Bienvenue à Jeanette, bourgade fictive située dans le bayou bien réel de la Barataria. A peine 50 km de La Nouvelle Orléans et pourtant on se croirait dans une autre dimension, un monde à part peuplé de créatures plus pittoresques les unes que les autres.
A Jeanette vous croiserez, par ordre d'apparition, les frères Toup, jumeaux psychopathes producteurs de marijuana, Gus Lindquist, pêcheur de crevettes manchot, chasseur de trésor à ses heures perdues qui passe son temps à avaler des médocs comme d'autres croquent des bonbons, Wes Trench, 18 ans et déjà des cheveux blancs, pêcheur lui aussi sur le bateau de son père, un gamin ayant vu sa mère tomber d'un toit et se noyer sous ses yeux au moment de la tragédie de Katrina, Cossgrove et Hanson, deux losers pathétiques, escrocs à la petite semaine condamnés à des travaux d’intérêt général ou encore Grimes, envoyé par la compagnie BP après un accident pétrolier ayant causé une vaste pollution des eaux du bayou pour inciter les victimes à abandonner les poursuites judiciaires contre un chèque au montant ridiculement faible par rapport au préjudice subi. Des personnages qui ne vont cesser de se croiser pour jouer au fil des chapitres une tragi-comédie des plus jubilatoires.
Avec ce premier roman, Tom Cooper a rédigé un guide touristique du bayou pas franchement engageant. Chaleur accablante, crevettes, crabes et oiseaux mazoutés, alligators, serpents, moustiques, taons « gros comme des prunes », « scarabées semblables à des pommes de terre ailées », et surtout des autochtones plus flippants les uns que les autres. J'ai adoré la façon dont le roman se déploie, chacun étant d'abord présenté de façon isolée, avant que les premières interactions fassent évoluer tout ce petit monde tels des pions se déplaçant sur un échiquier d'où personne ne sortira vainqueur.
Un texte qui, malgré les apparences, déborde d'humanité et prend parfois des allures de roman social s'ancrant dans un environnement frappé de plein fouet par deux événements dévastateurs, l'ouragan Katrina en 2005 et l'explosion d'une plateforme pétrolière causant une marée noire épouvantable en 2010. Un roman plein de sauvagerie, à la fois drôle et grave, picaresque et puissant. Une réussite totale et une lecture que je vous recommande plus que chaudement !
Les maraudeurs de Tom Cooper. Albin Michel, 2016. 400 pages. 22,00 euros.
Les avis d'Electra, Léa et Virginie
lundi 9 mai 2016
dimanche 8 mai 2016
Shaker Monster T1 : Tous aux abris ! - Mr Tan et Mathilde Domecq
La curiosité est un vilain défaut, Justin va l’apprendre à ses dépens. Après une énième dispute avec sa sœur, il est envoyé au grenier par son père pour ranger un carton de son grand-père. En découvrant l’inscription « ne pas toucher » sur ledit carton, le garçon se dépêche de l’ouvrir. A l’intérieur, un vieux shaker brillant qu’il trouve « trop cool » et qu’il ramène dans sa chambre. Mauvaise idée, très mauvaise idée. Le lendemain matin, un monstre gluant s’est échappé du shaker et a transformé la maison en champ de bataille. Il va falloir l’attraper au plus vite et tout ranger avant que papa et maman ne découvrent les dégâts pour éviter la punition du siècle…
Y pas à dire, il sait y faire Mr Tan pour imaginer des histoires qui plaisent aux enfants (il l’a d’ailleurs prouvé depuis longtemps avec Mortelle Adèle). Ici, il mélange des ingrédients imparables : deux sales gosses qui n’arrêtent pas de se chamailler, des monstres inoffensifs et rigolos, de la morve et des prouts en pagaille, un papy complice et des bêtises à réparer en urgence avant que les parents rentrent du travail. Pas révolutionnaire mais efficace, mis en image avec dynamisme grâce au trait frais et expressif de Mathilde Domecq.
Une nouvelle série pleine de bonne humeur au rythme trépidant et portée par des dialogues entre frère et sœur pas piqués des hannetons, tellement réalistes que nombre de jeunes lecteurs pourront s’y identifier, c’est une certitude.
Shaker Monster T1 : Tous aux abris ! de Mr Tan et Mathilde Domecq. Gallimard BD, 2016. 64 pages. 11,90 euros.
Y pas à dire, il sait y faire Mr Tan pour imaginer des histoires qui plaisent aux enfants (il l’a d’ailleurs prouvé depuis longtemps avec Mortelle Adèle). Ici, il mélange des ingrédients imparables : deux sales gosses qui n’arrêtent pas de se chamailler, des monstres inoffensifs et rigolos, de la morve et des prouts en pagaille, un papy complice et des bêtises à réparer en urgence avant que les parents rentrent du travail. Pas révolutionnaire mais efficace, mis en image avec dynamisme grâce au trait frais et expressif de Mathilde Domecq.
Une nouvelle série pleine de bonne humeur au rythme trépidant et portée par des dialogues entre frère et sœur pas piqués des hannetons, tellement réalistes que nombre de jeunes lecteurs pourront s’y identifier, c’est une certitude.
Shaker Monster T1 : Tous aux abris ! de Mr Tan et Mathilde Domecq. Gallimard BD, 2016. 64 pages. 11,90 euros.
vendredi 6 mai 2016
The Whites - Richard Price
Les Whites sont, dans le jargon de la police américaine, des coupables jamais condamnés pour leurs crimes. Des gars passés entre les mailles du filet de la justice, des gars qui s’en sont sortis blancs comme neige. Chaque flic a son White, un salopard qui l’obsède et qu’il rêve de voir enfin payer pour ses méfaits. Billy Graves ne fait pas exception à la règle. Devenu chef d’une brigade de nuit New yorkaise après une bavure, Billy reçoit un appel lui signalant un meurtre dans une station de métro. La victime n’est autre que le White de l’un de ses anciens coéquipiers. Lorsqu’un second White est éliminé quelques jours plus tard, Billy commence à se poser de sérieuses questions…
Un plaisir de retrouver enfin Richard Price six ans après l’excellentissime Frères de sang. Scénariste pour Scorsese (La couleur de l’argent) et la série The Wire, lui-même adapté au cinéma par Spike Lee (Clockers), ce peintre de l’Amérique urbaine nous emmène une fois de plus dans les rue de New-York pour décrire le quotidien peu reluisant d’un flic au bout du rouleau. Plus que sur son job, c’est sur sa vie de famille que Price se focalise. Et plus que l’enquête, c’est le portrait dressé qui intéresse, tant le romancier montre une fois de plus que chacun d’entre nous est avant tout le fruit de son environnement. Il parle ici d’obsession pour des histoires anciennes, de vengeances que l’on cherche encore à assouvir, d’amitiés à entretenir au nom du bon vieux temps, d’une filiation difficile à assumer, de casseroles sur lesquelles on a mis un couvercle mais qui continuent à bouillir et que l’on continue à traîner…
Narration nerveuse, dialogues au cordeau, réalisme impressionnant, plongée dans une ville cartographiée au millimètre, Price maîtrise, de bout en bout. Héritier talentueux de Selby et Ed McBain, ce grand romancier de New-York est aussi et surtout le chantre d’une forme de naturalisme qui n’appartient qu’à lui.
The Whites de Richard Price. Presses de la cité, 2016. 415 pages. 21,00 euros.
Un plaisir de retrouver enfin Richard Price six ans après l’excellentissime Frères de sang. Scénariste pour Scorsese (La couleur de l’argent) et la série The Wire, lui-même adapté au cinéma par Spike Lee (Clockers), ce peintre de l’Amérique urbaine nous emmène une fois de plus dans les rue de New-York pour décrire le quotidien peu reluisant d’un flic au bout du rouleau. Plus que sur son job, c’est sur sa vie de famille que Price se focalise. Et plus que l’enquête, c’est le portrait dressé qui intéresse, tant le romancier montre une fois de plus que chacun d’entre nous est avant tout le fruit de son environnement. Il parle ici d’obsession pour des histoires anciennes, de vengeances que l’on cherche encore à assouvir, d’amitiés à entretenir au nom du bon vieux temps, d’une filiation difficile à assumer, de casseroles sur lesquelles on a mis un couvercle mais qui continuent à bouillir et que l’on continue à traîner…
Narration nerveuse, dialogues au cordeau, réalisme impressionnant, plongée dans une ville cartographiée au millimètre, Price maîtrise, de bout en bout. Héritier talentueux de Selby et Ed McBain, ce grand romancier de New-York est aussi et surtout le chantre d’une forme de naturalisme qui n’appartient qu’à lui.
The Whites de Richard Price. Presses de la cité, 2016. 415 pages. 21,00 euros.
mercredi 4 mai 2016
Le voyage d’Abel - Lisa Belvent et Bruno Duhamel
Abel rêve. De voyages. Seul dans la ferme héritée de ses parents qu’il entretient depuis que ses frères ont mis les voiles, Abel n’en peut plus de ce foutu pays et de cette vie rythmée par les corvées. Se lever à l’aube, traire les vaches, sortir les chèvres, labourer les champs. « Moi ce que je voulais, c’est être marin, prendre le large, voyager : Conakry, Singapour, Tahiti… ». Mais Abel a vieilli et il n’a jamais pu franchir le pas. Partir. Pour de bon. Les guides touristiques s’entassent sur les étagères du salon, les saisons passent, et Abel en est toujours au même point. Sa détermination semble cette fois bien réelle, et malgré les moqueries des autochtones qui l’ont surnommé « Le capitaine » et n’ont jamais cru à ses envies d'ailleurs, Abel sait que l’heure est venue.
Étrange album à l’atmosphère nostalgique mettant en avant la rudesse de la vie à la campagne. Il est touchant Abel, fragile, sensible, timide, perdu dans des rêveries auxquelles il persiste à s’accrocher, sans doute pour trouver la force de sortir de son lit chaque matin et de donner du sens à une existence sans aucun relief. Dans son bled paumé, le ciel est bas et gris et les mentalités restent au ras des pâquerettes. Il y a une forme de cruauté permanente chez les paysans frustes qui peuplent les histoires rurales. Abel m’a rappelé les personnages d’André Bucher ou de Franck Bouysse, ces taiseux solitaires et bourrus évoluant dans un environnement âpre et difficile à supporter.
Une réflexion triste et mélancolique sur le temps qui passe et jamais ne se rattrape, sur ces choix que l’on ne fait pas, ces regrets qui nous hantent, ces départs toujours reportés et jamais pris. J’aurais voulu sortir bouleversé de cette lecture mais ce n’est pas le cas. L’album est pourtant très réussi, aucun doute là-dessus, mais il m’a manqué un petit quelque chose. J’ai eu l’impression que tout allait trop vite, que certains aspects auraient mérité d’être creusés (l’enfance du vieux fermier, la relation avec ses parents, l’attitude de ses frères). En fait, j’aurais voulu passer plus de temps avec Abel, partager davantage de choses, le côtoyer au fil d’un roman graphique de 200 pages par exemple. Je l’ai quitté trop rapidement et il m’a laissé en bouche un goût de trop peu. Dommage, parce que c'est typiquement le genre de personnage que j'adore.
Le voyage d’Abel de Lisa Belvent et Bruno Duhamel. Éditions Les Amaranthes, 2014. 64 pages. 18,00 euros (à commander directement sur le site de l'éditeur)
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo.
L'avis de Moka
Étrange album à l’atmosphère nostalgique mettant en avant la rudesse de la vie à la campagne. Il est touchant Abel, fragile, sensible, timide, perdu dans des rêveries auxquelles il persiste à s’accrocher, sans doute pour trouver la force de sortir de son lit chaque matin et de donner du sens à une existence sans aucun relief. Dans son bled paumé, le ciel est bas et gris et les mentalités restent au ras des pâquerettes. Il y a une forme de cruauté permanente chez les paysans frustes qui peuplent les histoires rurales. Abel m’a rappelé les personnages d’André Bucher ou de Franck Bouysse, ces taiseux solitaires et bourrus évoluant dans un environnement âpre et difficile à supporter.
Une réflexion triste et mélancolique sur le temps qui passe et jamais ne se rattrape, sur ces choix que l’on ne fait pas, ces regrets qui nous hantent, ces départs toujours reportés et jamais pris. J’aurais voulu sortir bouleversé de cette lecture mais ce n’est pas le cas. L’album est pourtant très réussi, aucun doute là-dessus, mais il m’a manqué un petit quelque chose. J’ai eu l’impression que tout allait trop vite, que certains aspects auraient mérité d’être creusés (l’enfance du vieux fermier, la relation avec ses parents, l’attitude de ses frères). En fait, j’aurais voulu passer plus de temps avec Abel, partager davantage de choses, le côtoyer au fil d’un roman graphique de 200 pages par exemple. Je l’ai quitté trop rapidement et il m’a laissé en bouche un goût de trop peu. Dommage, parce que c'est typiquement le genre de personnage que j'adore.
Le voyage d’Abel de Lisa Belvent et Bruno Duhamel. Éditions Les Amaranthes, 2014. 64 pages. 18,00 euros (à commander directement sur le site de l'éditeur)
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo.
L'avis de Moka
mardi 3 mai 2016
Perle - Anne Bert
Perle est née sous X. A l’adolescence, elle découvre grâce à la littérature que cette lettre symbole pour elle d’abandon parental possède aussi une portée des plus sensuelles. Se livrant sans plaisir aux nuits interlopes parisiennes et à un amant, politicien reconnu, lui faisant découvrir des pratiques extrêmes auxquelles elle peine à donner du sens, Perle décide un jour de tout plaquer pour se reconstruire dans les marais de Brière, au bord de l’océan Atlantique. C’est là qu’elle croisera le beau et taiseux Alanik, un marinier avec lequel elle va vivre une histoire d’amour aussi puissante que singulière.
Un roman très charnel qui s’égare parfois sur des sentiers où je n’ai pas eu envie de le suivre (notamment certains aspects fantastiques liés aux légendes locales) mais que j’ai trouvé dans l’ensemble très maîtrisé et sans complexe. Le portrait de Perle, femme libre assumant ses désirs, et la relation très particulière qu’elle noue avec Alanik offrent à l’histoire une profondeur qu’il est rare de trouver dans des récits de ce genre. Le corps est ici partout présent, loin de toute représentation aseptisée. Les épisodes coquins s’enchaînent avec une grande variété, plus ou moins émoustillants mais toujours mis en scène avec classe et sobriété, portés par une écriture à la fois crue et poétique.
Un roman érotique particulièrement littéraire, c’est suffisamment rare pour être souligné. J’ai également apprécié le fait que les amants de passage de Perle prenaient systématiquement la peine d’enfiler un préservatif avant de passer aux choses sérieuses. Et c’est loin d’être un simple détail à mes yeux…
Perle d’Anne Bert. La Musardine, 2016. 180 pages. 8,95 euros.
Les avis de Liliba et Noukette
Un roman très charnel qui s’égare parfois sur des sentiers où je n’ai pas eu envie de le suivre (notamment certains aspects fantastiques liés aux légendes locales) mais que j’ai trouvé dans l’ensemble très maîtrisé et sans complexe. Le portrait de Perle, femme libre assumant ses désirs, et la relation très particulière qu’elle noue avec Alanik offrent à l’histoire une profondeur qu’il est rare de trouver dans des récits de ce genre. Le corps est ici partout présent, loin de toute représentation aseptisée. Les épisodes coquins s’enchaînent avec une grande variété, plus ou moins émoustillants mais toujours mis en scène avec classe et sobriété, portés par une écriture à la fois crue et poétique.
Un roman érotique particulièrement littéraire, c’est suffisamment rare pour être souligné. J’ai également apprécié le fait que les amants de passage de Perle prenaient systématiquement la peine d’enfiler un préservatif avant de passer aux choses sérieuses. Et c’est loin d’être un simple détail à mes yeux…
Perle d’Anne Bert. La Musardine, 2016. 180 pages. 8,95 euros.
Les avis de Liliba et Noukette
lundi 2 mai 2016
Histoire de petite fille - Sacha Sperling
« Je suis le rêve américain, du sperme plein la gueule. Je suis riche. Comme un rappeur. Comme un homme d’affaire. Le compte en banque de Donald Trump et la bouche de Donald Duck. »
Mona ne passera pas sa vie à Paradise Hill, dans la banlieue de San Diego. Ici, l’horizon est trop bouché pour une ado de seize ans. Misère, ennui, alcool, drogue ou prostitution, le choix est limité. Surtout avec une mère qui a le feu au cul et un beau-père qui ne pense qu’à vous sauter. Alors Mona s’organise comme elle peut : Un petit ami dealer qui lui a fait perdre sa virginité à treize ans, un agent immobilier de quarante balais raide dingue d’elle pour l’entretenir. Et un jour, la fugue vers Los Angeles après un passage chez une copine majeure pour lui piquer ses papiers d’identité. Mona se teint en blonde, pose sur ses yeux des lentilles bleu clair et se prénomme dorénavant Holly. Sa rencontre avec un producteur de films porno lui ouvre les portes de la célébrité. Holly devient un phénomène et rassemble rapidement plus d’un million d’abonnés (payants) sur le site de son mentor. Elle donne de sa personne, accepte toutes les pratiques et affole les compteurs. Du jamais vu. Holly est riche et célèbre. Mais Holly a un autre plan. Machiavélique…
Attention, ça secoue. Furieusement. J’ai d’abord cru avoir affaire à un romancier américain. Mais Sacha Sperling est bien français. Un gamin de 25 ans, un « fils de » (Alexandre Arcady et Diane Kurys), qui m’a mis KO pour le compte avec son histoire de petite fille. Un roman choral où l’Amérique en prend pour son grade. C’est cash, sans concession, cynique. Holly n’est pas une victime et Sperling ne veut pas nous faire pleurer sur son sort. Les scènes hard sont sordides mais la gamine fait preuve d’une lucidité permanente qui force l’admiration. Elle déteste ce qu'on lui fait subir, mais elle encaisse, une idée dernière la tête. Elle sait ce qu’elle fait, elle sait ce qu’elle veut, elle sait où elle va et elle sait qu’il va lui falloir souffrir pour y arriver : « Un an dans le porno, c’est comme dix ans ailleurs. Pire que de compter en années de chien. Ça marque le corps, la peau. Ça détend tout. Ça abîme… ».
Un roman sans complaisance qui vous file des hauts le cœur. J’ai aimé ce style direct, épuré, à l’os. Une success story tragique, glaçante, qui fascine et horrifie. L’histoire d’une « fille vide à l’ère du vide », l’histoire d’une fille qui se « voulait un destin. N’importe lequel ».
Histoire de petite fille de Sacha Sperling. Seuil, 2016. 260 pages. 18,00 euros.
Mona ne passera pas sa vie à Paradise Hill, dans la banlieue de San Diego. Ici, l’horizon est trop bouché pour une ado de seize ans. Misère, ennui, alcool, drogue ou prostitution, le choix est limité. Surtout avec une mère qui a le feu au cul et un beau-père qui ne pense qu’à vous sauter. Alors Mona s’organise comme elle peut : Un petit ami dealer qui lui a fait perdre sa virginité à treize ans, un agent immobilier de quarante balais raide dingue d’elle pour l’entretenir. Et un jour, la fugue vers Los Angeles après un passage chez une copine majeure pour lui piquer ses papiers d’identité. Mona se teint en blonde, pose sur ses yeux des lentilles bleu clair et se prénomme dorénavant Holly. Sa rencontre avec un producteur de films porno lui ouvre les portes de la célébrité. Holly devient un phénomène et rassemble rapidement plus d’un million d’abonnés (payants) sur le site de son mentor. Elle donne de sa personne, accepte toutes les pratiques et affole les compteurs. Du jamais vu. Holly est riche et célèbre. Mais Holly a un autre plan. Machiavélique…
Attention, ça secoue. Furieusement. J’ai d’abord cru avoir affaire à un romancier américain. Mais Sacha Sperling est bien français. Un gamin de 25 ans, un « fils de » (Alexandre Arcady et Diane Kurys), qui m’a mis KO pour le compte avec son histoire de petite fille. Un roman choral où l’Amérique en prend pour son grade. C’est cash, sans concession, cynique. Holly n’est pas une victime et Sperling ne veut pas nous faire pleurer sur son sort. Les scènes hard sont sordides mais la gamine fait preuve d’une lucidité permanente qui force l’admiration. Elle déteste ce qu'on lui fait subir, mais elle encaisse, une idée dernière la tête. Elle sait ce qu’elle fait, elle sait ce qu’elle veut, elle sait où elle va et elle sait qu’il va lui falloir souffrir pour y arriver : « Un an dans le porno, c’est comme dix ans ailleurs. Pire que de compter en années de chien. Ça marque le corps, la peau. Ça détend tout. Ça abîme… ».
Un roman sans complaisance qui vous file des hauts le cœur. J’ai aimé ce style direct, épuré, à l’os. Une success story tragique, glaçante, qui fascine et horrifie. L’histoire d’une « fille vide à l’ère du vide », l’histoire d’une fille qui se « voulait un destin. N’importe lequel ».
Histoire de petite fille de Sacha Sperling. Seuil, 2016. 260 pages. 18,00 euros.
dimanche 1 mai 2016
Les lectures de Charlotte (16) : Une nuit à la bibliothèque - Chiaki Okada et Kazuhito Kazeki
Aujourd’hui les enfants vont à la bibliothèque avec leurs doudous pour écouter des histoires. Au moment de repartir, chacun prépare un petit lit pour sa peluche et la couche au milieu des étagères, triste à l’idée de devoir attendre le lendemain pour la revoir. La nuit venue, l’ours en peluche se réveille, puis le crocodile, le lapin et tous les autres doudous. Ensemble, ils commencent à jouer avec les livres et mettent la pagaille dans les rayons, jusqu’au moment où ils sont surpris par les bibliothécaires…
Très joli album sur la magie des livres et de la lecture. Un texte minimaliste se réduisant à deux ou trois lignes par page suffit pour installer une atmosphère empreinte de tendresse et de rêverie. Parce que oui, voir des doudous passer une nuit entière dans une bibliothèque, ça donne envie ! D’aller dans ce lieu de prime abord intimidant, de profiter de la gentillesse et de la bienveillance des personnes qui y travaillent, de feuilleter, de manipuler, de choisir des tonnes de livres… et de les ramener chez soi !
Les illustrations au crayon, sans encrage, offrent une douceur apaisante qui colle parfaitement au texte. Un album « calme » et « tranquille », qui fait du bien et qui a inspiré Charlotte : depuis que nous l'avons découvert ensemble, il lui arrive souvent de faire la lecture à son doudou !
Une nuit à la bibliothèque de Chiaki Okada et Kazuhito Kazeki. Seuil Jeunesse, 2016. 40 pages. 13,50 euros. Dès 3 ans.
Très joli album sur la magie des livres et de la lecture. Un texte minimaliste se réduisant à deux ou trois lignes par page suffit pour installer une atmosphère empreinte de tendresse et de rêverie. Parce que oui, voir des doudous passer une nuit entière dans une bibliothèque, ça donne envie ! D’aller dans ce lieu de prime abord intimidant, de profiter de la gentillesse et de la bienveillance des personnes qui y travaillent, de feuilleter, de manipuler, de choisir des tonnes de livres… et de les ramener chez soi !
Les illustrations au crayon, sans encrage, offrent une douceur apaisante qui colle parfaitement au texte. Un album « calme » et « tranquille », qui fait du bien et qui a inspiré Charlotte : depuis que nous l'avons découvert ensemble, il lui arrive souvent de faire la lecture à son doudou !
Une nuit à la bibliothèque de Chiaki Okada et Kazuhito Kazeki. Seuil Jeunesse, 2016. 40 pages. 13,50 euros. Dès 3 ans.
vendredi 29 avril 2016
La Jeune Épouse - Alessandro Baricco
Quand la Jeune Épouse débarque d’Argentine dans sa belle-famille italienne, le Fils n’est pas là. Son futur époux, envoyé en Angleterre pour étudier le commerce local, ne devrait pas tarder à revenir. Accueillie à bras ouverts alors qu’elle n’était pas vraiment attendue, elle découvre des gens aux mœurs étranges : le Père fantasque atteint d’une « inexactitude du cœur », la Mère aussi belle qu’inaccessible, l'Oncle narcoleptique, la Sœur handicapée et fervente pratiquante de l’onanisme, le vieux serviteur qui s’exprime en toussant… Les journées sont rythmées par une immuable routine, du déjeuner gargantuesque s’éternisant jusque dans l’après-midi à la toilette quotidienne, de quelques menus travaux à un coucher particulièrement ritualisé. La Jeune Épouse se plie aux excentricités et continue d’attendre son promis. Mais le temps passe et rien ne se passe. Peu à peu, chacun va prendre sous son aile la nouvelle arrivante et parfaire son éducation d’une manière tout sauf conventionnelle.
Un récit d’initiation troussé par Baricco n’est forcément pas un récit d’initiation comme les autres. D’une atmosphère bourgeoise surannée il tire un récit plein de fantaisie, souvent proche du conte burlesque. Jouant de l’attente et d’une sorte de « temps suspendu », il s’amuse à faire évoluer ses personnages dans un univers surréaliste teinté d’érotisme. J’ai beaucoup aimé me perdre dans les changements inopinés de points de vue, le passage du « il » ou « elle » au « je » sans que l’on sache d’emblée qui parle. De prime abord déstabilisante et foutraque, cette narration anarchique, ce doute permanent à propos de « qui parle » se double d’une réflexion sur l’écriture et le rôle de l’écrivain que j’ai trouvée particulièrement intéressante : « En ce qui me concerne, je n’ai jamais cru que le métier d’écrivain pût se limiter à habiller ses propres histoires de manière littéraire, en recourant au laborieux truc qui consiste à changer les noms et parfois l’ordre des faits, alors que le sens le plus vrai de ce que nous pouvons accomplir m’a toujours paru être le geste de mettre entre nos vies et ce que nous écrivons une distance magnifique ». (une jolie charge en passant contre l'autofiction !)
Pour autant (et pour être honnête), ce n’est pas du Baricco à son meilleur. J’ai lu ce roman il y a plus de quinze jours et je constate qu’il ne m’en reste pas grand chose. Comme toujours, l’auteur de Soie s’amuse. Avec la classe et l’élégance qui le caractérise, doublées ici d’une bonne dose de sensualité. Mais son histoire ne passionne pas plus que cela. Reste cette réflexion sur l’écriture, son pouvoir et sa liberté. C’est malin, ironique et bien plus profond que les apparences ne peuvent le laisser penser, mais ça n’a pas tout à fait suffi à me faire tomber sous le charme de la Jeune Épouse.
La Jeune Épouse d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2016. 224 pages. 19,50 euros.
Noukette, avec qui je partage une fois de plus cette lecture, a davantage apprécié.
Un récit d’initiation troussé par Baricco n’est forcément pas un récit d’initiation comme les autres. D’une atmosphère bourgeoise surannée il tire un récit plein de fantaisie, souvent proche du conte burlesque. Jouant de l’attente et d’une sorte de « temps suspendu », il s’amuse à faire évoluer ses personnages dans un univers surréaliste teinté d’érotisme. J’ai beaucoup aimé me perdre dans les changements inopinés de points de vue, le passage du « il » ou « elle » au « je » sans que l’on sache d’emblée qui parle. De prime abord déstabilisante et foutraque, cette narration anarchique, ce doute permanent à propos de « qui parle » se double d’une réflexion sur l’écriture et le rôle de l’écrivain que j’ai trouvée particulièrement intéressante : « En ce qui me concerne, je n’ai jamais cru que le métier d’écrivain pût se limiter à habiller ses propres histoires de manière littéraire, en recourant au laborieux truc qui consiste à changer les noms et parfois l’ordre des faits, alors que le sens le plus vrai de ce que nous pouvons accomplir m’a toujours paru être le geste de mettre entre nos vies et ce que nous écrivons une distance magnifique ». (une jolie charge en passant contre l'autofiction !)
Pour autant (et pour être honnête), ce n’est pas du Baricco à son meilleur. J’ai lu ce roman il y a plus de quinze jours et je constate qu’il ne m’en reste pas grand chose. Comme toujours, l’auteur de Soie s’amuse. Avec la classe et l’élégance qui le caractérise, doublées ici d’une bonne dose de sensualité. Mais son histoire ne passionne pas plus que cela. Reste cette réflexion sur l’écriture, son pouvoir et sa liberté. C’est malin, ironique et bien plus profond que les apparences ne peuvent le laisser penser, mais ça n’a pas tout à fait suffi à me faire tomber sous le charme de la Jeune Épouse.
La Jeune Épouse d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2016. 224 pages. 19,50 euros.
Noukette, avec qui je partage une fois de plus cette lecture, a davantage apprécié.
mercredi 27 avril 2016
L’apocalypse selon Magda - Chloé Vollmer-Lo et Carole Maurel
La fin du monde n’est pas pour demain mais pour dans un an. Une nouvelle confirmée par tous les experts de la planète et qui met à mal le quotidien de l’ensemble de la population. A son niveau, Magda a d’abord un peu de mal à prendre conscience de la situation. Quand son père abandonne la maison pour partir avec sa maîtresse, le coup est rude. Quand le jour de ses 13 ans personne ne lui offre de cadeau, elle comprend que l’heure est grave. Autour d’elle, tout le monde commence à perdre les pédales. Les élèves ne vont plus en cours, les coupures d’électricité se multiplient, les magasins ferment les uns après les autres. Les semaines, les mois passent, l’heure fatidique approche et Magda se lâche, enchaînant les excès en tout genre, cherchant à connaître un maximum d’expériences avant de mourir, quitte à se mettre à dos sa famille et ses amis.
L’intérêt de l’album ne réside pas dans la description du délitement d’une société se sachant condamnée mais plutôt dans la façon dont les événements sont vécus à une échelle individuelle. Derrière l’émancipation sans borne de Magda, motivée par l’urgence, se cache une réflexion profonde sur la puberté. Le bouleversement de la jeune fille est avant tout intérieur. Sa crise d’ado va prendre des allures XXL du fait de la situation extrême mais ses réactions, certes amplifiées, n’ont rien de délirantes.
Ce récit d’une « apocalypse intime » prise dans le tourbillon d’un désastre planétaire annoncé est aussi audacieux que surprenant et ne laisse aucune place à une quelconque mièvrerie. D’ailleurs, malgré des dessins typiques d’une BD jeunesse, cet album n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains. Au fil des pages la tension monte et la violence s’amplifie à mesure que Magda veut grandir trop vite dans un monde ayant perdu tous ses repères. Et si la fin n’est pas celle que l’on croit, la surprise est d’autant plus grande et la dernière planche laisse en bouche une amertume teintée de vide et de tristesse. Typiquement le genre de claque que j’aime recevoir au moment où je m’y attends le moins !
L’apocalypse selon Magda de Chloé Vollmer-Lo et Carole Maurel. Delcourt, 2016. 192 pages. 22,95 euros.
L’intérêt de l’album ne réside pas dans la description du délitement d’une société se sachant condamnée mais plutôt dans la façon dont les événements sont vécus à une échelle individuelle. Derrière l’émancipation sans borne de Magda, motivée par l’urgence, se cache une réflexion profonde sur la puberté. Le bouleversement de la jeune fille est avant tout intérieur. Sa crise d’ado va prendre des allures XXL du fait de la situation extrême mais ses réactions, certes amplifiées, n’ont rien de délirantes.
Ce récit d’une « apocalypse intime » prise dans le tourbillon d’un désastre planétaire annoncé est aussi audacieux que surprenant et ne laisse aucune place à une quelconque mièvrerie. D’ailleurs, malgré des dessins typiques d’une BD jeunesse, cet album n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains. Au fil des pages la tension monte et la violence s’amplifie à mesure que Magda veut grandir trop vite dans un monde ayant perdu tous ses repères. Et si la fin n’est pas celle que l’on croit, la surprise est d’autant plus grande et la dernière planche laisse en bouche une amertume teintée de vide et de tristesse. Typiquement le genre de claque que j’aime recevoir au moment où je m’y attends le moins !
L’apocalypse selon Magda de Chloé Vollmer-Lo et Carole Maurel. Delcourt, 2016. 192 pages. 22,95 euros.
mardi 26 avril 2016
Les fragiles - Cécile Roumiguière
Le petit Drew a bien grandi depuis ce jour où, du haut de ses neuf ans, il a pris en pleine face le racisme paternel. Une expérience des plus traumatisantes venue s’ajouter à bien d’autres épisodes douloureux. A l’époque, l’enfant avait déjà compris que son père lui en voulait. D’être trop tendre, trop bon à l’école, pas assez costaud, pas assez sportif. Il le craignait ce père violent et colérique. Pour lui plaire, Drew faisait exprès de rater ses devoirs et de ramener des mauvaises notes, hors de question de passer pour le premier de la classe et de se faire enguirlander. Mais en dépit de tous ses efforts, impossible de trouver grâce aux yeux de son géniteur, impossible de supporter sa brutalité, impossible de le satisfaire.
Aujourd’hui, Drew est un lycéen monté trop vite en graine, échalas dégingandé fan de métal, amoureux de la belle et intouchable Sky, devenue par miracle sa meilleure amie. Son père, parti dans le sud de la France pour suivre sa nouvelle compagne, continue de le hanter malgré la distance. Et au moment de leurs retrouvailles parisiennes, l’inéluctable face à face va tourner au cauchemar…
Je ne vous révèle rien avec la phrase précédente puisque le drame est annoncé dès la première page. Cécile Roumiguière s’applique à remonter le fil du temps et des événements pour expliquer comment les choses ont pu en arriver là. Huit ans avant, sept ans avant, cinq ans avant, quatre ans avant, le compte à rebours défile, entrecoupé par des épisodes se déroulant au présent, le jour J, ce jour où tout bascule. Comme toujours chez cette auteure que j’adore (ben, oui, pourquoi le nier !), chaque personnage est bouleversant d’humanité, même Cédric, ce père affreux qu’il m’a été impossible de détester.
Cécile Roumiguière ne s’offre aucun raccourci, aucune facilité. Le puzzle se met en place, chaque pièce s’emboîte naturellement. La narration est fluide, les dialogues sonnent juste et les interactions entre chacun fonctionnent à merveille, même (et surtout) pendant les moments de tension. Les fragiles du titre ce sont eux, Drew, Cédric, Sky. Incapables de communiquer vraiment, incapables d'exprimer leurs sentiments, incapables de fendre la carapace derrière laquelle ils se sont retranchés. La relation conflictuelle père/fils est menée de main de maître et vous serre les tripes jusqu’à la dernière ligne. Une fin que j’ai d’ailleurs trouvée parfaite, totalement ouverte sur un avenir pour le moins incertain et loin de tout optimisme béat.
De la littérature jeunesse comme j'aime. Ambitieuse, exigeante, ancrée dans son époque, qui ne cherche pas à rendre le monde plus beau qu’il n’est sans pour autant sombrer dans le désespoir absolu. Tout en subtilité et en intelligence, un texte fort, poignant, magistral.
Les fragiles de Cécile Roumiguière. Sarbacane, 2016. 200 pages. 15,50 euros. A partir de 13 ans.
Extrait :
« Papa… on aurait pu s’aimer. J’aimais bien, petit, quand tu me portais sur tes épaules. Tu courais, on rigolait…
Tu vois, il reste quand même des images, collées au fond de mon crâne. T’aimes pas les gens, t’aimes pas les Noirs, t’aime pas les Arabes… tu t’aimes pas. Mais moi, j’aurais pu t’aider, il aurait juste fallu te dire que t’étais un chouette père.
Papa… je te demande pardon. J’ai jamais été le fils que tu voulais, on a tout raté. C’est de ma faute, aussi. Avant moi, t’étais heureux, tu étais amoureux de Maman. Quand elle parle du temps avant moi, du regard que tu avais, elle est belle… J’ai tout gâché. »
Une pépite du mardi que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
Aujourd’hui, Drew est un lycéen monté trop vite en graine, échalas dégingandé fan de métal, amoureux de la belle et intouchable Sky, devenue par miracle sa meilleure amie. Son père, parti dans le sud de la France pour suivre sa nouvelle compagne, continue de le hanter malgré la distance. Et au moment de leurs retrouvailles parisiennes, l’inéluctable face à face va tourner au cauchemar…
Je ne vous révèle rien avec la phrase précédente puisque le drame est annoncé dès la première page. Cécile Roumiguière s’applique à remonter le fil du temps et des événements pour expliquer comment les choses ont pu en arriver là. Huit ans avant, sept ans avant, cinq ans avant, quatre ans avant, le compte à rebours défile, entrecoupé par des épisodes se déroulant au présent, le jour J, ce jour où tout bascule. Comme toujours chez cette auteure que j’adore (ben, oui, pourquoi le nier !), chaque personnage est bouleversant d’humanité, même Cédric, ce père affreux qu’il m’a été impossible de détester.
Cécile Roumiguière ne s’offre aucun raccourci, aucune facilité. Le puzzle se met en place, chaque pièce s’emboîte naturellement. La narration est fluide, les dialogues sonnent juste et les interactions entre chacun fonctionnent à merveille, même (et surtout) pendant les moments de tension. Les fragiles du titre ce sont eux, Drew, Cédric, Sky. Incapables de communiquer vraiment, incapables d'exprimer leurs sentiments, incapables de fendre la carapace derrière laquelle ils se sont retranchés. La relation conflictuelle père/fils est menée de main de maître et vous serre les tripes jusqu’à la dernière ligne. Une fin que j’ai d’ailleurs trouvée parfaite, totalement ouverte sur un avenir pour le moins incertain et loin de tout optimisme béat.
De la littérature jeunesse comme j'aime. Ambitieuse, exigeante, ancrée dans son époque, qui ne cherche pas à rendre le monde plus beau qu’il n’est sans pour autant sombrer dans le désespoir absolu. Tout en subtilité et en intelligence, un texte fort, poignant, magistral.
Les fragiles de Cécile Roumiguière. Sarbacane, 2016. 200 pages. 15,50 euros. A partir de 13 ans.
Extrait :
« Papa… on aurait pu s’aimer. J’aimais bien, petit, quand tu me portais sur tes épaules. Tu courais, on rigolait…
Tu vois, il reste quand même des images, collées au fond de mon crâne. T’aimes pas les gens, t’aimes pas les Noirs, t’aime pas les Arabes… tu t’aimes pas. Mais moi, j’aurais pu t’aider, il aurait juste fallu te dire que t’étais un chouette père.
Papa… je te demande pardon. J’ai jamais été le fils que tu voulais, on a tout raté. C’est de ma faute, aussi. Avant moi, t’étais heureux, tu étais amoureux de Maman. Quand elle parle du temps avant moi, du regard que tu avais, elle est belle… J’ai tout gâché. »
Une pépite du mardi que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
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