samedi 15 mars 2014

Les gouffres - Antoine Choplin

Quatre nouvelles dans ce recueil. Dans la première, deux hommes marchent vers l’océan. Autour d’eux, le silence et la désolation. Devant eux, la terre s’est ouverte par endroits. Des gouffres vertigineux qui leur tendent les bras et qu’ils vont tenter de contourner. La seconde met en scène Wagram, employé de « La fabrique » dont le job consiste à éviter que le cours des choses ne s’arrête. La 3ème se passe dans un camp. Trois prisonniers mal en point veulent rendre un dernier hommage à une mathématicienne de génie. Dans la dernière, on suit un homme poussant un orgue de barbarie dans les rues d’une ville déserte. Arrivé sur la place centrale, il va tourner la manivelle et commencer à jouer. Pour qui ? Pour quoi ?

Étrange recueil, traversé par une certaine forme d’angoisse. L’univers décrit est déshumanisé, irréel. Partout la solitude. Des personnages qui errent, sans véritable but. Pour moi, c’est l’absurdité du monde qu’Antoine Choplin veut souligner. Des hommes fragiles, vulnérables, dépassés, perdus. Mais aussi des hommes solidaires, unis dans les pires moments par un fil aussi invisible qu’indestructible. Une fraternité, certes peu démonstrative, mais qui tient en de petits riens. Une main sur un bras ou sur une épaule, un geste discret et réconfortant.

Pour autant, je ne ressors pas emballé de ce recueil. Il y a comme un goût de trop peu. Dans la nouvelle éponyme, j’aurais bien accompagné plus longtemps les deux personnages, dignes de Beckett. Pareil pour le dernier texte, j’aurais aimé rester davantage avec le joueur d’orgue. Et puis je n’ai pas retrouvé la magnifique écriture de Choplin, sa petite musique susurrée comme dans un souffle dans « La nuit tombée » et « Le radeau ». A tel point que je me demande si ces nouvelles ne sont pas des œuvres de jeunesse tant elles me semblent « inabouties ». Bref, même si j’ai passé un agréable moment, ce n’est pas un coup de cœur, loin de là.

Les gouffres d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2014. 132 pages. 16 euros.


Une lecture commune que je partage avec Leiloona et Noukette.






jeudi 13 mars 2014

Des entrées pour le salon du livre à gagner



Comme beaucoup de copinautes, j'ai la chance de pouvoir vous offrir 5 entrées pour le salon du livre qui ouvre ses portes la semaine prochaine. Vous avez jusqu'à demain minuit pour vous manifester dans les commentaires de ce billet. Je ferai le tirage au sort samedi matin.

Personnellement, je serai sur la salon le samedi toute la journée. Je n'ai pas de programme précis en dehors de déambuler dans les allées à la recherche de belles surprises livresques. J'irai aussi rendre visite à mes éditeurs chouchous et je me plierai sans doute à l'exercice de la dédicace avec quelques auteurs de BD.

Peut-être aurais-je le plaisir de croiser certain(e)s d'entre vous comme ce fut le cas l'an dernier. Qui sait ?


mercredi 12 mars 2014

Le Horla - Guillaume Sorel et Maupassant

Dans Le Horla, Maupassant raconte, sous forme de journal, les hallucinations d’un homme persuadé qu’une présence maléfique veut prendre possession de son corps et de son esprit. Un être surnaturel imposant à sa victime sa propre volonté et absorbant peu à peu son énergie vitale. Une nouvelle vraiment flippante dont je garde un souvenir très précis des années après l’avoir lue.

Guillaume Sorel n’a pas choisi de faire une adaptation à l’identique. D’ailleurs il déclarait récemment qu’ « une bonne adaptation est une trahison ». Si certains monologues sont bien des passages du texte source, exit  le journal. Le narrateur est accompagné d’un chat (inexistant à l’origine) auquel il confie ses tourments et ses états d’âme. Il y a aussi une vraie ambiguïté quant au mal qui frappe la victime. Chez Maupassant, il ne fait aucun doute que l’homme souffre d’un trouble du système nerveux et bascule dans la folie. Dans la BD, le problème ne vient pas forcément de sa santé mentale mais il pourrait bien avoir des causes réellement surnaturelles. En tout cas rien n’est clairement tranché je trouve. Ce qui est certain c’est qu’il vit dans une grande solitude, dans un isolement qui va peu à peu accentuer le sentiment de terreur l’envahissant chaque jour davantage.       

Le dessin, c’est pas un scoop, est une tuerie totale. Je dis que ce n’est pas scoop parce que Sorel est un des plus talentueux dessinateurs actuels. Il y a dans cet album des planches incroyables, de véritables tableaux. Et le plus fort c’est que l’esthétisme reste constamment au service du récit, jamais il ne tombe dans la démonstration gratuite. Couleurs, décors, ambiance oppressante à la lueur des bougies, tout est parfaitement travaillé.

J’ai beaucoup aimé la façon dont Sorel s’est approprié le texte d’origine pour mieux le triturer avec ses propres références, finalement beaucoup plus fantastiques que psychanalytiques. Une adaptation à la fois fidèle et personnelle, visuellement somptueuse.



Le Horla de Guillaume Sorel. Rue de Sèvres, 2014. 64 pages. 15,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Leiloona, Noukette et Stephie. Quel trio !

L'avis de Paikanne






mardi 11 mars 2014

Depuis qu’on a déménagé - Ingrid Thobois

« Depuis qu’on a déménagé, on dirait qu’on a plus le droit d’être heureux. »

Depuis qu’elle a déménagé, la narratrice, âgée de 10 ans, n’a plus le droit de regarder la télé, à part le journal de 20 heures. Depuis qu’elle a déménagé, ses parents ne se parlent plus. La joyeuse tablée du soir s’est transformée en « morceau de banquise à la dérive ». Il faut dire qu’avant ils étaient quatre. Maintenant, ils ne sont plus que trois. Sandra, la sœur cadette, n’est plus là. Elle avait quatre ans quand c’est arrivé. C’était l’année dernière.

Le deuil, la douleur, l’incompréhension. Une fillette qui s’interroge et voudrait voir sa mère s’occuper d’elle. « Que maman se souvienne que sur ses deux p’tites, il lui en reste quand même encore une et que […] c’est mieux que rien. » Elle voudrait qu’elle arrête de culpabiliser, qu’elle arrête de prendre ces pilules qui l’abrutissent et qu’elle continue à vivre, tout simplement. Surtout, elle voudrait qu’elle arrête d’avoir l’impression de trahir sa fille morte en s'occupant de sa fille vivante.  

39 pages, un quart d’heure de lecture. Ingrid Thobois propose un texte fort, d’une infinie tristesse. Elle parle du deuil avec justesse. La voix de la narratrice résonne sans fausse note et vous secoue. La scène finale, pleine d’optimiste, ouvre la voix à une reconstruction possible. Un tout petit roman d’une grande puissance qui va, je pense, me poursuivre longtemps.


Depuis qu’on a déménagé d’Ingrid Thobois. Oskar, 2013. 39 pages. 5,00 euros. A partir de 9 ans.

Une lecture commune que je partage avec Noukette. Vous allez me dire "encore" et je vous répondrais que ce n'est pas fini puisque l'on va se retrouver deux autres fois d'ici la fin de la semaine. Comment ça on est devenus inséparables ?

lundi 10 mars 2014

Nouveaux contes de la folie ordinaire - Charles Bukowski

Prenez un gamin de 17-18 ans. Un gamin un peu paumé qui se destinait à une carrière de footballeur, fauché en plein vol par une sale blessure. Un gamin obtenant le bac par le plus grand des hasards alors que ce n’était pas prévu au programme. Un gamin obligé de faire les trois huit dans une usine de crèmes glacées pour aider un peu ses parents. Maintenant imaginez que l’on encourage ce gamin à poursuivre ses études. Dans sa petite ville de province, le choix est limité, très limité. Un DEUG de langues étrangères appliquées ou un autre de lettres modernes, point barre. Comme les langues ce n’est pas son truc, le gamin se tourne vers les lettres, sans conviction. A la fac, il va faire une rencontre. Enfin deux rencontres. D’abord, un étudiant qui va vite devenir un copain. Puis un écrivain. Parce que le copain lui aura mis dans les mains un bouquin de cet écrivain, un bouquin qui a pour titre « Nouveaux contes de la folie ordinaire »…

Voila comment une vie de lecteur se joue. Une vie tout court, même. Parce que sans ce copain et sans ce livre je ne serais pas là pour vous en parler aujourd’hui. J’aurais forcément pris une autre direction. Si certains sont touchés par la grâce, moi j’ai été touché par Bukowski. Foudroyé même. Il est celui qui a ouvert la porte de ma bibliothèque à tous les autres. Pourquoi un tel coup de foudre ?

C’est difficile à dire. Avant toute chose, c’est son écriture qui m’a parlé. Découvrir que l’on pouvait écrire comme ça, qu’on avait le droit, ça a été une surprise totale. Sa liberté de ton m’a stupéfié, choqué, paralysé, enchanté. Évidemment la langue n’est pas belle. Zéro esthétisme. Mais c’est clair, limpide, fluide. Son éditeur lui avoua un jour : « A cause de toi je ne peux plus lire les autres poètes. Tu marches droit au but, sans la moindre fioriture, comme si tu suivais une voie ferrée traversant l’enfer. » Et j’ai découvert pour la première fois quelqu’un s’adressant aux laissés pour compte, aux sans grades, aux marginaux : « j’ai toujours parlé la langue du peuple en l’appliquant au monde de derrière les miroirs. » Le tout sans jugement, sans un regard extérieur mais au contraire en appartenant au monde qu’il décrit. Loin de Zola et du naturalisme, quoi. Si Bukowski vous raconte une bagarre de poivrots, il fait partie des protagonistes. Quand il vous décrit une journée aux courses, il l’a vécue. Les gueules de bois, il a connu ça au quotidien. Bien sûr c’est un gros mythomane et un misogyne de première. Bien sûr, il adorait choquer, il était d'une grossièreté sans limite. Quand il se met dans la peau d’un violeur suivant une beauté jusque dans son appartement, il affabule totalement. Quand il décrit un pédophile surveillant sa proie, il vous donne la nausée.

Bukowski fanfaronne, il est ridicule, il est grotesque, il est tragi-comique. Mais je le trouve génial parce qu’il assume tout cela. Il est dans l’autodérision permanente, sans jamais se prendre au sérieux. Loin de toute prétention littéraire alors qu’il avait des lettres : Genet, Kafka, Céline, Dostoïevski et Fante, entre autres, étaient ses héros.  Mais il est toujours resté dans l’authenticité lorsqu’il écrivait, la peur, la violence, la solitude et les ravages de l’alcool. Il a multiplié les boulots minables pour survivre, devant arracher des heures d’écriture au cœur de journées dont il sortait abruti par la fatigue et les excès en tout genre. J’ai retrouvé des années plus tard l’esprit de Bukowski dans un poème d’André Laude et je crois que c’est tout à fait ce que j’attends de la littérature :

« La langue doit coller à la vérité des hommes
Elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Traîner dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes, les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu »

La langue de Bukowski, c’est tout cela à la fois. Il restera à jamais, dans mon panthéon personnel, comme le plus grand des écrivains. Et j’ai bien conscience que peu de monde partage mon avis. Mais je vous avoue que j’en ai strictement rien à cirer…

Les nouveaux contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski. Le livre de poche, 1991. 315 pages. 6,10 euros.

Ce billet est spécial à bien des égards. J'avais toujours dit que je ne parlerai jamais de Bukowski sur le blog. D'une part, je craignais de ne pas être à la hauteur et d'autre part, notre relation me semblait trop intime pour que j'ose un jour la dévoiler. Mais A Girl from earth et Noukette sont passées par là et m'ont convaincu de me lancer dans une lecture commune. Qu'elles en soient remerciées, je me suis replongé avec un réel plaisir dans les nouvelles de mon cher Vieux Dégueulasse et j'ai hâte de découvrir leurs avis respectifs, même si je me doute bien qu'ils ne seront pas aussi enthousiastes que le mien.



samedi 8 mars 2014

Ma liseuse et moi...

En décembre dernier j'ai eu la chance de gagner une liseuse Kobo grâce aux "Matchs de la rentrée littéraire de Priceminister". Un beau cadeau de Noël. Pas que je souhaitais particulièrement en acquérir une mais j'étais curieux de voir ce que pouvait donner la lecture sur un tel support. Trois mois après, force est de constater que la greffe vers le livre numérique n'a pas prise en ce qui me concerne.

Si je devais lister les inconvénients, je mettrais en premier l’aspect périssable de l’objet (qui existe aussi avec le livre papier évidemment, mais en général on abîme qu’un livre à la fois alors que si la liseuse vous lâche...), son obsolescence programmée aussi. Et puis sa fragilité (je n’emmènerai jamais ma liseuse à la plage, entre le sable et la chaleur...). Sans compter les difficultés de téléchargement que j’ai déjà vécues et qui m’ont juste donné envie de jeter la liseuse contre un mur. Il y a aussi un problème de tarif. Le prix du numérique reste trop proche de la version papier. A 2 ou 3 euros près, je ne vois pas l’intérêt de payer pour du virtuel. L'absence de couleur rend par ailleurs impossible la lecture de BD. Et puis en littérature jeunesse, tous ces albums incroyables au formats atypiques ne peuvent pas être transférés sur une liseuse, ils perdraient leur raison d'être. Mais le plus important pour moi est l’absence totale de plaisir dans la manipulation de la liseuse. En fait, pour de la lecture « fonctionnelle » (presse, recettes, blogs, etc) le numérique ne me pose aucun problème. Mais pour la lecture « fictionnelle » j’ai besoin de contact, de toucher le papier, de caresser la couverture (le dernier exemple en date me concernant est « Mailman » parce que chez Toussaint Louverture, les romans sont de véritables objets-livres qui participent grandement au plaisir de la lecture). Finalement c’est ça mon problème, je vois la liseuse comme un objet utilitaire alors que dans mon esprit le livre est tout sauf utilitaire. Je crois que je suis juste un vieux réac.

Après il y aussi des avantages. Tous ces classiques que l’on peut télécharger gratuitement, l’éclairage d’excellente qualité qui permet de lire en pleine nuit sans réveiller la personne qui est à coté de vous (c’est l’avantage majeur pour moi, surtout que bébé dort encore dans notre chambre et que je ne pouvais plus lire dans mon lit depuis presque un an. Grâce à la liseuse, j’ai à nouveau pu goûter à ce plaisir). Mais clairement, si je ne l’avais pas gagnée, jamais je ne m'en serais acheté une. D’ailleurs je ne l’ai pas allumée une seule fois depuis au moins deux mois, c’est dire.

Conclusion, ma liseuse et moi, on n'est pas fait pour s'entendre. Elle est trop jeune, trop moderne, trop dans l'air du temps, elle n'est pas assez chaleureuse, elle manque de douceur. Et puis elle manque aussi d'expérience, elle a encore tant de choses à améliorer. Bref, elle ne m'a pas séduit, loin de là. Il faut dire aussi que je ne suis pas un homme facile...

Une réflexion autour de la liseuse que j'ai le plaisir de partager avec George, Noukette, Saxaoul et Valérie.





 

vendredi 7 mars 2014

Mailman - J. Robert Lennon

Albert Lippincott, dit Mailman, est facteur à Nestor, petite bourgade de l’état de New York. Mais Mailman n’est pas un facteur comme les autres. C’est un facteur qui aime lire le courrier avant de le distribuer. Il photocopie les missives après les avoir ouvertes à la vapeur. Une sale manie qui va bien sûr entraîner sa perte. Il faut dire que Mailman est un excentrique doublé d’un maniaque. Il a séjourné quelques temps à l’hôpital psychiatrique, où il a rencontré une infirmière qui est devenue sa femme avant de divorcer et de refaire sa vie avec un médecin. Il entretient une relation particulièrement ambiguë avec sa grande sœur, il déteste les chats, qui le lui rendent bien, il s’est lancé un temps dans l’humanitaire au Kazakhstan (le fiasco total) et il sent depuis peu une grosseur sous son bras qui l’inquiète au plus haut point. Bref, Mailman est un drôle de loustic un peu paumé, un homme qui semble ne rien comprendre au monde et aux gens.

« Il se dit qu’il n’a ni passé ni avenir, qu’il n’y a plus de kilomètres parcourus ni de kilomètres à parcourir, qu’il n’attend plus rien, qu’il n’a plus honte de rien. » Et pourtant, il aurait de quoi avoir honte, Mailman, parce que des casseroles, il s’en trimballe un sacré paquet : la fois où sa mère lui a définitivement fait passer le goût de la masturbation, la fois où il s’est fait choper devant un site porno sur un ordi de la bibliothèque municipale, la fois où il s’est retrouvé devant une classe au Kazakhstan, et tant d’autres encore… Ce personnage pourrait être tout droit sorti d’un roman de John Kennedy Toole, même si je l’ai trouvé moins charismatique que le Ignatius Reilly de La conjuration des imbéciles. Il possède néanmoins ce coté misanthrope, ce coté gaffeur maladroit, cette dimension tragi-comique, cette image de loser permanent qui caractérise le héros de Toole. Son combat est perdu d’avance. D’ailleurs, contre qui, contre quoi se bat-il ? Uniquement contre lui-même sans doute, c’est pour cela qu’il n’a aucune chance de gagner.

Un roman drôle, très drôle même, mais pas que. Un roman tragique et au final terriblement pessimiste, mais pas que. Un roman où l’Amérique semble habitée par une population au mieux névrosée, au pire totalement cintrée. Bref, j’ai adoré. A part la fin qui, je dois l’avouer, ne m’a pas plu du tout. Et puis ce pavé aurait mérité quelques coupes franches (je parie que cela ne vous étonne pas venant de moi), certaines anecdotes n’ayant pas grand intérêt. Mais bon, ça reste la littérature US décomplexée que j’aime tant.

Encore une bonne pioche pour les éditions « Monsieur Toussaint Louverture », dont le catalogue regorge déjà de nombre de pépites. En plus, ce qui ne gâche rien, l’objet livre est vraiment magnifique. Un régal de manipuler un ouvrage façonné avec autant de soin. 


Mailman de J. Robert Lennon. Monsieur Toussaint Louverture, 2014. 668 pages. 23 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Keisha.


jeudi 6 mars 2014

Après l’orage - Selva Almada

D’un coté, le révérend Pearson, pasteur évangélique, et sa fille Leni, 16 ans. De l’autre, El Gringo Brauer, mécano de son état, et son fils adoptif Tapioca. Les premiers sont tombés en panne au milieu de nulle part, sous un cagnard étouffant. Les seconds occupent le seul garage à des kilomètres à la ronde. Une rencontre intense, quatre personnages aux antipodes, une ambiance qui peu à peu va se charger en électricité. Dans ce coin paumé du nord de l’Argentine frappé par une infernale sécheresse, l’orage va gronder, les éléments se déchaîner et les natures de chacun se révéler dans un final que l’on devine rapidement inévitable...

La quatrième de couverture parle d’un huis clos à ciel ouvert et c’est exactement ça. Le face à face entre le révérend et le garagiste est d’une grande force. Le premier est un orateur hors pair, un homme qui sait se montrer convaincant. Le second est un taiseux, profondément athée : « Les affaires du ciel ne l’intéressaient pas. La religion était faite pour les femmes et les hommes faibles. Le bien et le mal, c’était une autre histoire : ça, c’était une question quotidienne, concrète, que l’on pouvait affronter avec son corps. La religion, d’après lui, était une façon d’éluder ses responsabilités. S’abriter derrière Dieu, attendre d’être sauvé, ou rendre le diable responsable du mal qu’on était capable de faire. » Entre eux, l'affrontement ne pouvait que couler de source.

Un excellent premier roman. Chapitres courts, écriture sèche et très visuelle, aller-retour entre le présent du récit et le passé des personnages, Selva Almada possède à l’évidence un vrai sens de la narration. Il y a quelque chose d’hypnotique dans ce texte. Chacun à l’air sûr de soi, maître de ses paroles et de ses actes. Et pourtant on sent que l’étincelle qui va mettre le feu au poudre ne demande qu’à jaillir. Tout tient dans l’ambiguïté des attitudes, dans cette atmosphère immobile et irrespirable qui finit par électriser le décor et les protagonistes. Le début de ma réconciliation avec la littérature argentine à 15 jours du salon du livre, c’est parfait !

Après l’orage de Selva Almada. Métailié, 2014. 134 pages. 16 euros.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Valérie et une participation de plus à son challenge.





mercredi 5 mars 2014

Perico T1 - Philippe Berthet et Régis Hautière

Cuba, 1958. Le président Batista a du mal à contenir la révolution castriste et les barons de la pègre locale s’inquiètent. Le meurtre d’un américain va mettre le feu aux poudres. Une mallette de billets qui disparaît et le jeune Joaquin, serveur sans histoire dans un casino de La Havane, va voir sa vie basculer. Impliqué malgré lui dans une affaire qui le dépasse, il part pour la Floride avec Elena, jeune chanteuse au charme vénéneux promise à Trafficante, le plus grand parrain de l’île. A leurs trousses, une horde de tueurs sans pitié...

Voila un pitch somme toute classique. Du noir bien serré à la trame simplissime mais d’une redoutable efficacité. Berthet a demandé à Régis Hautière de lui écrire une histoire après avoir lu et adoré Abélard (on peut le comprendre). Le scénariste lui a concocté un récit aux petits oignons dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler le « Privé d’Hollywood », l’une de ses plus célèbres séries. En prime, j’ai retrouvé dans ce premier tome plusieurs éléments inspirés d’Abélard : le jeune naïf fou amoureux d’une femme fatale ne s’intéressant pas à lui, l’exil volontaire vers un avenir que l'on pense meilleur, la rencontre impromptue avec un inconnu croisé au cours du voyage... tout ça dans un diptyque. Pour le coup, on peut craindre le pire pour notre jeune naïf quand on connait la fin d'Abélard !

Le graphisme est somptueux et Berthet s’en donne à cœur joie. Cuba et la Floride des années 50-60 sont restitués avec une déconcertante facilité. Voiture, vêtements, architecture, tout y est. Sans compter les femmes à la plastique de rêve, une des « spécialités » du dessinateur des incontournables « Pin-up ».

Un excellent premier volume, qui se dévore d’une traite. Moi qui ne suis pas amateur de polar, je me suis régalé. Et connaissant Hautière, je ne doute pas une seconde que la conclusion de ce road trip trépidant soit à la hauteur.


Perico T1 de Philippe Berthet et Régis Hautière. Dargaud, 2014. 64 pages. 15,00 euros.






dimanche 2 mars 2014

Des hommes en devenir - Bruce Machart

Regardez ces hommes. Celui-là vient de se faire larguer. Celui-ci est « le dernier à être resté en Arkansas » après la mort accidentel de son fils. Cet autre repense, 15 ans après, au jour où il est devenu veuf sur le parking d’un supermarché. Et lui. Son bébé est mort in utero, à sept mois de grossesse. Il se revoit tenant le petit corps sans vie pendant que sa femme hurlait ; « Alors, vous n’allez même pas faire sa toilette. Nettoyez-là, bon Dieu ! Qu’est-ce que vous attendez pour faire sa toilette ! »

Des hommes du Texas. Des « hommes rugueux et robustes, des hommes qui ont les mains calleuses comme du cuir, des hommes qui n’ont pas peur de garder un peu de tendresse dans leur poitrine et de l’exposer au grand jour quand la situation l’exige, quelle que soit la souffrance que cela implique ». Des hommes devant un vide vertigineux. Des hommes pour lesquels le terme « reconstruction » n’est pas un vain mot. « Des histoires d’hommes qui ont tous trois roues sur la route et une dans le fossé. »

Attention, grosse claque, énorme claque. Très longtemps que je n’avais pas lu un recueil de nouvelles d’une telle qualité. Bruce Machart m’avait déjà scié avec Le sillage de l’oubli. Ces nouvelles sont antérieures au roman mais elles montrent déjà que l’on a affaire à un grand écrivain. La puissance de son écriture est incroyable, tout comme sa science de la narration. Les écrivaillons voulant se lancer dans la nouvelle devraient lire ces textes. C’est une leçon magistrale. La quintessence du genre. Un vrai gros et beau coup de cœur (y avait longtemps !).

Des hommes en devenir de Bruce Machart. Gallmeister, 2014. 190 pages. 22 euros

« Quand la femme à laquelle vous êtes fiancé depuis cinq mois rentre à la maison après avoir bossé toute la journée […] quand elle est un peu nerveuse ; quand elle passe la porte et qu’elle vous trouve toujours en caleçon, en train de gribouiller votre dernière histoire sur un bloc-notes, alors que le journal est resté devant la porte d’entrée dans son emballage en plastique même pas ouvert, les petites annonces bien au chaud à l’intérieur, sans que la moindre offre d’emploi ait été encerclée ; et quand elle s’amène dans le couloir quelques instants plus tard, à moitié à poil et en fronçant les sourcils, le visage rouge, aussi impatiente de prendre sa douche que le serait une fermière après avoir saigné un porc, alors vous comprenez que pour elle, vous n’êtes plus que de l’histoire ancienne.»



Et avec un tout petit peu de retard, ce billet signe ma seconde participation au mois de la nouvelle de Flo.