vendredi 6 mars 2015

Les lectures de Charlotte (5) : C'est à moi !

Une petite fille trouve un râteau et un seau sur la plage. Mais bien vite le propriétaire des objets arrive pour les lui arracher des mains en hurlant « C’est à moi ! ». La fillette s’empare alors d’une pelle mais elle entend la même phrase. Pareil avec le ballon. Et le camion en plastique.  Finalement un autre enfant arrive et lui propose de jouer avec elle. Abandonnant sans regret l’égoïste qui lui hurle dessus, elle s’installe un peu plus loin pour construire un château, à quatre mains et avec un enfant prêteur…

Quel plaisir de retrouver le garnement qui nous avait tant fait rire il y a peu en réclamant à corps et à cris un « cocodrile » ! Toujours prêt à démarrer au quart de tour, s’énervant un peu plus à chaque page avant d’exploser de rage et de se retrouver tout penaud le bec dans le sable. Le graphisme est simple et montre la crispation progressive du visage face au flegme inébranlable de la fillette. A la lecture, la voix grossit en même temps que la colère de l’enfant, ce qui fait bien rire Charlotte.

Aussi épuré qu’efficace, ce nouvel album de Laure Monloubou permet en outre d’aborder avec humour la difficulté des tout-petit à prêter leurs jouets. Un problème auquel tous les parents sont confrontés un jour ou l’autre, non ?

C’est à moi de Laure Monloubou. Amaterra, 2015. 26 pages. 9,50 euros. A partir de 2 ans.








jeudi 5 mars 2015

Pike - Benjamin Whitmer

Une fois n'est pas coutume, je profite du lancement aujourd'hui même de "Neonoir" pour remonter un billet vieux de plus de deux ans et vous parler du premier titre de cette nouvelle collection des éditions Gallmeister, un roman qui m'avait scotché à l'époque.

Pike est un gros dur qui s’est rangé des voitures. Depuis son retour à Cincinnati, il vit de petits boulots qu’il effectue avec son pote Rory. Sa fille Sarah, qu’il n’a pas vue depuis qu’elle avait six ans, vient de mourir d’une overdose. Sarah a eu une fille, Wendy. La gamine d’une dizaine d’années débarque chez son grand-père, qu’elle ne connait pas, avec pour seul bagage un chaton prénommé Monster. Pike savait que Sarah se prostituait pour payer ses doses, mais il voudrait retrouver les vrais responsables de sa mort. Pour cela, il va devoir s’immerger dans les pires quartiers de Cincinnati, de squats de junkies en motels miteux. Une plongée effroyable dont il ne sortira pas indemne…

Pour un premier roman, Benjamin Whitmer fait fort, très fort, et nous plonge dans cette Amérique où "on se fait grossir à la bière jusqu'à ce que le cœur lâche définitivement". Lire Pike, c’est comme avaler une cuillère à soupe de Tabasco cul-sec. Ça gratte, ça brûle, ça vous donne envie de hurler. On à beau se dire qu’à un moment où l’autre les choses vont s’adoucir, on se trompe lourdement et l’effet reste hautement abrasif. Des années que je n’avais pas lu un roman aussi noir. La tension et la violence permanentes vous laissent au bord de la nausée. L’écriture de Whitmer, très visuelle, offre des descriptions d’une froideur clinique. Les pires exactions sont exposées sans aucun jugement, comme si tout cela était absolument naturel.

Pike n’est pas un polar. Au-delà de son effet coup de poing évident, de sa grossièreté, de son coté sordide, de ses dialogues au couteau, c’est un texte d’une infinie tristesse dans lequel il ne faut se lancer que si l’on a le cœur bien accroché.

Pour l’écrivain Stephen Graham Jones, « voici le noir dans toute sa splendeur, ce que le genre devient lorsqu’il renonce à se montrer gentil – une force dramatique brutale rongée jusqu’à l’os qui vous promène de page en page. » Pas mieux.

Pike, de Benjamin Whitmer, éditions Gallmeister, 2015 (1ère édition en 2012). 288 pages. 16,00 euros.

Extrait : "Il est possible de tellement s'éloigner du lieu d'où l'on vient que tout retour est impossible. Tout vrai retour. On peut briser tous les ponts avec son passé, il suffit d'être prêt à s'amputer d'un bout de soi-même que l'on ne craindra pas de regretter le reste de sa vie. Et il faut se préparer à accepter la merde, quelle qu'elle soit, qui viendra combler le trou."

Les avis de From the Avenue et Keisha







mercredi 4 mars 2015

Les ogres-Dieux T1 : Petit - Hubert et Gatignol

Au royaume des ogres, la consanguinité affaiblit la race à chaque nouvelle génération. A tel point que le dernier rejeton du roi est à la naissance à peine plus grand qu’un bébé humain. Hors de question pour le monarque de laisser en vie un pareil avorton. Pour lui éviter une mort certaine, sa mère le cache et il est élevé par sa tante Desdée, une géante mis au ban de sa communauté car elle refuse de manger de la chair humaine. L’enfant prénommé à juste titre « Petit » grandit loin de la folie et de la violence de la cour mais plus les années passent et plus il lui est difficile de rester dans la clandestinité…

Un album SOMPTUEUX ! L’objet-livre en lui-même est superbe, de très grande taille (logique vu son sujet), et la mise en page particulièrement soignée avec une narration alternant les séquences de BD et des intermèdes présentant, au fil de longs et beaux textes à la typographie travaillée, les aïeux de Petit. Graphiquement, Gatignol propose une incroyable galerie de personnages, jouant sur les effets d’échelle et de perspective pour souligner les différences entre les géants et les humains. Il rend à merveille l’immensité du château et la terreur provoquée par ces monstres semblant perpétuellement en quête de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les tons de gris renforcent l’aspect sombre et angoissant du récit et offrent relief et texture à l’ensemble. Du grand art !

Loin du simple conte, cette histoire aux accents gothiques propose une réflexion profonde sur le déterminisme familial et le libre arbitre. Petit est celui qui peut sauver les siens d’une dégénérescence inéluctable, il est entre deux mondes régis par des rapports de force inégaux et ne sait plus vraiment auquel de ces mondes il souhaite appartenir (celui des ogres sclérosé par des siècles de repli sur soi ou celui des humains, bien plus moderne et culturellement avancé mais pas pour autant moins cruel). Une histoire fascinante à la construction imparable. Il est rare de trouver autant de finesse, d’intelligence et d’originalité sur un thème aussi éculé.



Les ogres-Dieux T1 : Petit d’Hubert et Gatignol. Soleil, 2014. 174 pages. 26,00 euros.


Les avis de Lunch et Yvan.






mardi 3 mars 2015

Le premier mardi c'est permis (34) : Explicite : Carnet de tournage - Olivier Milhaud et Clément Fabre

Quand Jean, alias John B. Root, célèbre réalisateur de films pour adultes, propose a son ami Olivier Milhaud d’interpréter le rôle d’un policier dans sa nouvelle production, ce dernier se montre d’abord hésitant. Bien sûr, il ne jouera que des scènes de comédie, mais quand même ! Après avoir obtenu le feu vert de sa compagne et de son éditeur, il finit par accepter et se retrouve immergé dans un univers dont il ne connait pas les codes.

Mettons tout de suite les choses au point, il n’y a aucune image à caractère sexuel dans cet album. Quel intérêt de le lire alors ? me direz-vous, bande de coquins ! Et bien en ce qui me concerne et comme toujours, une curiosité intellectuelle sans limite qui me pousse à explorer des domaines auxquels je ne connais strictement rien. Ben oui, le porno et moi ça fait deux (j’en vois déjà qui rigolent au fond). Mon gros problème avec ce genre de film, c’est que les (très) rares fois où j’ai essayé d’en visionner, je n’ai jamais vu la fin. Bizarrement, je m’endors toujours à un moment donné et je ne m’explique pas ce coté soporifique (ok, j’ai conscience que l’excuse du sommeil pour justifier le fait de ne jamais aller au bout d’un porno ne va pas convaincre grand monde mais je tente quand même le coup…). Tout ça pour vous dire que je me suis plongé dans cet ouvrage avec un regard de sociologue, loin de tout voyeurisme, cela va de soi (et je vois toujours les mêmes qui rigolent au fond).

Les coulisses d’un film X (du moins celui-là) n’ont pas le coté glauque auquel je m’attendais. Déjà, le lieu du tournage (une villa dans le sud de la France avec piscine) est loin du hangar désaffecté et crado que l’on voit parfois (enfin je suppose, vu mon peu d’expérience en la matière). Ensuite il y a beaucoup de décontraction, on a l’impression d’être dans une colo (une colo certes un peu spéciale), même si au moment des prises de vue, le professionnalisme reprend le dessus et rien n’est laissé au hasard.

Plutôt timide et introverti, Olivier Milhaud se montre discret. Il découvre la concurrence énorme entre les filles qui engendre jalousies et vacheries, le pétage de plomb de certains acteurs se comportant parfois comme de vrais branleurs (oui, je sais, elle était facile mais j’aime céder à la facilité) et les questionnements existentiels d’un réalisateur qui a perdu la foi depuis l’arrivée des sites porno gratuits. Il se rend aussi compte que les discussions au petit déj peuvent mettre mal à l’aise. Exemples : « Jean, ça t’embête si pour la scène je mets pas le collier. Je vais sucer, sinon c’est chiant avec. » / « Bon, là ça va, je peux boire un café, j’ai pas de sodo, parce que sinon… » / « Je commence à me faire vieux, j’ai du bide, ça le fait pas. Et j’en ai marre de me raser les couilles. » Forcément, on ne parle pas de la météo.

L’album est vraiment agréable, drôle et léger, mais honnêtement, la vision du milieu présentée ici me paraît un peu idyllique. Sans doute parce que John B. Root est un réalisateur respectueux et à l’écoute, ce qui est loin d’être le cas de ses confrères, comme le précise une actrice : « Les filles qui commencent le métier avec lui pensent que c’est partout pareil. Elles se disent que c’est pas du tout sordide et enchaînent avec un tournage à Budapest. Et là… c’est l’abattage ». N’empêche, il ne m’aurait pas déplu d’être à la place d’Olivier Milhaud pour me faire ma propre idée. Par pure curiosité intellectuelle, évidemment…

Explicite : Carnet de tournage d’Olivier Milhaud et Clément C. Fabre. Delcourt, 2015. 124 pages. 16,95 euros.













lundi 2 mars 2015

Nu intérieur - Belinda Cannone

C’est l’histoire d’un homme en plein démon de midi qui s’entiche d’une jeunette dont il va tomber amoureux. Un homme qui ne veut pas choisir entre celle qu’il appelle « L’Une », son « officielle » qu’il adore et à qui il trouve toutes les qualités de la terre, et Ellénore, « l’autre », celle qui le rend fou de désir. Avec elle il se consume corps et âme et il finira par se brûler les ailes, forcément.

Je vous la fait courte parce que le roman est court mais aussi parce qu’il m’a prodigieusement agacé. Le narrateur est un architecte imbuvable au comportement que je qualifierais « d’hautement baffable ! ». Un gars d’une mauvaise foi épouvantable qui va morfler et c’est bien fait pour lui. Emporté pas la passion, il s’invente une bonne conscience pour justifier son infidélité mais aucun de ses arguments ne tient la route. Et si, pendant un temps, il exulte et pense gagner sur tous les tableaux, plus dure sera la chute… Belinda Cannone s’amuse à faire souffrir, c’est une évidence. Elle lui donne ce coté geignard de supplicié permanent qui ôte au lecteur toute envie de le plaindre. Ellénore le saoule de plaisir puis l’ignore alors que lui voudrait davantage de sentiment. Elle le tient en son pouvoir, le torture, l’humilie… et lui s’inflige mille morts pour tenter de la séduire alors que la cause est perdue d’avance et que leur relation se réduit à des ébats torrides. Au final il va tout perdre, c’était couru d’avance…

L’histoire n’a même pas suscité de ma part un intérêt poli. Ok, les femmes mènent le bal et les hommes, ces poltrons, sont faibles et lâches, tu parles d’un scoop ! J’ai aussi eu beaucoup de mal avec l’écriture, pleine d'afféterie, d’effets de style et d’une préciosité que j’abhorre. Un personnage qui, au cours d’une discussion, déclare « Ah, soupirai-je, mélancolique, si au moins j’étais sûr qu’un jour on se débarrasse du souhait d’intensité et qu’on entre dans la paix étroite d’une vie plus parcimonieuse », c’est trop pour moi, vraiment !

Je me demande parfois pourquoi je m’inflige des lectures pareilles. J’aurais peut-être besoin d’une petite psychanalyse pour y voir plus clair (quoique…).

Nu intérieur de Belinda Cannone. L’Olivier , 2015. 137 pages. 15,00 euros.











samedi 28 février 2015

Buffalo Runner - Tiburce Oger

Sud du Texas, 1896. Après avoir mis en déroute les agresseurs d’une famille de pionniers en route pour la Californie, Edmund Fischer se cache avec la seule survivante de l’attaque dans une hacienda en ruines, persuadé que le reste de la bande va revenir se venger. Commence alors une longue nuit d’attente au cours de laquelle, pour éviter de sombrer dans le sommeil, le vieil homme va raconter sa vie à la voyageuse. Et quelle vie ! Orphelin élevé par les comanches puis par un trappeur, participant à la guerre de sécession aux cotés des armées sudistes, devenant ensuite chasseur de bisons, perdant femme et enfant après un raid indien contre sa ferme pendant son absence, il finira homme de mains d’un riche marquis venu de France avant de repartir sur les pistes poussiéreuses, revolver à la ceinture.

Au-delà du western, Tiburce Oger raconte la véritable histoire de l’Ouest américain, loin des clichés hollywoodiens. Il dépeint des pionniers miséreux partant vers un hypothétique eldorado que beaucoup n’atteindront jamais, il met en scène des indiens et des cow-boys sans le clivage entre les  bons d’un coté et les méchants de l’autre. L’épisode sur l’extermination des bisons est on ne peut plus véridique, comme la lutte acharnée et sanglante entre propriétaires terriens.

Un album très documenté, donc, violent et sans concession, comme l’était le Far West à cette époque. Un album superbe aux nombreux plans larges magnifiant les paysages, au découpage nerveux et inspiré et surtout aux dessins sublimes d’un auteur dont on reconnaît le trait au premier coup d’œil. Les couleurs sont parfaites et les quelques illustrations pleine page insérées au fil du récit sont à tomber par terre. Bref, tant sur le fond que sur la forme, si on aime le genre, une lecture incontournable !  


Buffalo Runner de Tiburce Oger. Rue de Sèvres, 2015. 78 pages. 17,00 euros.




vendredi 27 février 2015

La nuit des trente - Éric Metzger

Félix bosse dans la pub et ce soir il a trente ans. Mais il ne veut pas le fêter, cet anniversaire. De toute façon personne au bureau n’est au courant et c’est très bien ainsi. On est vendredi, les collègues proposent d’aller boire un pot et Félix suit le mouvement. Le début d’une nuit d’ivresse où, à scooter dans les rues de Paris, il va cheminer de bars en boîtes de nuit, seul ou accompagné, pour oublier le gâchis de cette vie si tristounette. Il repense à ses vingt ans, aux copains et à l’insouciance de l’époque, quand il se rêvait romancier. Il repense à celle qu’il a aimée follement et qui l’a quitté, ce « fantôme » dont l’ombre ne le lâche pas d’une semelle depuis. En chemin il va croiser Louise. Entre eux deux, un semblant de début de quelque chose, une fenêtre qui pourrait s’ouvrir sur l’avenir. Oui mais voila, Félix est plus prompt à renoncer qu’à s’emballer, c’est tellement plus simple à gérer…

Personnellement, je ne garde aucun souvenir de la nuit de mes trente ans. Pas comme celle de mes dix-huit ans, que je n’oublierai jamais, mais c’est une autre histoire… En tout cas il aurait pu m’énerver ce premier roman. Il aurait dû m’énerver, même. Trop parisien, trop bobo, trop plein de boites de nuit et d’ivresse gratuite, trop futile. Et puis un gars de trente ans qui surfe sur le « c’était mieux avant », qui radote déjà, c’est typiquement le genre de personnage que j’ai envie de baffer. Sauf que ça n’a pas été le cas. Le Félix, j’ai aimé le suivre dans ses pérégrinations. J’ai aimé ses rencontres impromptues, sa façon de prendre les choses à la légère malgré ses questionnements existentiels, sa lâcheté permanente. C’est un trentenaire d’aujourd’hui, un romantique mollasson qui s’imagine un instant prendre un billet d’avion pour New York sur un coup de tête mais sait très bien qu’il n’en fera rien, que le métro-boulot-dodo restera son quotidien en attendant sagement la retraite ou la maladie. Désabusé mais pas révolté, faut pas exagérer…

Finalement Félix, il aurait pu se jeter dans la Seine après une nuit pareille, après un tel constat d’échec. Mais au lieu de ça, il rentre chez lui pour cuver, ni plus ni moins. Et je crois que c’est pour ça que je l’aime, allez comprendre... Après, les toutes dernières pages m’ont déçu, je n’ai pas compris le besoin de cette chute inattendue qui n’apporte strictement rien. Ce n’est qu’un détail mais il vient quelque peu gâcher la bonne impression d’ensemble, et c’est bien dommage.

La nuit des trente d’Éric Metzger. Gallimard / L’arpenteur, 2015. 108 pages. 10,90 euros.







mercredi 25 février 2015

Mille parages T1 - Simon Hureau

Tout tient dans le sous titre : « Fragments bourlingatoires  d’ici et d’ailleurs ». Des fragments donc, des histoires d’une à quinze pages qui relatent les pérégrinations de Simon Hureau en France et ailleurs. On le suit du Maroc à la forêt thaïlandaise, des bords de Loire à l’Italie, du Burkina Fasso à Reims. Loin des circuits touristiques, sac en bandoulière et mains dans les poches, prêt à dégainer le carnet,  les pinceaux et l’encre de chine pour croquer un oiseau, une scène de rue ou un insecte.

Une compilation regroupant des récits publiés depuis une douzaine d’années dans des revues plus ou moins confidentielles et enrichie de quelques inédits. Le coté fourre-tout n’est pas gênant le moins du monde, bien au contraire. On navigue avec plaisir d’un environnement à l’autre, le sourire aux lèvres en découvrant les déboires du dessinateur perdu dans la jungle d’une administration Burkinabé digne de Kafka, inquiet en le voyant errer dans les rues de Florence à la recherche d’un endroit où passer la nuit ou encore alléché par sa moisson de champignons dans la campagne creusoise.

Il se dégage de ces carnets de voyage une forme de légèreté cocasse mais surtout beaucoup d’humanité et d’humilité. Les faits sont relatés sans jugement, avec une curiosité permanente pleine de fraicheur et un respect profond des hommes et des lieux. C’est un vrai travail en immersion qui est proposé, direct et spontané, le dessin variant d’ailleurs beaucoup tout au long du recueil, avec pour point commun un noir et blanc des plus séduisant.

Un album dans lequel il fait bon se promener pour partager en toute simplicité l’expérience d’un globe-trotteur-dessinateur talentueux.


Mille parages T1 de Simon Hureau. La boîte à bulles, 2015. 160 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Mo’.





mardi 24 février 2015

Je suis le fruit de leur amour - Charlotte Moundlic

Ses parents lui ont dit qu’elle était le fruit de leur amour, alors elle les croit, forcément. Et s’ils ne s’occupent jamais d’elle, s’ils sortent chaque soir, la laissant entre les mains de cette tante qu’elle adore, c’est parce qu’ils sont trop occupés ailleurs. Et si elle est invisible à leurs yeux, c’est qu’elle ne les mérite pas : « Je me demande comment deux personnes aussi parfaites ont pu donner naissance à quelqu’un comme moi ». Des excuses, elle en trouve toujours pour pardonner leur manque d’attention, leur manque de tendresse, leurs manques tout court. Mais peut-être qu’un jour ou l’autre, elle saura regarder la vérité en face…

Prenez donc un quart d’heure pour lire ce texte. Respirez un grand coup avant de vous lancer et attendez-vous à le refermer la gorge serrée, surpris de constater que Charlotte Moundlic puisse créer une telle émotion avec si peu de mots. A hauteur d’enfant, la voix de cette petite fille résonne en grande partie grâce aux phrases courtes, au langage simple et direct dont se dégage une naïveté touchante. Le regard porté par la narratrice sur ses parents indifférents est sans filtre, sans le recul et l’expérience nécessaires pour saisir la duplicité des adultes. Parce qu’elle est le fruit de leur amour, ils l’aiment forcément. Et s’ils l’ignorent, c’est tout simplement parce qu’elle n’est pas digne des espoirs qu’ils ont placés en elle.

La peur terrifiante de ne pas être aimée, de ne pas mériter l’amour de ses parents est ici mise en lumière avec une justesse et une sobriété laissant de coté les  grosses ficelles larmoyantes qu’il aurait pourtant été facile d’utiliser. Tout simplement impressionnant !

Je suis le fruit de leur amour de Charlotte Moundlic. Thierry Magnier, 2015. 44 pages. 5,10 euros. A partir de 8-9 ans.

Et une nouvelle pépite jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.









samedi 21 février 2015

Mes oncles d’Amérique - Françoise Bouillot

La narratrice, aujourd’hui parisienne, se souvient de sa jeunesse à Alphabet City au début des années 80. Dans les rues interlopes de ce qui n’était pas encore l’East Village, son amie Grichka et elles, venues d’Europe des rêves d’artistes plein la tête, évoluaient au milieu des punks, bobos et autres travelos. Dans ces rues où il ne faisait pas bon traîner le soir venu, elles rencontrèrent Peter et Mark, vieux messieurs anglais cravatés comme à la City. Et elles nouèrent avec ce couple aussi désargenté qu’original une étonnante et profonde amitié.

Un petit texte d’à peine 70 pages pour une plongée douce-amère dans le New York des années 80. Au cœur du récit, ces « oncles d’Amérique »ayant dû fuir l’Angleterre trente ans plus tôt pour d’obscures raisons, et vivant depuis dans la clandestinité. Des personnages attachants pour lesquels les deux amies vont développer une affection sincère et bienveillante. Beaucoup de tendresse mais aussi quelques passages grinçants dans cette comédie de mœurs subtile et pleine de nostalgie.

Françoise Bouillot, révélée avec son premier roman « La boue », n’avait rien publié depuis 2002, sans doute trop accaparée par ses travaux de traduction (de Bill Bryson, Agatha Christie et Donald Winnicott, entre autres). Je la découvre ici avec plaisir, enchanté par sa plume élégante et légère.

Mes oncles d’Amérique de Françoise Bouillot. Editions Joëlle Losfeld, 2015. 72 pages. 12,00 euros.