lundi 18 avril 2016

En veilleuse - Matt Sumell

Alby est en colère. Contre tout. Et tout le monde. Dès la première page, une simple dispute à propos du lave-vaisselle lui suffit pour avoir envie de cogner sa sœur. Ce qu’il va faire d’ailleurs, et sans que ça lui pose de problème, puisque pour lui « elle est un peu comme un frère, mais avec des seins ». Alby est un pauvre type, un gars capable de constater devant le corps nu de sa mère mourante, que « son vagin est dans un bien meilleur état [qu’il] ne le pensait. » Un gars qui, après avoir lu un poème enamouré de la fille avec laquelle il sort, écrit 11/20 en haut de la feuille avant de lui rendre et de s’étonner qu’elle lui fasse la gueule pour si peu. Un gars qui pense que « le Temps est cancérigène, comme le bacon brûlé », qui picole trop, enchaîne les petits boulots, est maladroit, impulsif, détestable.

 Mais quand il cesse de fanfaronner, Alby peut se montrer touchant, fendre la carapace. Comme lorsque qu’il décide d’élever un oiseau tombé du nid en le nourrissant à la paille ou cherche désespérément son chien perdu dans la forêt. Ou quand il regarde avec franchise sa relation aux autres : « Malgré la relative aisance avec laquelle j’enchaîne les râteaux, ce n’est jamais simple à vivre. Chercher en moi l’optimisme, la confiance et même, je dois l’avouer, la force nécessaire pour brancher une jolie fille demande un boulot de malade, quasi héroïque, surtout si on prend en compte toutes les fois dans ma vie pas-si-envieuse où ces efforts on été non seulement inutiles mais aussi même contre-productifs ».

Je me demande pourquoi j'ai un faible pour les personnages possédant un tel degré d'inadaptation sociale. Pourquoi je voue un culte à Ignatius Reilly, pourquoi le Bandini de John Fante me fascine, pourquoi je suis tombé amoureux de Mailman, pourquoi le journaliste crevant la dalle de Knut Hamsun est mon héros, le Chinaski de Bukowski mon idole et le Calaferte du Requiem des innocents mon Dieu. Les sales gosses infréquentables, misanthropes, à la fois vindicatifs et résignés, sont définitivement ma came. Sans doute parce que j'en ai beaucoup côtoyé et que je leur ai beaucoup ressemblé à une période de ma vie, que je les comprends et qu'ils me parlent. J'aime leurs excès, leur vulgarité, leur violence, leur mal être. Leur humour, souvent cradingue, me fait mourir de rire. Et leur autodérision permanente, l'absence d'orgueil et d'amour propre qui les caractérise est pour moi la marque des grands losers pathétiques sachant pertinemment la partie perdue d'avance, une marque de lucidité que je partage et admire.

Pour son entrée en littérature, Matt Summel a tout compris. Découpant son récit en chapitres constituant autant de petites nouvelles, il fonce, sans se poser de question. Il est fluide, facile, à l'aise. Il ne répète pas de gammes apprises dans des séances de « creative writing » comme la plupart de ses collègues anglo-saxons. Sa prose coule à l'instinct, ça crève les yeux et bordel que ça fait du bien.

Alors non, je ne tenterais pas de vous convaincre de faire la connaissance d'Alby. Parce que je me doute que ce premier roman tonitruant et plein de rage pourrait vous hérisser le poil et vous donner la nausée. Parce qu'il y a de grandes chances que vous détestiez cet homme à fleur de peau rongé par le chagrin, incapable de se remettre de la disparition de sa mère, incapable de nouer un véritable dialogue avec son père qu'il adore pourtant plus que tout. Et surtout parce que vous êtes assez grands pour savoir par vous-même si un personnage aussi fantasque, insupportable et politiquement incorrect a une quelconque chance de trouver grâce à vos yeux.

En veilleuse de Matt Sumell (trad. Jérôme Scmidt). Plon, 2016. 235 pages. 20,90 euros.







mercredi 13 avril 2016

L’homme qui tua Lucky Luke - Mathieu Bonhomme

Lucky Luke arrive à Froggy Town un soir d’orage et découvre une bourgade quasi déserte. Même le saloon attend désespérément les clients. Menacé par le shérif, le cow-boy solitaire doit lui abandonner son arme, comme tous les étrangers arrivant en ville. Le lendemain, quelques habitants viennent le chercher dans sa chambre d’hôtel pour lui demander de l’aide. Un indien a dévalisé la diligence qui amenait la récolte d’or des mineurs. Ces derniers, sans ressources, ne descendent plus en ville, ce qui menace dangereusement l’économie locale.  Après quelques hésitations, Luke accepte de mener l’enquête pour retrouver l’or.

Pour fêter ses 70 ans, le tireur le plus rapide de l’Ouest se réinvente et passe entre les mains d’auteurs lui rendant hommage à leur manière. Premier à se lancer dans cette drôle d’aventure, l’excellent Mathieu Bonhomme, dont j’ai lu tous les albums depuis la série « Le marquis d’Anaon ». Comme pour Chlorophylle récemment, j’aime l’idée d’un hommage qui ne se contente pas d’être une reprise fidèle mais apporte une réelle singularité au personnage et à son univers.

Bonhomme dresse le portait d’un Lucky Luke plus sombre, le faisant évoluer dans une atmosphère pesante où le clair-obscur prend le pas sur la lumière. Un Lucky Luke moins serein aussi, fébrile, lunatique, limite fragile, et en manque de nicotine, clin d’œil au passage de ce fumeur invétéré de la clope au brin d’herbe survenu en 1983. Suprême originalité, il se permet de tuer le héros dès la première planche !

Pour autant, le scénario m’est apparu classique, sans véritable surprise. Le manque d’humour, élément pourtant caractéristique de la série, est criant et les personnages secondaires sont bien trop lisses pour apporter une réelle valeur ajoutée. Reste le dessin, toujours aussi somptueux, avec un art du cadrage et de la mise en scène qui fonctionne à merveille.

Pas une déception à proprement parler mais une réappropriation très personnelle, plus mature, au scénario trop sage, qui vaut surtout pour sa qualité graphique en tout point remarquable.

L’homme qui tua Lucky Luke de Mathieu Bonhomme. Lucky comics, 2016. 64 pages. 15,00 euros.




Les BD de la semaine sont chez Stephie



mardi 12 avril 2016

La folle rencontre de Flora et Max - Martin Page et Coline Pierré

« Je n’ai pas d’amis, et il me semble que tu ne dois pas en avoir beaucoup non plus, alors aller vers toi est plus facile pour moi ».

Max se décide à écrire à Flora après avoir consulté son profil Facebook. Ils étaient dans le même lycée mais ne se connaissaient pas. Lui a développé une phobie l’empêchant de franchir le seuil de sa maison sous peine de connaître de terribles crises d’angoisse et de tétanie. Elle est incarcérée pour avoir frappée une fille de sa classe qui est tombée dans le coma.  Max écrit sa lettre comme on lance une bouteille à la mer. A sa grande surprise, Flora lui répond quelques jours plus tard. Commence alors une étrange correspondance entre deux êtres cabossés et solitaires qui vont peu à peu se découvrir une complicité aussi naturelle qu’improbable.

Flora et Max, deux reclus, coupés du monde extérieur, forcément atypiques, mais pas forcément faits pour s’entendre. Et pourtant au fil des courriers échangés, après avoir pris le temps de s’apprivoiser, chacun va se confier, se livrer en toute simplicité. Les mots couchés sur le papier aident à supporter le quotidien, les mots échangés permettent de mieux se comprendre. La connivence devient évidence, une amitié solide se construit et un projet un peu fou va prendre forme.

Un très joli roman épistolaire, doux et positif malgré la situation compliquée vécue par les deux ados. Loin de toute surenchère dramatique, Martin Page et Coline Pierré jouent la carte de l’apaisement, nous montrant les bienfaits d’une correspondance porteuse d’espoir et de reconstruction. L’écriture à quatre mains permet de singulariser la voix de chaque protagoniste, celle de Max étant plus spontanée, plus drôle et plus décalée, tandis que celle de Flora est davantage dans la retenue. Au final, l’alchimie fonctionne et c’est un véritable plaisir de parcourir ces lettres offrant à ces deux enfermés d'indispensables moments d'évasion.

La folle rencontre de Flora et Max de Martin Page et Coline Pierré. L’école des loisirs, 2015. 200 pages. 14,50 euros  

Une pépite jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.







vendredi 8 avril 2016

Trois jours et une vie - Pierre Lemaitre

Dans un accès de colère Antoine, 12 ans, tue son voisin Rémi 6 ans, puis cache son corps au fin fond de la forêt. Je ne spoile rien en écrivant cela d’emblée, l’événement est décrit au bout de trente pages. La question n’est d’ailleurs pas de savoir comment on en est arrivé là mais plutôt d’expliquer comment Antoine va gérer les choses après son geste fou. Il imagine un projet de fuite, pense au suicide, est terrassé par la peur, laisse son imagination élaborer les pires scénarios, sait que sa mère ne supportera pas de découvrir la vérité. Pendant les trois jours « d’après », le village se mobilise. Tout ce que Beauval compte de forces vives va participer, avec les gendarmes, à plusieurs battues pour retrouver Rémi. Le jeune garçon est persuadé que les dés sont jetés, que le corps sans vie de l’enfant, une fois entre les mains de la police scientifique, révélera à coup sûr l’identité de son meurtrier. Mais nous sommes en décembre 1999, une tempête phénoménale traverse la France et ravage Beauval. Et la forêt saccagée ensevelit définitivement les dernières traces de la victime…

J’ai trouvé cette première partie très réussie. La panique de Rémi est parfaitement retranscrite, comme l’atmosphère pesante régnant sur Beauval et les réactions d’une population gangrenée par les inimités, les rumeurs et les rivalités sur fond de chômage et de crise sociale. Après, malheureusement, les choses se gâtent. On retrouve Antoine douze ans plus tard, devenu médecin et toujours écrasé par la culpabilité. Pas la peine d’en dire davantage mais ce saut dans le temps ne sert pas le récit, loin de là. Tout est survolé, rien ne m’a paru crédible et j’ai été soulagé de voir la fin arriver pour pouvoir passer à autre chose.

Je l’ai lu il y a plusieurs semaines et il m’en reste l’image d’un roman noir aux effets de surprise éventés qui finit par tourner à vide. Je l’ai terminé en pensant que ce texte avait dû traîner dans les tiroirs pendant des années et qu’il en était ressorti avec un certain opportunisme « post Goncourt » (ce que je comprendrais tout à fait soit dit en passant) pour être publié après avoir été quelque peu remanié. Je ne sais absolument pas si c’est le cas, j’en doute même fortement, mais c’est l’impression qu’il m’a laissé, la désagréable impression d’avoir eu entre les mains un manuscrit pas franchement abouti. Mais peu importe, je garde la ferme intention de découvrir bientôt « Au revoir là-haut » et ce n’est pas cette lecture en demi-teinte qui me fera changer d’avis.

Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre. Albin Michel, 2016. 280 pages. 19,80 euros.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis d'Alex, CajouClara, Delphine, La Fée Lit, Sandrine



jeudi 7 avril 2016

La douleur porte un costume de plumes - Max Porter

« On ne se disputera plus jamais, finies nos scènes brèves et adorables, avec leur modèle prêt à l’emploi. La dentelle délicate de nos chamailleries »

Le Corbeau vient un soir frapper à la porte. Le père l’accueille. Les deux fils dorment. Et la mère vient de mourir. Le Corbeau s’immisce, conseille, apaise, se moque, parasite. L'oiseau n’est pas là pour aider à faire le deuil, il accompagne le désespoir, apprend à chacun qu’il faut continuer à vivre. Il est protéiforme, à la fois « charognard et philosophe », insupportable et indispensable.

Le texte fait alterner les voix des personnages en courts paragraphes : Papa, Corbeau, Les garçons. Monologues, dialogues, contes, listes, invectives, la narration chaotique retranscrit à merveille l’instabilité émotionnelle provoquée par la souffrance. De prime abord, la forme est déstabilisante. Mais au final, les passages incongrues, le comportement trivial du corbeau, les anecdotes légères, les séquences poignantes s’enchaînent et forment un tout cohérent. Le cheminement de la douleur apparaît fluctuant, avec ses moments d’apaisement et ceux où le manque devient trop fort : « Elle n’utilisera plus jamais son maquillage / Elle ne terminera jamais son roman de Patricia Highsmith / Et je n’irai plus lui dénicher des livres pour son anniversaire / J’arrêterai de trouver ses cheveux / J’arrêterai de l’entendre respirer ».

Il y a dans ce premier roman quelque chose d’aérien, de léger, de totalement libre. De l’éparpillement naît la profondeur, des silences montent la gravité. Max Porter a su trouver les mots pour dire la perte, l’absence, en insufflant à sa prose une vitalité qui pousse ses personnages à aller de l’avant. Sans pour autant tourner la page. Car au cœur de tous les échanges demeure la disparue. Son ombre nimbe chacun d’une présence que le temps n’effacera jamais. Mais avec l’aide de Corbeau, la tristesse va prendre son envol et s’éloigner doucement comme, à la dernière page, ces cendres emportées par le vent au dessus de la mer tandis que les garçons crient « JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME ».

La douleur porte un costume de plumes de Max Porter. Seuil, 2016. 122 pages. 14,50 euros.


Merci à celle qui a eu la gentillesse de m'offrir ce livre en pensant que je l'apprécierais. A l'évidence, elle me connaît très bien.


Les avis de Cathulu, Léa, Marie-Claude, NadègeNoukette,





mercredi 6 avril 2016

Allô, Dr Laura ? - Nicole J. Georges

Un album reçu dans le cadre de l’opération  la « BD fait son festival » de Priceminister. Et pour le coup, une mauvaise pioche. Je m’en suis douté avant même de l’ouvrir, en découvrant sur la quatrième de couv la citation dithyrambique d’Alison Bechdel, auteure de « Fun Home », qui est juste la pire BD que je n’ai jamais lue.

M’étonne pas qu’Alison ait adoré ce pavé autofictionnel où Nicole J. Georges raconte sa vie sur un ton et un rythme  aussi excitants que la rediffusion d’un épisode de Derrick un dimanche soir d’hiver. Tout y passe, l’enfance avec une mère célibataire dont les petits amis successifs se révéleront d’affreux beaux pères, les maux de ventre chroniques qui lui pourrissent la vie, la découverte de son homosexualité, l’installation à Portland avec Radar, sa première véritable petite amie, une carrière confidentielle dans le monde de la musique, une peine de cœur, son impossible coming out, la mort de son père qui reste un mystère et dont personne ne veux lui parler avant que l’une de ses sœurs lui révèle la vérité, etc.

Le récit alterne entre les souvenirs de sa jeunesse et son quotidien d’adulte avec ses poules et ses quatre chiens. Aucun humour, pas d’autodérision, c’est froid et plat, on a l’impression d’assister à une séance chez le psy. Sauf que je ne suis pas psy et que les confessions autocentrées de la demoiselle, je m’en tamponne royalement. Du coup je tourne les pages en baillant, incapable de m’intéresser une seconde à la vie d’une fille paumée qui ne m’attire pas la moindre sympathie. Mais je veux quand même aller jusqu’au bout parce que je suis un lecteur consciencieux et que je garde le fol espoir de tomber sur un épisode sortant de l’ordinaire et valant la peine d’être relaté. En vain.

Et le dessin me direz-vous ? Un noir et blanc sans âme et sans charme pour sa période de jeune adulte et un noir et blanc naïf que ne renierait pas un gamin de dix ans pour les faits se déroulant dans son enfance. Clairement, le graphisme ne relève pas le niveau de l’ensemble…

De la BD US underground qui se regarde autant le nombril, sans recul ni légèreté, ne me fait ni chaud ni froid. C'est simple, je me suis ennuyé de bout en bout. Une vraie purge, que je ne conseillerais pas à mon pire ennemi.

Allô, Dr Laura ? de Nicole J. Georges. Cambourakis, 2015. 260 pages. 26,00 euros.




mardi 5 avril 2016

Orgasme - Chuck Palahniuk

Elle en a du bol, Penny Harrigan. Stagiaire dans un cabinet d’avocat, tout juste bonne à faire le café, elle se retrouve le cul à l’air devant Cornelius Linus Maxwell après s’être étalée lamentablement avec le plateau de cappuccinos qu’elle s’apprêtait à lui apporter. Un Maxwell qui n’est rien d’autre que l’homme le plus riche du monde doublé d'un Dom Juan que les tabloïds ont surnommé « Orgasmus Maxwell ». Lui qui jusqu’alors avait épinglé à son tableau de chasse une actrice six fois couronnée aux oscars, la présidente des États-Unis ou encore la future reine d’Angleterre semble être tombé de manière assez incompréhensible sous le charme de Penny, au point de l'invité à dîner. La jeune femme va vite découvrir que le bellâtre voue un culte au plaisir féminin et ne cesse de chercher à déclencher chez ses partenaires des orgasmes dévastateurs grâce à divers jouets de sa conception. D’abord éblouie par les torrents de jouissance que Maxwell parvient à provoquer en elle, Penny va rapidement se rendre compte que quelque chose cloche et que, loin de tout sentimentalisme, son amant la considère uniquement comme un cobaye. Où comment le conte de fée va virer au cauchemar...  

Dès le départ, on se dit que Palahniuk se moque du monde. Qu’il force le trait, qu’il insiste lourdement sur les codes propres aux Mommy Porn pour mieux les égratigner. Impossible en effet de prendre au sérieux le délire du fumeux Cornélius Maxwell, expert implacable de l’anatomie féminine et de ses secrets se muant en terroriste psychopathe assoiffé d’argent et de pouvoir. Un maître de l’univers gagnant ses galons en fournissant aux femmes la drogue la plus dure jamais mise sur le marché, une dépendance à l’orgasme provoquée et entretenue par ses sextoys tous plus diaboliques les uns que les autres. L’histoire en elle-même est totalement déjantée, comme tous les personnages d’ailleurs (avec une mention spéciale pour Baba Barbe-Grise, prêtresse de la jouissance féminine vivant depuis deux cents ans recluse dans une grotte du fin fond de l’Himalaya et épuisant tous les disciples qui ont osé se frotter à son savoir).

Le risque quand on se lance dans un projet aussi parodique, c’est de rapidement tourner en rond et de finir par tourner à vide. Or ici, ce n’est jamais le cas. D’abord parce que c’est drôle et ensuite parce que Palahniuk ne se contente pas de se foutre de la mode érotico-porno actuelle. Son roman est aussi (et surtout) une satire sociale dénonçant la quête effrénée du plaisir entretenue par une industrie et des médias aux vues purement mercantiles. La réflexion sur la manipulation des masses est aussi très présente et on sent le plaisir qu’a eu l’auteur à mettre en scène puis dézinguer quelques travers très actuels de notre société.

Un pari compliqué mais parfaitement réussi. Le sens de l’hyperbole de l’auteur de Fight Club conjugué à son sens de l’ironie mordante offre au final un pastiche à l’absurdité jouissive. Tout ce que j’aime.


Orgasme de Chuck Palahniuk. Sonatine, 2016. 260 pages. 18,00 euros.


Un orgasme que j'ai le plaisir de partager avec Noukette (si, si !!!).








lundi 4 avril 2016

Mémoire de fille - Annie Ernaux

Annie Duchesne a 18 ans en 1958, l’année du retour du général De Gaulle et des événements d’Algérie. Une année où Annie a passé l’été comme monitrice de colo à S, dans l’Orne. L'été des premières fois pour cette enfant unique couvée par une mère surprotectrice. « Elle ne sait pas téléphoner, n’a jamais pris de douche ni de bain. Elle n’a aucune pratique d’autres milieux que le sien, populaire d’origine paysanne, catholique ».

Cet été-là, elle goûte pour la première fois à la liberté, loin de l’épicerie familiale d’Yvetot qu’elle n’avait jamais quittée. Première expérience professionnelle, première nuit avec un homme, première découverte de la sexualité, première désillusion amoureuse. Cataloguée « fille facile » par les autres moniteurs, elle devient l’objet de mépris et de dérision. L’année suivante, elle obtient le bac avec mention, entre à l’école normale, devient institutrice, se rend compte qu’elle n’est pas faite pour ce métier et en démissionne rapidement. Suivront un séjour au pair de six mois à Londres et une entrée à la fac…

Annie Ernaux est le seul auteur d’autofiction que j’apprécie. Sans doute parce qu’elle revendique le fait de ne pas écrire de la fiction : « Je ne construis pas un personnage de fiction, je déconstruis la fille que j’ai été ». Depuis toujours elle lie autobiographie, sociologie et regard historique sur la France de l’après guerre avec au cœur de sa réflexion le fameux « transfuge de classe », ce passage d’un milieu social à un autre. Un milieu d’origine auquel, quoi que l’on fasse, on n’échappe jamais tout à fait.

Ici, elle alterne le « je » d’aujourd’hui et le « elle » d’hier. Elle observe cette «  fille de 58 » avec distance, sans jugement, sans explication, s’appliquant à restituer le plus fidèlement possible les sensations physiques et les questionnements d’une jeune fille de l’époque. Une jeune fille en construction, un peu perdue, dont elle va commencer à faire « un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elle devaient être écrites un jour ».

L’écriture est sèche, dépouillée de métaphores ou de toute autre figure de style. La sincérité de la démarche se suffit à elle-même pour créer l’émotion et rendre fascinante cette introspection où se mélangent le temps, la vie, le chemin parcouru. Au final, Annie Ernaux parvient à « explorer le gouffre entre l’effarante réalité de ce qui arrive, au moment où ça arrive et l’étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé ». Pour comprendre comment celle qu’elle a été peut encore et toujours faire irruption dans celle qu’elle est aujourd'hui.

Mémoire de fille d’Annie Ernaux. Gallimard, 2016. 150 pages. 15,00 euros.








samedi 2 avril 2016

Koko au pays des Toutous - Jean-Benoît Meybeck

Koko vit au pays des cabots. C’est un beau pays mais on n’y trouve plus un os à ronger. Alors Koko doit se résoudre à rejoindre le pays des toutous, qui semble être le paradis sur terre. Sa famille l’aide à réunir le nombre d’os nécessaire pour financer le voyage. Commence alors un long périple à travers le désert puis sur les mers, dans des conditions terribles. Suite à un naufrage, Koko et ses compagnons d’infortune sont sauvés par des toutous policiers qui, après les avoir ramenés à terre, les mettent derrière les barreaux. Koko est finalement relâché mais on lui ordonne de retourner chez lui car chez les toutous, on ne veut pas de chiens errants. Koko voulant à tout prix rester dans le pays où il vient d’arriver, il doit se résoudre à vivre dans la clandestinité, dormant dans les égouts et se nourrissant dans les poubelles en attendant des jours meilleurs…

Un album surprenant, qui explique avec une facilité déconcertante le parcours des migrants aux enfants dès 3-4 ans. L’accompagnement de l’adulte est évidemment nécessaire si l’on souhaite faire le parallèle entre la situation de Koko et celle des réfugiés, mais même sans cette médiation, l’injustice subie par le pauvre chien sautera d’elle-même aux yeux des bouts de chou et ne pourra que susciter indignation et interrogation.

Texte court, illustrations simples dont le minimalisme permet d’aller à l’essentiel, l’effort de clarté recherché dans la narration est louable et parfaitement atteint. Un album forcément engagé, publié avec le soutien d’Amnesty International, qui offre une démonstration limpide du calvaire enduré par ceux qui doivent tout quitter parce qu’ils n’ont plus le choix et rêvent d’un ailleurs où la vie serait plus belle. L’outil idéal pour expliquer, interpeller et faire réagir, pour montrer le monde tel qu’il est, avec intelligence et finesse, sans la moindre surenchère traumatisante. A recommander plus que chaudement !


Koko au pays des Toutous de Jean-Benoît Meybeck. Des ronds de l’O, 2016. 40 pages. 10,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.






vendredi 1 avril 2016

Mailloux - Hervé Bouchard

Pas facile l’enfance québécoise de Jacques Mailloux. Une mère insensible, un père qui rentre de l’usine pour s’abrutir en tétant la bouteille et ne lésine pas sur les taloches, des copains moqueurs. Mailloux pisse au lit, c’est plus fort que lui. Plutôt que de l’aider, ses parents l’enfoncent dans la honte. En courts chapitres, on suit les traces d’un gamin plutôt solitaire, en butte à l’indifférence des adultes, mais qui ne se plaint pas plus que cela de son sort. Un gamin davantage dans l’observation que dans l’analyse, un gamin qui se dit que les choses sont comme elles sont, faisons avec. Par moment surgissent des épisodes plus  optimistes, soulignant le poids de l’amitié. Il y a dans ce roman une forme de brutalité, de sauvagerie et d’autodérision qui aurait dû me plaire. Sauf que ça n’a pas été le cas. Du tout.

Un abandon, très longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Je n’aime pas me battre avec un texte. J’aime qu’il me résiste si cette résistance finit par céder et devient source de plaisir. Ici, la lecture a été laborieuse, tellement laborieuse que je me suis arrêté après cent pages (sur 150). En cause, la langue. Une langue inventée, changeante, d’une telle liberté qu’elle m’est apparue incontrôlable et que je m’en suis lassée.

Exemples : 



Et tout n’est pas du même tonneau. On peut attaquer un chapitre d’une écriture fluide et parfaitement compréhensible et se retrouver derrière avec un phrasé digne des prédictions de Nostradamus. J’admire la prise de risque et le culot d’Hervé Bouchard mais à la longue, ça m’a fatigué. Et cette focalisation sur la forme, cette espèce de pénibilité, a plombé ma lecture, m’a éloigné du fond, m’empêchant de ressentir la moindre émotion envers ce pauvre Mailloux. 

Un rendez-vous manqué donc. Impossible pour autant de ne pas reconnaître les qualités d’un ouvrage publié au Québec en 2002 et régulièrement réédité depuis. Le fait est qu’Hervé Bouchard possède une vraie plume, déstabilisante certes, mais avec une incontestable identité. Pas une écriture prétentieuse ou boursouflée à la manière de, juste une écriture à laquelle je n'ai pas adhéré. Et pour le coup je le regrette sincèrement, mais ce n’est pas la peine de faire semblant, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas (je déteste simuler).

Mailloux d’Hervé Bouchard. Le Nouvel Attila, 2016. 158 pages. 18,00 euros.