Elias est persuadé qu’il lui arrivera un jour un truc extraordinaire. En attendant il s’invente des histoires : dompteur de tigre du Bengale, chanteur de R&B, créateur de jeux vidéo à succès, champion de judo, pâtissier de génie ou illustrateur dont les galeries d’art s’arrachent les œuvres. En vrai il est maigrichon et pâlot, à 13 ans il en paraît 9. En vrai il habite avec sa mère et son beau-père et ce n’est pas la joie. En vrai, il va devoir arrêter de ne vivre que dans sa tête et regarder la réalité en face. Sauf que depuis peu, il rêve qu’il est un oiseau. Et il constate à chaque réveil que son corps se transforme en celui d’un corbeau. Pour de vrai…
Ah, Gilles Abier ! Plonger dans un de ses romans est décidément une expérience à part, une expérience dont il est difficile de se remettre. Depuis « La piscine était vide » j’admire sans réserve sa capacité à dire les maux de l’enfance avec une distance, une retenue et une finesse qui ne cesse de me surprendre. Il s’amuse à semer des petits cailloux comme autant d’indices sur le chemin du lecteur avant de brouiller les pistes, il se garde d’annoncer les choses « frontalement » pour mieux rester dans la suggestion, il sait merveilleusement ménager ses effets et cultive un art de la chute qui me laisse à chaque fois sans voix. Ici, il oscille entre rêve et réalité, joue sur le registre de la folie et de l’hallucination, flirte avec le fantastique pour revenir à un pragmatisme qui fait froid dans le dos et nous cloue sur place dans les dernières pages.
Je n’ai pas envie d’en dire plus, c’est un roman qui se vit plutôt qu’il se raconte, c’est une plongée aussi intime que touchante dans le quotidien d’un garçon perdant peu à peu pied, perdant peu à peu le contrôle de lui-même. Du grand art.
Un jour il m’arrivera un truc extraordinaire de Gilles Abier. La joie de lire, 2016. 156 pages. 14,00 euros. A partir de 11-12 ans.
Une pépite jeunesse que partage une fois encore avec Noukette.