vendredi 22 janvier 2016

La patience des buffles sous la pluie - David Thomas

Mes filles et leurs copines jouent en ce moment à la roulette russe avec des bonbons très particuliers. Je ne sais pas si vous connaissez le principe mais dans un même paquet, des bonbons de couleur identique cachent des goûts très différents comme par exemple noix de coco ou lingette, pêche ou vomi, poire ou crotte de nez, j’en passe et des meilleurs. On choisit donc au hasard avec une chance sur deux de tomber sur un truc infect. Fou rire assuré ! Et bien je trouve que c’est un peu la même chose avec les nouvelles (le fou rire en moins). Et davantage encore avec les micro-nouvelles, où l’on sait en quelques lignes si l’on est tombé sur une bonne ou une mauvaise pioche.

Avec David Thomas, maître ès micro-nouvelles, il n’y a aucune mauvaise surprise à attendre, chacun de ses textes étant divinement savoureux. J’avais déjà eu l’occasion de m’en rendre compte avec « On ne va passe se raconter d’histoire », j’en ai eu la confirmation avec ce petit recueil qui est en fait sa première publication. Dans un genre différent, Thomas me fait le même effet qu’Etgar Keret, une délicieuse sensation difficilement explicable. D’ailleurs, comme pour Keret, je me dis que j’adorerais écrire comme lui. Et avoir ce sens de l’oralité au rythme très littéraire, cette dérision, cette acidité mordante alliée à un humour aigre-doux, cette lucidité sur la vie et ses travers, cette ironie ne s’abaissant jamais au cynisme, cet art de la chute.

Au fil de ces soixante-treize textes brefs, il dresse des portraits d'hommes et de femmes aux vies ordinaires en prise avec leurs doutes, leurs convictions, leurs failles, leurs forces et leurs petitesses. Des petits riens : des lâchetés, des regrets, des mesquineries, des chamailleries de couples usés par le temps et le quotidien, des reproches que l’on se jette au visage sans prendre de gant, de la mauvaise foi. Des petits riens qui pourraient sans problèmes être les nôtres (les miens en tout cas). Mais tout cela reste incroyablement vivifiant, furieusement drôle et merveilleusement écrit.

« La patience des buffles sous la pluie fait partie de ces livres à la fois formidablement simples et sobrement raffinés qui nous rendent intelligibles à nous-mêmes, qui nous rattachent les uns aux autres, nous donnent envie de tenir debout et de nous ancrer encore plus profondément dans cette étrange activité suicidaire qu’est la vie. » Je ne pourrais jamais dire les choses mieux que Jean-Paul Dubois.

La patience des buffles sous la pluie de David Thomas. Le livre de poche, 2011. 155 pages.

Un lecture commune avec Noukette qui me tenait à cœur. Parce que ce vendredi est un peu particulier pour moi et surtout parce que c’est elle qui m’a offert ce livre à l’occasion d’une journée mémorable en sa compagnie dont je ne vous donnerais évidemment aucun détail.

Extraits :

Slip

Tu sais quoi ? Je crois qu'il va falloir inventer une façon plus sexy de mettre son slip. Parce que de te voir tous les matins plié en deux, les bras qui pendouillent et les jambes qui visent le trou, franchement, ça va pas. ça colle pas avec ton image d'homme élégant. ça casse quelque chose. Alors, je sais pas, débrouille-toi comme tu veux mais trouve une autre façon d'enfiler ton slip.

(Ma femme aurait pu écrire ce texte !!!!!)  
Passé

Pour la première fois de ma vie mon passé me surprend. J'ai envie de parler en silence. De me parler. J'ai envie que ce jeune type qui ne sait pas ce qui l'attend mais qui porte son sourire comme un laisser-passer s'avance vers moi. J'aimerais le voir arriver vers moi avec mes vingt ans de moins, s'asseoir à mes côtés, me sourire timidement, mettre ses mains dans ses poches et garder le silence. J'aimerais que ce jeune type avec mes vingt ans de moins ne me juge pas. J'aimerais qu'il me pardonne de l'avoir trahi.

Quatorze fois

Tu me fais un petit bisou ? On va se prendre un petit café ? Je fume une petite clope et on y va. Si on se faisait un petit ciné ce soir ? Ou alors on reste tranquilles avec un bon petit bouquin. Devant un petit feu... Tu sais ce qui me ferait plaisir pour les vacances ? C'est un petit voyage en Italie. T'as vu mon petit haut ? Je vais te faire une petite pipe. T'as un petit air bizarre...
En dix minutes, elle a trouvé le moyen de dire petit au moins quatorze fois. Quelque chose me dit que je ne vais rien vivre de grand avec cette fille.




jeudi 21 janvier 2016

Banquises - Valentine Goby

En 1982, Sarah, 22 ans, prend un avion à destination du Groenland. Sa famille ne la reverra jamais. Une disparition aussi soudaine qu’inexplicable laissant son père, sa mère et sa jeune sœur Lisa totalement dévastés par le chagrin. Après la stupeur vient le temps de l’incompréhension. La police penche clairement pour une disparition volontaire et refuse de lancer des recherches puisque Sarah était majeure. Le détective privé engagé par les parents ne trouve rien de concret, les mois, les années passent, et l’absence reste impossible à combler. Lisa n’était qu’une ado à l’époque des faits. Vingt-sept ans plus tard, elle décide de partir sur les traces de sa grande sœur et embarque à son tour pour le Groenland.

Vous le savez si vous passez régulièrement par ici, entre Valentine Goby et moi, il se passe un truc (même si je doute fortement qu’elle soit au courant, mais c’est un détail). Déjà, elle est charmante (un autre détail me direz-vous, n’empêche, c’est un petit plus non négligeable). Ensuite, pour avoir eu la chance de discuter longuement avec elle et pour l’avoir vue à l’œuvre avec des élèves, elle est passionnante. Alors forcément, je ne suis pas objectif quand je parle de ses livres (Mais qui l’est, finalement ?). Il y a quelque chose dans son écriture qui m’ébranle profondément. Une question de rythme et de vocabulaire. Une précision chirurgicale alliée à un lyrisme contenu. Jamais un mot de trop, tout est gratté jusqu’à l’os. Je crois que c’est de l’ordre du sensoriel et ça ne s’explique pas.

Ici elle dit l’absence, la souffrance infinie de la perte d’un enfant dont on ne peut faire le deuil. Elle décrit un grand huit permanent fait d’espoir infime et de renoncement dans un récit tout sauf linéaire où les époques se chevauchent et les personnages s’exposent sans filtre. Dans un troublant effet de miroir, la description crépusculaire d’un Groenland en pleine déliquescence, d’une population à l’agonie, résignée devant l’inéluctable disparition de leur monde, est totalement bouleversante.

Banquises est quelque part le roman de l’effacement. Effacement progressif de toutes traces de l’absente et effacement progressif d’un territoire et de ses habitants. La langue et somptueuse, l’histoire d’une infinie tristesse. Comment vouliez-vous que j’y résiste ?

Banquises de Valentine Goby. Le livre de poche, 2013. 210 pages.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Philisine. C’est elle qui m’a offert cet exemplaire accompagnée d’une gentille dédicace de l’auteure. D’ailleurs il me semble que tous les livres de Valentine Goby trônant sur mes étagères (Kindetzimmer, La fille surexposée, Une preuve d’amour et Méduses) sont dédicacés. Que voulez-vous, on est fan ou on ne l’est pas^^





mercredi 20 janvier 2016

L’indivision - Springer et Zidrou

Virginie et Martin sont amants. Il est célibataire, elle est mariée et a deux enfants. Virginie et Martin font l’amour passionnément, follement, depuis l’adolescence. Virginie et Martin sont frère et sœur et la situation est devenue intenable, de plus en plus difficile à vivre…

On nous vante dès la couverture un amour fou. Et je me trompe peut-être, surement même, mais je n’ai pas vu d’amour. Du désir, certes. Mais de l’amour… L’attirance physique est soulignée à de nombreuses reprises, clairement montrée même. D’ailleurs cette attirance est le cœur du problème. Alors que les sentiments, l’affection ou la tendresse n’apparaissent à aucun moment. Du moins c’est l’impression que j’ai eu.

Après, j’ai apprécié que cette relation incestueuse soit exposée sans jugement. Leur passion purement charnelle est irrésistible, déraisonnable. Une forme d’addiction quasi maladive. Ou pas. Zidrou expose les faits, et c’est au lecteur de se débrouiller. Avec sa conscience, sa morale, ses limites. Une telle alchimie a-t-elle besoin d’explication ? Je ne crois pas. Il est parfois préférable de ne pas chercher à comprendre pourquoi ni comment deux personnes viennent à se désirer follement. Il est parfois préférable de se laisser porter par ses envies sans se poser de question. En tout cas c’est ce que Virginie et Martin semblaient avoir fait jusqu’au début de l’album.

Ça aurait pu être glauque. Ça aurait pu être vulgaire, racoleur, immoral, scandaleux, dégueulasse. Sauf que Zidrou est aux manettes, donc on joue les choses en finesse. Le personnage du mari cocufié par son beau frère est touchant, les rencontres entre le frère et la sœur sonnent juste, la maison de famille, souvenirs de leurs premiers ébats, que l’un veut garder et l’autre vendre, agit de façon très symbolique sur le déroulement du récit (et donne également son titre à l’album).

Le dessin de Springer, vivant, charnel, illustre à merveille un scénario qui met en scène des individus lambda aux physiques passe partout, ni gravures de mode ni cas sociaux, classes moyennes parfaitement intégrées socialement aux existences banales. En dehors d’un petit détail qui sort quand même grandement de l’ordinaire...

Un album qui dérange, forcément. Mais qui pousse également à la réflexion sans prendre partie, loin de toute apologie ou d’une dénonciation sans nuance. Du Zidrou dans le texte, ne rechignant pas à aller sur des terrains particulièrement glissants avec une sensibilité qui n’appartient qu’à lui. Du Zidrou comme je l’aime, ni plus ni moins.

L’indivision de Springer et Zidrou. Futuropolis, 2015. 64 pages. 15,00 euros.





mardi 19 janvier 2016

Des parents de rechange - Véronique Petit

Comme souvent avec des thématiques aussi « faciles », j’ai eu peur. Peur de la douche lacrymale, des torrents de larmes que l’on aurait voulu nous arracher devant la situation de ce pauvre orphelin. Parce que oui, Adam a perdu ses parents. Sa mère est morte quand il avait six ans, son père a quitté la maison quand il en avait quatre et est décédé quand il en avait dix. Placé dans plusieurs familles d’accueil, il a fini par échouer dans un foyer. Avouez qu’il y a de quoi sortir les mouchoirs !

Sauf que. Adam va se retrouver dans une situation pas banale. Particulièrement inconfortable. A cause d’un événement tragique dont il sera la source. Je ne vous en dis pas plus mais c’est finement trouvé. Et bien mené. Sans gros sabots, par petites touches successives. Adam avance vers son rêve de trouver de nouveaux parents avec plus de doutes que d’espoir. Il se sait sur la corde raide, il imagine le pire, se persuade que le bonheur va le fuir, une fois de plus.

J’ai aimé ce roman pour, entre autres, les interrogations qu’il porte. C’est quoi une famille ? Une question de sang ? Une question de nom ? Une question d’amour ? Adam pense qu’il est un garçon que l’on ne peut pas aimer parce qu’il n’est pas parfait. Entre manque de confiance en lui et expériences passées douloureuses, il avance, fragile, face à un avenir dont les contours peinent à se dessiner nettement.

Un roman intelligent, qui n’élude aucune question et propose une conclusion des plus optimistes sans tomber dans une facilité qui lui ferait perdre toute crédibilité. Parce que les jeunes lecteurs auxquels il s’adresse ont besoin de textes positifs sans être pris pour des crétins. Intelligent, quoi.

Des parents de rechange de Véronique Petit. Rageot, 2016. 125 pages. 6.10 euros. A partir de 9 ans.

Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.








lundi 18 janvier 2016

Pékin Pirate - Xu Zechen

En sortant de prison, DunHuang n’a plus un sou en poche. Sans argent, sans famille, sans point de chute, il se retrouve à la rue sans aucune perspective concrète alors qu’une tempête de sable s’abat sur Pékin. Sa rencontre avec une vendeuse de DVD pirates va quelque peu changer la donne et lui remettre le pied à l’étrier.

Il ne pouvait que me plaire ce DunHuang. J’ai un gros faible pour les marginaux, les rois de la débrouille qui tentent de garder la tête hors de l’eau alors que la situation est des plus critiques. Des héros simples mais déterminés, plein de failles, fragiles et suffisamment lucides pour ne pas passer leur vie à se plaindre. Des pauvres types qui prennent ce qui se présente au jour le jour, des types qui savent ce que le mot précarité veut dire. J’ai adoré suivre cette errance dans les bas fonds de Pékin où chacun s’en tire comme il peut en flirtant en permanence avec l’illégalité. Rien de glauque ni de particulièrement violent mais un coup de projecteur réaliste sur une face sombre du « rêve chinois ».

DunHuang a « l’impression de vivre à l’écart, en périphérie ». Clairement, ce n’est pas qu’une impression. Malgré une histoire d’amour naissante, malgré la solidarité affichée entre marginaux, la solitude transpire à chaque page et le chacun pour soi règne en maître. Surtout ne pas se poser de question, se lever chaque matin sans penser au lendemain et faire une croix sur les illusions futiles, la philosophie de ces laissés pour compte n’a rien de zen, elle tient juste du pragmatisme le plus élémentaire.

Un roman qui se dévore et laisse en bouche un petit goût d’aigre-doux. J’ai quitté à regret DunHuang, j’aurais aimé l’accompagner davantage dans sa quête d’une vie meilleure. Mais j’ai apprécié arpenter avec lui les rues de la capitale chinoise et y découvrir un microcosme assez fascinant.

Pékin Pirate de Xu Zechen. Editions Philippe Rey, 2016. 205 pages. 17,00 euros.










samedi 16 janvier 2016

Le croque lapin - Rémi Courgeon

Trévor, il inspire le respect. Pas parce que c’est un ours. Pas parce qu’il mesure deux mètre zéro neuf. Pas parce qu’il a un appétit d’ogre (d’ailleurs il est végétarien). Mais parce que dans sa poche se trouve une petite boîte d’allumettes. Et que dans cette boîte d’allumettes se cache le terrible croque lapin. Le croque lapin, personne ne l’a jamais vu. Mais tout le monde sait que c’est un monstre qui peut dévorer une douzaine de lapins d’un seul coup.  Et le seul capable de l’arrêter c’est Trévor, qui possède une autre boîte d’allumettes contenant le mange croque lapin. Trévor est donc à la fois redouté et admiré. Surtout, on lui fiche une paix royale, pour ne pas l’inciter à sortir des allumettes de sa poche !

Une réflexion espiègle sur ces craintes irraisonnées qui peuplent l’imaginaire collectif et avec lesquelles on joue à se faire peur. Le croque lapin permet aussi aux parents de menacer les enfants pas sages, ce qui peut se révéler bien pratique parfois.

Le dessin de Rémi Courgeon, sans encrage, est simple et expressif. Il s’en dégage une grande force, rehaussée par une mise en couleur couche par couche proche de la sérigraphie.

Un album rigolo qui aborde de façon originale un sujet déjà traité mille fois. Et pour rassurer les moins courageux, sachez que jamais, au grand jamais, le terrifiant croque lapin n’apparaît au détour d’une page.

Le croque lapin de Rémi Courgeon. Belin jeunesse, 2015. 40 pages. 11,90 euros. A partir de 3 ans. 

vendredi 15 janvier 2016

Le pique-nique des orphelins - Louis Erdrich

Début des années trente à Minneapolis. Jude, Karl et Mary sont abandonnés par leur mère au cours d’une fête foraine. Jude, encore nourrisson, est enlevé sur le champ de foire par un couple en mal d’enfant. Karl et Mary, âgés respectivement de 14 et 11 ans, décident de rejoindre en train Argus, dans le Dakota du Nord, où leur tante Fritzie et son époux tiennent la seule boucherie de la ville. Karl se perd en chemin et Mary est la seule à arriver à destination…

Ce second roman de Louise Erdrich, publié à l’origine en 1986 sous le titre « La branche cassée » et proposé ici dans une nouvelle traduction, est une saga familiale s’étendant sur plus de quarante ans et trois générations. Chronique plus amère que douce, Le pique-nique des orphelins met en scène une galerie de personnages ayant pour point commun d’être tous, à leur manière, plus ou moins antipathiques. Mais  finalement peu importe, le plaisir du lecteur est ailleurs, notamment dans une narration chorale à la Faulkner où se déploient, au fil des points de vue, les affres d’existences malmenées par de forts courants contraires. Des protagonistes plein de maladresse et de ressentiments, incapables d’aimer, enchaînant les rendez-vous manqués et les désillusions dans ce petit bout d’Amérique profondément rurale dont ils ne sortiront jamais.

Louise Erdrich dresse le portrait d’une famille éclatée où chacun, tout en s’accrochant aux autres, joue sa propre partition et accumule les fausses notes. Sans cynisme, avec une pointe d’humour noir, une écriture puissante et poétique, un art consommé des dialogues et de la mise en scène. Un roman ample, riche, ambitieux, violent et beau comme ces vies se déroulant de façon chaotique au fil des décennies.

Le pique-nique des orphelins de Louis Erdrich. Albin Michel, 2016. 468 pages. 24,00 euros.

jeudi 14 janvier 2016

Je lis… donc je suis…





Un petit tag qui circule depuis quelques jours. Noukette m’a demandé de m’y coller, et comme je ne peux rien lui refuser… Le principe est simple, en théorie : Répondre aux questions posées en donnant comme réponse le titre d’un livre lu l’année dernière. J’avoue, j’ai triché pour un titre, lu en 2014 et non en 2015. Mais chhhuuuttt…

Décris toi…

Comment te sens-tu ?

Décris où tu vis actuellement…

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais tu ? 

Ton moyen de transport préféré ?

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est…

Toi et tes amis vous êtes…

Comment est le temps ?

Quel est ton moment préféré de la journée ? 

Qu’est la vie pour toi ?

Ta peur ?

Quel est le conseil que tu as à donner ?

La pensée du jour…

Comment aimerais-tu mourir ?

Les conditions actuelles de ton âme ?

Ton rêve ?





mercredi 13 janvier 2016

Martin Eden d’après le roman de Jack London – Aude Samama et Denis Lapière

Martin Eden, marin des bas fonds d’Oakland, est invité à dîner par un fils de bonne famille qu’il a défendu lors d’une rixe. Il rencontre au cours de la soirée la délicate Ruth, dont il tombe éperdument amoureux. Pour s’élever socialement et briller aux yeux de sa belle, Martin décide de s’instruire par la lecture.

Autodidacte forcené, travailleur acharné, Martin devient un homme cultivé et se lance dans l’écriture. Malgré ses efforts, tous ses manuscrits sont rejetés par les éditeurs. Il finit par nouer avec Ruth une tendre et sincère relation amoureuse mais lorsqu’un journal local le présente comme un socialiste après une réunion syndicale, sa fiancée rompt les ponts définitivement. Peu après, ses écrits sont publiés et connaissent un succès phénoménal. Devenu un écrivain célèbre, Martin décide de fuir le monde et de retourner en mer…

Martin, aveuglé par l’amour, désireux d’intégrer la bourgeoisie en s’élevant culturellement, va se heurter au cloisonnement des conventions de classe. Ruth, qui soutient dans un premier temps ses tentatives d’écriture, souhaite rapidement le voir s’engager dans une direction professionnelle plus stable et surtout plus conforme aux souhaits de sa famille. Elle devient  un muse néfaste qui, par conformisme, va couper les ailes de l’artiste en devenir. Après leur séparation, Martin souffre terriblement, et au moment où ses talents sont reconnus, où il obtient ce qu’il désire et peut enfin vivre de sa plume, il ne ressent que tristesse et désillusion.

Le trait d’Aude Samama, influencé par l'expressionnisme allemand, m’a rappelé celui de Nadja (« Les filles de Montparnasse »). Son travail à la gouache offre des nuances chromatiques quasi infinies. Et même si cette représentation plus proche de la peinture que du dessin a tendance à « figer » les personnages et souffre par conséquent d’un certain manque de souplesse, cela ne nuit en rien à un récit qui reste dans l’ensemble très statique.

Une belle adaptation de ce roman du désenchantement, surement le plus autobiographique de London. Un roman qui dresse le portrait en creux d’un écrivain narcissique et idéaliste sombrant dans la dépression et l’autodestruction. L’histoire ne dégouline certes pas d’optimisme béat mais dégage une forme de beauté romantique assez fascinante.

Martin Eden d’après le roman de Jack London – Aude Samama et Denis Lapière. Futuropolis, 2016. 175 pages. 24,00 euros.



La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie




mardi 12 janvier 2016

Parole de papillon - Cécile Roumiguière

Kosovo, été 1999. Todor se cache au moment où les soldats arrivent chez lui. Son père est abattu sous ses yeux, sa mère emmenée. Le matin suivant Todor quitte son abri et part seul sur les routes afin de retrouver son grand frère dans la ville de Mitrovica. En chemin l’enfant souffre. De la fatigue, de la faim, du froid, de la soif. Il croise un casque bleu puis se joint à une colonne de réfugiés et arrive finalement dans un camp de la Croix Rouge…

Un magnifique petit roman. Cécile Roumiguière dit la guerre avec pudeur et sobriété. Elle dit l’horreur, la douleur, la tristesse, la peur et l’exil sans voyeurisme, sans tomber dans la facilité et jouer artificiellement sur la corde sensible. L’écriture se déroule avec fluidité en phrases courtes et descriptives à la force de suggestion imparable. Il se dégage au final du texte une infinie tendresse et beaucoup d’espoir.

L’auteure s’est inspirée de trois photos et du destin tragique de Todor Bogdanovic, enfant Serbe et Rom tué à la frontière franco-italienne en 1995. « J’ai écrit Parole de papillon avec l’idée absurde et vitale de réparer les tissus des histoires déchirées ». Où comment, grâce à la fiction, elle a offert à Todor l’avenir plein de promesses auquel la folie des hommes ne lui aura jamais permis d’accéder.

Parole de papillon de Cécile Roumiguière (ill. Léa Djeziri). Éditions du pourquoi pas, 2015. 64 pages. 9,50 euros. A partir de 9 ans.

Une première pépite de l'année que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette. Pas question de perdre les bonnes habitudes en 2016 !