011


mardi 15 janvier 2013

Crève saucisse - Pascal Rabaté et Simon Hureau

Hureau et Rabaté
© Futuropolis 2013
Pas une bonne idée de faire des cornes à un boucher. Surtout s’il est fan de BD et qu’il trouve dans un album de Gil Jourdan un plan machiavélique pour mettre au point une implacable vengeance. Didier découvre la liaison de sa femme Laurence avec son copain Eric. Le coup est rude à encaisser mais il se dit que ces deux-là ne perdent rien pour attendre. Les vacances en couples à Noirmoutier seront l’occasion de leur faire payer une addition des plus salées…   

Crève saucisse est une comédie de mœurs noire et grinçante. Simon Hureau explique que Rabaté lui a confié un scénario principalement composé de dialogues, comme une pièce de théâtre. D’où au final ce coté vaudeville, l’humour en moins et l’acidité en plus. Le boucher amoureux est touchant. Il encaisse, souffre, cogite et décide d’agir. Il sait que sa vengeance ne lui ramènera pas sa femme mais au moins elle lui met un peu de baume au cœur. Il comprend aussi que sa moitié ait des envies d’ailleurs, qu’elle ne se contente plus d’un « petit artisan bedonnant. » Elle, de son coté, est hyperémotive et un brin fleur bleue. Elle ne vit pas l’adultère comme une simple histoire de cul. Le salaud, c’est l’amant, arriviste et profiteur qui couche avec la femme de son pote sans se poser de questions. Rabaté évite l’équation simpliste qui mettrait d’un coté le pauvre cocu juste bon à plaindre et de l’autre la femme insensible et calculatrice juste bonne à être clouée au pilori. C’est cette finesse qui fait le sel du récit.

Niveau dessin, Hureau propose un trait plus épuré, moins chargé de détails que dans la plupart de ses autres productions. Simple et efficace, la lisibilité avant tout.

Une lecture agréable sur un sujet déjà abordé des milliers de fois et quasi impossible à renouveler. Je ne regrette absolument pas d’avoir jeté  mon dévolu sur cet album mais je me demande s’il m’en restera grand-chose dans quelques temps. En tout cas il m’a au moins permis de relire La voiture immergée ce week-end, pour voir quelle influence a eu le scénario de Tillieux sur le plan imaginé par le boucher. Et rien que pour ça, ça valait la peine !

Une lecture de plus que j’ai le plaisir de partager avec Mo’. Si je devais reprendre son célèbre système de notation, je gratifierais cet album d’un pouce levé, ni plus, ni moins.

Crève saucisse de Pascal Rabaté et Simon Hureau. Futuropolis, 2013. 80 pages. 17 euros.


Hureau et Rabaté © Futuropolis 2013