C’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon, paraît-il. Heureusement, ce proverbe ne s’applique pas aux papas. Ce n’est pas une fois l’enfant paru que l’on reconnaît les qualités de son géniteur, sa capacité à devenir un père « compétent ». Romain serait mal barré si c’était le cas. Lui qui refuse de couper le cordon, de toucher sa fille, de l’appeler par son prénom. Lui qui rechigne à aller la reconnaître. Il ne sait plus où il en est. Perdu. Pas prêt. Il faut dire qu’il a de qui tenir, son propre père ayant eu trois enfants, de trois femmes différentes, sans jamais assumé son rôle. Romain navigue à vue, la tempête est chez lui intérieur, le questionnement permanent. Et Louise le sent. Elle l’aime mais elle se rend compte que s’il ne change pas, ça ne va pas être possible de continuer. Alors Romain va changer. Par la force des choses. Mais aussi parce qu’une rencontre avec un autre nourrisson que le sien va le bouleverser. Pour autant, le chemin sera sinueux, les avancées fragiles, les maladresses nombreuses, les hésitations multiples.
Un roman qui parle de la paternité, la vie, la mort, l’amour, la filiation, de ce statut nouveau et difficile à assumer lorsqu'un enfant vient au monde et que, quelque part, il nous met devant le fait accompli. Prendre les choses en main, trouver sa place, être à la hauteur. C’est plus ou moins facile. Question de vécu, de personnalité, d’identité. Romain est un personnage touchant. Il m’a clairement agacé parfois, comme Louise d’ailleurs, mais je n’ai jamais eu envie de l’accabler. Nous n'avons rien en commun mais je peux le comprendre. C’est tout l’art de Laurent Bénégui je trouve, une capacité à exprimer des réactions et des questionnements universels à partir d’un cas très individuel et particulier.
Un beau texte, extrêmement construit, extrêmement maîtrisé, et qui a l'intelligence de proposer une fin ouverte, pleine d'espoir mais où rien n'est pour autant acquis. Et un livre vers lequel je ne serais jamais allé si on ne me l’avait pas mis entre les mains. C’est l’avantage d’avoir des amies très chères qui savent bousculer, avec goût, mes habitudes de lecteur.
Naissance d’un père de Laurent Bénégui. Julliard, 2016. 225 pages. 18,00 euros.
Les avis de Caroline, Clara, Laurie, Noukette, Philisine, Syl.