mercredi 4 novembre 2015

Le vieil homme et la mer - Thierry Murat d'après Ernest Hemingway

L’histoire est connue : « Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream ». Depuis des semaines, le vieil homme rentre chaque jour bredouille. Ce matin-là, comme d’habitude, il s’embarque à l’aube. A midi, il ferre un espadon. La bête est énorme, le combat sera dantesque. Deux jours et deux nuits de lutte acharnée, sans haine : « Tu veux ma mort, poisson… C’est ton droit, camarade. J’ai jamais rien vu de plus grand et de plus noble que toi. Alors, vas-y, tue-moi.  Ça m’est égal, lequel de nous deux tue l’autre. » Le vieil homme finit par l’emporter mais la victoire aura un goût amer. L’histoire est connue…

Le roman m’avait beaucoup marqué il y a près de 25 ans. A tel point que j’ai retrouvé dans cette adaptation mon ressenti de l’époque : l’âpreté de la lutte, l’épuisement, la morsure du sel et du soleil, le respect mutuel de deux adversaires donnant le meilleur d’eux-mêmes, etc.

Le texte d’Hemingway, au symbolisme un peu simpliste et trop évident, tenait surtout par la beauté de son écriture. Cette adaptation très fidèle m’a embarqué par son esthétisme. J’avais déjà eu l’occasion d’admirer le talent de Thierry Murat avec « Les larmes de l’assassin », il confirme ici qu’il est un dessinateur exceptionnel. Usant de ces tons monochromes qu’il maîtrise à la perfection, il va à l’essentiel, sans esbroufe, dans une forme d’épure fascinante. Du grand art !

Un album sublime et un joli cadeau de Moka, que je remercie pour cette gentille attention.

Le vieil homme et la mer de Thierry Murat (d’après Ernest Hemingway). Futuropolis, 2014. 126 pages. 19,00 euros.

Les avis de Moka, Noctenbule et Noukette



mardi 3 novembre 2015

Le premier mardi c'est permis (42) : La femme de papier de Françoise Rey

Drôle de destin que celui de ce livre devenu un classique de la littérature érotique contemporaine alors que les lettres qu’il contient n’étaient au départ pas vouées à être publiées.

Françoise Rey s’adresse à son « amour interdit » à travers une succession de missives torrides, inventant les situations les plus échevelées pour le titiller. Le portrait brossé de l’amant est des plus flatteurs, « une imposture » comme elle le reconnaît, mais une imposture nécessaire pour rendre chaque épisode toujours plus excitant. Lorsqu’elle avoue sa tromperie à son mari et lui faire lire les lettres, il lui rétorque : « J’ai lu ton ramassis. C’est de la merde. Tu enverrais ça à un éditeur, il te rirait au nez. » Et c’est parce qu’elle l’a pris au mot que ce « ramassis » est devenu un incroyable succès, tant critique que commercial.

Pour être honnête, tous les chapitres ne m’ont pas émoustillé. Celui où elle lève un gamin de 15 ans dans un bar, celui avec le travesti (!), la partie SM avec des crayons (!!) ou le délire scatologique (!!!) ont été difficile à avaler. Mais à coté de cela, il y a des passages d’une sensualité et d’un érotisme inouïs, un vocabulaire incroyablement riche pour dire les choses du sexe, une langue à la fois belle et crue derrière laquelle, malgré les apparences, on sent beaucoup de pudeur.

Alors oui, l’entreprise peut paraître servile, notamment en ce qui concerne la place de la femme par rapport à la toute puissance d’un homme lui imposant ses désirs, le plus souvent par la force. Mais les situations relèvent de la pure fiction, de l’exagération, et ces lettres représentent avant tout la manœuvre d’une femme follement éprise voulant faire plaisir à celui qu’elle aime. L’épilogue est d’ailleurs, par contraste avec ce qui précède, d’une sincérité et d'une intensité bouleversantes.

Un premier roman provocant, obscène et surtout hautement littéraire. Incontournable pour tout amateur d'érotisme qui se respecte.

Un dernier mot pour souligner la qualité de cette édition enrichie d'illustrations d'Alex Varenne, d'une postface et d'un passionnant entretien avec Françoise Rey.

La femme de papier de Françoise Rey. La Musardine, 2015. 270 pages. 18,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi ou presque avec Noukette. Pour le coup, on est loin d'une pépite jeunesse mais c'est l'occasion de prouver s'il en était encore besoin que l’éclectisme nous va comme un gant.



Plein d'autres lectures coquines chez Stephie,
parce qu'aujourd'hui c'est permis !









dimanche 1 novembre 2015

Pauvre chose - Risa Wataya

« Je n’avais plus envie de vivre quotidiennement dans l’effroi que, quoique m’entendant dire je t’aime, m’envoyant en l’air et nageant dans le bonheur, j’étais peut-être aussi en train d’être prise pour une conne. »

Julie tombe des nues quand elle apprend de la bouche de son petit ami Ryûdai qu’il a décidé d’héberger son ex Akiyo dans son minuscule appartement. La pauvre n’a ni logement ni travail, il a juste voulu lui venir en aide. C’est temporaire évidemment. Et puis lui dort sur le canapé et elle dans la chambre. Et puis elle n’a rien craindre, tout est fini entre eux. De toute façon sa position est claire et la menace précise : « Si tu refuses absolument que j’aide Akiyo, je suis au regret de te le dire, mais je te quitte. »

Alors Julie va se faire une raison et avaler l’énorme pilule. Se dire que son copain est juste un bon samaritain, un altruiste. Sauf que. Ryûdai refuse que Julie vienne le voir chez lui et ne décroche plus le téléphone. Ses collègues au boulot lui disent toutes qu’une relation amicale entre ex sous le même toit, c’est juste impossible. Alors Julie gamberge. Elle va se rendre dans l’appart pour rencontrer sa rivale. Et en ressortir rassurée. Julie la bonne poire. Sauf que. Je vous laisse deviner la suite…

J’avais été moyennement convaincu par « Trembler te va si bien » mais j’ai voulu redonner sa chance à cette jeune auteure qui avait remporté le prix Akutagawa (le Goncourt japonais) à 19 ans. C’est encore une fois un texte très psychologique, trop féminin pour moi, mais je me suis quand même laissé ferrer. Parce que Julie est un personnage attachant. Elle trouve toutes les excuses possibles à Ryûdai, se persuade qu’elle n’a aucune raison de douter et s’apitoie sur le sort d’Akiyo. On se dit qu’elle est bien naïve, qu’elle refuse d’ouvrir les yeux pour ne pas voir la vérité en face ou que, tout simplement, elle est bien trop conne. Mais la fin du roman nous prouve le contraire et c’est un délice ce final inattendu, aussi revanchard que cruel.

Une comédie sentimentale à la japonaise, tout en retenue mais qui ne manque pas de piquant.

Pauvre chose de Risa Wataya. Picquier, 2015. 142 pages. 16,00 euros.



samedi 31 octobre 2015

Labyrinthes - Théo Guignard

Un incroyable livre-jeu proposant seize labyrinthes se déployant sur des double-pages fourmillant de détails. Décor animal, végétal, festif, futuriste, estival, abstrait, médiéval ou architectural, le choix est vaste. A chaque labyrinthe le style graphique change, comme le degré de difficulté. C’est incroyable d’inventivité, les énigmes proposées demandent une attention visuelle constante.

Un album que mes filles ont déjà parcouru des dizaines de fois. Car c’est bien un album, très grand format cartonné à la finition soignée. Interdit donc d’écrire dessus, même au crayon à papier ! On suit donc les chemins proposés avec le doigt, ce qui complique encore un peu les choses. Mais rien d’insurmontable au final, surtout que si l’on est vraiment coincé, les solutions se trouvent en dernière page.

Impossible de ne pas se laisser prendre au jeu, toutes les personnes passées à la maison ces derniers jours ont plongé la tête la première après l’avoir eu entre les mains. Bref, une idée-cadeau parfaite pour petits et grands.

Labyrinthes de Théo Guignard. Amaterra, 2015. 40 pages. 17,90 euros.












mercredi 28 octobre 2015

Chiisakobé T1 - Minetarô Mochizuki

Shigeji, apprenti charpentier, perd ses parents dans l’incendie de l’entreprise familiale. Décidé à sauver la société coûte que coûte, il veut reconstruire de ses mains et sans aide les ateliers détruits par le feu. De retour dans sa maison natale, il engage Ritsu, une amie d’enfance, comme cuisinière et femme de ménage. La jeune femme arrive chez lui avec cinq orphelins turbulents…

Adaptation d'un roman publié en 1957 par Shûgorô Yamamoto (célèbre écrivain dont l'oeuvre a été adaptée de nombreuses fois au cinéma, notamment par Akira Kurozawa), ce manga dégage une atmosphère vraiment particulière. Shigeji est un personnage inclassable, barbu taciturne et têtu refusant la moindre main tendue pour rebâtir ce qu'il a perdu et gardant en permanence à l'esprit les valeurs transmises par son père, "Volonté et humanité". Sa relation avec Ritsu, d'une délicatesse toute japonaise, illumine le récit d'un touchante timidité. Les orphelins sont pour leur part grossiers, irrespectueux et incontrôlables mais on sent que le charpentier, même s'il ne s'intéresse de prime abord que très peu à eux, va finir par les amadouer.

Graphiquement c'est très surprenant, proche de la ligne claire franco-belge, épuré, avec un décor minimaliste ou absent et beaucoup de gros plans. Il se dégage de l'ensemble une certaine forme de lenteur, énormément de silences et de non-dits. Le triangle amoureux qui se forme dans les dernières pages laisse augurer une intrigue plus complexe et psychologique particulièrement prometteuse.

Un premier tome qui prend son temps et distille un charme assez indéfinissable. Une série prévue en quatre volumes que je prendrai plaisir à suivre, c'est une évidence.


Chiisakobé T1 de Minetarô Mochizuki. Le Lézard Noir, 2015. 206 pages. 15,00 euros.






mardi 27 octobre 2015

Mauvais fils - Raphaële Frier

Ghislain, fils unique, n'est pas celui que ses parents attendaient. Pas bon au lycée et surtout pas hétérosexuel. Difficile de leur cacher la vérité, difficile de ne pas répondre quand sa mère lui demande quand il amènera sa petite amie à la maison, difficile d'envoyer bouler son père qui veut lui apprendre le bricolage et faire de lui un gars viril. Un paternel tellement coincé et obtus que quand la vérité éclate au grand jour, Ghislain se retrouve à la rue, livré à lui-même...

Bon, c’était mal barré. Un démarrage que j’ai trouvé trop brutal. Un malaise trop profond chez Ghislain, un père trop beauf, caricature de l’homophobe sans nuance qui veut faire de son fils un homme, un vrai. Sans compter un virage glauque avec l’épisode des bars gays (un ado de 17 ans qui va « chasser » des partenaires dans des lieux pareils, outch quand même !). Entre ce que je considérais comme très cliché et une ambiance assez malsaine, j’ai failli lâcher prise. Mais j’ai persévéré et j’ai bien fait.

Parce que le narrateur ne s’enferme pas dans sa colère et son désespoir. Il reste debout et avance. Parce que la lumière survient et balaie le glauque avec finesse. Parce s'il n’y a pas de coup de baguette magique pour résoudre la situation, si l’avenir, en pointillé, n’aura rien d’un long fleuve tranquille, les choses peuvent néanmoins s’envisager de façon positive.

Et puis j’ai beaucoup aimé cette fin (que je ne vais pas vous raconter), dont le puissant symbolisme a fini par emporter ma totale adhésion. Un texte court, percutant, tendu, nerveux et intelligent qui propose une jolie réflexion sur la tolérance et l’acceptation de soi. Bref, typiquement le genre de pépite jeunesse que Noukette et moi aimons dénicher chaque mardi ou presque.

Mauvais fils de Raphaële Frier. Talents Hauts, 2015. 95 pages. 7,00 euros. A partir de 15 ans.









lundi 26 octobre 2015

Djibouti - Pierre Deram

Le lieutenant Markus rentre à Paris demain. Pour sa dernière nuit à Djibouti, il s’embarque avec Maronsol et le capitaine Gallardo pour un adieu aux armes d’une incandescente mélancolie…

J’ai craint au départ les clichés sur les beaux légionnaires sentant bon le sable chaud et se tapant, le treillis sur les chevilles, une chèvre crevée au piquet depuis trois jours en chantant « Tiens, voila du boudin ». Mais il n’en est rien. Djibouti est un très beau premier roman, plein de souffle, qui se laisse parfois déborder par quelques emportements lyriques mais dont l’écriture est dans l’ensemble magnifiquement tenue. Un texte charnel qui dit la moiteur d’une ville au bord de l’asphyxie, une ville où la chaleur épouvantable écrase les êtres, où le soleil dissout les âmes. Sur cette terre désolée, on suit les errements nocturnes de soldats paumés et de putains fatiguées partageant la même solitude dans des rues où « l'ivrognerie et la tension sexuelle sont partout palpables ».

Pierre Deram décrit un monde en faillite dans lequel chacun navigue les « yeux perdus au fond d’une nuit d’ivresse ». Une indicible mélancolie face à laquelle Markus veut trouver un semblant de sens : «  Toute cette désolation… je veux croire qu’il y a… tout de même… quelque chose comme la flamme d’une bougie… si fragile… vacillante… Il faut qu’il y ait cela ou alors… […] ou alors c’est le naufrage ». Ici la chair est triste, la violence partout présente et l’alcool abrutit les esprits. Les corps trempés de sueur s’affrontent pour un regard ou par simple jeu, chacun semble au bord de l’abîme, toujours plus proche d’un chaos prêt à tout emporter sur son passage.

J’ai beaucoup aimé ce texte brutal et hypnotique, sans doute parce que les nuits d’ivresse et d’abandon, les bars crasseux et les rencontres d’un soir ravivent en moi les souvenirs d’une autre vie…

Djibouti de Pierre Deram. Buchet-Chastel, 2015. 114 pages. 11,00



samedi 24 octobre 2015

Les vraies fées de la nature - François Lasserre et Stéphane Hette

Les fées existent. En vrai. Stéphane Hette les a photographiées. Sans trucage. Grâce à lui nous découvrons dans cet ouvrage superbe un petit peuple à la beauté envoûtante sur lequel notre regard peut se poser avec la plus grande attention, scrutant le moindre détail.

 Il suffit d’admirer ces somptueuses photos pour comprendre que les fées des textes et légendes ont été inspirées par les insectes de nos champs et de nos jardins. La libellule, mystérieuse créature volante, apparition évanescente, furtive et vaporeuse, en est sans doute le plus parfait exemple. Comme nombre de papillons drapés dans leurs longues ailes au tissu épais. Même le célèbre gendarme devient, sous l’objectif du photographe, un être magique laissant apparaître, une fois la tête en bas, « un masque humain avec deux yeux ronds, un nez, une moustache et deux petites larmes ».




L’ouvrage s’organise en double pages avec sur la droite la photographie et sur la gauche les précisions concernant le spécimen représenté : son nom latin, quelques lignes de présentation et deux rubriques intitulées « pouvoir naturel » et « pouvoir magique », la première donnant de vraies informations sur sa vie d’insecte et la seconde des informations imaginaires sur sa vie de fée. Les textes du naturaliste François Lasserre allient simplicité et précision scientifique dans un esprit de vulgarisation remarquable.


Il se dégage des photographies sur fond blanc une incontestable poésie féérique, renforcée par une mise en page épurée dégageant un charme assez indéfinissable. Un magnifique objet-livre, instructive invitation à la rêverie et à l’émerveillement face à la beauté et la grâce de ces êtres aussi fascinants que fragiles.

Les vraies fées de la nature de François Lasserre et Stéphane Hette. Plume de Carotte, 2015. 144 pages. 27,00 euros.




jeudi 22 octobre 2015

L’intérêt de l’enfant - Ian McEwan

Fiona Maye est une brillante juge aux affaires familiales, « divinement hautaine, diaboliquement intelligente et  encore belle ». A 59 ans, mariée et sans enfant, ce bourreau de travail fait passer sa vie privée après ses dossiers, à tel point que son mari la menace d’aller voir ailleurs si elle ne lui accorde pas davantage de temps (et de faveurs). Une forme de chantage insupportable qui la rend folle de rage et l'incite à engager un bras de fer dont son couple risque de ne pas se remettre.

Au même moment, professionnellement, Adam Henry entre dans sa vie sous la forme d’un cas particulièrement épineux. A 17 ans le jeune homme, témoin de Jéhovah et souffrant d’une leucémie, refuse au nom de sa foi les transfusions sanguines qui lui sauveraient la vie. Fiona doit décider en urgence s’il est légal de le guérir malgré lui ou s’il possède suffisamment de discernement pour être considéré comme un (presque) adulte responsable de ses actes et dont il faut respecter les convictions. Sur un coup de tête, elle se rend à l'hôpital afin de se faire une idée précise de son degré de lucidité et de maturité. Cette rencontre avec le malade va engendrer un bouleversement auquel la juge n’était à l’évidence pas préparée…

Il y a une forme de concision dans l’écriture qui me convient tout à fait. Une retenue proche de la froideur clinique. Le personnage de Fiona n'attire aucune empathie, mais sa psychorigidité a du charme je trouve, surtout lorsqu’affleure sous le vernis des convenances sociales les doutes et les hésitations d’une femme bien plus fragile qu’il n’y parait. Sans compter que la force de sa réflexion est impressionnante, on suit le cheminement de sa pensée et on ne peut qu’être en admiration devant la précision et l’élégance de ses jugements. Le décalage est d’ailleurs terrible entre la facilité avec laquelle elle s’exprime dans le cadre de sa charge et sa difficulté à communiquer dans l’intimité. Avec son mari et avec Adam, les non-dits deviennent des désastres, les silences creusent des fossés impossibles à combler.

Un roman grave et austère d’une grande puissance où McEwan prouve que sobriété, délicatesse et raffinement peuvent aller de pair. Pas un coup de cœur à cause d’une séquence fleurant bien trop l’eau de rose à mon goût  mais pour le reste, la partition ne souffre d’aucune fausse note (en référence à la musique, très présente dans ce texte).

L’intérêt de l’enfant de Ian McEwan. Gallimard, 2015. 232 pages. 18,00 euros.





mercredi 21 octobre 2015

Les beaux étés T1 : Cap au Sud - Zidrou et Lafebre

Été 1973 (je n’étais même pas né - oui, je sais, je suis un gamin). Sardou chante « La maladie d’amour » et la famille Faldérault s’apprête à quitter la Belgique en 4L pour rejoindre le sud de la France. Pas question de prendre l’autoroute, il faut profiter des paysages. Le père conduit et la maman gère les quatre enfants pas toujours très sages. On roule sans ceinture et sans GPS, les gamins n’ont pas de smartphone ou de tablette pour s’occuper, un pompiste fait le plein de la voiture, on campe au bord d’une rivière, on se baigne tout nu dans l’eau glacée et le soir venu on fait une partie de Mille Bornes. Une autre époque, un autre monde…

Le mari et la femme ont tout du couple idéal, les marmots sont pétillants et l’ambiance estivale offre un air de légèreté tellement surannée que l’on pourrait vite tomber dans le cucul la praline le plus dégoulinant. Sauf que Zidrou est dans la place, alors forcément, ça pique un peu.

En fait, les parents veulent offrir un dernier souvenir de vacances communes à leur progéniture et "faire comme si" avant de se séparer, parce que l’usure du quotidien les tue à petit feu : « La vérité, Pierre, c’est qu’on rêvait d’une vie au soleil et qu’on eu droit seulement à de timides éclaircies ». Le personnage de la mère est superbement croqué. Une femme qui arrive dans la quarantaine et constate être bien loin de l’existence qu’elle s’imaginait mener lorsqu’elle avait vingt ans et croyait en l’avenir. Une femme qui sait ce qu’elle ne veut plus mais ne sait pas ce qu’elle veut vraiment.

Rarement un duo scénariste/dessinateur ne m’aura paru aussi complice, aussi fusionnel. Chaque case, chaque plan, chaque scène semble traduire les plus infimes intentions de Zidrou, c’est absolument bluffant. Le découpage est juste parfait, dynamique, pêchu, alternant entre des phases joyeuses et d’autres plus contemplatives, plus introspectives.

Une formidable chronique familiale, pleine de fraîcheur et d’émotion, portée par des auteurs au sommet de leur art. Un gros, gros coup de cœur !

Les beaux étés T1 : Cap au Sud de Zidrou et Lafebre. Dargaud, 2015. 56 pages. 14,00 euros.

Et  une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette, qui accueille aujourd'hui les participants à la BD de la semaine.