mardi 1 novembre 2016

Puisque aujourd'hui c'est permis...

Parce que le rendez-vous inavouable de Stephie du mois de novembre coïncide cette année avec la Toussaint, je me suis permis un premier mardi spécial « gros seins ». Tous les livres présentés ci-dessous trônent fièrement sur les étagères de mes bibliothèques (tout en haut, pour échapper aux regards innocents). Ce n'est pas le billet le plus fin de ma carrière, je vous l’accorde, j’espère que vous m’autoriserez à être particulièrement lourd au moins une fois dans l’année, et si ce n’est pas le cas et bien tant pis, vous n’aurez qu’à revenir demain, je vous parlerai de Mickey^^


Un recueil d’histoires courtes qui vaut surtout pour le premier récit, celui de la Comtesse de Frivoli se lançant au cœur de la jungle africaine à la chasse au léopard et se retrouvant, pour son plus grand plaisir, aux mains d’une tribu d’excités. Excitées, les femmes (à fortes poitrines, cela va de soi) le sont toujours dans ce petit livre à l’humour potache et un peu gras où les membres vigoureux et turgescents se donnent sans compter pour assouvir les appétits insatiables de ces dames. Pas follement original mais plutôt bien réalisé.

Merci à Manika pour le cadeau !


Jungle Fever de Douglo. Dynamite, 2014. 50 pages. 9,00 euros.


C'est l'histoire d'une jeune femme qui, un matin, réalise qu'elle n'est plus amoureuse de son compagnon. Elle décide alors de lui écrire une lettre de rupture. Le texte sonne au départ comme une bafouille griffonnée à la va vite et collée sur le frigo mais peu à peu les mots révèlent une ironie mordante, des reproches en cascade et un constat d’échec sans appel.

Le dessin est chic, élégant, vraiment classe et sensuel. Mais l’album se lit bien trop vite et en dehors d’être graphiquement très réussi, il reste au final assez anecdotique.



Darling chéri de Walter Minus. Hachette Comics, 2016. 32 pages. 14,95 euros.


Les Loisirs d’Anna raconte les aventures d’une jeune secrétaire d’apparence toute timide qui, le week-end venu, se transforme en femme fatale assoiffée de sexe. Sa spécialité : offrir des moments de détente torrides à de jeunes salary men surmenés ou à des étudiants ayant sérieusement besoin d’être déniaisés. Sans contrepartie financière ou autre, juste pour aider son prochain. Duo, trio, partouze, la petite n’a pas froid aux yeux, c’est le moins que l’on puisse dire.

Du manga porno classique où les filles ont comme il se doit des poitrines phénoménales. Pas vraiment mon truc mais les amateurs du genre se régaleront.



Les Loisirs d’Anna T1, de Saigado. Taifu Comics, 2009. 220 pages. 8,95 euros.


Dans un monde futuriste à l'abandon, un virus incontrôlable transforme les hommes en mutants assoiffés de sang. Seul le sérum permet d'échapper à la maladie. La pulpeuse Druuna est prête à tout pour obtenir le précieux remède et sauver son amoureux Schastar, gravement atteint. Dans un environnement où le sexe et la violence sont rois, la jeune femme va devoir user de ses charmes pour parvenir à ses fins.

Un chef d'oeuvre de la BD érotique et de la SF. Le graphisme de l'italien Paolo Serpieri est tout simplement incroyable. J'ai découvert cette série au début des années 90, j'avais à peine 15 ans et Druuna a peuplé nombre de mes nuits (et à cause d'elle j'ai aussi tâché nombre de mes draps mais je préfère ne pas m'étendre sur le sujet...).





Druuna T2 de Paolo Serpieri. Dargaud, 1987. 64 pages. 14,50 euros (épuisé et réédité depuis par Glénat mais avec des couvertures bien moins attirantes je trouve)


Trois hommes et une femmes sortent d'un marais avec des scaphandres. Ils retirent leur attirail et se retrouvent entièrement nus, dans une jungle hostile. Ils sont semblent-ils les derniers être humains et les hommes font de la femme leur plus précieux trésor. Logique puisque celle qu'ils surnomment Eve est le dernier espoir de sauver l'espèce. Inspectant les alentours, ils découvrent les vestiges d'une civilisation disparue et finissent par se demander s'ils sont vraiment seuls...

Un classique de la BD érotique que je n'avais jusqu'alors pas eu la chance de découvrir, l'erreur est réparée. C'est étrange, glauque, excitant, mystique, très osé. Le dessin est incroyablement expressif, l'anatomie féminine exposée sous toutes ses coutures. A l'évidence Riverston est bien plus à l'aise pour représenter les femmes que les hommes. Bon, pour être honnête, je suis pas certain d'avoir tout compris, impression renforcée par le fait que l'histoire n'ait jamais été menée à son terme par l'auteur. Mais je dois reconnaître que j'ai vécu une expérience de lecture assez perturbante et rien que pour ça, ça valait la peine.




Nagarya de Riverstone. Dynamite, 2016. 150 pages. 24,95 euros.


Pas vraiment de conclusion à attendre pour clore ce billet, disons juste que les gros seins en couverture, c'est  vendeur (en ce qui me concerne du moins). Et qu'un peu de vulgarité ne fait jamais de mal (en ce qui me concerne du moins).




Tous les participants du premier mardi
sont à retrouver chez Stephie








lundi 31 octobre 2016

Les lectures de Charlotte (26) : Coup de vent - Marsha Diane Arnold et Matthew Cordell

Le vent souffle trop fort et l’écharpe de l’ours s’envole. Des ratons laveurs la récupèrent et se disputent avant de l’abandonner. Le castor en fait un turban, les souris un trampoline, la loutre s’en sert de liane, le renard veut la faire sécher, etc. Dans la forêt enneigée les animaux vont tour à tour s’approprier le cache-nez jusqu’à ce que l’ours le retrouve finalement, en piteux état.

Une histoire en randonnée classique à la mécanique bien huilée. Le principe du perdu/trouvé est simple, répétitif et ludique. Chaque double page devient le théâtre de jeux et facéties des animaux avec pour fil rouge cette écharpe devenue l’objet de toutes les convoitises. La chute, parfaitement amenée, délivre un message positif vantant les bienfaits de la solidarité et de l’amitié.

Le dessin de l’américain Mathhew Cordell, vif et nerveux, a des faux airs de Quentin Blake. Ses personnages ont des postures et des expressions désopilantes qui déclencheront à coup sûr le sourire. Et puis pour les parents qui rechignent face à un texte trop « volumineux », c’est l’album du soir idéal puisqu’il n’y a pour ainsi dire qu’un mot par page (« perdu » ou « trouvé »).



Un album qui fonctionne à merveille avec Charlotte. Le schéma narratif permet d’anticiper les situations tandis que l’histoire, rapidement connue par cœur, devient vite addictive. Une lecture jubilatoire, de celle que l’on relit encore et encore sans jamais se lasser. Enfin, les enfants du moins…

Coup de vent de Marsha Diane Arnold et Matthew Cordell. Didier jeunesse, 2016. 36 pages. 13,10 euros. A partir de 3 ans.







samedi 29 octobre 2016

Les grandes vacances - Robert Doisneau et Daniel Pennac

« Le récit de vacances, comme si nos plus précieux souvenirs se concentraient dans ces brèves semaines d’éternité où il ne se passe rien, justement, rien que du ténu, de l’infinitésimal, de l’intime et du répétitif, rien que nous autres face aux autres, sans la prothèse du travail… où le moindre événement tourne en sujet d’épopée, motif lyrique que la famille enjolivera d’année en année… et où les pires emmerdements  -magie des vacances - deviennent d’inépuisables sujets de rigolade. »

Les vacances des années 50, l’insouciance de l’après-guerre, le début des bikinis remplaçant les maillots de bains en laine, la France qui profite pleinement des congés payés et prend la route ou les rails pour découvrir la montagne, les bords de mer, la Suisse, l’Espagne, ou l’Italie. La voiture trop chargée, le pique-nique sur le bord de la nationale, l’hôtel à trouver quand la nuit tombe, le camping sauvage, les gares bondées, les enfants assis sur les valises en attendant le train, les balades à vélo, la sieste, les cartes postales à écrire ou la lecture à l’ombre, seules activités possibles en attendant que la chaleur de l’après-midi devienne supportable … Doisneau a capturé ces instants avec le talent qu’on lui connait, faisant rejaillir des souvenirs qui parleront à chacun, parce qu’on les a vécus ou vus dans des albums de famille.

On ne peut qu’être admiratif devant le talent du photographe, son œil unique, ses clichés au grain et à la lumière inimitables, instants furtifs de bonheur simple figés sur la pellicule avec une rare sensibilité. En parfait complément, le texte de Pennac déborde de tendresse. On y retrouve sa verve, sa malice et son humour pour raconter ses propres vacances, mais aussi celles de Doisneau.

Réédition d’un ouvrage publié pour la première fois en 1991, ses grandes vacances ont le goût et la nostalgie d’une époque où les français découvraient avec délice la joie des villégiatures estivales.  Un livre que je vais me faire un plaisir de glisser au pied du sapin, ma môman va l’adorer.

Les grandes vacances de Robert Doisneau et Daniel Pennac. Hoebeke, 2016. 96 pages. 19,90 euros.





jeudi 27 octobre 2016

Descente à Valdez - Harry Crews

1974. Harry Crews débarque en Alaska, à Valdez (à prononcer Valdiiiz pour que ça rime avec disease selon les habitants du coin), un bled paumé où pullulent les caravanes, les préfabriqués et les engins de chantier. L’auteur du chanteur de gospel est envoyé sur place par le magazine Playboy pour écrire un reportage sur la construction d’un oléoduc trans-Alaska de 1300 kilomètres de long. A terme, deux millions de litres de pétrole devront transiter chaque jour dans ce gros tuyau, quitte à défigurer un paysage jusqu’alors protégé et à bouleverser une biodiversité dont les huit sociétés pétrolières chargées de l’exploitation du gisement n’ont strictement rien à cirer.

Crews arrive dans une ville en pleine évolution, poussant trop vite, sans infrastructures adaptées à l’inflation de population en cours et à venir. Il y rencontre Dave le contremaître, Hap le cuistot, Chris le pêcheur, Jay l’autochtone et sa femme esquimaude, le chef d’une police comptant en tout et pour tout trois membres, un dealer de marijuana, une prostituée venue de Californie certaine de crouler sous la clientèle ou encore un tatoueur frappadingue. Il arrive aux derniers instants avant la tempête, à ce moment crucial où Valdez va plonger dans une autre dimension, absolument pas prête à devenir une ville champignon de 17 000 habitants uniquement attirés par des salaires juteux : « Une tension, une violence même flotte dans l’air de Valdez, en équilibre précaire et sur le point de basculer vers quelque chose d’inédit. Vers quoi, personne ne le sait ».

Crews reporter, c’est du Crews pur jus, avec cette tendresse particulière pour les paumés magnifiques, cette prose déjantée et ces dialogues au cordeau. Il enchaîne les situations rocambolesques, se saoule et danse au seul bar du coin, se réveille dans sa voiture de location avec une gueule de bois terrible et un tatouage réalisé à son insu pendant qu’il était dans les vapes : « J’ai commencé à hurler et à gueuler qu’ils ne peuvent pas tatouer quelqu’un de complètement déchiré, que je n’aurais jamais accepté d’être tatoué, car seuls les trous-du-cul se font tatouer et je n’en étais pas un ». Du Crews pur jus je vous dis, et une forme de journalisme à l’ancienne, proche du gonzo de Hunter S. Thompson. Forcément j’ai adoré…

Descente à Valdez d’Harry Crews (traduction de Bruno Charoy). Allia, 2016. 65 pages. 7,50 euros.









mercredi 26 octobre 2016

Le quatrième mur - Corbeyran et Horne (d’après le roman de Sorj Chalandon)

Georges est étudiant au milieu des années 70. Militant d’extrême gauche, il est pétri de rêves, de convictions et d’espoirs. Sa rencontre avec Sam, juif grec fuyant la dictature de son pays, lui ouvre les yeux sur une réalité qu’il ne pouvait soupçonner. Sam le fou de théâtre n’aura pas été en mesure de mener à bien son grand projet. Frappé de plein fouet par un cancer, il ne pourra mettre en scène l’Antigone d’Anouilh dans un Liban en guerre. Tout était pourtant prêt pour « réunir des ennemis » et leur offrir une parenthèse enchantée au cœur d’un champ de bataille. Dans son casting, Antigone était palestinienne et sunnite, Hémon son fiancé, druze, Créon, le père d’Hémon, maronite. Les gardes devaient être joués par trois chiites, la nourrice par une chaldéenne et Ismène par une catholique arménienne. Sur son lit de mort, Sam demande à Georges de se rendre sur place pour monter la pièce. Ce dernier accepte sans savoir ce qui l’attend vraiment. Mais une fois arrivée à Beyrouth, il comprend vite qu’il ne sortira pas indemne d’une telle aventure…

« Voler deux heures à la guerre en prélevant un cœur dans chaque camp ». L’idée est belle mais sa réalisation vouée à l’échec dans le Liban de 1982, le Liban du massacre de Sabra et Chatila. Je n’ai pas lu le roman, néanmoins il se dégage de cet album une intensité dramatique que j’imagine encore plus forte dans le texte d’origine. Chalandon touche à l’intime et à l’universel, il mélange avec brio la petite et le grande Histoire en soulignant l’impossible mise en œuvre d’une trêve poétique face à l’absurdité, la violence et la folie des hommes.

Les choix graphiques d’Horne sont au diapason du récit. Son trait aiguisé comme une lame et proche du crayonné traduit l’urgence, la tension, la souffrance, l’ambiance pesante. Le gris délavé met en lumière un Liban en ruine et ses décombres fumantes sous un ciel bas et triste.

Une tragédie bouleversante, belle et désespérée, qui enterre les illusions de l’utopie sous les cendres du chaos. Je n’ai plus qu’une envie maintenant, me jeter au plus vite sur le roman et le dévorer d’une traite !

Le quatrième mur de Corbeyran et Horne (d’après le roman de Sorj Chalandon). Marabout, 2016. 140 pages. 17,95 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois encore le plaisir de partager avec Noukette.






mardi 25 octobre 2016

Espionnage intime - Susie Morgenstern

Angélique a tout de la lycéenne modèle : excellente élève, jamais un mot plus haut que l’autre, toujours prête à donner un coup de main à ses parents qu’elle adore, ni tabac ni alcool, une sincère bienveillance envers ses deux frères, une complicité totale avec sa grand-mère et sa tante. L’image d’Épinal de l’ado parfaite ? En apparence. Car son journal intime révèle des secrets inavouables qui noircissent grandement le tableau. Et si au final cette jeune fille parfaite portait bien mal son prénom…

Soyons honnête, j’ai quelques bémols. Le titre en dit trop, on voit venir de loin certaines grosses ficelles narratives et les citations sentencieuses ou moralisatrices (« le courage est un devoir », « le bonheur est une habitude à cultiver ») alourdissent parfois l’ensemble. A force de bons sentiments à outrance, on finit par frôler l’overdose de sucre et de guimauve mais la recette reste digeste car Susie Morgenstern garde les rênes de son récit et ne se laisse pas déborder. J’admire son écriture fluide, ses dialogues percutants et sa façon de mettre en scène autant de personnage sans jamais perdre le lecteur en route. Tous sont touchants à leur façon et reconnaissables au premier coup d’œil, tous apportent leur pierre à l’édifice sans lourdeur ni artifices inutiles.

Je me rends compte que je me suis d’emblée senti à l’aise dans ce roman, prêt à balayer d’un revers de main ses petits défauts tant il m’a fait passer un bon moment auprès de cette famille aussi heureuse que dysfonctionnelle. Et puis le sujet incite à se projeter sur nos propres difficultés de communication : « Pourquoi ne pose-t-on jamais les questions quand il est encore temps de le faire ? », pourquoi faut-il un drame pour qu’enfin l’échange se noue, que la relation s’apaise, quitte à ce que les choses se clarifient trop tard ?

Assurément un texte qui plaira au public auquel il s’adresse. Son ton moderne, son thème finalement universel et sa galerie de personnages attachants emporteront à coups sûrs l’adhésion, ça ne fait aucun doute.

Espionnage intime de Susie Morgenstern. L’école des loisirs, 2016. 140 pages. 12,80 euros. A partir de 13 ans.


Une lecture jeunesse que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 24 octobre 2016

Fils du feu - Guy Boley

Ça commence dans une gerbe d’étincelles. Le feu, la forge, le père et son comparse Jacky martelant de concert, en rythme cadencé. Le fils fasciné par le bruit, la chaleur, les escarbilles jaillissant comme des étoiles filantes. Dehors, près du dépôt de locomotives bordant la maison, l’enfant retrouve sa grand-mère étêtant mécaniquement des grenouilles vivantes. Avant de partir pour l’école il embrasse la joue flasque du voisin, monsieur Lucien, et assiste aux lessives collectives où les femmes prennent des airs de lavandières. Le fils du feu devenu adulte raconte ainsi son enfance, chronique plus amère que douce marquée par la mort du petit frère, événement traumatisant pour chaque membre de la famille. La mère continue de s’adresser au défunt comme s’il n’était jamais parti, le père lève pour la première fois la main sur sa femme et l’aîné constate les dégâts, il souffre et tente de grandir, malgré tout.

Honnêtement, je pensais prendre une grosse claque, je pensais me retrouver sur le cul, soufflé par la force d’un texte court et renversant. Et bien ça n’a pas été le cas. Tant mieux pour mes petites fesses douces et potelées (ce n’est pas moi qui le dis, c’est ma femme…) et tant pis pour le plaisir de lecture orgasmique tant espéré et jamais venu. Je m’étais imaginé un long poème en prose puissant et habité, je ne m’étais pas trompé, mais il m’a manqué un petit quelque chose, un soupçon d’aspérité sans doute. Il me reste l’impression d’une écriture trop lisse, trop travaillée, trop léchée. Disons qu’il m’aurait fallu davantage de spontanéité et de rage. Je suis resté à distance, pas vraiment emporté, ni par les personnages, ni par l’histoire. Pas simple d’expliquer ce ressenti mais l'évidence s'impose, je me suis par moments ennuyé au cours de cette lecture.

Après, impossible de nier que Guy Boley a une plume élégante, parfois intense, d’une grande musicalité, et que son entrée en littérature à plus de soixante ans laisse augurer de bien belles choses à venir.

Fils du feu de Guy Boley. Grasset, 2016. 160 pages. 16,50 euros.



Les avis de Laure, LeiloonaMoka et Sylire




dimanche 23 octobre 2016

Jules B : l’histoire d’un Juste - Armelle Modéré

Jules B n’est pas dans une bonne passe. Sa femme l’a quitté pour un baron et depuis l’arrivée des allemands la pénurie de cuir l’empêche d’exercer son métier de cordonnier. Viré du troquet après avoir trop levé le coude, il assiste en rentrant chez lui à un dramatique accident de voiture. Jules sort trois enfants de l’habitacle en feu et constate qu’il n’y a plus rien à faire pour les deux parents. Un voisin le met en garde, les gamins ont l’air juifs, ils vont lui attirer des ennuis. Mais incapable de les abandonner, Jules les ramène chez lui…

Jules est ce que l’on appelle un Juste parmi les nations. Le thème a déjà été abordé dans L’enfant cachée ou Max et les poissons mais dans ces deux ouvrages la situation était vécue à hauteur d’enfant. Ici le point de vue est celui d’un adulte, un « sauveur malgré lui » qui agit plus par instinct que par réflexion. Un sauveur qui constate la lâcheté de ses congénères, un sauveur loin d’être lui-même un héros. Jules ne s’était jamais posé de questions sur le sens de la guerre, sur l’occupation, sur le traitement réservé aux juifs. Comme tant d’autres il regardait les choses par le petit bout de la lorgnette, s’inquiétant uniquement de sa propre situation.

J’ai aimé ce parti pris, le fait que Jules soit un homme (enfin, un cochon !) comme les autres, plein de défauts et de faiblesses, simplement plus humain (!), plus empathique, plus outré par une situation que sa conscience le pousse à considérer comme inacceptable. La représentation animalière offre une distance qui renforce la portée du message (comme dans Maus) et évite de tomber dans un réalisme pouvant être traumatisant pour certains jeunes lecteurs.

Un album important, surtout par les temps qui courent. Accueillir et prendre en charge ceux qui n’ont plus rien, être prêt à sacrifier sa propre liberté pour qu’ils conservent la leur, aller à contre courant des peurs et des préjugés ambiants, faire don de soi pour autrui, voila des valeurs de plus en plus rares aujourd’hui qu'il ne sera jamais inutile de rappeler, non ?

Jules B : l’histoire d’un Juste d’Armelle Modéré. Des ronds dans l’O, 2016. 68 pages. 17,00 euros.

Les avis de Livresse des mots et Noukette








samedi 22 octobre 2016

Mes secrets - Didier Levy et Amélie Graux

Il y a des choses qu’on ne dit jamais. Comme le fait d’être amoureuse d’Antoine Bost, comme l’endroit où on a enterré notre premier trésor, comme avouer avoir volé le stylo plume de Djamel ou reconnaître que l’on est une petite fille aimant bien se déguiser en garçon. Il y a nos propres secrets, ceux que l’on garde au chaud, et ceux des autres que l’on promet de ne pas répéter. Des secrets par définition inavouables, des secrets drôles, légers ou graves.

L’album s’articule en doubles pages où, côté gauche, chaque phrase commence par « Je n’ai jamais dit » et où, côté droit, la narratrice se lance dans une petite explication de texte en lien avec le secret énoncé. Cette narratrice haute comme trois pommes et pleine de malice apparaît tour à tour espiègle, honteuse, jalouse, touchante ou amoureuse. Un ouvrage aux faux airs de journal intime dans lequel on entre sur la pointe des pieds. J’avais déjà admiré la vivacité du trait d’Amélie Graux dans « Moi, j’aime pas comme je suis », je retrouve avec plaisir ses illustrations expressives et colorées dégageant un indéfinissable charme.



Des confessions douces et sucrées, comme murmurées à l’oreille. Le ton sonne juste pour dire, entre humour et tendresse, les tracas, joies ou petits chagrins du quotidien, mais aussi pour rappeler l’importance de les garder pour soi car, comme chacun sait, un secret ne se partage pas.

Mes secrets de Didier Levy et Amélie Graux. Belin, 2016. 32 pages. 12,90 euros. A partir de 6 ans.







vendredi 21 octobre 2016

Pas trop saignant - Guillaume Siaudeau

« Certains hommes mettent une vie entière à se libérer de leurs chaînes. Lui a décidé de faire ça en une journée. Il ne sait pas si c’est possible. »

La fugue, la fuite, le mal-être qui se traduit par une envie de mettre les voiles, de disparaître, de se faire la malle… c’est un peu la thématique de ma semaine de lecture. Après « Ma fugue chez moi » j’ai enchaîné avec ce « Pas trop saignant » narrant l’équipée, non pas sauvage, mais tendre et poétique d’un héros comme seul Guillaume Siaudeau sait les croquer.

Troisième roman de ce jeune auteur né en 1980 et troisième fois que je me laisse embarquer dans son univers décalé, à la frontière du rêve et de la réalité. On suit ici le parcours de Joe, équarisseur dans un abattoir ne supportant plus la vue du sang et le cri des bêtes condamnées à une mort atroce. Un solitaire qui décide un jour de tout plaquer pour partir sur les routes au volant d’une bétaillère dérobée sur son lieu de travail et contenant des vaches destinées à finir en steaks hachés. Après un détour pour kidnapper Sam, un enfant placé et maltraité dont il est devenu le meilleur ami, Joe roule vers la montagne et trouve d’abord refuge chez son vieux pote Jacques. Il rencontre ensuite Robert, veuf bourru au cœur grand comme ça qui prend fait et cause pour les fuyards tandis que la traque s’organise et que les policiers de tout le pays se lancent aux trousses de la bétaillère et de ses drôles d’occupants.

Y a de la joie et de la tristesse dans cet inclassable petit texte, une gravité affleurant en permanence sous des faux airs de légèreté. La liberté a un prix, la fuite ne pourra jamais être que temporaire et on sait la partie perdue d’avance mais cela renforce l’infinie empathie que le lecteur ressent pour Joe et ses comparses. A l’opposé les forces de l’ordre en prennent pour leur grade, un matraquage en règle sous l’angle de la moquerie et de l’humour noir offrant une représentation aux accents anar certes caricaturale mais pour le coup vraiment drôle.

C’est une confirmation, j’aime beaucoup la plume et le ton de Guillaume Siaudeau, son regard lucide, désabusé et pétri d’humanité, sa capacité à mettre en scène des gens du peuple aussi attachants que solaires et ses histoires douces-amères dont la petite musique nous reste en tête longtemps après avoir tourné la dernière page. Un auteur qui me va comme un gant et que je continuerai à suivre les yeux fermés, c’est une évidence.

Pas trop saignant de Guillaume Siaudeau. Alma, 2016. 135 pages. 16,00 euros.

L'avis de Leiloona

Mes avis sur Tartes aux pommes et fin du monde et La dictature des ronces