jeudi 26 novembre 2015

Les lumières de Central Park - Tom Barbash

Une mère divorcée ne veut pas que son garçon fréquente une serveuse bien plus âgée que lui. Un mari reçoit ses amis pour fêter Thanksgiving alors que son épouse l’a quitté la veille. Il justifie l’absence de sa moitié en lui inventant un déplacement professionnel. Un ado se rappelle de l’accident de voiture où son frère a perdu la vie, par sa faute. Un apprenti promoteur immobilier arnaque un vieux couple dont il a peu à peu gagné la confiance. Un professeur d’université d’origine indienne supporte mal que son fils couche avec l’une de ses étudiantes. Un jeune homme s’agace des conquêtes de son père, veuf depuis peu. Treize nouvelles en tout, empreintes de tristesse et de solitude.

Ça m’agace de plus en plus cette manie qu’ont les éditeurs d’en appeler à la figure tutélaire de Carver dès qu’il s’agit de présenter un recueil de nouvelles américaines. Arrêtons de comparer l’incomparable. D’ailleurs ici, point de pauvres hères déboussolés comme chez le grand Raymond mais plutôt des gens qui ont tout pour être heureux, à qui il ne manque rien, et qui se sentent pourtant totalement démunis.

Barbash entraîne ses personnages à un point de rupture, au bord du précipice. Des personnages qui se débattent comme ils peuvent et constatent qu’il n’y pas grand-chose à faire pour échapper à la chute. Le tout dans un style direct et épuré, loin de toute circonvolution psychologique plombante. Le plus incroyable est qu’il nous amène à aimer ces êtres si imparfaits, lâches ou égoïstes. Peut-être parce qu’à travers leurs plaies, leur chagrin, leurs angoisses et leurs regrets se reflète ce qu’il y a de plus humain en chacun de nous.

Sobre et mélancolique. Forcément, j’ai beaucoup aimé.

Les lumières de Central Park de Tom Barbash. Albin Michel, 2015. 258 pages. 22,90 euros.


L'avis de Cathulu

mercredi 25 novembre 2015

Facteur pour femmes - Quella-Guyot et Morice

Été 1914. L’ordre de mobilisation générale est placardé sur le fronton de la mairie d’une petite île bretonne. Tous les hommes valides partent pour le continent sauf Maël, sauvé de la boucherie à venir par son pied-bot. Un jeune garçon un peu naïf et un peu simplet qui va devenir par la force des choses le facteur officiel de l’île. Un facteur chargé essentiellement de distribuer des lettres venues du front aux mères, aux épouses et aux fiancées éplorées. Des femmes qui, en l’absence de leurs hommes, vont peu à peu s’émanciper et céder à l’appel de la chair avec le seul gamin dans la force de l’âge qu’elles auront sous la main…

Un album malin à souhait, truculent, plein de peps et saupoudré d’un soupçon de cruauté qui pimente joliment l’ensemble. J’ai aimé découvrir au fil des pages la transformation de Maël, benêt devenu manipulateur, proie devenu chasseur. Une transformation qui se fait en douceur, comme celle des femmes d’ailleurs, chacune ne succombant pas à la même vitesse, certaines ayant plus de scrupules que d’autres à céder à la tentation. Le capital sympathie finit par s’inverser, le gentil Maël tournant pervers et les femmes volages apparaissant de plus en plus touchantes, même à la fin. Une fin que je ne vous dévoilerais évidemment pas mais que je n’avais pas vu venir et que je trouve excellente, tant elle est en rupture, de par sa gravité, avec la légèreté du début.

Graphiquement je découvre un auteur dont je n’avais jamais entendu parler et je trouve son travail remarquable, notamment par rapport aux choix des couleurs et à la grande variété de ses cadrages. Cerise sur le gâteau, j’ai eu la chance de le rencontrer sur un salon ce week-end et j’ai adoré sa gentillesse et sa simplicité (au moins autant que sa belle dédicace !).

Un vrai moment de lecture plaisir pour un album à déguster avec une bonne bolée de cidre (breton, cela va de soi).

Facteur pour femmes de Quella-Guyot et Morice. Bamboo (Grand Angle), 2015. 112 pages. 18,90 euros.

Les avis de Krol, Le petit carré jaune et Sylire


 

mardi 24 novembre 2015

Comme une envie de voir la mer - Anne Loyer

« Mais l’amour ne peut pas tout. Même quand il est immense. Il n’est parfois pas assez fort pour supporter le poids du passé. »

Ludivine a tout pour elle. Élève brillante, elle vient d’obtenir son bac mention bien à tout juste seize ans. « Jusque-là, elle avait été l’image de l’enfant sage : celle qui va faire ses devoirs sans faire d’histoires ; celle qui révise le sourire aux lèvres ; celle qui ne donne que des motifs de satisfaction à ses parents ; la petite fille modèle ; l’ado parfaite. Un mirage… ». Il aura suffi d’un message laissé sur son téléphone portable pour que tout bascule. Un message qui va transformer Ludivine en Ludie, l’enfant sage en fugueuse.

Anne Loyer raconte l’effondrement d’un « chef d’œuvre parental », un modèle d’éducation qui vole en éclat à cause d’un mensonge trop longtemps gardé. Le secret de famille révélé va bouleverser la donne, et Ludie, accompagnée de son frère handicapé mental, part sur les routes avec l’envie de voir la mer et de tout foutre en l’air.

Une histoire forte, tout en pudeur, où les relations humaines sont tissées avec une grande justesse. Que ce soit entre les parents ou entre Ludie et son frère, les échanges sont tendus, apaisées ou mouvementées, mais ils sonnent « vrai ». Un court roman ne souffrant d’aucune fausse note, avec une fin ouverte, sans optimisme béat dégoulinant de guimauve ni tragédie plombante. La situation n’est pas réglée, l’espoir demeure. Ou pas.

Un texte dont on se retire sur la pointe des pieds, comme si nous étions maintenant de trop et qu’il fallait laisser cette jeune fille se reconstruire face à un vaste champ de possibles. De la littérature jeunesse comme j’aime, intelligente et pleine de finesse.

Comme une envie de voir la mer d’Anne Loyer. Alice éditions, 2015. 110 pages. 11,50 euros.


Une lecture jeunesse que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.







dimanche 22 novembre 2015

6 ans et des cadeaux : les gagnantes

Oui, tout cela est dérisoire par les temps qui courent, je vous le concède. N'empêche, j'avais promis un tirage au sort anniversaire et je tiens ma promesse. Et puis ça me plait de faire quelques cadeaux en ce moment. Encore plus que d’habitude.

87 ! J'ai glissé 87 noms dans mon chapeau magique, du jamais vu ! Devant une telle affluence, j'ai décidé qu'il y aurait quatre gagnants et non pas trois comme prévu au départ (ce qui ne change pas grand chose, mais bon...).

Au-delà du nombre de participants, je tenais à vous remercier pour la gentillesse de vos commentaires et votre bienveillance, c'est un bonheur de se savoir si bien entouré, même virtuellement !



Trêve de bavardage et roulement de tambour, le chapeau a donc désigné :








La suite des événements est simple, je m'occupe de tout. Athalie, Electra, Violette et La Fée, vous n'avez qu'à me donner vos adresses par mail et surveiller vos boîtes aux lettres. 





vendredi 20 novembre 2015

Les portes de l’enfer - Harry Crews

Cumseh, Géorgie, un dimanche. A la maison de retraite débarquent une cubaine adepte du vaudou, une amoureuse transie venue rencontrer le grand et beau jeune homme avec lequel elle correspond depuis des mois et un vendeur de concessions funéraire persuadé d’avoir trouvé de futurs clients. Se trouvent déjà sur place des résidents plus ou moins gâteux, un pasteur véreux de l’église du Christ Universel, Axel, l’imposante propriétaire des lieux et Jefferson Davis, son nain masseur à la poigne de fer qui adore lui triturer les seins comme on malaxe du bon pain.

Un casting cinq étoiles, digne du maître incontesté du Southern Gothic qui reste une influence majeure pour des auteurs comme J.R Lansdale ou D. Ray Pollocck. Harry Crews (1935-2012) est un auteur à part, un auteur que j’aime d’amour tant son univers déjanté, son humour noir et sa passion pour les Freaks me conviennent parfaitement. De lui, j’ai déjà lu et adoré « Nu dans le jardin d’Eden » et « Le chanteur de Gospel », ses deux premiers romans. Celui-ci est le troisième, inédit en France et publié aux États-Unis en 1970.

Qui aime bien châtie bien alors je vais être honnête et reconnaître que je me suis pas mal ennuyé avec ces « Portes de l’enfer ». L’action est ramassée sur vingt-quatre heures, tout devrait donc aller très vite et pourtant, j’ai trouvé le temps long. L’intrigue manque d’épaisseur et l’histoire m’est apparue sans relief. On est toujours dans le sud profond, face à des êtres cabossés, à la marge, un brin dérangés et en pleine misère sexuelle (tout ce que j’aime quoi !), mais la magie n’opère pas, en dehors d’une scène d’anthologie entre la sorcière cubaine et le nain psychotique qui vaut à elle seule la lecture du roman.

Une tragi-comédie dont la mayonnaise a du mal à prendre. Trop de personnages, trop décousu et un scénario qui ne décolle pas. La traduction de l’excellent Patrick Raynal n’y change rien, la déception est à la hauteur des espoirs que je plaçais dans ce texte. Pour autant, je retrouverai Harry Crews avec plaisir, et je suis ravi de savoir qu’il me reste une quinzaine de ses œuvres à découvrir.

Les portes de l’enfer d’Harry Crews. Sonatine, 2015. 282 pages. 13,00 euros.






mercredi 18 novembre 2015

Traquemage T1 - Lupano et Relom

Une BD pour se changer les idées. Pas du plombant, du glauque ou du violent. De la Fantasy revisitée à la sauce Lupano, avec parfois des gros sabots, certes, mais ça ne peut pas faire de mal vu les circonstances…

Pistolin en a ras le bol. Depuis le début de la guerre des mages, des bandes de trolls et de mercenaires de tous poils écument routes et montagnes, faisant des ravages dans son troupeau. C’est simple, il ne lui restera bientôt plus assez de cornebiques pour fabriquer le délicieux Pécadou, un fromage de caractère (c’est le moins que l’on puisse dire !) qui a fait sa renommée dans plusieurs royaumes. Pensant avoir trouvé la solution ultime et imparable, le jeune berger va connaître une nouvelle désillusion. Fou de rage après la perte de son cheptel, il décide de « débarrasser le monde de ces saletés de mages ». Armé d’une épée rouillée et traînant derrière lui Myrtille, sa dernière cornebique, il se met en quête de la fée Pâquerette, créature magique qu’il souhaite occire pour se faire la main avant de passer aux choses sérieuses…

Oh, le joli antihéros que voila ! Lupano sait y faire avec ce type de personnage. Et dans son genre, Pistolin n’est pas loin de la crème de la crème. Naïf, maladroit, pas fute-fute, aussi fanfaron que couard, avec une coupe au bol que ne renierait pas Mireille Mathieu, il cumule les bon points. Comme si cela ne suffisait pas, il va trouver en Pâquerette un faire-valoir de choix et une partenaire à la hauteur de son absence de talent. La fée, alcoolique, grassouillette et au langage ordurier, ne donne pas sa part au chien et participe grandement à l’aventure, quitte à être la source de bien des déboires.

Ok, ça ne vole pas haut. Ok, le dessin, tirant par moment du coté d’un Gotlib  en très petite forme, n’est pas d’un raffinement délirant. Ok, le scénario, dans ce premier tome du moins, suis une trame des plus classiques. Mais quand même, certaines scènes valent leur pesant de cacahuètes. Et puis la galerie de personnages secondaires (de Myrtille à Élensuelle la dame des bois en passant par le ridicule chevalier Galadur) participe grandement à la mise en place d’un univers loufoque à souhait.

De la parodie pas forcément légère, donc, mais plutôt bien troussée. Pas certain pour autant de me précipiter sur la suite car ce n’est pas vraiment ma came, mais c’était à coup sûr l’album idéal pour revenir doucement sur ces berges après m’être réfugié dans le silence depuis quelques jours.

Traquemage T1 : Le serment des pécadous de Lupano et Relom. Delcourt, 2015. 56 pages. 14,95 euros.

Une lecture commune que je ne pouvais effectuer en meilleure compagnie, grâce à Mo’ et Noukette.











vendredi 13 novembre 2015

Les lectures de Charlotte (11) : Je voulais un chat - Fanny Robin et Lionel Larchevêque

Dans cet album, il est question de tromperie sur la marchandise. Un homme voulait avoir un chat et il s’est en fait retrouvé avec un tigre, un paresseux, un éléphant, un hibou, un caméléon, un paon, une sangsue, une pie et un cochon. Pourquoi ? Parce que nos chats sont tout cela à la fois : paresseux, curieux, maladroits, agressifs, voleurs, collants, etc. Moral de l'histoire, lorsque l'on prend un chat, on se retrouve avec une ménagerie !

J’ai découvert Fanny Robin l’an dernier avec un magnifique album abordant la difficile question du handicap mental. Je la retrouve ici dans un registre beaucoup plus léger mais tout aussi réussi. L'ouvrage fonctionne sur une répétition de situations identiques. Sur chaque double page, le texte se trouve à gauche et commence, par "Je voulais un chat, j'ai eu..." et se poursuit en déclinant le comportement de l’animal présent, tandis que la page de droite illustre le propos de manière très parlante.


Un livre répétitif mais diablement efficace, Charlotte adore cet album qu'il faut lire chaque soir avant le coucher. A force, elle le connaît par cœur et il suffit de lire la première phrase pour qu'elle prononce le nom de l'animal qui lui est associé. Évidemment, elle ne s'en lasse pas et évidemment, ce n'est plus tout à fait mon cas (je voudrais vous y voir à lire toujours le même album alors que cinquante autres attendent leur tour sur les étagères !).

Je voulais un chat de Fanny Robin et Lionel Larchevêque. Alice, 2015. 32 pages. 11,40 euros. A partir de 3 ans.



mercredi 11 novembre 2015

L’île Louvre - Florent Chavouet

« Missionné par le service culturel de La cité du futur pour rendre compte du plus grand musée du monde », Florent Chavouet prévient d’emblée son lecteur : « c’est simple en fait, je vais parler du lieu. Par contre, c’est pas sûr que ça fasse une histoire, mais ça peu raconter quelque chose quand même. » Tout le problème est là ! Autant j’avais trouvé fascinant ces carnets de voyage japonais (Tokyo Sampo et Manabé Shima), autant cette balade au Louvre ne m’a pas convaincu. On est clairement sur un travail de commande, décousu, restrictif, superficiel.

L’auteur se perd dans les couloirs, il survole le quotidien des guides et des gardiens, relève les questions incongrues (« Vous l’exposez où le Graal ? et le masque de Belphégor ? »), les situations saugrenues (une famille d’indiens s’installant dans la cour pour pique-niquer, un musulman étendant son tapis de prière dans la salle des arts de l’islam), les incivilités, les comportements propres à notre époque (les gens qui se prennent en permanence en photo, le fait que les touristes considèrent le Louvre comme un lieu de passage obligatoire, quitte à le survoler et à en faire le tour en à peine trois heures). Mais tout cela reste très fouillis, particulièrement anecdotique, et manque singulièrement de fil conducteur. En même temps, je me demande comment il aurait pu s’y prendre autrement, mais bon...  

Après, graphiquement, c’est toujours le même plaisir de retrouver ce trait reconnaissable au premier coup d’œil, ces plans larges fourmillant de détails, ces cadrages atypiques, cet art de croquer sur le vif des attitudes particulièrement expressives. Superbe aussi cette vue du ciel insérée en milieu d’album dans un « plan » dépliable et détachable, comme cela était déjà le cas dans Manabé Shima.

Du positif donc, surtout dans le plaisir intact de retrouver un dessinateur incroyablement talentueux. Mais au final, je suis resté sur ma faim.

L’île Louvre de Florent Chavouet. Futuropolis, 2015. 96 pages. 20,00 euros.

L'avis de Mo', bien plus argumenté et enthousiaste que le mien !










mardi 10 novembre 2015

Entre eux deux - Catherine Verlaguet

Entre eux deux, ça ne pouvait pas coller. Elle, trop expansive, inarrêtable moulin à paroles et lui, taiseux, enfermé dans son monde, avec ses bras collés le long du corps, trop lourds à soulever. Leur rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu d’ailleurs. Pas de mixité à l’hôpital, surtout entre ados. Mais cette nuit là, ils vont devoir partager la même chambre, par manque de lits.

Elle a 15 ans et lui aussi. Cette chambre est réservée à des gens comme eux. En transit avant la maison de repos, en partance vers l’asile : « C’est le monde qui va se reposer de nous. Le monde qu’ils mettent à l’abri. Pas nous. Faut les comprendre. Moi en tout cas je les comprends. » Tous deux dissimulent un douloureux secret. Lui ne pense pas en mots mais en brouhaha. Plusieurs voix dans sa tête qui parlent en même temps. Elle, de son coté, déborde de colère : « Le problème avec la colère, c’est qu’il faut bien la jeter quelque part, contre un mur ou sur quelqu’un. C’est pas comme la tristesse ; la tristesse, tu la gardes que pour toi. Mais la colère… c’est comme de la tristesse qui sort de toi avec Fracas. » Durant cette nuit, ils vont se raconter, s’écouter, se soutenir…

Je vous préviens, je ne serai pas objectif (comme d’habitude me direz-vous). Parce que j’adore Catherine Verlaguet. Elle m’avait enchanté avec son texte précédent, « Les vilains petits », une pièce lue et approuvée par plus de deux milles élèves de mon département l’an dernier. Nous nous étions rencontrés longuement, je l’avais vue à l’œuvre face à certains de ces élèves et impossible de ne pas être séduit par son peps, son naturel, son humour et son accent chantant. Bref, je m’égare mais autant vous dire que je n’ai pas boudé mon plaisir en retrouvant sa si jolie plume.

Une belle histoire entre deux gamins cabossés. Une histoire poignante, qui gratte et qui pique, qui essore votre petit cœur tout mou sans ménagement mais qui, au final, déborde d’humanité. Une histoire d’identité et de mal-être, de confiance réciproque. Une histoire d’amour, l’histoire d’une bulle dans laquelle se réfugient, le temps d’une nuit, deux âmes perdues en quête d’apaisement. Et ce mélange de réalisme et de poésie dans l'écriture qui donne à la voix des personnages un écho impossible à oublier.

Du théâtre jeunesse ambitieux et percutant. Encore une pépite que j'ai le plaisir de partager avec ma chère Noukette.

Entre eux deux - Catherine Verlaguet. Théâtrales Jeunesse, 2015. 58 pages. 8,00 euros. A partir de 14 ans.











lundi 9 novembre 2015

Leilah Mahi 1932 - Didier Blonde

Un billet un peu particulier aujourd’hui. J’ai lu ce livre il y a plus de trois semaines et je n’ai pas gardé mon exemplaire. Donc au moment de vous en parler, il m’en reste un souvenir assez précis mais pas aussi net que si je venais de le refermer. Et finalement c’est une très bonne chose que mon ressenti sois « diffus » car il correspond bien à l’esprit de ce récit. Si je n’ai plus mon exemplaire, c’est parce que je l’ai offert à Galéa. J’ai pensé que c’était un livre pour elle, Modianesque au possible. Pas tant dans l’écriture que dans son atmosphère, sa quête de fantômes de l’entre deux guerres, ses balades dans les rues de Paris. Dans le fait aussi que le résultat de l’enquête importe bien moins que la façon dont l’auteur la mène.

« Est-ce l’éclat sombre de la passion ou celui de la folie qui brille au fond de ses yeux ? Deux grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques, qui me fixent, me fascinent, m’attirent irrésistiblement, comme un phalène. Des yeux si larges, brouillés de fièvre, en noir et blanc. Et cette imperceptible ironie sur ses lèvres. »

Didier Blonde tombe en arrêt, un jour de 2008, devant une photo ornant une plaque funéraire au columbarium du Père Lachaise. Leïlah Mahi est une belle inconnue dont l’identité se réduit à un nom et une date de décès, le 12 août 1932. En bon « détective de la mémoire », l’auteur de « L’inconnue de la seine », fasciné par les destins obscurs de femmes du début du 20ème siècle, lance son enquête avec le peu d’éléments en sa possession.

Très vite il découvre sur le net que la jeune femme a de nombreux amoureux transis, mais qu’aucun ne sait qui elle est réellement. Toquant à la porte des administrations, écumant les bouquinistes (pour découvrir l’existence de deux romans autobiographiques publiés en 1929 et 1931 par une dénommée Leïlah Mahi), voyant tantôt en elle une actrice du cinéma muet, une courtisane ou une mondaine oisive fumeuse d’opium, Blonde s’égare, se disperse, abandonne puis reprend ses investigations après plusieurs mois de pause, revenant sans cesse à l’éblouissement ressenti le jour de sa découverte : « Tout paraissait étrange en elle. Ses grands yeux qui brillait d’un éclat hypnotique, celui de la passion ou de la folie. Sa pose de femme fatale, provocante, à moitié découverte, presque indécente dans cette nécropole. L’absence de date de naissance. D’où venait-elle ? Comment avait-elle fini ? ».

Ce livre n’est pas un roman. C’est une enquête mélancolique aux accents littéraires profonds, où un écrivain en plein doute s’interroge sur l’intérêt de son projet en gardant en permanence à l’esprit ce qu’il doit à chacun de ses lecteurs. Sa façon de procéder est aussi passionnante que l'histoire de la femme qu’il traque en vain. Et au final me direz-vous, en apprend-on vraiment plus sur Leïlah Mahi ? Et bien oui. Un document parvient à lever une grande partie du mystère. Mais c’est suite à cet événement majeur que le clap de fin survient, comme si l’auteur, au moment où il va enfin pouvoir creuser les choses et avancer, décidait qu’il était parvenu au terme de sa quête et qu’il n’était pas nécessaire d’en connaître davantage. Modianesque jusqu’au bout, et absolument délicieux.

  Leilah Mahi 1932. Gallimard, 2015. 122 pages. 15,00 euros.

Une enquête qui vient de remporter le Renaudot essai et une lecture commune que je partage évidemment avec Galéa. Je m’étais promis de lui faire découvrir un texte de la rentrée littéraire, elle a eu la gentillesse d’accepter ma proposition et j'ai l'impression d'avoir fait un bon choix.