jeudi 24 mars 2016

Blitz - David Trueba

 « Tout se finit mal, c’est une condition inhérente au fait d’être vivant » (punaise que je kiffe cette citation !)

Alors qu’il se trouve à Munich pour participer à une convention d’architectes paysagistes, Beto, arrivé la veille de Madrid avec sa femme Marta, reçoit de cette dernière un SMS qui ne lui est pas destiné. « Le message disait : Je ne lui ai encore rien dit. C’est si difficile. Pff. Je t’aime ».  Foudroyé par ce coup du sort inattendu, il décide de rester quelques jours en Allemagne, laissant son ex-compagne rentrer seule en Espagne. Déprimé, perdu, sans argent, il est recueilli par Helga, son interprète. Au lieu de passer la nuit à l’hôtel, elle lui propose sa chambre d’amis. Après quelques verres, ils finissent au lit. Problème, Helga a 63 ans et pourrait être sa mère…

« La nudité, isolée du désir sexuel, renvoie toujours à la froideur anatomique de la médecine légale. Elle avait les seins et les fesses qui ballotaient, ainsi que les cuisses et les bras décharnés, les cheveux en bataille, le visage de femme vieillissante. Ce n’était ni laid ni désagréable mais quelque chose en moi éprouva comme un malaise, presque inévitablement. J’avais baisé une vieille allemande. Je fus submergé par une vague de honte que je ne savais pas esquiver. »

Franchement, je l’ai adoré ce Beto ! Pensez donc, un pauvre gars plaqué par sa femme qui lui préfère « un chanteur uruguayen ». Un type lâche, faible, incapable d’assumer, de faire face, de se prendre en main. Un mec qui se ridiculise en public, qui jette ses principes aux orties après trois verres dans le nez, qui cède à la tentation dès que l’occasion se présente alors qu’il devrait être au trente-sixième dessous. Et tout ça en nous faisant marrer malgré lui, avec une sorte d’autodérision maladroite qui éloigne tout cynisme et toute geignardise. Et Helga est géniale aussi. Pas orgueilleuse pour deux sous, sans illusion, consciente que cette aventure d’un soir n’a pu avoir lieu que grâce à l’alcool, et lui lâchant le lendemain de leurs galipettes : « J’imagine que tu pourras classer ce qui s’est passé cette nuit dans le musée des horreurs de ta vie, vraiment. »

En filigrane, David Trueba dresse le portrait d’une jeunesse espagnole à la dérive, frappée de plein fouet par la crise. Beto imagine des projets de jardins qu’aucune commune ne peut plus financer et qui ne verront donc jamais le jour, mais il le fait avec passion parce qu’il a « toujours aimé avoir un métier inutile ». C’est à la fois tragique, désenchanté, drôle et touchant.

Seul reproche, le roman, présenté comme un journal intime censé couvrir une année de la vie de Beto, souffre d’un flagrant déséquilibre. Le mois de janvier, celui où se déroule le congrès de Munich, occupe 125 des 160 pages. Les onze autres mois sont balayés bien trop rapidement, c’est franchement dommage.

Reste que j’ai beaucoup apprécié découvrir cet auteur, ses personnages attachants malgré leurs nombreux défauts (ou plutôt grâce à leurs nombreux défauts) et cette écriture à la fois très psychologique et très visuelle (David Trueba est aussi scénariste et réalisateur, cela se ressent dans sa narration). Une belle surprise !

Blitz de David Trueba (traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet). Flammarion, 2016. 166 pages. 18,00 euros.










mercredi 23 mars 2016

Les contes de la ruelle - Nie Jun

Dans un quartier paisible du vieux Pékin vivent Dubao et Yu’er, une petite fille infirme qu’il a adoptée. Le vieil homme, affectueux et tout en rondeurs, déborde d’amour et d’imagination, cherchant en permanence à illuminer la vie de la fillette. Quatre récits composent l’album. Dans le premier, alors que Yu’er se rêve en championne paralympique de natation, son grand-père lui invente un ingénieux système d’entraînement à la fois sans eau et « dans les airs ».  Dans les autres, il est question d’insectes musiciens, d’apprentissage du dessin ou encore d’une lettre à l’absente.

Qu’il est bon de se plonger dans cet univers aux accents parfois féériques où se conjuguent tendresse et optimisme. La relation de ce grand-père et de sa petite fille m’a rappelé non sans émotion la série Jojo du regretté André Geerts. Les récits sont rythmés par de fréquentes incursions dans un registre merveilleux et onirique empreint d’une bonne dose de poésie. Dans cette ruelle aux vieilles maisons et  aux cours ombragées où l’on prend le temps de faire la sieste, où on circule à vélo et où on explore des terrains vagues aux décors champêtres, l’ambiance est paisible, les rapports humains chaleureux. Ça pourrait vite tourner au cucul mais ce n’est jamais le cas, en grande partie grâce à la malice, la bonne humeur et la joie de vivre pétillante des différents personnages.

Le dessin à l’aquarelle de Nie Jun, sensible et lumineux, mélangeant les influences asiatiques et européennes, est, je trouve, dans la même veine que celui de Golo Zhao (La balade de Yaya). Son découplage simple et efficace, privilégiant les grandes cases, invite le regard à s’attarder sur les moindres détails.

Entre rêve et réalité, ces Contes de la ruelle proposent une échappée tout en douceur et en délicatesse, idéale pour s’évader quelques instants du quotidien et d’une actualité pour le moins sordide.

Les contes de la ruelle de Nie Jun. Gallimard, 2016. 128 pages. 18,00 euros.



Une jolie petite parenthèse enchantée dans laquelle j'ai eu le plaisir de m'isoler avec Noukette.








mardi 22 mars 2016

Le sorcier vert - Valentine Goby et Muriel Kerba

Longtemps que je n’avais pas parlé de Valentine Goby, trop longtemps (au moins deux mois). Avec certains auteurs (enfin surtout avec elle), je tombe sous le charme à chaque fois. D’ailleurs, si elle écrivait un jour sur la reproduction des gastéropodes en milieu hostile, je suis certain que je me passionnerais pour le sujet. Ici, point de gastéropodes mais des arbres et des hommes. Une forêt qui renaît après sa disparation, un message d’espoir et une histoire vraie.

La collection « Les décadrés », que j’ai découverte avec l’album Hors piste, propose une forme de création très particulière. L’écrivain reçoit une série d’images et les organise comme il le souhaite pour les mettre au service de son histoire. Ici, avec les illustrations très végétales à base de collages de Muriel Kerba, Valentine Goby a voulu raconter « l’extraordinaire défi relevé par le photojournaliste Sebastiao Salgado : replanter la forêt atlantique brésilienne dévastée par la sécheresse et la négligence des hommes ».

Un hommage à ce grand monsieur qui, revenant sur les terres de son enfance et constatant la disparition de la forêt  où il a grandi, décide de la replanter avec l’aide des rares habitants qui n’ont pas déserté les lieux. Un projet pharaonique totalement fou qui aboutira, après quinze années de labeur, d’échecs et de persévérance, à la résurrection de trois millions d’arbres et d’un écosystème qui avait totalement disparu à cause de l’intervention humaine. Où comment Sebastiao Salgado est devenu le sorcier vert…

Un conte écologique au message très positif montrant que la déforestation n’est pas une fatalité et qu’avec une volonté à toute épreuve, il est possible de renverser des montagnes. Le texte est évidemment superbe (comment ça je ne suis pas objectif) et les illustrations sont autant de tableaux mêlant le pastel gras, les crayons ou l’acrylique à différents types de papiers. Un travail d’artisan 100% fait main, d’où surgissent des couleurs, des formes et des textures aussi variées que surprenantes.

Il est splendide cet album, vraiment splendide. Et moi, quand Valentine Goby me parle des « branches d’un jequitiba », de « pau-Brasil à l’écorce de soie », de « bouquets de flor-do-beijo vernissées comme des bouches de femmes », de « caïmans au ventre d’or » ou de « félins dont les yeux luisent comme des gemmes », et bien je fonds, c’est aussi simple que ça (oui, je sais, il ne me faut pas grand chose et je suis faible, mais j'assume).

Le sorcier vert de Valentine Goby et Muriel Kerba. Thierry Magnier, 2016. 40 pages. 16,50 euros.


Une pépite jeunesse que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.










lundi 21 mars 2016

Ne m’appelez plus chouchou ! - Sean Taylor et Kate Hindley

Il en a ras le bol, le chienchien à sa mémère. Sous prétexte qu’il est tout petit et tout mignon, sa maîtresse lui donne du chouchou à tour de bras, le pomponne comme un chien de concours ridicule, l’attife d’un nœud papillon rose et lui propose à manger des croquettes en forme de cœur. Chouchou n’en peut plus, il voit bien les moqueries dans le regard de ses congénères croisés dans la rue. Au parc, c’est encore pire. Entre Bandit le gros chien, Roublard le chien rusé et chef le chien policier, chouchou est certain qu’avec ses airs de petite chose fragile, ils ne feront pas cas de lui. Mais il se trompe… Et au final, en entendant leurs maîtresses respectives les appeler, il se dit que quelle que soit sa taille, un chien est toujours affublé d’un surnom grotesque. « C’est comme ça, on n’y peut rien ».

Un album drôle et coloré aux illustrations trop choupi (mais ne le dites pas à chouchou, ça va l’énerver !). Ce petit chien qui ne veut pas passer pour un cabotin n’a pas sa langue dans sa poche. Son courroux déclenche des sourires et ses réactions scandalisées, même si elles semblent justifiées, n’incitent pas pour autant le lecteur à s’apitoyer sur son sort. Chouchou fait la gueule et ça nous fait rire, « C’est comme ça, on n’y peut rien ».

Un vrai bonbon cet album. Le ton et les illustrations se complètent à merveille et offrent un moment de lecture des plus agréables à partager en famille.

Ne m’appelez plus chouchou ! de Sean Taylor et Kate Hindley. Urban Comics, 2016. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 4 ans.





vendredi 18 mars 2016

Magic Time - Doug Marlette

Voila, c’est fait, j’ai lu mon pavé de l’année. 670 pages avalées d’une traite, cul sec.

Doug Marlette, prix Pulitzer pour ses dessins de presse, est mort dans un accident de voiture en 2007. Magic Time, son second et dernier roman, date de 2006 et s’ouvre au début des années 90 au moment où le journaliste Carter Ransom, en pleine dépression, quitte New-York et retourne auprès des siens dans sa ville natale de Troy, au fin fond du Mississipi. Il y retrouve ses amis d’enfance quelques semaines avant la réouverture d’un procès ayant marqué la région vingt-cinq ans plus tôt. En 1965, tandis que la lutte pour les droits civiques prenait une ampleur phénoménale, le Ku Klux Klan avait incendié une église et tué quatre personnes dont Sarah, la fiancée de Carter. A l’époque son père, juge respecté pour sa probité, avait conduit le premier procès qui s’était conclu sur la condamnation de deux membres du Klan. Alors que de nouveaux éléments devant permettre l’implication du réel commanditaire du crime sont apparus et que l’affaire va être à nouveau jugée, Carter s’apprête à revivre l’épisode le plus douloureux de sa jeunesse.

Un roman addictif à la construction très maline. Marlette alterne les épisodes entre 1965 et 1990, permettant de plonger le lecteur au cœur des événements tragiques d’une époque où une certaine Amérique xénophobe et violente ne pouvait accepter une quelconque émancipation des noirs. Il montre sans jugement un racisme atavique dû à des habitudes ancestrales où même les blancs les plus modérés voient dans les militants des droits civiques des agitateurs venus troublés la quiétude d’un sud profond où il ne semble à personne nécessaire de faire bouger les lignes. On découvre aussi que les activistes, blancs ou noirs, pour la plupart venus du nord, étaient partagés entre les partisans de la non-violence et ceux prônant une action beaucoup plus véhémente.

Même si  le nombre important de personnages implique de garder une attention constante pour ne pas perdre le fil, cette immersion extrêmement documentée et précise au cœur de l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire américaine se révèle passionnante. Quelques bémols néanmoins, notamment une histoire d’amour bien trop romanesque pour moi et surtout un épilogue accumulant les « happy end » tellement sirupeux que j’ai tourné la dernière page avec les doigts collants. Il n’empêche, ce Magic Time vaut vraiment le détour. De toute façon, pour que je m’enfile un pavé aussi vite, il faut qu’il me plaise sacrément !  

Magic Time de Doug Marlette. Cherche Midi, 2016. 670 pages. 22,00 euros.

Les avis de Kathel et Léa

Et un grand merci à Solène pour ce cadeau d'anniversaire inattendu.













mercredi 16 mars 2016

Les poilus T1 : frisent le burn-out - Guillaume Bouzard

Depuis Tardi, il semblait difficile voire impossible pour les auteurs de BD d’aborder la première guerre mondiale. Mais depuis quelques années l’étau s’est desserré et beaucoup se sont affranchis de l’ombre tutélaire de l’auteur de « C’était la guerre des tranchées » pour se lancer et traiter le sujet. Pour autant, aucun avant Bouzard ne s’était écarté du registre dramatique pour s’aventurer du coté de l’humour. Rire des poilus ou avec eux ? Mission impossible à première vue. Et pourtant…

Les poilus de Bouzard jouent au rugby avec des grenades, creusent des tunnels pour découvrir le trésor des templiers, tombent sur un mexicain basané au détour d’une tranchée ou sont aidés dans leur progression par des guerriers navajos. Ridicule ? Ça devrait l’être oui. Complètement con même, n’ayons pas peur des mots. Et pourtant ça ne l’est pas. Parce que cette déclinaison de récits courts et le plus souvent absurdes finit par prendre sens malgré les anachronismes et le manque évident de crédibilité historique. Car quoi de plus absurde que cette infernale boucherie de 14-18 ? Quoi de plus absurde que la guerre tout court ? De ce grand n’importe quoi émerge donc une prise de position pacifiste clamée avec un humour très particulier. Et ça fonctionne.

Bien sûr, les poilus sont tous ici un peu crétins, c’est ce qui fait leur charme d’ailleurs. Mais à travers ces portraits grinçants et sans avoir l’air d’y toucher, Bouzard dit les officiers belliqueux aux ambitions aussi ridicules que suicidaires pour leurs troupes, il dit les petites lâchetés bien compréhensibles de ces soldats qui n’ont rien de héros mais restent avant tout des hommes. Il alterne le délire, une certaine forme de légèreté et des moments plus graves, notamment les épisodes où le troufion Pierre écrit à sa chère Suzanne. En fil rouge de l’album, on suit la disparition progressive de la population d’un village de province dont les forces vives envoyées au front sont peu à peu décimées. Et quand le seul rescapé, blessé, retourne sur ces terres, les aïeux règlent vite son cas :

- Hé bé, il en reviendra au moins ! 
- Oui, et c’est pas le meilleur.
- Ah, c’est sûr que c’est pas avec ça que le village va se repeupler.

Décalé, irrévérencieux, engagé, drôle et sacrément casse-gueule. Autant vous dire que j’ai apprécié cet album inclassable qui, je l’avoue sans honte, m’a pris par surprise alors que je me réjouissais avant le coup de le descendre en flèche. Comme quoi.

Les poilus frisent le burn-out de Guillaume Bouzard. Fluide Glacial, 2016. 48 pages. 10,95 euros.



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mardi 15 mars 2016

Dragon de glace - George R.R. Martin

Aujourd’hui Noukette et moi avons décidé de changer d’air, de nous écarter des thématiques très actuelles ancrées dans les soucis propres à l’adolescence pour nous plonger dans un conte signé par l’auteur de Game of Thrones et publié pour la première fois en 1980. Nous voila donc partis pour un royaume peuplé de dragons où les conditions de vie sont rudes et où la guerre fait rage.

Adara est une enfant de l’hiver, née « durant le pire gel dont quiconque se souvenait ». Sa mère mourut en la mettant au monde. La fillette avait « la peau bleue pâle et glacée à la naissance et ne s’était jamais réchauffée depuis lors malgré les années ». L’histoire raconte comment Adara rencontra un dragon de glace, le dompta, le chevaucha et affronta l’armée ennemie envahissant les terres de sa famille.

Un petit ouvrage qui a tout pour plaire aux enfants auxquels il s’adresse. Chaque épisode du récit (du quotidien à la ferme à l’exode des populations fuyant les combats, des chevauchées à dos de dragons aux affrontements épiques en plein cieux) est décrit avec une minutie et une force d’évocation qui emportera à coup sûr l’adhésion du lecteur. L’objet-livre en lui-même est somptueux, magnifié par les illustrations tout en nuances de bleu et de gris de l’artiste espagnol Luis Royo.

Métaphore du passage à l’âge adulte, ce conte initiatique à l’écriture des plus classiques (la concordance des temps passé simple/imparfait est un modèle du genre) sera idéal pour les jeunes lecteurs désirant découvrir la fantasy en douceur avec un texte de qualité.

Dragon de glace de George R.R. Martin (ill. Luis Royo). Flammarion, 2015. 116 pages. 12,90 euros. A partir de 8 ans.


Une lecture jeunesse que je partage une fois de plus avec ma complice préférée.










lundi 14 mars 2016

Avant l’apocalypse - Adèle Bourget-Godbout et Réal Godbout

Que seraient devenus les dinosaures s’ils ne s’étaient pas éteints ? Le québécois Réal Godbout et sa fille Adèle répondent à la question avec malice et imagination, nous transportant dans un univers peuplé de dinos humanisés évoluant dans un décor fortement inspiré du début du 20ème siècle. La société de l’époque nous est présentée à travers les yeux d’une petite fille dinosaure  s’interrogeant sur le monde qui l’entoure. Entre observation du quotidien et réflexions très personnelles, la fillette  porte un regard à la fois naïf et pertinent sur la vie et les autres.

Un album splendide, graphiquement très travaillé. Chaque illustration pleine page aborde une thématique différente, comme autant de tableaux fourmillant de détails. Le format XXL permet d’en prendre plein les yeux et la double-page centrale sous forme de planisphère vaut à elle seule le détour.

Coté texte, les cartouches de quelques lignes en bas de page rappellent le ton enfantin du journal intime. La narratrice observe, interroge, rêve. Elle parle de la vie, de la mort, de Dieu, elle constate l’industrialisation de la société et l’essor des loisirs, découvre les grèves, l’arrivée de migrants, les vacances au bord de mer… c’est à la fois frais, léger et profond, finalement typique des réflexions que peut se faire une petite fille en train de grandir.

Un ouvrage superbe d’inventivité, audacieux et décalé au propos d’une grande finesse. Aussi réjouissant qu’original.

Avant l’apocalypse d’Adèle Bourget-Godbout et Réal Godbout. Marmaille et compagnie, 2016. 70 pages. 16,00 euros. A partir de 8 ans.







vendredi 11 mars 2016

Zaï zaï zaï zaï - Fabcaro

Quel couillon ce Fabrice ! Dessinateur de BD de son état, il s’est rendu compte en arrivant à la caisse de son supermarché qu’il avait oublié sa carte de fidélité. Une erreur impardonnable qui lui vaut une interpellation en bonne et due forme par le vigile. Menaçant ce dernier avec un poireau, il parvient à s’échapper in extremis. Commence alors pour lui une longue cavale avec, aux trousses, tous les flics et les médias du pays…

De l’or en barre cet album complètement déjanté au titre rendant un vibrant hommage à notre Joe Dassin national. Loufoque, absurde, fonctionnant sur le décalage permanent et drôlissime entre l’image et les dialogues, c’est simple, on se bidonne de la première à la dernière page. Et on déguste en arrière plan la critique sociale grinçante où tout le monde en prend pour son garde, des piliers de comptoirs complotistes aux forces de l’ordre décérébrées en passant par les journalistes apôtres de la non-information en continu, le tout saupoudré d’une bonne dose d’autodérision (l’auteur de BD ce parasite, ce nuisible, ce marginal…). En fait, le non sens poussé à ce point en deviendrait presque poétique par moments.

Honnêtement, je ne suis pas fan du dessin, qui me rappelle trop ce trait de Bastien Vivès avec lequel j’ai beaucoup de mal. Par contre le découpage en séquences d’une à deux pages donne un rythme parfait à la lecture et la bichromie de noir et brun délavé tirant sur le caca d’oie souligne à merveille la médiocrité ambiante.

Un album pour se détendre les zygomatiques, il serait stupide de ne pas en profiter, surtout par les temps qui courent. Et au-delà de l’humour « intelligemment absurde », la peinture de notre société et de ses nombreux travers fait mouche, sans manichéisme, sans que Fabcaro ait besoin d’enfiler le costume du donneur de leçon. Un régal, ni plus ni moins !

Zaï zaï zaï zaï de Fabcaro. Six pieds sous terre, 2015. 70 pages.


Un grand merci à Framboise pour ce bien joli cadeau ramené tout droit d'Angoulême !


Les avis de LunchLuocine, Mo, Noukette, SabineYvan








mercredi 9 mars 2016

Apache - Alex W. Inker

Paris, années 20. Dans un troquet désert, le patron tatoué et édenté attend le client. Un rupin adipeux entre en râlant parce que sa traction est tombée en rade alors qu’il se rendait aux courses. La jeune métisse qui l’accompagne ne pense qu’à se rincer le gosier et faire du gringue au tatoué. Quand le rupin fait un malaise et que son chauffeur débarque pour annoncer que la bagnole est réparée, l’atmosphère s’alourdit et la situation prend une drôle de tournure.

Ici, les julots ne se séparent jamais de leur pouliche, sauf pour les laisser michetonner. Ici, on ouvre grand ses esgourdes, on règle les problèmes à coups de surin, on extrait les ratiches à la pince monseigneur, on rêve d’ouvrir un claque avec le pèze gagné en sales combines…

Pour faire simple, tout m’a plu dans cet album. J’ai adoré ce Paris des années 20, l’univers des voyous de la Belle Époque, ces durs à cuire revenus de Cayenne et des Bat d’Af (bataillons disciplinaires d’Afrique du nord), la poulette qui n’a pas froid aux yeux et les dialogues fleuris plein d’argot. Sans parler de la tension sexuelle montant crescendo, des entourloupes et de l’appât du gain comme cause commune, d’une sombre histoire de vengeance, d’un flashback dans les tranchées, de trajectoires pas très nettes où se mêlent amour et trahison, etc.

Dis comme ça, ça peut paraître un peu fouillis mais au final la narration est limpide : quatre personnages pour un huis clos poisseux où chacun semble jouer carte sur table mais ne pense en fait qu’à sa pomme.

Alex W. Inker signe un premier album plein d’audace et de maîtrise. Son univers graphique rend hommage au dessin de l’entre deux-guerres (les Pieds Nickelés apparaissent d’ailleurs au détour d’une case) grâce à l’utilisation d’une bichromie noire et rouge en trame du plus bel effet. L’objet-livre en lui-même est superbe, un pavé à l’italienne au cartonnage épais fleurant bon l’encre comme les ouvrages d’antan.

Je le reconnais, au vu du sujet et de son traitement, ce ne sera pas l'album de tout le monde. Mais si vous cherchez de la nouveauté en BD, de la nouveauté de qualité fignolée avec amour, application et talent, je vous le recommande chaudement.

Apache d’Alex W. Inker. Sarbacane, 2016. 125 pages. 22,50 euros.