mercredi 24 août 2016

Le Port des Marins Perdus - Teresa Radice et Stefano Turconi

1807. Un jeune garçon est retrouvé inanimé sur une plage de l’île de Siam par un officier anglais. Amnésique, le naufragé ne se souvient que de son prénom, Abel. Recueilli à bord d’une frégate dont il va devenir mousse, celui qui l’a sauvé lui apprend que le capitaine du bateau vient de disparaître avec une cargaison d’or après avoir assassiné les membres de son équipage chargés de protéger le trésor. Arrivé à Plymouth, Abel trouve refuge dans l’auberge tenue par les trois filles du capitaine traître et déserteur. Alors que la mémoire lui revient peu à peu, il découvre une vérité à laquelle il ne peut croire…

« Redressez les vergues, trois quart à poupe de travers, carguez le petit hunier, affalez le perroquet, tendez les amures, fixez les voiles auriques… ». Je ne connais rien au vocabulaire maritime mais j’adore entendre tous ces ordres donnés aux matelots, ça me fait rêver. Un album au long cours qui sent les embruns et laisse en bouche un goût d’iode et de sel. Pas de trésor ni de pirates mais une histoire maritime digne des grands récits d’aventure du 19ème siècle. Découpé en quatre actes, cet opéra graphique très ambitieux parle d’amour, d’amitié, de trahison et de mort avec une petite touche de fantastique lui offrant un supplément d’âme.

Hommage à la poésie et aux romantiques anglais, le récit s’articule entre terre et mer dans une mécanique parfaitement huilée. La narration est limpide, le dessin sans encrage et sans couleur, tout en crayonnés, est à la fois souple, spontané et d’une grande fluidité. Il aura fallu plus de deux à Stefano Turconi pour venir à bout des trois cents planches de l’album et on ne peut qu’être admiratif devant le résultat final.

Quelques bémols tout de même. Certains récitatifs trop bavards auraient pu être allégés et la fin prend une tournure grandiloquente et ampoulée, certes parfaitement raccord avec l’esprit général mais qui m’a semblé un peu lourde. Un détail cependant, qui ne doit pas masquer l’immense plaisir d’avoir parcouru les océans cheveux au vent aux côtés d’Abel jusqu’au Port des Marins Perdus.

Le Port des Marins Perdus de Teresa Radice et Stefano Turconi. Glénat (Treize étrange), 2016. 300 pages. 22,00 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette (trois jours de suite, même pas peur ! )


Les avis de Lunch et Livresse de mots












mardi 23 août 2016

Songe à la douceur - Clémentine Beauvais

Eugène croise par hasard Tatiana dans le métro. Dix ans qu’il ne l’avait pas vue. Elle avait quatorze ans à l’époque, lui trois de plus. Cet été-là, il accompagnait son copain Lensky chaque après-midi dans le jardin de Tatiana. Lensky sortait avec Olga, la sœur aînée de l’adolescente. Un drame et quelques mots maladroits d’Eugène avaient mis fin à leurs échanges balbutiants. Dix ans plus tard, leurs chemins se croisent à nouveau. Surprise et déclic, ils se plaisent au premier coup d’œil. Je vous laisse imaginer le reste du tableau : histoire d’amour compliquée, on se cherche, on s’évite, on se trouve, on recolle les morceaux du puzzle et tout est bien qui finit bien. Ou pas…

Soyons honnête, ce n’était pas gagné. La romance et moi, en littérature ou ailleurs, on n’est pas fait pour s’entendre. Heureusement ici on est loin d’un vieil Harlequin de ma grand-mère (paix à son âme). Surtout que Clémentine Beauvais a eu l’audace (la folie devrais-je dire) d'imaginer une variation autour du roman Eugène Onéguine de Pouchkine. Elle en a évidemment changé le cadre et l’époque mais a gardé les mêmes personnages et surtout la même forme, à savoir un texte en vers libres où le narrateur, plus omniscient que jamais, intervient au cours de digressions intercalées au fil de l’intrigue.

Audacieux donc, furieusement casse-gueule même, de réécrire un des plus grands classiques de la littérature russe du 19ème siècle tenant à la fois du roman et de la poésie. Ça aurait pu tourner au fiasco, ça aurait pu être totalement ridicule, mais c’est loin d’être le cas. Parce que Clémentine Beauvais ne tombe pas dans le piège de l’hommage frileux, de la caricature ou du détournement grossier de l’œuvre originale. Pas question non plus de sombrer dans l’exercice de style sans âme. Son écriture légère et acidulée offre un souffle nouveau, à la fois respectueux et moderne. La narration est d’une fluidité surprenante, je n’ose imaginer combien de fois il lui a fallu sur le métier remettre l’ouvrage afin d’arriver à une version aussi aboutie.

J’admire donc sans réserve la prise de risque et surtout le résultat final. Pas pour autant que je vais me mettre à la romance, faut pas pousser non plus, mais force est de constater que ce roman jeunesse inclassable est une vraie réussite.

Songe à la douceur de Clémentine Beauvais. Sarbacane, 2016. 240 pages. 15,50 euros.


Et une fois encore, j'ai l'immense plaisir de partager cette découverte avec Moka et Noukette.













lundi 22 août 2016

Sous la vague - Anne Percin

Rien ne va plus dans la vie de Bertrand Berger-Lafitte, héritier d’une prestigieuse propriété de Cognac. La crise économique met ses affaires en péril, son ex-femme manigance pour l’écarter du conseil d’administration, sa fille est enceinte d’un ouvrier syndicaliste de son usine d’embouteillage et les actionnaires voudraient céder l’entreprise à des capitaux étrangers. Mais au lieu de se battre, Bertrand fait l’autruche. Il fuit les soucis aux cotés de son fidèle chauffeur Eddy, costaud tatoué, fumeur de joints un peu bourru, confident aussi mystérieux que flegmatique.

Anne Percin porte sur son personnage principal un regard à la fois tendre et mordant. Un personnage qui n’avait rien pour me plaire à la base mais que j’ai trouvé infiniment attachant. J’ai toujours eu un faible pour les mous lymphatiques et résignés qui fuient les problèmes plutôt que de les affronter, je n’y peux rien. Bertrand préfère s’intéresser à un faon blessé, une corneille coincée dans la cheminée ou une portée de chatons plutôt que de défendre ses propres intérêts. Il subit mais surtout il relativise.

Un plaisir de retrouver la plume alerte et l’humour d’une auteure dont je ne connaissais jusqu’alors que les romans jeunesse. Dans cette satire sociale, elle multiplie les situations incongrues pour dénoncer sans avoir l’air d’y toucher la dureté d’une économie de marché dont le pragmatisme n’a que faire des traditions familiales. Les catastrophes ont beau s’enchaîner, Bertrand n’y voit que futilités. L’essentiel est ailleurs, même s’il ne sait pas vraiment où. Drôle, ironique et plus profond qu’il n’y paraît.

Sous la vague d’Anne Percin. Le Rouergue, 2016. 200 pages. 18,80 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chouchoutes Moka et Noukette.


Les avis de Cathulu et Jostein






dimanche 21 août 2016

Aliénor Mandragore T2 : Trompe-la-mort - Séverine Gauthier et Thomas Labourot

Dans ce second tome, on retrouve Aliénor la fille de Merlin bien décidée à ramener ce dernier à la vie après avoir accidentellement causé sa mort. Problème, L’Ankou, collecteur de l’âme des défunts, cherche par tous les moyens à récupérer celle de l’enchanteur. Après avoir entendu une prophétie délivrée par Viviane la Dame du lac, Aliénor choisit de se rendre avec Lancelot dans les Monts d’Arrée, le pays des âmes errantes, territoire interdit où règne L’Ankou…

J’ai apprécié replonger dans l’univers de Brocéliande revisité avec pep’s et humour. Séverine Gauthier traite de sujets plutôt lourds avec une légèreté bienvenue. Les dialogues sont toujours aussi savoureux et les situations cocasses donnent le sourire. Le duo Aliénor/Lancelot n’est pas aussi explosif que l’affrontement Merlin/Morgane du premier volume mais la complémentarité de leurs caractères les rend particulièrement attachants.

Au dessin, Thomas Labourot  garde le cap avec son découpage dynamique, son trait souple et ses couleurs franches. Seul bémol, il est dommage que le format relativement petit « écrase » certaines cases et ne mettent pas en valeur les nombreux détails.

A noter une nouvelle fois en fin d’ouvrage la présence de « L’écho de Brocéliande », petit supplément fort instructif pour connaître tous les secrets de la forêt. Succès assuré auprès des petits lecteurs pour cette série jeunesse aussi originale qu’ambitieuse. A la maison en tout cas, la suite est attendue avec impatience.

Aliénor Mandragore T2 : Trompe-la-mort de Séverine Gauthier et Thomas Labourot. Rue de Sèvres, 2016. 54 pages. 12,00 euros. A partir de 8-9 ans.

Mon avis sur le tome 1







vendredi 19 août 2016

Un paquebot dans les arbres - Valentine Goby

J’aurais dû attaquer ce billet en vous disant de ne pas le lire parce que de toute façon, connaissant mon admiration sans borne pour Valentine Goby, il ne serait en rien objectif. Mais je ne vais pas le faire car je n’aurais besoin d’aucune mauvaise foi pour vous dire le plus sincèrement du monde à quel point ce roman est formidable et à quel point je vous le recommande sans réserve.

Valentine Goby possède une place à part dans mon panthéon des auteurs français actuels, une place que les autres ne pourront jamais lui ravir. Pourquoi ? Tout simplement parce que les autres n’ont pas écrit Kinderzimmer. J’avoue que je tendais un peu le dos avant de me lancer à l’assaut de ce paquebot dans les arbres. Le roman de l’après Kinderzimmer ce n’est pas rien (même si entre deux il y a eu la très jolie Fille surexposée). Mais j’ai décidé d’attaquer ce texte sans oser la moindre comparaison, qui aurait été de toute façon aussi inutile que malvenue. Et bien m’en a pris.

L’histoire se déroule au début des années 60. On y découvre une famille heureuse : Paul, le père, Odile, la mère et leurs trois enfants Annie, Mathilde et Jacques. Les parents tiennent le café du village, centre névralgique s’il en est. Paul rayonne, attire les foules et suscite l’admiration de tous, y compris de Mathilde. Celle qui n’a malheureusement pas été le garçon attendu après la naissance d’Annie. Celle que Paul appelle son petit gars et qui se comporte comme tel. Celle prête à tout pour attirer l’attention de ce papa n’ayant d’yeux que pour les autres. Quand la tuberculose entre avec fracas dans leur vie, touchant d’abord Paul puis rapidement après Odile, le monde s’écroule. Dans la France des trente glorieuses, seuls les salariés ont droit à la sécu et aux antibiotiques. Pour les autres, direction le sanatorium. Quand les parents s’y retrouvent tous les deux, Mathilde et son petit frère sont placés en famille d’accueil. Alors que les problèmes de santé s’accumulent, que la ruine se profile, que les services sociaux prennent en main et sans humanité la destinée des enfants, Mathilde tente de faire face et de maintenir les siens à flot.

Magnifique portrait d’une jeune fille prête à tout pour affronter bille en tête la fatalité. Conserver les liens familiaux malgré les épreuves, subir la faim, le froid et la misère, soutenir les malades coûte que coûte, ne pas oublier sa propre vie en sacrifiant tout aux autres. Être forte mais pas invincible. S’écrouler et se relever, être soutenue et avancer. Tenir. Jusqu’au bout. Parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité, parce que c’est ce qui donne du sens. Mathilde, admirable de ténacité et de fragilité, femme-enfant consciente d’enfiler un costume trop grand pour elle, d’assumer des responsabilités qui ne sont pas de son âge. Elle est belle Mathilde, portée par les mots de Valentine Goby, par le rythme envoûtant de son écriture sans fausse note :

« Mathilde est un funambule en tension, oscillant entre la nécessité d’être Mathilde Blanc, puissante, enchanteresse, fidèle ; et le désir aigu d’être une autre, fragile, légère, avec des rêves à soi. C’est une danse étrange que celle de Mathilde sur ce fil, son corps penchant toujours du même côté, lesté du poids d’amour qu’elle porte à Odile, Paulot et Jacques ; du côté de l’oubli de soi. »

Un roman puissant et lumineux. En toute objectivité.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby. Actes sud, 2016. 270 pages. 19,80 euros.

L'avis de Clara





jeudi 18 août 2016

Le sérieux bienveillant des platanes - Christian Laborde

J’ai eu envie d’attaquer cette rentrée littéraire en terrain connu, avec un auteur que j’apprécie depuis longtemps. Il faut savoir que Christian Laborde a, il y a près de 30 ans, commis un roman (« L’os de Dionysos ») interdit pour « trouble illicite, incitation au désordre et à la moquerie, pornographie et danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale ». Et rien que pour cela, il gardera à jamais mon admiration la plus sincère !

Ici, j’ai aimé d’emblée retrouver sa plume franche et directe, sans chichi. J’ai aimé croiser dès les premières pages un narrateur fan de Rabelais et de Bukowski, lécheur de cul patenté (oui, j’ai bien dit lécheur de cul et pas lèche-cul, la différence est fondamentale, croyez-moi !).

La preuve :

C’est le genre d’extrait qui met en branle mes sens de lecteur (on ne se refait pas) et annonce un texte à la hauteur de mes attentes. Et pourtant, patatras, rien ne m’a plu par la suite. L’histoire est simple : Tom apprend le décès de son grand-père et descend dans le Sud-Ouest pour assister à l’enterrement. Tom le rocker glandeur qui vivote à Paris en tirant le diable par la queue, Tom l’insoumis amoureux de la belle prostituée Joy, tournant le dos à cette époque qui le fait gerber pour vivre libre. Le road trip jusqu’à la ville de son enfance avec Joy à ses cotés est l’occasion de plonger dans le passé, de remuer les souvenirs de ce grand-père ex-légionnaire auprès duquel il a tout appris. Mais arrivé sur place, une mauvaise surprise l’attend…

J’ai trouvé que c’était un roman de grincheux, qui se voudrait à contre-courant, vent debout face aux modes, aux bobos, à la société de consommation. Un roman qui se voudrait un roman de rebelle, esprit James Dean, mais où tout sonne creux, où tout semble vain. Le roman désuet d’un rebelle en carton dont le sempiternel « c’était mieux avant » m’a rapidement lassé. A charge de revanche monsieur Laborde, je serai évidemment là quand sortira votre prochain publication.

Le sérieux  bienveillant des platanes de Christian Laborde. Editions du rocher, 2016. 130 pages. 14,00 euros.





mardi 16 août 2016

Sukkwan Island - David Vann (roman et BD)

J’en ai tellement entendu parler de ce roman. Il me semblait que tout le monde l’avait lu sauf moi. Il me semblait aussi qu’il m’irait comme un gant. Je n’avais à vrai dire qu’une vague idée de son contenu. Une histoire de père et fils, sur une île d’Alaska. Juste Jim le père et Roy, son fils de 13 ans. Et la nature sauvage tout autour. Et un drame à venir, forcément.

En gros j’avais tout compris, sauf que le drame n’était pas celui auquel je m’attendais. Du moins pas comme ça. L’attente de ce drame a d’ailleurs perturbé ma lecture. Parce qu’au début les choses se passent normalement. Ils s’installent, ils coupent du bois, ils pêchent, ils chassent, ils randonnent, ils préparent les réserves pour l’hiver. Un ours vient saccager leur cabane en leur absence. Le gamin a du mal à se faire à ce nouvel environnement. Les échanges avec le paternel se réduisent au strict minimum. Il est bizarre ce paternel. Il donne le change mais on le sent moyennement préparé à l’aventure, une aventure qu’il a voulu imposer à son rejeton. Et puis la nuit il chiale comme une madeleine et sans raison. L’ambiance n’est donc pas au beau fixe mais pas de quoi fouetter un chat. En apparence. J’ai parcouru ces pages avec pour leitmotiv un « jusque là tout va bien » que je savais illusoire. Pour autant je n’ai rien vu venir.

Fin de la première partie. Une phrase et tout bascule. Punaise, c’est pas possible… voila ce que je me suis dit. Et pourtant si. Commence alors le naufrage du père. Et mon aversion absolue pour ce connard. Un gars lâche, stupide et égoïste. Un abruti de première, tellement pas attentif aux autres, tellement immature, tellement détestable. Qui n’aura à la fin que ce qu’il mérite. Une fin qui, sur la forme, m’a rappelé Martin Eden. En infiniment  moins triste. Parce que si celle de Martin m’a serré la gorge, celle de Jim ne m’a inspiré qu’un peu glorieux « bien fait pour sa gueule ».

Il est énorme ce roman. Parce qu’il gratte, et pas qu'un peu. Il met en scène une situation insupportable gérée de façon calamiteuse par celui qui se doit d’être l’adulte responsable. Mais sans jugement. Avec une neutralité de ton et une montée en tension qui font froid dans le dos. Il est énorme parce que David Vann n’accable personne mais il ne tente à aucun moment d’arrondir les angles. Et son histoire déclenche une forme de fascination et d’écœurement qui laisse sans voix. C’est dur, terriblement dur. Et terriblement humain. J’ai adoré.

Sukkwan Island de David Vann. Gallmeister, 2011. 200 pages. 8,50 euros.


J’ai lu la BD dans la foulée. Pas une bonne chose d’enchaîner la lecture d’un roman et de son adaptation. Le texte original est encore trop frais, la comparaison dessert obligatoirement la transposition sur un autre support. Les choses sont différentes je trouve quand, au moment de se plonger dans une adaptation, le roman est loin derrière nous et qu'il ne nous en reste que la trame générale, une vague idée en somme.

En plus ici Ugo Bienvenu ne s’autorise pas le moindre écart, il suit le récit avec une fidélité absolue et un peu mécanique, n’apportant au final aucune valeur ajoutée. Rare de voir un album compter plus de pages que le roman dont il s’inspire, c’est dire si tout est raconté en détail. Point d’ellipses ni de raccourcis donc, j’ai eu l’impression de faire une relecture à l’identique (les images en plus) et je me suis ennuyé. Sans compter que le dessin sans souplesse et le découpage bien trop classique n’apportent pas le soupçon d’originalité graphique qui aurait pu m’accrocher. Une déception, donc.


Sukkwan Island d’Ugo Bienvenu, d’après le roman de David Vann. Denoël Graphic, 2014. 220 pages. 22,90 euros.


Un énorme merci à l’adorable Moka qui a eu la gentillesse de m’offrir ces deux ouvrages au cours d’une mémorable journée de formation où des intervenants, certes motivés mais pas franchement compétents, ont tenté de nous inculquer les vertus de la littérature policière pour la jeunesse. En même temps, nous connaissant, la cause était perdue d’avance…






vendredi 29 juillet 2016

Les ombres de Canyon Arms - Megan Abbott

Penny rêvait de paillettes en débarquant à Hollywood au début des années 50. Sa carrière d’actrice ayant du mal à prendre son envol, il lui a fallu se reconvertir temporairement en maquilleuse. Un moindre mal pour garder le contact avec le milieu du cinéma. Elle décide même de s’installer tout près des studios, dans un bungalow libre depuis peu. Sa rencontre avec deux autres résidents va lui apprendre que le locataire précédent a été retrouvé la tête dans le four. Suicide a conclu la police. L’histoire perturbe la jeune femme qui entend des bruits chaque nuit semblant venir des murs. Elle a aussi l’impression de voir courir des petites créatures le long des plinthes. Sans compter que sa logeuse, qui avait une liaison avec le suicidé, a un comportement de plus en plus bizarre.

Une novella que j’ai délibérément choisie pour me faire peur, histoire de changer un peu et de bousculer ma petite nature. Je m’attendais à un truc angoissant à souhait, une atmosphère sombre et flippante à la David Lynch. Pour le coup c’est raté. Pas la moindre sueur froide dans ce récit oscillant entre rêve et réalité dont l’étrangeté m’a simplement poussé au bord de l’ennui. Tout juste si j’ai apprécié l’atmosphère hollywoodienne des fifties plutôt bien rendue.

En fait, on en reste à une histoire de basculement progressif vers la folie sans autre issue possible que la mort. L’auteure, dans une courte interview en fin d’ouvrage, cite comme influences Poe et le Horla de Maupassant. De superbes influences qui, à mes yeux du moins, ne suffisent pas à faire bon texte, loin de là.

Les ombres de Canyon Arms de Megan Abbott. Ombres noires, 2016. 130 pages. 8,00 euros.




mercredi 27 juillet 2016

Qu’ils y restent - Régis Lejonc, Riff Reb’s et Pascal Mériaux

Les temps sont durs, même pour les monstres les plus fameux. Au nord, plus de  grands-mères ni de petits chaperons pour le loup. A l’Ouest, l’ogre a décimé toute la population locale, animaux compris. A l’Est, le vampire cherche du sang à se mettre sous la dent. Et au sud, le sorcier connaît lui aussi la famine. Chacun quitte donc son territoire en quête de chair fraîche. Après un long voyage, au cœur du monde les quatre se retrouvent. Et livrent leur dernière bataille…



Le trio Lejonc-Reb’s-Mériaux règle leur sort  aux méchants des contes pour enfants. Avec une cruauté jubilatoire. Une façon d’exorciser les frayeurs des nuits cauchemardesques vécues par les bouts de chou du monde entier. Le texte se résume à quelques courts récitatifs faisant monter la tension crescendo et les illustrations de Riff Rebs, aux motifs ornementaux encadrant chaque planche inspirés de l’artiste russe Ivan Bilibine, finissent d’installer une ambiance angoissante à souhait. Le découpage est somptueux, le choix des couleurs pertinent et le trait de l’auteur du Loup des mers est comme d’habitude à tomber par terre.

Le dos toilé, le format XXL et le papier glacé font de cet album à déguster dès huit ans un objet-livre somptueux, ce qui ne gâche rien.Classieux à tout point de vue.

Qu’ils y restent de Régis Lejonc, Riff Reb’s et Pascal Mériaux. Editions de la Gouttière, 2016. 48 pages. 16,00 euros.

mardi 26 juillet 2016

Sauveur et fils, saison 1 - Marie-Aude Murail

A Orléans, dans la famille Saint-Yves, le père s’appelle Sauveur et le fils Lazare. Le premier est psy, noir, et mesure 1,90 mètre tandis que le second, métisse, espionne du haut de ses huit ans les consultations planqué derrière une porte. Comme le dit Sauveur, les ados chiants, c’est son fonds de commerce. Son quotidien de praticien est donc peuplé d’une fille adepte de scarification, d’une autre frappée de phobie scolaire, d’un accro aux jeux en ligne dont la mère vient d’être internée, d’un garçons souffrant d’énurésie ou de trois sœurs digérant difficilement la séparation de leurs parents suite au coup de foudre de leur mère pour une autre femme.

Et si Sauveur est à l’écoute de cas toujours compliqués, il a bien plus de mal avec son propre enfant, auquel il ne parvient pas à parler du décès de sa maman dans un accident de voiture survenu en Martinique alors qu’il n’avait que trois ans.

Un roman jeunesse hyper construit, ambitieux, foisonnant, riche d’une multitude de personnages tous plus attachants les uns que les autres. L’écriture est digne d’une excellente série télé où les intriguent se multiplient, mêlant vie privée et quotidien professionnel. Toutes les situations font mouche, des scènes se déroulant à l’école en passant par les soirées entre père et fils et les nombreuses consultations.

Marie-Aude Murail  dresse en finesse et avec un réalisme surprenant les portraits d’ados déboussolés, souvent perplexes face à leurs parents, imprégnés de nouvelles technologies, de réseaux sociaux et de rapports humains de plus en plus complexes à gérer. Elles n’éludent pas des sujets plus graves comme la dépression, le suicide et les abus sexuels, mais avec une pertinence et une forme de « légèreté »  éloignant tout pathos. Tout simplement magistral. La saison deux est d’ores et déjà annoncée pour novembre, je serai évidemment au rendez-vous.

Sauveur et fils, saison 1 de Marie-Aude Murail. L’école des loisirs, 2016. 330 pages. 17,00 euros.





Une telle pépite méritait que Noukette et moi fassions une entorse à notre pause estivale !