mercredi 8 février 2012

Le Scaphandre Fêlé

Le Cil vert 
© Le stylo bulle 2010
L’autofiction me sort par les yeux. Je déteste ces auteurs qui se regardent le trou de balle et tiennent absolument à coucher sur le papier leur histoire, persuadés que tout cela va passionner les lecteurs. Et pourtant, c’est la troisième fois en peu de temps que je me surprends à apprécier une BD « autofictionnelle ». Il y a d’abord eu Formose puis Une métamorphose iranienne et c’est maintenant au tour de ce Scaphandre fêlé. Est-ce que mes goûts changent ? Pas sûr. Disons plutôt que quand le propos est bien amené, je me laisse facilement embarquer.

Dans cet album, Le Cil Vert, pseudonyme de Sylvère Jouin, revient sur quelques moments charnières de sa vie professionnelle et artistique. Entre sa phobie de l’avion, la mort tragique de son père et sa rencontre avec la douce Chloé, l’auteur énumère ce qu’il appelle les « naissances douloureuses » ayant symbolisé les moments clés de son existence. Ce que j’ai apprécié ici c’est que Le Cil Vert relate les événements de façon non linéaire. Pas de chronologie hyper stricte, quelques touches d’humour bienvenues et d’étranges digressions sur la fabrication du cidre ou la vie de Boris Vian, l’ensemble peut paraître assez hétérogène mais au final tout se tient, c’est bien là l’essentiel.

Le dessin est assez minimaliste (c’est un peu la loi du genre) mais il reste quand même bien meilleur que chez certains auteurs ayant fait de l’autofiction leur fonds de commerce (je ne citerais pas de noms, l’inventaire serait trop long). L’absence de couleurs et le fait de jouer sur les tons de gris pour varier le contraste est par ailleurs un parti pris cohérent. Le vrai souci, c’est la taille riquiqui des cases et l’omniprésence du texte qui ne laisse pour ainsi dire aucune place aux décors. Mais bon, pour un ouvrage intimiste dans un petit format, c’est assez logique : pas la peine de se lancer dans un lyrisme échevelé avec des illustrations pleine page bourrées de détails et totalement hors de propos.

Assurément pas le coup de cœur du siècle mais une lecture beaucoup plus agréable que je ne l’aurais pensé. Je ne dis pas que l’autofiction va devenir mon genre préféré mais en tout cas je ne dis plus que jamais on ne me prendra à lire ces auteurs nombrilistes à la noix.


Le Scaphandre Fêlé par Le Cil Vert. Éditions Le stylo bulle , 2010. 68 pages. 12 euros.

Une BD offerte par Loula dans le cadre de son loto BD. Un grand merci à elle pour la découverte !

PS : après un premier essai à la radio pour présenter Formose, Libfly m'a demandé de renouveler l'opération autour d'Une métamorphose iranienne. J'ai toujours autant horreur d'écouter ma voix mais si le coeur vous en dit, ça se passe par ici : http://www.libfly.com/une-metamorphose-iranienne-mana-neyestani-fanny-soubiran-livre-1571057.html



Le Cil vert © Le stylo bulle 2010
 




lundi 6 février 2012

Le premier mardi, c'est permis (4) : Les combattants du feu T1

Davis © J'ai Lu 2010
Des mois que j’entends parler de la collection Passion intense grâce au rendez-vous mensuel de Stephie. La curiosité étant un de mes nombreux défauts, j’ai décidé de me lancer à corps perdu dans un des romans de cette collection qui, selon l’éditeur, recèle « un monde de sensualité ». Difficile à priori de choisir parmi tous ces titres plus alléchants les uns que les autres : « L’ivresse des sens », « Nuit intense », « Voluptueuse innocence », « Une lady nommée passion », « Liaisons sulfureuses » ou bien encore « Recherche un homme pour la nuit ». J’ai jeté mon dévolu sur la série « Les combattants du feu » de l’américaine Jo Davis. Pas parce que ce titre là me plaisait plus qu’un autre mais tout simplement parce que c’est le seul que j’ai trouvé à la librairie.

Alors, ça donne quoi un roman érotique « pour elle » ? Passons sur la couverture que n’aurait pas reniée le magazine Têtu pour nous intéresser au cœur de l’intrigue. Les combattants du feu est une série qui met en scène les pompiers de la ville de Sugarland au Tennessee. Ce premier tome s’attarde sur la rencontre entre le ténébreux lieutenant Howard Paxton et la charmante Kate McKenna, une jeune femme qu’il sort d’une maison en flammes dès les premières pages. Forcément, c’est le coup de foudre et le début d’une grande histoire d'amour. Tout serait parfait si le beau lieutenant n’était pas perturbé par les douloureux stigmates d’une enfance difficile...

Bon ok, je vous la fait comment ? Je pourrais vous dire qu’entre eux, ça fait des étincelles, qu’il lui a mis le feu ou qu’il l’a fait fondre. Si j’étais vulgaire, je pourrais vous dire que le feu, c’est plutôt au c** qu’elle l’a ou encore que ce pompier a un énorme tuyau et qu’il arrose sa belle de son jet puissant. Pas mon genre tout ça, voyons, je suis quelqu’un de respectable !

Disons juste que je me suis bien marré parce que j’ai pris ce roman au 3ème ou au 4ème degré. L’intrigue est cul-cul la praline en diable mais l’auteure a su l’orchestrer. Il y a du rythme, du suspens, une belle alternance entre les scènes d’action (je parle des interventions des pompiers, bandes de pervers) et la romance. Pour ce qui est de l’érotisme, c’est quand même plutôt gentil. Au final, je trouve qu’il y a trop peu moments chauds (et là je parle de sexe, bande de pervers) et que c’est bien dommage parce que c’est quand même ce qui m’intéressait le plus au départ. Bref j’ai eu du mal à aller jusqu’au bout mais je ne dirais pas pour autant que c’est un mauvais roman. Dans le genre, je pense qu’il doit y avoir bien pire.

Le vrai souci pour l’homme que je suis, c’est quand même les énormes clichés que Jo Davis enfile comme des perles. Forcément le lieutenant est beau comme un Dieu grec. Forcément, l’héroïne n’est pas un canon mais elle a le charme des femmes un peu rondes qui font craquer les hommes. Forcément, ce même lieutenant est monté comme âne et c’est un coup fabuleux au pieu. En plus, il roule en Harley et adore ses parents adoptifs (le brave garçon). Forcément, c’est un homme qui souffre, un homme en proie au doute dont le pire des vices est une addiction à la caféine (la vache, quel bad boy !). Bref, c’est le genre d’homme qu’on ne croise jamais dans une vie de femme lambda. Je sais bien, on a le droit de rêver, mais plus dure sera la chute.

Personnellement, j'aurais voulu lire un roman à l’eau de rose mettant en scène un homme normal. Le gars pas sportif pour deux ronds, éjaculateur précoce, qui n’aime rien moins que garder plusieurs jours son marcel taché sous les aisselles. Ou alors un gars tellement ventripotent qu’il n’a pas vu sa b*** depuis des années, fumeur de cigares à la calvitie prononcée et qui pète au lit. Je sais bien que l’on ne lit pas ce genre de romans pour retrouver l’image de son mec ou de son collègue de bureau. Il n’empêche que moi, ça me ferait plaisir de voir ces hommes là vivre une belle histoire d’amour. Quoi qu’il en soit, je suis bien content d’avoir découvert la collection Passion intense. Au moins maintenant je pourrais suivre plus facilement les chroniques publiées dans le cadre du rendez-vous mensuel de Stephie.

PS : petite précision en passant, les portraits dressés ci-dessus ne relèvent en aucun cas de l’autoportrait (ou alors juste pour quelques éléments, je vous laisse les choisir et les assembler à votre guise).

Les combattants du feu T1 : L’épreuve des flammes de Jo Davis. J’ai Lu, 2010. 380 pages. 6,90 euros.



samedi 4 février 2012

Chansons populaires de l’ère Showa - Ryu Murakami

Murakami © Picquier 2011
Six garçons paumés entrent en guerre avec six femmes divorcées. Tout commence lorsque l’un des garçons, assailli par une soudaine pulsion de meurtre, égorge une des femmes en pleine rue. Les cinq copines de la victime retrouvent la trace du meurtrier et l’assassinent sauvagement. Les deux groupes se rendent ensuite coup pour coup dans une tragique escalade qui se terminera par la destruction nucléaire d’un quartier de Tokyo...

« Désespoir sec, indifférence clinique, cruauté distanciée, scènes calmement angoissantes entraînant chez le lecteur une irrépressible envie de tout faire péter ». Ainsi parle Frédéric Beigbeder des textes de Murakami Ryu dans son ouvrage Dernier inventaire avant liquidation. L’analyse est juste même si la lecture de cet auteur ne me donne pas envie de tout faire péter mais plutôt de secouer violemment ces personnages apathiques, manquant totalement de repères, incapables de communiquer et symbolisant au final une société japonaise en perdition.

J’ai beaucoup aimé Murakami Ryu. Les bébés de la consigne automatique est un très grand roman. J’ai également adoré Bleu presque transparent, 1969, Lignes et Miso Soup. Mais depuis Parasites, j’ai beaucoup plus de mal. A chaque nouveau titre, je me dis qu’il pousse gratuitement le bouchon trop loin sans jamais parvenir à se renouveler. Ici, le scénario est tellement improbable qu’il frise le ridicule. Je sais bien que l’histoire n’est qu’un prétexte pour souligner l’état de déliquescence de la jeunesse nipponne mais je trouve que tout cela manque de finesse. Et puis le coup du final apocalyptique, il nous l’a déjà fait. Cette obsession de la désintégration totale comme seule solution pour tout remettre à plat est d’ailleurs une des caractéristiques (discutable) de son œuvre.

Une lecture pas désagréable mais qui laisse en bouche un arrière goût d’inutile et de déjà vu. « Rien de nouveau sous le soleil », voilà ce que j’ai pensé en refermant ce court roman loin d’être indispensable.


Chansons populaires de l’ère Showa, de Ryu Murakami, éditions Philippe Picquier, 2011. 198 pages. 17,50 euros.

vendredi 3 février 2012

Le Belem 4 : La dernière traversée

Delitte © Glénat 2011
Méditerranée, septembre 1915. Alors que son bateau à vapeur vient d’être coulé par un U-boot autrichien et qu’il a trouvé refuge avec ses hommes dans un canot de sauvetage, le capitaine Julien Chauvelon se souvient avec nostalgie du Belem, ce majestueux trois-mâts qu’il commanda de 1901 à 1914. Avec ce navire de commerce, il vogua avec bonheur sur les eaux de l’océan Atlantique et de la mer des Antilles. A la fin de l’année 1913, le Belem entama sa dernière campagne à destination d’Aruba (Venezuela). Son armateur français ayant fait faillite, le bateau fut vendu au Duc de Westminster qui en fit un navire de plaisance. Fleuron de la marine marchande au long cours, le Belem est aujourd’hui le plus ancien trois-mâts européen en état de navigation et il sert essentiellement de bateau école en offrant des stages d'initiation et de découverte aux passionnés.

Avec cet album, Jean-Yves Delitte clôt sa quadrilogie consacrée au Belem. Il relate ici la toute dernière traversée du célèbre trois-mâts, synonyme de passage de témoin entre la marine à voile et celle à vapeur. La fin d’une époque ! Basée sur une histoire vraie (le capitaine Chauvelon et ses hommes ayant réellement erré pendant onze jours en septembre 1915 avant d’accoster sur les côtes de la Crète), le scénario alterne entre les souvenirs du capitaine et sa situation délicate suite à l’attaque autrichienne. Une construction enchâssée qui ne pose finalement aucun problème de compréhension et qui permet de « casser » l’aspect linéaire des événements.

Visuellement, c’est évidemment superbe. J’adore Delitte donc mon avis ne sera pas objectif. Mais quand même, il faut bien avouer que ce dessinateur, peintre officiel de la marine belge, est passé maître dans l’art de restituer le mouvement des vagues et des bateaux. Ses grands aplats de noir, ses couleurs souvent crépusculaires et la précision des détails qu’il apporte à chaque case sont admirables. Autre aspect que j’apprécie dans son dessin, les visages des personnages qui se reconnaissent au premier coup d’œil. De plus, il a disséminé dans cet album de nombreuses doubles pages panoramiques du plus bel effet. Bref, au-delà de l’histoire, ce quatrième épisode des aventures du Belem vaut surtout pour sa maestria graphique.

Un très bel album qui n’est certes pas un chef d’œuvre mais qui reste suffisamment dépaysant et instructif pour emporter l’adhésion des lecteurs. D’ailleurs, c’est avec plaisir que j’achèterais l’intégrale de la série, si elle sort un jour !


Le Belem T4 : La dernière traversée de Jean-Yves Delitte. Glénat, 2011. 48 pages. 13,50 euros.


Delitte © Glénat 2011



jeudi 2 février 2012

Les années n°2

Au menu de ce second numéro, des portraits de Philippe Lacoche et d'Ambroise Croizat, une nouvelle de Dominique Cornet, la chronique du professeur Hernandez, la présentation d'une librairie bretonne et quelques notes de lecture concernant des recueils de nouvelles. De mon coté, je présente Scalped, un comics que j'ai tout simplement adoré.

Si vous souhaitez recevoir la revue par mèl, il suffit de me contacter.

Prochain numéro le 14 février !

Télécharger Les années N°2 au format pdf.

mercredi 1 février 2012

La lionne : livre 1

Mattiussi et Hess
© Treize étrange 2012
Léa la Lionne est une des plus célèbres courtisanes de Rome. Son « propriétaire » Egnatius l’a loue au plus offrant. Après le poète Catule, c’est au tour de ce gros porc de Publius de profiter d’elle pendant un an. Le contrat liant la courtisane à son nouveau maître est on ne peut plus clair : « Publius Afranius, consul respecté de notre ville de Rome, a donné vingt mines d’argent au Leno Egnatius afin d’avoir à sa guise la courtisane Léa, dite La Lionne, nuit et jour pendant un an. Durant cette période, celle-ci s’engage à ne recevoir chez elle aucun autre homme et à ne se rendre en aucun cas chez d’autres que Publius. Sauf bien sûr en cas de requête de ce dernier. » Ce contrat accepté, Léa ne pourra s’y soustraire sans risquer la torture et la mort. Malgré l’exclusivité qu’elle se doit d’accorder au consul, la jeune femme continue d’affoler la gente masculine. De Rufus le Grec à Samuel le Juif, nombreux sont ceux prêts à tout pour partager sa couche…

Attention, cette lionne est une vraie tigresse (je sais, c’est couillon comme phrase, mais j’aime bien). De toute façon, mieux vaut oublier le politiquement correct pour parler de ce péplum. Alors oui, je l’affirme bien haut, voila une dessinatrice qui n’a pas hésité à réaliser un album sacrément couillu ! Elle traîne sans vergogne ses personnages dans les bas-fonds de la Rome antique. C’est cru, furieusement vulgaire, licencieux en diable, bref, totalement décomplexé. Au moment où la ville est victime de la peste, la population semble se rouler dans la fange, comme si l’imminence de la mort poussait chacun à se perdre dans d’interminables orgies.

Même si Laureline Mattiussi et le scénariste anglais Sol Hess campent un portrait de courtisane libre à une époque où le droit des femmes à disposer de leur corps était inimaginable, je ne suis pas certain que La Lionne soit une BD à message. On sent sur la fin que l’aventure va prendre le pas sur la dénonciation du machisme ambiant.

Au niveau graphique, le trait élastique de la dessinatrice épouse les corps et donne du mouvement aux ébats. On pense forcément à Christophe Blain et à son Isaac le pirate mais je trouve que Mattiussi garde une patte bien à elle. Un mot également sur les couleurs d’Isabelle Merlet qui participent grandement à l’ambiance et intensifie l’aspect décadent de l’ensemble.

Franchement, il ne fallait pas avoir froid aux yeux pour oser créer un univers baroque à la Fellini avec des dialogues particulièrement salés et de nombreuses scènes très érotiques. Oubliez les dessinatrices qui ne donnent que dans l’autofiction Girly et jetez donc un œil au travail de Mattiussi, vous risquez d’être sacrément secoués.

A terme, La lionne devrait être une trilogie. Le vrai problème de ce premier tome, c’est qu’il ne fait que poser les bases de l’intrigue. 48 pages, c’est trop court, surtout quand on a la douloureuse impression que tout démarre pour de bon à la dernière case. Vite, la suite !


La Lionne T1 de Laureline Mattiussi et Sol Hess. Treize étrange, 2012. 48 pages. 15,50 euros.


Mattiussi et Hess © Le Lombard 2012








dimanche 29 janvier 2012

Vie animale

Torres © L'Olivier 2012
Ils sont trois. A moitié laids, à moitié noirs, à moitié sauvages. Ils ont les cheveux bouclés, la peau mate et le corps maigre. Ils, se sont des frères. Il y a Manny, 10 ans, Joel, 8 ans, et le narrateur, le cadet, âgé de 7 ans. Leurs parents étaient des ados quand Manny est né. Ils ont abandonné l’école avant l’accouchement. Aujourd’hui, Ma travaille à l’usine et Paps navigue entre les petits boulots. A la maison, ils s’aiment, s’engueulent et se battent. Les gamins, eux, en veulent toujours plus : plus de bruit, plus de cris, plus de jeux, de sang, de chair et de chaleur. Le père les corrige à coup de fouet mais il peut aussi se montrer étonnamment complice avec ses fils. La mère quant à elle se désole de voir ses enfants grandir et lui échapper. Une vie de misère, animale, sauvage, où le drame n’est jamais bien loin…

La prose est sèche comme un coup de trique. Pas d’emphase, pas de grandiloquence, tout est gratté jusqu’à l’os. Les chapitres courts et percutants donnent un rythme saccadé, proche de la poésie ou du slam. Les scènes marquantes s’enchaînent et le lecteur est en apnée jusqu’au dénouement final qui le laissera groggy, sonné par cette terrible nuit où la vie de la famille a basculé.

Premier roman et coup de maître pour Justin Torres. Sa voix raisonne avec force et emporte tout sur son passage. Sans concession, Vie animale est un récit féroce qui ne plaira pas à tout le monde. Pour moi, ce fut un vrai plaisir de lecture !

Vie animale, de Justin Torres, Éditions de l’Olivier, 2012. 142 pages. 18,00 euros.


jeudi 26 janvier 2012

Chroniques Express BD (1)

Ayant sous le coude quelques seconds tomes de séries dont j’ai déjà parlé ici, j’ai choisi de les présenter rapidement en un seul et même billet. Je reconnais humblement que l’idée de ces chroniques express n’est pas de moi, je l’ai piquée à Mo’ et à Choco. J’espère juste que je n’aurais pas à leur payer des droits d’auteur !


Sahara © Kazé 2010
My Girl T2, de Mizu Sahara, Kazé, 2010. 198 pages. 7,95 euros.

Il y a maintenant un an que Koharu a perdu sa mère et vit avec son père dont elle ignorait jusqu’alors l’existence. La petite fille rentre à l’école primaire et doit affronter le regard des autres élèves qui ont tous une maman. Comme d’habitude, sa maturité lui permettra d’affronter bille en tête les événements…
Une série mélancolique qui ne tombe jamais dans la mièvrerie. Des personnages attachants et une belle finesse d’analyse de la relation père/fille qui ne cesse d’évoluer pour le meilleur et pour le pire. Une vraie réussite, je suis partant pour le tome 3 !


Sahara © Kazé 2010


L’ours Barnabé, intégrale T2, de Philippe Coudray, Éditions La boîte à bulles, 2011. 192 pages. 22 euros.

L’ours Barnabé, c’est un condensé de poésie, d’absurde et de non sens. Grâce à cette édition intégrale, les lecteurs peuvent enfin (re)découvrir le formidable travail de philippe Coudray : un trait minimaliste, quelques cases par planches et une mécanique du gag qui, visuellement, relève du petit miracle. Une œuvre absolument tout public aux multiples niveaux de lecture et d’interprétation, ça ne se rencontre pas tous les jours.
En plus c’est un des rares ouvrages que ma fille ainée, qui n’est pas, loin s’en faut, une grande lectrice, aime lire et relire dès qu’elle en a l’occasion. Rien que pour ça, cette série figurera toujours en bonne place dans la bibliothèque familiale.

Mon avis sur le tome 1 


Coudray © Boîte à bulles 2012




Heitz © Gallimard 2012
Un privé à la cambrousse, intégrale T2 de Bruno Heitz, Gallimard, 2012. 348 pages. 21 euros.


Quel bonheur de retrouver Hubert le détective privé, épicier ambulant à ses heures perdues, qui résout de sordides affaires dans la France profonde des années 50. Toujours des personnages haut en couleurs, toujours beaucoup de tendresse pour ce monde de rustres taciturnes et toujours ce noir et blanc au trait épais auquel je trouve énormément de caractère. Ah, les charmes de la France rurale d’antan !



Heitz © Gallimard 2012




Barbucci © Soleil 2011


Chosp T2 : démons moches et méchants, d’Alesandro Barbucci, Soleil, 2011. 94 pages. 13,90 euros.

Le petit Chosp est toujours à la recherche de ses origines. Sur l’île des stars où seul le glamour compte, son physique ingrat détonne. Aidé de son amie Melody, de Wendy sa baby-sitter et de la vieille Norma Bates, Chosp se rend dans un cimetière situé sur une île en pleine mer. C’est là, pense Melody, que se trouve la clé du mystère…
Barbucci laisse libre cours à son imagination débordante et poursuit son récit dans une veine « humoristico-délirante » qui fait mouche. Son trait nerveux et élastique reste ici fortement influencée par Akira Toriyama, période Dr Slump.
Drôle et survitaminée, une série jeunesse qui dépote !

Mon avis sur le tome 1.

Barbucci © Soleil 2011

mercredi 25 janvier 2012

Une métamorphose iranienne

Neyestani - © çà et là 2012
Un petit dessin, rien d’autre. Un petit dessin qui a valu en 2006 à l’iranien Mana Neyestani les pires tourments. Tout ça parce qu’il a représenté un cafard prononçant un mot azéri dans un journal pour enfants. Pour la communauté Azérie d’Iran et pour l’Azerbaïdjan, ce dessin est une insulte. Offensés parce qu’ils pensent qu’on les assimile à des insectes, les azéris manifestent violemment. Les émeutes sont réprimées dans le sang et le gouvernement iranien décide d’arrêter le dessinateur pour calmer la vindicte populaire. Totalement dépassé par les événements, Neyestani se retrouve plongé dans un engrenage inarrêtable. « Je n’en revenais pas que des gens manifestent contre un journal iranien et qu’ils le fassent sur le simple prétexte d’un mot dans un de mes dessins. »

Incarcéré, il découvre la prison d’Evin, au nord de Téhéran. Il y passe plusieurs mois et subit des interrogatoires musclés. Au bout de 51 jours à l’isolement, il se retrouve dans la section des prisonniers détenus pour crimes financiers. Mana y côtoie dans la plus grande promiscuité des junkies en manque, un vieillard sénile et des escrocs sadiques. Quand sa famille parvient à payer la caution lui permettant de retrouver temporairement la liberté en attendant la tenue du procès, le dessinateur décide de quitter l’Iran avec sa femme. En quête de visa pour l’Europe, il part dans un premier temps à Dubaï avant de se retrouver en Turquie puis en Chine. Échappant de peu à l’extradition vers son pays d’origine, c’est en Malaisie qu’il trouvera durablement refuge. Depuis février 2011, il vit à Paris en résidence d’artiste à la Cité Internationale des Arts dans le cadre du programme ICORN de soutien à la liberté d’expression.

Mana Neyestani pose un regard à la fois réaliste et distancié sur le tourbillon qui a bouleversé sa vie sans crier gare. Pas d’apitoiement, pas non plus de colère, juste une analyse lucide et chronologique des événements tels qu’ils se sont enchaînés. Effrayé à l’idée que l’un de ses dessins ait entraîné des répressions mortelles contre les manifestants, il ne comprend pas comment tout cela a pu prendre de telles proportions.

Son parcours vers le statut de réfugié politique sera une autre terrible épreuve à franchir tant les désillusions vont être nombreuses. Lorsqu’il décide de quitter l’Iran, son premier réflexe est de s’adresser à l’ambassade de France. Au pays des droits de l’homme, on ne pourra qu’accéder à sa requête, pense-t-il. Qu’elle n’est pas sa surprise en découvrant que l’homme auquel il demande de l’aide n’est pas un descendant de Jean-Jacques Rousseau mais un fonctionnaire obtus qui l’écoute sans réellement lui prêter une quelconque attention. Ironie de l’histoire, c’est grâce à la Chine, loin d’être à priori une référence en matière de droits de l’homme, que la situation pourra se débloquer.

Graphiquement, ce témoignage ne donne pas dans le réalisme à la Joe Sacco. Les références sont plutôt à chercher du coté de Robert Crumb, avec les nombreuses hachures qui envahissent chaque case. Saupoudrant son récit de petites touches d’humour, Neyestani sait aussi faire preuve d’une belle inventivité grâce à quelques trouvailles visuelles qui ne sont pas sans rappeler le dessin de presse (cf. second extrait ci-dessous lorsqu’on lui annonce sa remise en liberté provisoire).

Une métamorphose iranienne est un album d’une grande puissance qui décortique méticuleusement le basculement d’un dessinateur pour la jeunesse dans l’univers kafkaien mis en place par le système totalitaire iranien (la référence à La Métamorphose dans le titre n’est évidemment pas anodine). Pour le lecteur, c’est aussi une réflexion sur la liberté d’expression et sur le fait que cette dernière, selon l’endroit où l’on vit, ne tient parfois qu’à un fil, ou plus précisément à un petit trait de crayon.

Une métamorphose iranienne de Mana Neyestani. Éditions Çà et là, 2012. 198 pages. 20 euros.

PS : l’album paraîtra le 16 février. Je remercie Libfly et les éditions çà et là de m’avoir permis de le découvrir en avant première.

Neyestani - © çà et là 2012

Neyestani - © çà et là 2012





dimanche 22 janvier 2012

La tristesse des anges - Jon Kalman Stefansson


Stefansson © Gallimard 2011

Nous sommes en avril mais l’Islande est encore sous la neige. Jens le postier arrive au village frigorifié, collé à son cheval par le gel. Avec précaution, on le détache, on le déshabille et on le réchauffe près du feu. Il faut dire que cet homme doit être choyé car il est le seul trait d’union entre la civilisation et cette contrée perdue au bout du monde. Quelques jours plus tard, on demande à Jens de poursuivre sa tournée toujours plus au nord, là où l’Islande prend fin pour laisser place à l’hiver éternel. La lande qu’il doit traverser est balayée par une telle tempête que beaucoup la considèrent comme impraticable. Accompagné du gamin, un garçon d’auberge passionné de poésie et de littérature, Jens se lance dans la tournée la plus difficile de sa carrière.

Le postier taciturne et le gamin volubile forment un couple aussi improbable que complémentaire. Leur voyage sans fin au cœur d’une incroyable tempête a tout de la tragédie. Dès le départ le lecteur se doute que leur entreprise est vouée à l’échec. Mais l’important n’est pas là. Ce qui compte, ce sont les rencontres qu’ils feront au cours de leur périple, ces maisons isolées, noyées sous la neige, où des familles passent l’hiver au coin du feu dans une sorte de huis-clos pesant. Des gens taiseux et modestes toujours prompt à partager le peu qu’ils possèdent. Mais surtout, ce qui compte, c’est la qualité de l’écriture de Jon Kalman Stefansson. La tristesse des anges est roman très littéraire traversé par des élans poétiques somptueux et une réflexion pleine de finesse sur le sens de l’existence : « Qu’est-ce qui nous afflige – si seulement nous le savions. Nous savons à peine pourquoi nous posons la question, nous savons simplement qu’il y a quelque chose qui nous afflige, que nous ne vivons pas comme nous le devrions. Et la mort nous attend tous. »

Incroyable tour de force que de décrire pendant plus de deux cents pages le combat de deux hommes en pleine tempête sans jamais donner l’impression de se répéter. La prose est éblouissante, sachant se faire lyrique sans jamais tomber dans le boursouflé. Le lecteur frissonne, il est saisi par la dureté du climat et des hommes, par ces caractères de rustres indomptables qui représentent l’âme islandaise. « La vie islandaise dans un mouchoir de poche, nous sommes parfaitement incapables d’exprimer nos sentiments en présence de l’autre : de mon cœur ne t’approche point. »

Un roman somptueux, hors du temps et des modes. Jon Kalman Stefansson déroule une petite musique qui vous accompagnera longtemps pour peu que vous lui accordiez l’attention qu’elle mérite. De la littérature, quoi.

La tristesse des anges, de Jon Kalman Stefansson, Gallimard, 2011. 378 pages. 21,50 euros.


L'avis de Clara.