Mes filles et leurs copines jouent en ce moment à la
roulette russe avec des bonbons très particuliers. Je ne sais pas si vous
connaissez le principe mais dans un même paquet, des bonbons de couleur
identique cachent des goûts très différents comme par exemple noix de coco ou
lingette, pêche ou vomi, poire ou crotte de nez, j’en passe et des meilleurs.
On choisit donc au hasard avec une chance sur deux de tomber sur un truc
infect. Fou rire assuré ! Et bien je trouve que c’est un peu la même chose
avec les nouvelles (le fou rire en moins). Et davantage encore avec les
micro-nouvelles, où l’on sait en quelques lignes si l’on est tombé sur une
bonne ou une mauvaise pioche.
Avec David Thomas, maître ès micro-nouvelles, il n’y a
aucune mauvaise surprise à attendre, chacun de ses textes étant divinement
savoureux. J’avais déjà eu l’occasion de m’en rendre compte avec « On ne va passe se raconter d’histoire », j’en ai eu la confirmation avec ce petit recueil
qui est en fait sa première publication. Dans un genre différent, Thomas me
fait le même effet qu’Etgar Keret, une délicieuse sensation difficilement
explicable. D’ailleurs, comme pour Keret, je me dis que j’adorerais écrire
comme lui. Et avoir ce sens de l’oralité au rythme très littéraire, cette
dérision, cette acidité mordante alliée à un humour aigre-doux, cette lucidité
sur la vie et ses travers, cette ironie ne s’abaissant jamais au cynisme, cet art
de la chute.
Au fil de ces soixante-treize textes brefs, il dresse des
portraits d'hommes et de femmes aux vies ordinaires en prise avec leurs doutes,
leurs convictions, leurs failles, leurs forces et leurs petitesses. Des petits riens : des lâchetés,
des regrets, des mesquineries, des chamailleries de couples usés par le temps
et le quotidien, des reproches que l’on se jette au visage sans prendre de gant, de la mauvaise foi. Des petits riens qui pourraient sans problèmes être les nôtres (les miens
en tout cas). Mais tout cela reste incroyablement vivifiant, furieusement drôle
et merveilleusement écrit.
« La patience des buffles sous la pluie fait partie de
ces livres à la fois formidablement simples et sobrement raffinés qui nous
rendent intelligibles à nous-mêmes, qui nous rattachent les uns aux autres,
nous donnent envie de tenir debout et de nous ancrer encore plus profondément
dans cette étrange activité suicidaire qu’est la vie. » Je ne pourrais
jamais dire les choses mieux que Jean-Paul Dubois.
La patience des buffles sous la pluie de David Thomas. Le
livre de poche, 2011. 155 pages.
Un lecture commune avec Noukette qui me tenait à cœur. Parce que ce vendredi est un peu particulier
pour moi et surtout parce que c’est elle qui m’a offert ce livre à l’occasion d’une
journée mémorable en sa compagnie dont je ne vous donnerais évidemment aucun
détail.
Extraits :
Slip
Tu sais quoi ? Je crois qu'il va falloir inventer une façon plus sexy de mettre son slip. Parce que de te voir tous les matins plié en deux, les bras qui pendouillent et les jambes qui visent le trou, franchement, ça va pas. ça colle pas avec ton image d'homme élégant. ça casse quelque chose. Alors, je sais pas, débrouille-toi comme tu veux mais trouve une autre façon d'enfiler ton slip.
(Ma femme aurait pu écrire ce texte !!!!!)
Passé
Pour la première fois de ma vie mon passé me surprend. J'ai envie de parler en silence. De me parler. J'ai envie que ce jeune type qui ne sait pas ce qui l'attend mais qui porte son sourire comme un laisser-passer s'avance vers moi. J'aimerais le voir arriver vers moi avec mes vingt ans de moins, s'asseoir à mes côtés, me sourire timidement, mettre ses mains dans ses poches et garder le silence. J'aimerais que ce jeune type avec mes vingt ans de moins ne me juge pas. J'aimerais qu'il me pardonne de l'avoir trahi.
Quatorze fois
Tu me fais un petit bisou ? On va se prendre un petit café ? Je fume une petite clope et on y va. Si on se faisait un petit ciné ce soir ? Ou alors on reste tranquilles avec un bon petit bouquin. Devant un petit feu... Tu sais ce qui me ferait plaisir pour les vacances ? C'est un petit voyage en Italie. T'as vu mon petit haut ? Je vais te faire une petite pipe. T'as un petit air bizarre...
En dix minutes, elle a trouvé le moyen de dire petit au moins quatorze fois. Quelque chose me dit que je ne vais rien vivre de grand avec cette fille.