« Quand j'étais petite, à l'école, si on voulait me faire pleurer, on me traitait de « négresse ». Alors ça ne manquait pas, je fondais en larmes... »
Jo Hoestlandt signe sans doute ici son texte le plus intime, le plus autobiographique. Elle y raconte l’humiliation subie par sa mère quand cette dernière, alors écolière, s’était vue refuser par la maîtresse le titre de meilleure camarade de la classe à cause de ses origines étrangères. Une histoire que Jo a entendue enfant et qui n’a cessé de la hanter.
Sa maman s’appelait Évelyne. Le père d’Évelyne, d’origine jamaïcaine, était arrivé en France en 1917 avec des soldats canadiens. Tombé amoureux d’une bretonne, il s’installa dans l’hexagone et peu après Évelyne vint au monde, « avec ses grands yeux sombres et ses cheveux tout crépus » qui lui valurent d’être stigmatisée par la maîtresse des années plus tard.
L’auteure de Vue sur mer écrit des livres « pour essayer de dire la vie ; les toutes petites et les grandes choses de la vie, et ce qu’on éprouve à les vivre, qu’on soit grand, qu’on soit petit. » Dans celui-ci, à travers le portrait de sa mère, elle dit sa découverte de l’injustice, de la colère, de l’amertume, de l’envie de révolte. Des sensations ressenties chaque fois que sa maman lui racontait cette scène terrible et l’infini chagrin qui en découla. Un souvenir marquant, plein d’affection et de tendresse pour celle qui, en ouvrant ainsi son cœur, « redevenait la petite fille qu’elle avait été autrefois. »
Le prix d’Évelyne de Jo Hoestlandt (illustrations de Léo Poisson). Éditions du Pourquoi Pas ?, 2018. 54 pages. 9,50 euros. A partir de 10 ans.
mardi 12 février 2019
vendredi 8 février 2019
Tous au pôle ! - Wolcott Gibbs
Herbst, un magnat de la presse, engage le commandant Christopher Robin pour mener une expédition scientifique au pôle sud. Enfin, « scientifique » est un bien grand mot puisque le but de l’opération se révélera au final purement marketing, l’idée étant de faire un maximum de buzz pour vendre un maximum de journaux. Le pauvre commandant Robin se voit donc imposer la présence d’un journaliste prêt à transformer chaque non-événement se passant à bord en scandale retentissant et d’une starlette écervelée, invitée pour faire de jolies photos et qui, à son retour, publiera un livre où elle racontera ses impressions de voyage (« Écrire un livre ? Bon sang, j’peux même pas écrire une lettre, alors un bouquin vous pensez ! »).
Un régal de parodie où l’absurde le dispute au mauvais esprit. Publié en 1931, ce roman hilarant était clairement en avance sur son temps. Dénonçant avant l’heure les excès du grand cirque médiatique, il narre l’improbable expédition d’un équipage manipulé à distance par un patron de presse prêt à tout pour faire parler de son entreprise. C’est drôle, mordant et d’un cynisme à toute épreuve. Presse spectacle, dévoiement du journalisme, envahissement de la publicité, tout y passe avec un art consommé de la farce et du burlesque.
Wolcott Gibbs signa avec Tous au pôle son unique roman. Alcoolique, dépressif, misanthrope, ce pilier du New Yorker y dépeint une caricature cinglante de l’héroïsme des grands aventuriers qui ont ouvert la voie à un tourisme de masse dans des régions encore peu visitées. Une belle leçon de mise en scène de l’information-spectacle et de la confusion des genres qui résonne avec toujours autant de force 90 ans après sa publication.
Tous au pôle ! de Wolcott Gibbs (traduit de l’anglais par Thierry Beauchamp). Wombat, 2019. 120 pages. 16,00 euros.
Un régal de parodie où l’absurde le dispute au mauvais esprit. Publié en 1931, ce roman hilarant était clairement en avance sur son temps. Dénonçant avant l’heure les excès du grand cirque médiatique, il narre l’improbable expédition d’un équipage manipulé à distance par un patron de presse prêt à tout pour faire parler de son entreprise. C’est drôle, mordant et d’un cynisme à toute épreuve. Presse spectacle, dévoiement du journalisme, envahissement de la publicité, tout y passe avec un art consommé de la farce et du burlesque.
Wolcott Gibbs signa avec Tous au pôle son unique roman. Alcoolique, dépressif, misanthrope, ce pilier du New Yorker y dépeint une caricature cinglante de l’héroïsme des grands aventuriers qui ont ouvert la voie à un tourisme de masse dans des régions encore peu visitées. Une belle leçon de mise en scène de l’information-spectacle et de la confusion des genres qui résonne avec toujours autant de force 90 ans après sa publication.
Tous au pôle ! de Wolcott Gibbs (traduit de l’anglais par Thierry Beauchamp). Wombat, 2019. 120 pages. 16,00 euros.
mercredi 6 février 2019
Beastars - Paru Itagaki
LE manga événement de ce début d’année. Le lancement à Angoulême a été une telle réussite que l’éditeur n’avait plus un seul exemplaire sur son stand dès le dimanche matin. La présence de l’auteure en dédicace et les goodies distribués à la pelle ne sont sans doute pas étrangers à un tel succès mais au-delà du buzz et du marketing, force est de constater que la série a plus d’un atout dans sa manche.
L’histoire se déroule à l’institut Cherryton où herbivores et carnivores se côtoient en harmonie dans le respect de règles strictes comme l’interdiction de manger de la viande ou l’obligation de vivre dans des dortoirs séparés en fonction des régimes alimentaires. Les étudiants se mélangent dans les différents clubs de l’école mais malgré la paix apparente entre les races, la tension monte parfois subitement. Elle va même culminer le jour où l’on découvre sur le campus le cadavre déchiqueté de Tem, un alpaga membre du club de théâtre. Le loup Legoshi fait un coupable idéal. Ami de Tem, membre du club de théâtre lui aussi, ce carnivore solitaire intrigue autant qu’il effraie. Et tandis que la tension ne fait que grimper dans les couloirs, l’approche de l’élection du Beastars, le leader de l’école, va révéler des personnalités inquiétantes…
Le canevas tissé dans ces deux premiers tomes s’avère d’emblée addictif. Relation entre élèves, lutte de pouvoir, jalousie, clans, la vie du campus suffirait à elle seule à rendre le propos passionnant. Mais la dimension anthropomorphique du récit ajoute une réflexion sur le déterminisme social et biologique et interroge sur la difficulté à maîtriser sa véritable nature pour pouvoir vivre en société. C’est tout l’enjeu pour Legoshi, incapable par moment de contrôler ses instincts malgré une gentillesse des plus sincères. Son combat intérieur interpelle et pousse à se demander si c’est bien lui le tueur de l’alpaga.
Chaque personnage exprime une dualité et des sentiments d’une grande complexité. L’ambiguïté est partout présente, tant chez les herbivores que chez les carnivores. Ainsi la douce lapine se révèle une dévoreuse de mâles et le cerf que tout le monde admire cultive une soif de pouvoir et un culte de la personnalité ne ressemblant pas au caractère réservé et craintif propre à son espèce. On sent par ailleurs que le microcosme policé de l’institut repose sur des fondations fragiles et qu’à la moindre étincelle un retour à la sauvagerie primaire n’est pas à exclure.
Premier manga publié par Paru Itakagi, Beastars est une série phénomène. Lancée l’an dernier au Japon elle a déjà remporté plusieurs prix et ne cesse de gagner des lecteurs. Et franchement, vu la qualité des deux premiers volumes, c’est amplement mérité.
Beastars T1 de Paru Itagaki. Ki-oon, 2019. 200 pages. 6,90 euros.
Beastars T2 de Paru Itagaki. Ki-oon, 2019. 200 pages. 6,90 euros.
L’histoire se déroule à l’institut Cherryton où herbivores et carnivores se côtoient en harmonie dans le respect de règles strictes comme l’interdiction de manger de la viande ou l’obligation de vivre dans des dortoirs séparés en fonction des régimes alimentaires. Les étudiants se mélangent dans les différents clubs de l’école mais malgré la paix apparente entre les races, la tension monte parfois subitement. Elle va même culminer le jour où l’on découvre sur le campus le cadavre déchiqueté de Tem, un alpaga membre du club de théâtre. Le loup Legoshi fait un coupable idéal. Ami de Tem, membre du club de théâtre lui aussi, ce carnivore solitaire intrigue autant qu’il effraie. Et tandis que la tension ne fait que grimper dans les couloirs, l’approche de l’élection du Beastars, le leader de l’école, va révéler des personnalités inquiétantes…
Chaque personnage exprime une dualité et des sentiments d’une grande complexité. L’ambiguïté est partout présente, tant chez les herbivores que chez les carnivores. Ainsi la douce lapine se révèle une dévoreuse de mâles et le cerf que tout le monde admire cultive une soif de pouvoir et un culte de la personnalité ne ressemblant pas au caractère réservé et craintif propre à son espèce. On sent par ailleurs que le microcosme policé de l’institut repose sur des fondations fragiles et qu’à la moindre étincelle un retour à la sauvagerie primaire n’est pas à exclure.
Premier manga publié par Paru Itakagi, Beastars est une série phénomène. Lancée l’an dernier au Japon elle a déjà remporté plusieurs prix et ne cesse de gagner des lecteurs. Et franchement, vu la qualité des deux premiers volumes, c’est amplement mérité.
Beastars T1 de Paru Itagaki. Ki-oon, 2019. 200 pages. 6,90 euros.
Beastars T2 de Paru Itagaki. Ki-oon, 2019. 200 pages. 6,90 euros.
Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie !
mardi 5 février 2019
Je ne suis pas ton esclave ! - Roland Godel
Loïc a de gros soucis. Au collège, où il s’endort en classe, ne fait plus ses devoirs et ne parvient pas à suivre le rythme. A la maison, où depuis la mort de son père sa mère alcoolisée végète sur le canapé à longueur de journée. Pire encore, son beau-père l’embauche la nuit pour trier des vêtements « tombés du camion » qu’il revend à des marchands pas très regardants sur la provenance de la marchandise. Chaque jour l’adolescent sombre davantage. Renfermé sur lui-même, il s’isole et ne veut pas des mains qu’on lui tend, même celle de la jolie Flavie qui ne le laisse pourtant pas indifférent.
Un petit roman simple mais pas simpliste qui aborde les questions de la maltraitance et de l’exploitation des enfants. Loïc encaisse les ordres, les efforts, la fatigue, les remontrances, les remarques acerbes de ses professeurs. Loïc ne mange pas à sa faim, il sèche les cours et participe à des activités criminelles malgré lui. Il ne parvient pas à faire face. Il subit, accumule la colère, la douleur et la rancœur sans jamais oser se plaindre. Il se confie du bout des lèvres à Flavie mais lui fait jurer de ne rien répéter à personne. Seul, sans ami, sans ressources, le jeune garçon ne voit pas d’issue favorable, ne voit pas comment il va s’en sortir...
Évidemment l’issue est positive. Le chemin vers une solution n’a rien d’un long fleuve tranquille mais Roland Godel a l’intelligence de ne pas en rajouter inutilement dans le mélo tire-larmes et d'insister sur l'importance d'accorder sa confiance aux adultes prêts à offrir leur aide. Un texte parfait pour inciter au débat et à la réflexion avec de jeunes lecteurs sur la question des droits de de l’enfant.
Je ne suis pas ton esclave ! de Roland Godel. Oskar, 2018. 80 pages. 7,95 euros. A partir de 10 ans.
Un petit roman simple mais pas simpliste qui aborde les questions de la maltraitance et de l’exploitation des enfants. Loïc encaisse les ordres, les efforts, la fatigue, les remontrances, les remarques acerbes de ses professeurs. Loïc ne mange pas à sa faim, il sèche les cours et participe à des activités criminelles malgré lui. Il ne parvient pas à faire face. Il subit, accumule la colère, la douleur et la rancœur sans jamais oser se plaindre. Il se confie du bout des lèvres à Flavie mais lui fait jurer de ne rien répéter à personne. Seul, sans ami, sans ressources, le jeune garçon ne voit pas d’issue favorable, ne voit pas comment il va s’en sortir...
Évidemment l’issue est positive. Le chemin vers une solution n’a rien d’un long fleuve tranquille mais Roland Godel a l’intelligence de ne pas en rajouter inutilement dans le mélo tire-larmes et d'insister sur l'importance d'accorder sa confiance aux adultes prêts à offrir leur aide. Un texte parfait pour inciter au débat et à la réflexion avec de jeunes lecteurs sur la question des droits de de l’enfant.
Je ne suis pas ton esclave ! de Roland Godel. Oskar, 2018. 80 pages. 7,95 euros. A partir de 10 ans.
Une pépite jeunesse partagée avec Noukette
vendredi 1 février 2019
La cabane du métayer - Jim Thompson
« On grandit vite en pays cotonnier, ou on ne grandit pas. On cesse d’être un enfant dès qu’on quitte le berceau. On rêve de pain de maïs, pas de cookies, et de retrouver son lit, mais pas pour l’histoire du soir. On appartient à un milieu qui a toujours eu sur le dos une charge trop lourde, qui doit constamment fournir plus que ce qu’il pourra recevoir. Donc on prend sa part du fardeau, sans quoi il nous écrase. On ne traîne pas les pieds, sans quoi on est largué. »
Commencer un roman de Jim Thompson c’est imaginer l’écrivain attraper ses personnages par les épaules, les soulever de terre et les tremper dans la mouise jusqu’au cou. Comme d’habitude on est à la cambrousse. Comme d’habitude les culs terreux sont de sortie. Et comme d’habitude les ennuis vont s’accumuler. Tommy Carver, fils d’un métayer blanc, fricote avec Donna, la fille indienne du propriétaire des terres sur lesquelles se trouve la cabane familiale. Autant dire qu’il n’y a aucune chance de voir leur union s’officialiser un jour. L’autre gros problème de Tommy, c’est son paternel. Enfin, son père adoptif. Un taiseux qui a souvent la main lourde et ne supporte aucune contestation de son autorité. Tommy le déteste. Il voudrait s’affranchir une bonne fois pour toute de son encombrante présence mais ce n’est pas si simple. Surtout qu’il y a Donna dans l’équation. Une équation insoluble, tellement insoluble que les ennuis vont s’accumuler de manière exponentielle pour le pauvre Tommy.
Thompson le retour. Les coups durs pleuvent, les salopards sont de sortie, la poisse devient la norme et la nature humaine n’en sort pas grandie. Bien sûr c’est pas joli-joli mais il y a dans la descente aux enfers de Tommy un petit quelque chose d’hypnotique qui nous empêche de détourner le regard de sa triste situation. Sans voyeurisme mais avec une délectable fascination.
J’avoue, il m’a manqué l’humour noir et le cynisme de ses romans précédents mais j’ai retrouvé avec plaisir les seconds rôles qui épicent avec bonheur le récit. Ici c’est l’avocat Kossmeyer et ses impayables tirades qui valent le détour. Tommy quant à lui est aussi touchant qu’agaçant. Buté, naïf, droit dans ses bottes alors qu’autour de lui ne naviguent que des lâches, des opportunistes ou des ordures, il encaisse sans broncher avec une seule idée en tête, qu’il ne pourra évidemment pas mener à bien.
Un roman de 1952 traduit pour la première fois dans sa version intégrale. Brutal, sans concession, idéal pour découvrir l’univers sombre et désenchanté d’un écrivain américain qui mérite vraiment le détour.
La cabane du métayer de Jim Thompson. Rivages, 2019. 286 pages. 8,00 euros.
Mes avis sur Pottsville et Une femme d'enfer
Commencer un roman de Jim Thompson c’est imaginer l’écrivain attraper ses personnages par les épaules, les soulever de terre et les tremper dans la mouise jusqu’au cou. Comme d’habitude on est à la cambrousse. Comme d’habitude les culs terreux sont de sortie. Et comme d’habitude les ennuis vont s’accumuler. Tommy Carver, fils d’un métayer blanc, fricote avec Donna, la fille indienne du propriétaire des terres sur lesquelles se trouve la cabane familiale. Autant dire qu’il n’y a aucune chance de voir leur union s’officialiser un jour. L’autre gros problème de Tommy, c’est son paternel. Enfin, son père adoptif. Un taiseux qui a souvent la main lourde et ne supporte aucune contestation de son autorité. Tommy le déteste. Il voudrait s’affranchir une bonne fois pour toute de son encombrante présence mais ce n’est pas si simple. Surtout qu’il y a Donna dans l’équation. Une équation insoluble, tellement insoluble que les ennuis vont s’accumuler de manière exponentielle pour le pauvre Tommy.
Thompson le retour. Les coups durs pleuvent, les salopards sont de sortie, la poisse devient la norme et la nature humaine n’en sort pas grandie. Bien sûr c’est pas joli-joli mais il y a dans la descente aux enfers de Tommy un petit quelque chose d’hypnotique qui nous empêche de détourner le regard de sa triste situation. Sans voyeurisme mais avec une délectable fascination.
J’avoue, il m’a manqué l’humour noir et le cynisme de ses romans précédents mais j’ai retrouvé avec plaisir les seconds rôles qui épicent avec bonheur le récit. Ici c’est l’avocat Kossmeyer et ses impayables tirades qui valent le détour. Tommy quant à lui est aussi touchant qu’agaçant. Buté, naïf, droit dans ses bottes alors qu’autour de lui ne naviguent que des lâches, des opportunistes ou des ordures, il encaisse sans broncher avec une seule idée en tête, qu’il ne pourra évidemment pas mener à bien.
Un roman de 1952 traduit pour la première fois dans sa version intégrale. Brutal, sans concession, idéal pour découvrir l’univers sombre et désenchanté d’un écrivain américain qui mérite vraiment le détour.
La cabane du métayer de Jim Thompson. Rivages, 2019. 286 pages. 8,00 euros.
Mes avis sur Pottsville et Une femme d'enfer
mardi 29 janvier 2019
Dysfférent - Fanny Vandermeersch
Il n’a pas de chance Charlemagne. Déjà, ce prénom, quoi ! Ses parents voulaient un prénom de roi, ils auraient pu choisir Louis par exemple. Ou Charles tout court. Parce que là, Charlemagne, c’est dur à porter. Et comme si cela ne suffisait pas, le pauvre est dys. Dyslexique, dysorthographique et dyspraxique. Autrement dit, il a des difficultés pour lire, écrire, mémoriser, compter, tracer, se repérer dans l’espace ou même faire ses lacets. Au collège ses camarades le surnomment la passoire parce qu’il ne retient rien et ses profs ne lui font aucun cadeau sur le bulletin de notes. A la maison on a vite fait de s’agacer de sa lenteur et de son air d’être en permanence dans la lune. Bref, il n’y a rien de réjouissant dans son quotidien, jusqu’au jour où il découvre une maison perdue dans les bois. Dans cette maison, il y a un piano. Et il y a Jade, une fille de son âge qui, à force de patience et de persévérance, va lui faire comprendre qu’être dys n’est pas une fatalité.
Pas simple d’être « dysfférent » (j’aime beaucoup ce titre). Pas simple d’affronter le regard des autres, leur méconnaissance de ce trouble, leur jugement forcément négatif face à quelqu’un ne pouvant pas faire des choses qui paraissent évidentes à tout le monde. Pas simple de se sentir bien dans sa peau quand on vous rabaisse en permanence, quand on vous fait comprendre que vous ne pourrez jamais être dans la norme et que l’on se moque de vous.
Charlemagne subit. Il s’enfonce petit à petit, perdant goût à tout, appréhendant avec stress la moindre activité scolaire, la moindre activité tout court. Heureusement il suffit parfois d’une rencontre. Ou deux. D’abord une prof de musique capable de vous écouter, de vous comprendre et de trouver les mots qui apaisent. Ensuite une jeune fille, elle aussi différente, qui va donner à l’adolescent ce qui lui manque le plus : la confiance en lui. Et qui va lui prouver qu’il peut trouver sa voie. A sa façon, à force de volonté, et avec l’aide d’un tiers. Finalement Fanny Vandermeersch montre le chemin d’un enfant différent vers l’épanouissement. Avec simplicité, sans effets de manche larmoyants mais avec une tendresse et une bienveillance qui font chaud au cœur.
Dysfférent de Fanny Vandermeersch. Le Muscadier, 2018. 90 pages. 10,50 euros. A partir de 9 ans.
Pas simple d’être « dysfférent » (j’aime beaucoup ce titre). Pas simple d’affronter le regard des autres, leur méconnaissance de ce trouble, leur jugement forcément négatif face à quelqu’un ne pouvant pas faire des choses qui paraissent évidentes à tout le monde. Pas simple de se sentir bien dans sa peau quand on vous rabaisse en permanence, quand on vous fait comprendre que vous ne pourrez jamais être dans la norme et que l’on se moque de vous.
Charlemagne subit. Il s’enfonce petit à petit, perdant goût à tout, appréhendant avec stress la moindre activité scolaire, la moindre activité tout court. Heureusement il suffit parfois d’une rencontre. Ou deux. D’abord une prof de musique capable de vous écouter, de vous comprendre et de trouver les mots qui apaisent. Ensuite une jeune fille, elle aussi différente, qui va donner à l’adolescent ce qui lui manque le plus : la confiance en lui. Et qui va lui prouver qu’il peut trouver sa voie. A sa façon, à force de volonté, et avec l’aide d’un tiers. Finalement Fanny Vandermeersch montre le chemin d’un enfant différent vers l’épanouissement. Avec simplicité, sans effets de manche larmoyants mais avec une tendresse et une bienveillance qui font chaud au cœur.
Dysfférent de Fanny Vandermeersch. Le Muscadier, 2018. 90 pages. 10,50 euros. A partir de 9 ans.
vendredi 25 janvier 2019
Gangs of L.A. - Joe Ide
Isaiah Quintabe. IQ pour les intimes. Un jeune homme des quartiers mal famés de Los Angeles qui utilise son QI de surdoué pour résoudre des affaires dont les habitants du ghetto ne veulent pas parler à la police : vol dans un hôtel, fugueuse partie avec un dealer, élève harcelée au collège, parents biologiques à retrouver, etc. Problème, les membres de la communauté ne sont pas bien riches et la plupart le paient en nature en lui offrant un jeu de pneus neufs pour sa voiture ou des denrées périssables. Jusqu’au jour où un rappeur célèbre lui promet 50 000 dollars pour prouver que son ex-femme a engagé un tueur à gages afin de l’éliminer. IQ hésite mais finit par accepter. Parce qu’avec cet argent il pourrait mener à bien un projet lui tenant particulièrement à cœur.
Je ne vais pas m’étendre longtemps sur ce roman qui relève du pur divertissement. A part pour préciser que le titre est trompeur et pour prévenir les lecteurs pensant faire une plongée sordide dans les gangs de L.A. qu’ils en seront pour leur frais puisqu’il n’est question de gangs que dans un seul chapitre. Le reste du temps on évolue dans le milieu de la musique chez un richissime rappeur au bout du rouleau. La narration est simple, aucune chance de se perdre en route malgré l’alternance d’événements se passant en 2005 et en 2013. L’écriture est très orale et les dialogues percutants, on rigole beaucoup des frasques du rappeur, du cynisme de son producteur, de la stupidité de ses gardes du corps ou de la poisse du tueur à gages. Et IQ est touchant dans son rôle de « démêleur d’embrouilles », il m’a rappelé le personnage de Makoto dans la série de romans japonais Ikebukuro West Gate Park.
Quoi d’autre ? Pas grand-chose à vrai dire. Quitte à me répéter, c’est du divertissement, ni plus ni moins. De l’action, des twists improbables, un page-turner efficace mais en rien révolutionnaire. C’est bien fait, bien mené et rythmé comme un épisode de série télé. Ça tombe bien (et ce n’est pas surprenant), l’adaptation pour le petit écran vient d’être annoncée.
Gangs of L.A. de Joe Ide. Denoël, 2019. 390 pages. 21,90 euros.
Je ne vais pas m’étendre longtemps sur ce roman qui relève du pur divertissement. A part pour préciser que le titre est trompeur et pour prévenir les lecteurs pensant faire une plongée sordide dans les gangs de L.A. qu’ils en seront pour leur frais puisqu’il n’est question de gangs que dans un seul chapitre. Le reste du temps on évolue dans le milieu de la musique chez un richissime rappeur au bout du rouleau. La narration est simple, aucune chance de se perdre en route malgré l’alternance d’événements se passant en 2005 et en 2013. L’écriture est très orale et les dialogues percutants, on rigole beaucoup des frasques du rappeur, du cynisme de son producteur, de la stupidité de ses gardes du corps ou de la poisse du tueur à gages. Et IQ est touchant dans son rôle de « démêleur d’embrouilles », il m’a rappelé le personnage de Makoto dans la série de romans japonais Ikebukuro West Gate Park.
Quoi d’autre ? Pas grand-chose à vrai dire. Quitte à me répéter, c’est du divertissement, ni plus ni moins. De l’action, des twists improbables, un page-turner efficace mais en rien révolutionnaire. C’est bien fait, bien mené et rythmé comme un épisode de série télé. Ça tombe bien (et ce n’est pas surprenant), l’adaptation pour le petit écran vient d’être annoncée.
Gangs of L.A. de Joe Ide. Denoël, 2019. 390 pages. 21,90 euros.
mercredi 23 janvier 2019
Le Grand Mort T8 : Renaissance - Loisel, Mallié et Djian
Voilà, c’est fini. Après huit albums Le Grand Mort tire sa révérence. Une conclusion plutôt bien menée pour cette série mêlant fantastique et post-apocalyptique.
Je ne vais pas vous faire un résumé détaillé des nombreuses péripéties ayant jalonné le parcours des personnages principaux mais sachez juste qu’au moment où s’ouvre cet ultime épisode, l’humanité est à deux doigts de disparaître. Pour la sauver, Erwann va devoir rejoindre le monde du Petit Peuple dans une dimension parallèle afin de rétablir les équilibres perdus. Dis comme ça, ça paraît un peu obscur mais ceux qui suivent la série depuis le début savent de quoi je parle.
Cette fin tient donc la route, même si j’ai un peu de mal avec l’optimisme béat des dernières pages qui succède à la noirceur absolue de ce qui précède. C’est un vrai plaisir par contre de retrouver la patte de Loisel dans la partie fantastique de l’histoire, la faune, la flore et le Petit Peuple n’étant pas sans rappeler l’univers merveilleux de La quête de l’oiseau du temps.
Clairement, les allers-retours entre le monde féérique et celui des hommes font le sel du récit. Difficile également de ne pas apprécier le souffle épique d’une narration portée par les sublimes dessins de Vincent Mallié. J’avais ressenti un petit coup de moins bien dans les tomes précédents, l’impression que l’on tournait à vide par moment, que l’on faisait du surplace pour tirer inutilement en longueur une série à succès prévue à la base en cinq volumes. Heureusement cet ultime opus est solidement charpenté, fluide et rythmé juste comme il faut, sans précipitation. Surtout, il ne laisse aucune question sans réponse, ce qui était évidemment l’équation la plus difficile à résoudre tant les pistes ouvertes par le scénario étaient nombreuses.
Une série marquante dans la production BD de ces dernières années. Et maintenant que la boucle est bouclée, je ne veux entendre personne me dire qu’il attend la suite pour se lancer !
Le Grand Mort T8 : Renaissance de Loisel, Mallié et Djian. Vents d’Ouest, 2019. 86 pages. 18,00 euros.
Je ne vais pas vous faire un résumé détaillé des nombreuses péripéties ayant jalonné le parcours des personnages principaux mais sachez juste qu’au moment où s’ouvre cet ultime épisode, l’humanité est à deux doigts de disparaître. Pour la sauver, Erwann va devoir rejoindre le monde du Petit Peuple dans une dimension parallèle afin de rétablir les équilibres perdus. Dis comme ça, ça paraît un peu obscur mais ceux qui suivent la série depuis le début savent de quoi je parle.
Cette fin tient donc la route, même si j’ai un peu de mal avec l’optimisme béat des dernières pages qui succède à la noirceur absolue de ce qui précède. C’est un vrai plaisir par contre de retrouver la patte de Loisel dans la partie fantastique de l’histoire, la faune, la flore et le Petit Peuple n’étant pas sans rappeler l’univers merveilleux de La quête de l’oiseau du temps.
Clairement, les allers-retours entre le monde féérique et celui des hommes font le sel du récit. Difficile également de ne pas apprécier le souffle épique d’une narration portée par les sublimes dessins de Vincent Mallié. J’avais ressenti un petit coup de moins bien dans les tomes précédents, l’impression que l’on tournait à vide par moment, que l’on faisait du surplace pour tirer inutilement en longueur une série à succès prévue à la base en cinq volumes. Heureusement cet ultime opus est solidement charpenté, fluide et rythmé juste comme il faut, sans précipitation. Surtout, il ne laisse aucune question sans réponse, ce qui était évidemment l’équation la plus difficile à résoudre tant les pistes ouvertes par le scénario étaient nombreuses.
Une série marquante dans la production BD de ces dernières années. Et maintenant que la boucle est bouclée, je ne veux entendre personne me dire qu’il attend la suite pour se lancer !
Le Grand Mort T8 : Renaissance de Loisel, Mallié et Djian. Vents d’Ouest, 2019. 86 pages. 18,00 euros.
Les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka
mardi 22 janvier 2019
Captain Mexico - Guillaume Guéraud
Paco n’en peut plus de sa vie misérable dans un village à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Il n’en peut plus de la cabane en planches où toute la famille se partage quelques mètres carrés, de sa mère qui lui fiche des beignes et de son père qui rêve de traverser le Rio Grande pour aller chercher fortune chez l’Oncle Sam. Paco voudrait mettre fin à la pauvreté, il sait qu’elle sera vaincue par la révolution, que les travailleurs exploités ne doivent plus accepter leur insupportable condition. Mais il sait aussi que les ouvriers ne feront jamais le poids face aux patrons. Un jour pourtant, en se coiffant d’un vieux sombrero poussiéreux trouvé par terre, le jeune garçon se découvre des pouvoirs extraordinaires. Il devient alors Captain Mexico, un super héros qui va tout faire pour défendre les opprimés.
Impayable Guillaume Guéraud, toujours prompt à dénoncer les injustices et à offrir une revanche aux sans voix. Ici c’est avec un humour dévastateur qu’il permet à un enfant de botter le c.. des puissants. Guidé par la figure tutélaire de Zapata, Paco libère les prisonniers et mène la grève, il humilie soldats et policiers et vole au secours de sa dulcinée. Le combat final contre un super vilain américain est à mourir de rire et se termine évidemment par la victoire du bien contre le mal.
Un roman engagé. Sous le vernis de l’humour et de la légèreté, Paco montre la réalité de travailleurs pauvres exploités par la grande puissance voisine qui construit des usines dans leur pays pour produire à moindre coût et refuse de les laisser franchir la frontière. Donald Trompette, le président américain, veut construire son mur mais Captain Mexico va s’employer à l’humilier sans ménagement.
Du suspens, de l’action, une langue moderne proche de l’oralité et des situations cocasses, la recette est simple mais elle fonctionne à merveille. Une pépite jeunesse à dévorer sans modération.
Captain Mexico de Guillaume Guéraud. Rouergue, 2018. 95 pages. 8,80 euros. A partir de 9 ans.
L'avis de Krol
Impayable Guillaume Guéraud, toujours prompt à dénoncer les injustices et à offrir une revanche aux sans voix. Ici c’est avec un humour dévastateur qu’il permet à un enfant de botter le c.. des puissants. Guidé par la figure tutélaire de Zapata, Paco libère les prisonniers et mène la grève, il humilie soldats et policiers et vole au secours de sa dulcinée. Le combat final contre un super vilain américain est à mourir de rire et se termine évidemment par la victoire du bien contre le mal.
Un roman engagé. Sous le vernis de l’humour et de la légèreté, Paco montre la réalité de travailleurs pauvres exploités par la grande puissance voisine qui construit des usines dans leur pays pour produire à moindre coût et refuse de les laisser franchir la frontière. Donald Trompette, le président américain, veut construire son mur mais Captain Mexico va s’employer à l’humilier sans ménagement.
Du suspens, de l’action, une langue moderne proche de l’oralité et des situations cocasses, la recette est simple mais elle fonctionne à merveille. Une pépite jeunesse à dévorer sans modération.
Captain Mexico de Guillaume Guéraud. Rouergue, 2018. 95 pages. 8,80 euros. A partir de 9 ans.
L'avis de Krol
Une pépite jeunesse partagée avec Noukette
vendredi 18 janvier 2019
Dans l’ombre du brasier - Hervé Le Corre
« Ils détruiront Paris plutôt que de laisser la ville au peuple. Et ils détruiront le peuple pour reprendre la ville. »
Paris, mai 1871. Les versaillais s’apprêtent à donner l’assaut. 60 000 soldats, des armes et des minutions à n’en plus finir. En face d’eux 10 000 communards désorganisés, à bout de souffle, manquant de tout, sans véritable chef. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Des ouvriers, des médecins, des ivrognes, des rêveurs, des salauds, des altruistes, des opportunistes. Ils attendent la marée en sachant qu’ils ne pourront la retenir, qu’ils vont être submergés. Et pendant ce temps, dans les rues, des femmes disparaissent, enlevées par un monstre à la gueule cassée. Le commissaire Roques, chargé de l’enquête, va tenter par tous les moyens de mener sa tâche à bien, pendant que la ville s’écroule.
Ce n’est pas la première fois qu’un auteur imagine les agissements d’un criminel en temps de guerre (la BD Notre mère la guerre par exemple fonctionne sur le même principe). Si le procédé n’est pas nouveau, Hervé le Corre l’utilise pour mener une réflexion plus large sur le bien, le mal et la complexité de la nature humaine. Il ne pouvait trouver un meilleur décor que le Paris agonisant de la semaine sanglante. Pendant dix jours, du 18 au 28 mai, il nous entraîne sur les pas du commissaire, du kidnappeur et de son complice, des femmes enlevées et séquestrées dans une cave, mais aussi de communards prêts à défendre la moindre barricade, d’infirmières débordées par l’afflux de blessés ou de parisiens terrés dans leurs appartements.
Un roman à l'ambiance étouffante qui montre à hauteur d’hommes le climat d’insurrection, la chienlit, le désordre des troupes. Le chaos est partout, les rêves d’utopie ne seront bientôt plus que poussière. Et Hervé Le Corre excelle à décrire le bruit du canon, les immeubles qui s’effondrent, les incendies, les ruines, les gravats, le verre brisé sous les semelles. Il n’épargne pas les combattants aux membres arrachés, aux têtes pulvérisées par un éclat d’obus, aux tripes étalées par la mitraille. C’est incroyablement intense et réaliste, même si les descriptions deviennent par moment un peu répétitives.
On sent chez le romancier une évidente tendresse pour les communards mais son regard n’a rien de l’optimisme lyrique d’un Jean Vautrin par exemple (Le cri du peuple). Son ton est bien plus mélancolique. Certains insurgés continuent de croire au grand rêve de la liberté guidant le peuple mais chez la plupart c’est la lucidité qui l’emporte. Plus les jours passent et plus se renforce la certitude qu’il n’y aura pas de lendemains qui chantent. Qu’il n’y aura pas de lendemains du tout. Et pourtant ils restent debout face à l’ennemi. Ils font ce qu’ils ont à faire. « Ce qu’ils croient non pas raisonnable, mais juste. Ils savent l’issue. Ils connaissent la fin. » Tout est dit. C'est sombre et désenchanté comme j’aime.
Dans l’ombre du brasier d’Hervé Le Corre. Rivages, 2019. 492 pages. 22,50 euros.
Paris, mai 1871. Les versaillais s’apprêtent à donner l’assaut. 60 000 soldats, des armes et des minutions à n’en plus finir. En face d’eux 10 000 communards désorganisés, à bout de souffle, manquant de tout, sans véritable chef. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Des ouvriers, des médecins, des ivrognes, des rêveurs, des salauds, des altruistes, des opportunistes. Ils attendent la marée en sachant qu’ils ne pourront la retenir, qu’ils vont être submergés. Et pendant ce temps, dans les rues, des femmes disparaissent, enlevées par un monstre à la gueule cassée. Le commissaire Roques, chargé de l’enquête, va tenter par tous les moyens de mener sa tâche à bien, pendant que la ville s’écroule.
Ce n’est pas la première fois qu’un auteur imagine les agissements d’un criminel en temps de guerre (la BD Notre mère la guerre par exemple fonctionne sur le même principe). Si le procédé n’est pas nouveau, Hervé le Corre l’utilise pour mener une réflexion plus large sur le bien, le mal et la complexité de la nature humaine. Il ne pouvait trouver un meilleur décor que le Paris agonisant de la semaine sanglante. Pendant dix jours, du 18 au 28 mai, il nous entraîne sur les pas du commissaire, du kidnappeur et de son complice, des femmes enlevées et séquestrées dans une cave, mais aussi de communards prêts à défendre la moindre barricade, d’infirmières débordées par l’afflux de blessés ou de parisiens terrés dans leurs appartements.
Un roman à l'ambiance étouffante qui montre à hauteur d’hommes le climat d’insurrection, la chienlit, le désordre des troupes. Le chaos est partout, les rêves d’utopie ne seront bientôt plus que poussière. Et Hervé Le Corre excelle à décrire le bruit du canon, les immeubles qui s’effondrent, les incendies, les ruines, les gravats, le verre brisé sous les semelles. Il n’épargne pas les combattants aux membres arrachés, aux têtes pulvérisées par un éclat d’obus, aux tripes étalées par la mitraille. C’est incroyablement intense et réaliste, même si les descriptions deviennent par moment un peu répétitives.
On sent chez le romancier une évidente tendresse pour les communards mais son regard n’a rien de l’optimisme lyrique d’un Jean Vautrin par exemple (Le cri du peuple). Son ton est bien plus mélancolique. Certains insurgés continuent de croire au grand rêve de la liberté guidant le peuple mais chez la plupart c’est la lucidité qui l’emporte. Plus les jours passent et plus se renforce la certitude qu’il n’y aura pas de lendemains qui chantent. Qu’il n’y aura pas de lendemains du tout. Et pourtant ils restent debout face à l’ennemi. Ils font ce qu’ils ont à faire. « Ce qu’ils croient non pas raisonnable, mais juste. Ils savent l’issue. Ils connaissent la fin. » Tout est dit. C'est sombre et désenchanté comme j’aime.
Dans l’ombre du brasier d’Hervé Le Corre. Rivages, 2019. 492 pages. 22,50 euros.
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