vendredi 17 mai 2013

Le temps de l’innocence - Edith Wharton

Au moment où le roman commence, l’aristocratie New Yorkaise se retrouve à l’opéra. Promis à un avenir brillant, fiancé à la belle May Welland, jeune fille élevée dans la plus pure tradition de la haute bourgeoisie, Newland Archer a tout pour être heureux. Mais lorsque ce soir-là il aperçoit dans une loge voisine la comtesse Olenska, une cousine de May de retour d’Europe après un divorce tonitruant, ses certitudes vacillent. Irrésistiblement attiré par cette femme sulfureuse, intelligente et cultivée, il va néanmoins se résigner à son mariage, se pliant au système de convention d’une société plus que jamais renfermée sur elle-même.

Le temps de l’innocence, c’est la peinture amère du vieux monde New Yorkais de la fin du XIXème siècle. Un monde aux principes rigides, composé de quelques familles richissimes et fermé à toute nouvelle influence. Des gens « nés dans une ornière d’où rien ne peut les tirer. » Dans cette atmosphère de caste, Ellen, femme brillante et libre qui a eu l’audace de quitter son mari, soulève la réprobation générale. Seul Newland l’admire et ne cesse de la défendre. Il sait pourtant que jamais leur attirance mutuelle ne pourra éclater au grand jour et qu’il doit, par tradition, se plier à cette discipline de tribu qu’il supporte de moins en moins.   

Bon, soyons clair, la découverte de ce célèbre roman, Prix Pulitzer 1921, aura pour moi été un long calvaire. Nous devions présenter cette lecture commune avec Marie le 15 avril (je la remercie d’ailleurs au passage pour sa patience et son indulgence alors que son billet était prêt depuis longtemps) et au final il m’aura fallu un mois de plus pour aller jusqu’au bout. En gros, je lisais chaque soir une quinzaine de pages avant de me coucher, impossible de faire plus. Mon petit somnifère à moi, quoi (et puis c’est quand même plus sain que de prendre un Lexomil). En fait tout m’a agacé chez ces bourgeois engoncés dans leurs certitudes d’un autre âge. Sans compter qu’il ne se passe strictement rien, à part les chastes rapprochements de Newland et d’Ellen qui pimentent quelques rares fois (et tout est relatif) une intrigue sans aucun relief. Je n’ai pas ressenti d’empathie pour les personnages et mon manque d’attention conjugué à mon manque d’intérêt a rendu difficile la distinction entre les trop nombreux protagonistes mis en scène. Question dialogues, les conversations de salon insipides foisonnent. Je n’ai retenu que cette remarque faite par Newland qui définit mieux que toute autre ce petit monde sentant la naphtaline à plein nez : « Chez nous, il n’y a ni personnalité, ni caractère, ni variété. Nous sommes ennuyeux à mourir. »

Que retenir de ce roman de mœurs soporifique ? Disons qu’avec May et Ellen, Newland navigue entre deux continents étrangers l’un à l’autre. Parti de l’un, il se dirige vers l’autre sans jamais parvenir à l’atteindre, rattrapé par la dignité d’un devoir conjugal qu’il se résout à honorer en dépit de ses aspirations à l’émancipation. Ça aurait pu être très beau, à la fois triste et bouleversant. Personnellement, j’ai juste trouvé que c’était très pénible…

   
Le temps de l’innocence d’Edith Wharton. J’ai lu, 2003. 308 pages. 6,90 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Marie (c’est toujours un plaisir même si le charme n’a cette fois pas opéré de mon coté).

Les avis, tous très positifs voire enthousiastes de Lili GalipetteAthalie, Mango





jeudi 16 mai 2013

Une chanson pour l’oiseau - Margaret Wise Brown et Remy Charlip

L’oiseau est mort, les enfants ont trouvé son petit corps tout raide et tout froid. Bien sûr les enfants étaient tristes que l’oiseau soit mort mais ils étaient aussi contents de pouvoir s’occuper de lui en lui offrant une sépulture décente. Ils l’ont donc emporté dans le bois et ont creusé un trou dans la terre. Ils l’ont enveloppé dans des feuilles de vigne et l’ont posé dans le trou. Ensuite ils l’ont recouvert de fougère, de petites violettes blanches et de jonquilles. Puis ils ont chanté et pleuré avant de déposer sur sa tombe une pierre sur laquelle ils ont écrit : « ici repose un oiseau qui est mort. »

Un texte de 1938 qui fut illustré en 1958 par Remy Charlip. Décédée en 1952, Margaret Wise Brown n’aura jamais vu son histoire mise en images. Édité pour la première fois en France, cet album devenu un classique de la littérature jeunesse américaine est pour le moins surprenant. Par la modernité de son thème d’abord. L’évocation de la mort est empreinte d’une certaine justesse et ces enfants voulant organiser des funérailles comme les grandes personnes ont quelque chose de touchant. Par la simplicité de ces illustrations et de sa mise en page ensuite. Une vraie patine dans le trait et les couleurs de Charlip. Le coté suranné fait tout le sel de ce petit livre qui, contrairement à bien d’autres, ne galvaude pas le qualificatif de « vintage ». L’organisation de l’ouvrage est répétitive et fait se succéder des double-pages de texte et des doubles-pages illustrées totalement muettes.

Une vraie plongée dans le patrimoine de la littérature jeunesse mondiale. L’occasion de découvrir s’il en était encore besoin que si les choses ont bien changé en 75 ans, certains « vieux » albums possèdent aujourd’hui encore un incontestable charme.
 
Une chanson pour l’oiseau de Margaret Wise Brown et Remy Charlip. Didier jeunesse, 2013. 48 pages. 11,90 euros. A partir de 5 ans.

L'avis d'un autre endroit pour lire









mercredi 15 mai 2013

Terra Australis - Bollée et Nicloux

En 1787, l’Angleterre vient de perdre l’Amérique suite à la guerre d’indépendance et les geôles londoniennes débordent. Le roi George III et ses conseillers, souhaitant à la fois conquérir de nouvelles terres et faire de la place dans les prisons, décident d’expédier 1500 détenus vers la Terra Australis Incognita découverte par James Cook vingt ans plus tôt pour créer une nouvelle colonie. Soldats, bagnards et même quelques prisonnières embarquent sur onze navires pour une traversée de neuf mois. A 24 000 kilomètres de la perfide Albion, les premiers pas dans une anse soigneusement choisie et baptisée Sydney seront tout sauf une sinécure…  

Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux prennent leur temps pour retracer la saga de ces pionniers envoyés sans états d'âme afin de peupler la future Australie. Ils relatent dans le détail la préparation de l’expédition, le périple en mer et l’installation définitive sur place. Entrelaçant les points de vue de nombreux protagonistes réels ou fictifs (Arthur Philipp, premier gouverneur de la colonie, Caesar l’ancien esclave ayant fui l’Amérique, John, orphelin condamné à la déportation alors qu’il n’avait que 9 ans ou encore Bennelong un aborigène capturé par les arrivants afin de lui enseigner leur langue et l’utiliser comme interprète auprès des populations locales), ils créent un véritable docu-fiction qui, bien que souffrant de quelques longueurs, s’avère dans l’ensemble passionnant.

Cet album est une brique, un pavé, que dis-je, un parpaing ! Pas simple de manipuler un tel objet-livre. Mais une fois trouvée la position de lecture idéale, on se laisse embarquer avec plaisir vers ce fascinant pays-continent qu'est l'Australie. Il y a forcément un coté un peu scolaire dans cette fresque historique foisonnante. Mais ce style didactique n’est pas gênant car l’équilibre entre la petite et la grande histoire est parfaitement trouvé. A mon goût les pages dédiées aux préparatifs et à la traversée occupent une place trop importante par rapport à l’installation sur place, mais cela reste un détail.

Niveau dessin, Philippe Nicloux s’est sans conteste lancé dans le projet le plus ambitieux de sa carrière. Quatre années auront été nécessaires pour réaliser l’ensemble. Son trait souple et nerveux est un régal de maîtrise. La majeure partie de l’album se déroulant dans des espaces sombres et confinés (prison ou bateau), le travail sur la lumière et « les éclairages » a demandé une minutie particulière. L’utilisation de nombreuses nuances de gris permet par ailleurs de jouer sur les différentes atmosphères, des rues mal famées de Londres au bush australien. Aussi incroyable que cela puisse paraître, toutes les planches ont été réalisées par ordinateur avec le logiciel Manga Studio. J’avoue je suis plus que bluffé par le résultat final !
  
Ambitieux, instructif et graphiquement imparable, Terra Australis est une incontestable réussite. Ce n’est certes pas un coup de cœur mais je dois reconnaître que des leçons d’histoire comme celle-là, j’en veux bien tous les jours.

PS : coup de chapeau en passant à l’éditeur qui a choisi de publier ce roman graphique d’un bloc plutôt que de le « découper » en cinq tomes de 100 pages. Évidemment, c’est un investissement pour le lecteur mais c’est toujours moins cher que cinq fois quinze euros.

Une lecture commune que j’ai une nouvelle fois le plaisir de partager avec Mo’. Décidément, on devient inséparables quand il s’agit de parler BD le mercredi. Et si je vous disais que l’on remet ça la semaine prochaine…
 

Terra Australis de Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux. Glénat, 2013. 512 pages. 45 euros.










mardi 14 mai 2013

Où je parle un peu boulot...

Bon, puisque ce blog n’est pas que la fête du slip (même si le changement de nom temporaire pourrait laisser croire le contraire) on va causer un peu boulot. Je rédige ce billet à chaud suite à un coup de téléphone qui m’a légèrement agacé. Une partie non négligeable de mon travail consiste à animer un prix littéraire pour les élèves de CM2/6ème de mon département. C’est mon petit bébé à moi, créé il y a quelques années. Alors que la 5ème édition se termine, le succès est au rendez-vous puisque nous sommes passés de 500 à près de 1300 élèves participants. Je le dis d’autant plus facilement que je n’y suis pas pour grand chose, les vrais responsables de ce succès étant les enseignants qui permettent à ce prix d’exister et de grandir ainsi que les bénévoles de mon comité de sélection qui n’hésitent jamais à prendre le temps nécessaire pour choisir avec le plus grand sérieux les livres proposés aux élèves.

Une des caractéristiques de ce prix est de s’adresser aux « petits lecteurs », c'est-à-dire ces enfants qui n’ont pas de problèmes particuliers pour lire mais qui ne voient aucun intérêt dans cette activité. Le pari a donc été au départ de se dire : trouvons les livres qui vont leur faire comprendre que la lecture peut être un plaisir (oui, je sais, nous sommes de doux rêveurs…). Pour relever le défi, nous avons construit nos sélections à partir de critères simples : des livres récents, pour les 9-12 ans, de moins de 150 pages, abordant des thématiques très différentes et ne s’arrêtant à aucun genre et à aucun support. Nous avons dans notre sélection des romans mais aussi de la BD ou des albums jeunesse. Or, tous les lauréats depuis la création du prix sont des « livres d’images ».

Chaque année, en tant qu’organisateur, j’ai droit au même reproche de la part de certains enseignants : « Les livres de votre sélection ne sont pas sur un pied d’égalité puisque l’on sait très bien que les enfants vont toujours préférer l’album ou la BD » (sous-entendu : puisque les gamins d’aujourd’hui ne lisent plus et sont de grosses feignasses, ils vont choisir le livre le plus facile…). Soit. Encore faudrait-il que la BD soit une lecture facile mais c’est un autre problème. L’an dernier, une enseignante m’a fait ce reproche devant ses élèves alors que j’étais en train de leur annoncer le palmarès. Je les ai pris à témoin en leur demandant : « imaginez que nous ayons dans notre sélection une BD et 4 romans mais que la BD soit complètement nulle, sans aucun intérêt et dessinée avec les pieds. Est-ce que vous allez voter pour elle juste parce qu’il y a des images dedans ? » Il y a toujours un ou deux malins pour répondre « oui » mais la grande majorité a lancé un « non » franc et massif. Là-dessus, l’enseignante intervient pour dire : « mais de toute façon c’est impossible puisque si vous mettez une BD dans la sélection, c’est qu’elle est de qualité ! » Je me suis tourné vers elle en souriant : « ben voila, vous avez tout compris. Peu importe le genre ou le support, ce qui compte c’est la qualité du livre. »

Avec ce prix, je me fiche royalement du palmarès. Bien sûr il est important pour les enfants de voter et ils peuvent être fiers de leur choix. Mais moi ce qui m’intéresse c’est de provoquer une rencontre improbable et fructueuse entre un livre et un petit lecteur qui va tomber sous le charme. Et si pour ça il faut passer par le biais d’une BD, aucun problème. Rien de plus merveilleux que de recueillir des témoignages de documentalistes me disant que certains élèves de 5ème ayant participé l’année précédente viennent dès le mois de septembre au CDI pour découvrir la nouvelle sélection et demander s’ils pourront la lire. Les résultats parlent pour nous de toute façon puisque neuf enseignants sur dix ayant participé au prix souhaitent renouveler le projet.

Évidemment mon point de vue est discutable mais je serai toujours le premier à défendre la sélection de mon comité. L’an dernier, le grand gagnant (Les sales histoires de Félicien Moutarde) a fait jaser. Il a surpris par son coté irrévérencieux et politiquement incorrect mais les élèves ont adoré cet odieux bébé. Il y a deux ans, des parents ont refusé que leurs enfants lisent Le sauvage, un roman graphique assez violent aux illustrations parfois torturées et bourré de fautes d’orthographe (normal puisque c’est le journal intime d’un ado…). Inutile de vous dire que Le sauvage a gagné haut la main. Cette année, il me manque encore les votes de quelques classes mais il ne fait aucun doute que L’enfant cachée va remporter la 5ème édition. Quiconque a lu cette BD ne peut que reconnaître son indiscutable qualité. Et difficile d’imaginer que ce titre a été choisi pour sa facilité. Je vais me faire un plaisir d’annoncer ce résultat dans les classes dès la semaine prochaine, quitte à essuyer quelques remarques désagréables d’adultes n’ayant pas compris que l’aspect « prix littéraire » n’est qu’un prétexte pour amener les élèves vers la lecture.

Le pire, c’est que la sélection de la 6ème édition qui se profile risque de proposer à la fois une BD et un album jeunesse au milieu de trois romans. J’ai pas fini d’en entendre parler...



lundi 13 mai 2013

Où je prête mon blog à un auteur pour qu’il y publie une nouvelle inédite...

Un billet très particulier aujourd’hui puisque je prête mon blog à un auteur pour qu’il y publie une nouvelle inédite. Cet auteur, c’est Roger Wallet. Roger n’est pas n’importe qui pour moi puisqu’il a été mon patron pendant de nombreuses années et bien plus que cela encore. Un patron formidable qui, lorsque l’on rentrait dans son bureau pour lui exposer un projet ou une idée commençait toujours par vous répondre « c’est d’accord » avant de vous demander : « au fait, c’est quoi le projet ?» Grâce à lui j’ai vécu des moments magiques au cours d’ateliers d’écriture dans des classes, j’ai pu créer un prix littéraire pour des élèves de Cm2/6ème et faire venir pendant une semaine des ouistitis et des perroquets (vivants !) dans le hall de la médiathèque. Et puis c’est lui qui m’a fait découvrir Carver, Bobin et Michon. C’est pas rien.


Roger est un orfèvre de la nouvelle. Son crédo est celui des petites gens, de ces vies minuscules mises en lumière avec sensibilité (Carver et Michon, encore). Son premier roman, Portraits d’automne, paru au Dilettant en 1999 et réédité en poche (Folio) lui a valu les éloges de la critique et un passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot. Tout ce que j’ai perdu m’appartient (éd. du petit véhicule) reste mon recueil de nouvelles préféré.
Il m’a confié deux nouvelles à publier sur ce blog. Autant vous dire que je n’en suis pas peu fier. La première est très courte, vous pouvez la découvrir ci-dessous. La seconde, beaucoup plus longue, sera mise en ligne la semaine prochaine. J’espère que vous prendrez le temps de les découvrir. Il me semble que ça en vaut la peine...




La foudre, Volodia

Voilà. Je dirai simplement les choses, comme elles se sont passées. Pas de trémolos dans la voix ni de grandes orgues. Rien que la lueur du matin qui, ce jour-là, découpait autrement l'horizon. On ne peut s'y préparer, on ne peut s'en protéger. Rien d'autre que prier que cela n'arrive pas. Jamais. Quand la chose est arrivée – dans notre langue on dit le coup de foudre (udar groma) mais l'expression signifie autre chose pour vous – quand c'est arrivé, j'ai été désigné pour faire partie de la première équipe. Il neigeait tous les jours et la plaine autour de la centrale était une page blanche sur laquelle, interminablement, les chenilles réécrivaient leurs hiéroglyphes. De toutes ces années, nous n'avions rien fait d'autre que de surveiller, la centrale, les environs, les terroristes surtout. À l'atelier, nous bichonnions les engins. Nous avions des consignes très strictes pour tous les cas de figure mais celui-là, personne ne l'avait sérieusement envisagé. Lors de la construction, la zone avait été vidée de tous ses habitants, à cause des secrets militaires, le Kremlin était un peu paranoïaque là-dessus. Il n'était resté que Vladimir et sa femme. Ils n'avaient plus d'âge. Je les avais toujours connus ici, dans leur baraque minable et sans confort. Ils vivaient comme dans le temps. Quand on a construit la centrale, ils ont été les seuls à refuser de partir à la ville. Lui, Vladimir, il était quelqu'un ! Je ne connais pas très bien l'histoire mais à Stalingrad il avait eu un comportement héroïque. Depuis, il boitait et on lui fichait la paix. 
Là, tout est allé si vite après l'explosion… Je suis venu lui dire On a reçu des ordres, Volodia. Tu as une heure, pas plus. En attendant, le docteur a donné ces cachets. Je repasse vous prendre. Sa femme a posé la main sur son épaule, elle pleurait presque. Mais les personnes âgées ont reçu tellement de coups dans leur vie que les mots leur sont rentrés dans la gorge et les larmes dans les yeux. Volodia a simplement secoué la tête, Je crois qu'on va rester, petit, a-t-il dit. Il y avait de la tendresse entre nous, il m'avait connu gamin, il m'appelait petit et moi, je l'appelais Volodia.
Quand je suis repassé, il avait fait le plus dur : il avait étranglé sa femme de ses propres mains. Il lui avait mis un bouquet, trois fleurs, entre les doigts. Il a dit Aide-moi, petit. Il avait serré la corde autour du cou mais le plafond était bas. Alors je l'ai saisi à la taille et brusquement j'ai tiré de toutes mes forces en chialant comme un môme.

Roger Wallet





samedi 11 mai 2013

Coup de sang - Enrique Serna

« Peut-on être libre quand on est esclave de sa verge ? »

Le mexicain Bulmaro sait que c’est impossible. Il n’hésite d’ailleurs pas à apostropher le « ravisseur de sa volonté » : « Comme ça, au repos, on dirait un gentil mouflet obéissant, mais je te connais bien. Comme tous les gosses, tu es un tyran en puissance, à la moindre négligence tu fais un coup d’état. Dès que tu vois passer un joli cul dans la rue, tu te mets à hurler des ordres comme un adjudant : peloton, garde à vous ! Au pas de course jusqu’au précipice ! » A cause de cet adjudant autoritaire, Bulmaro a quitté Veracruz, sa femme et ses enfants, pour suivre à Barcelone une chanteuse de salsa au corps de rêve. Et même si elle lui en fait voir de toutes les couleurs, le traite comme un chien (« A force de se laisser insulter et maltraiter, son amour-propre était devenu insensible comme le bras d’un junkie »), il suffit qu’il s’installe entre ses cuisses pour tout oublier et perdre la raison.  

Ferran, lui, a un autre problème lié au sexe. Incapable de tenir une érection depuis une expérience catastrophique à l’adolescence, ce barcelonais de 47 ans est toujours puceau. Mais grâce au Viagra, Ferran semble avoir enfin réglé son problème d’impuissance. Il multiplie les conquêtes et cherche à évacuer des années de rancœur et de frustration. Peu à peu, sa nouvelle réputation de « bon coup » lui monte à la tête. Il constate, « baise après baise, la progressive bouffissure de [son] orgueil, un orgueil obèse qui débordait de tout [son] corps. » Plus dure sera la chute…

Juan Luis l’argentin est quant à lui un acteur porno en fin de carrière, célèbre pour pouvoir commander son érection par la simple force de son esprit. Avec lui, jamais de défaillance, jamais de coupe au montage, on peut tourner chaque scène en un seul plan. Débarqué à Barcelone pour tourner une série de films devant lui rapporter gros, il rencontre une jeune étudiante dont il tombe fou amoureux. Épris pour la première fois de sa vie, il constate penaud qu’il ne peut plus honorer d’autres femmes que sa chère et tendre. Une situation impensable, invivable, qui finira par le conduire à l’asile… 

Ces trois-là vont se croiser, se fréquenter de plus ou moins près. Trois caricatures du macho latin dans toute sa splendeur. Ces quarantenaires se voient en pleine action en lion ou en taureau. Ferran compare ses prouesses au lit à la « fougue d’un lancier médiéval mettant à sac une cité sarrasine. » Des hommes bien faibles finalement. Enrique Serna s’est à l’évidence beaucoup amusé à tricoter cette étude de mœurs où seule la mégalomanie sexuelle semble régir les existences. Entre comédie, tragédie et vaudeville, il n’épargne personne, les femmes en prenant aussi pour leur grade, de la cougar décomplexée à l’étudiante coincée en passant par la chanteuse de cabaret aussi vaniteuse qu’égocentrique.

Un roman corrosif et génialement pathétique qui met en scène la révolution existentielle vécue par des machos atrabilaires incapables de contrôler leurs pulsions. Je me suis régalé, même si j’espère ne jamais finir comme eux lorsque la quarantaine viendra frapper à ma porte, quitte à engager une lutte sans merci avec le tyran en puissance qui risque de vouloir prendre le pouvoir...

 Leiloona se demandait récemment si certains romans peuvent être sexués. Il me semble que celui-là s’adresse clairement à la gente masculine. D’ailleurs j’aimerais beaucoup découvrir un avis féminin sur ce titre, même si je doute qu’il soit enthousiaste. Si le cœur vous en dit, c’est avec plaisir que je ferais de mon exemplaire un livre voyageur. 

Coup de sang, d’Enrique Serna. Métailié, 2013. 335 pages. 20 euros. 

jeudi 9 mai 2013

Liebster award 3 et 4 : le retour de la revanche


Re-rebelotte. Après Syl et Sophie / Hérisson, c’est au tour de Mo’ et de Philisine Cave de me décerner un Liebster award. Trop gentilles… 

Le principe reste le même : écrire 11 révélations sur moi, répondre aux 11 questions que l’on me pose, créer à mon tour 11 questions et les poser à 11 personnes.
Concernant les 11 révélations, j’ai tout donné ici donc je n’y reviens pas. Concernant les 11 questions à créer et les 11 copains/copines à désigner, je passe aussi mon tour, pas le courage. Reste donc les 11 questions de mes tagueuses. 22 réponses à donner, donc (vous suivez j’espère) et j’avoue que c’est pas du facile-facile…

Les questions de Mo’

1. Que pensez-vous de cette citation de L’Entrevue (M. Fior) : « Que serions-nous s’il ne nous restait même pas les rêves ? »
On serait sacrément déprimés je crois…

2. Et de Formose (Li-Chin LIN) : « Les enseignants les plus appréciés étaient ceux qui nous aidaient à avoir de bonnes notes en nous donnant des astuces. Pas ceux qui nous encourageaient à penser » ?
Je crois que qu’il faut un peu des deux. La sentence du diplôme est devenue tellement importante que les conseils méthodologiques sont toujours bienvenus. Mais le prof qui t’encourage à penser, c’est quand même pas rien. Sans oublier que selon moi l’enseignant doit aussi être un passeur culturel, c’est un aspect fondamental du métier (surtout pour les profs doc).

3. Et une dernière des Ignorants (E. Davodeau et R. Leroy) : « Pourquoi un livre rencontre ou pas ses lecteurs ? Qu’est-ce qui fait la valeur d’un auteur ? »
Pourquoi un livre rencontre ou pas ses lecteurs, c’est une vaste question. Heureusement d’ailleurs qu’il n’y a pas qu’une seule réponse sinon tout le monde ferait le même livre. Après, la valeur d’un auteur, c’est super subjectif. Pour moi, il y a deux choses fondamentales : la musicalité de son écriture (c’est valable pour le dessin) et le rapport au monde qu'il construit en fonction de ses humeurs, ses envies et son vécu. C'est cette alchimie qui fait pour moi la valeur d'un auteur.

4. C’est la journée mondiale du Livre voyageur. Tu t’es inscrit pour participer à l’opération « Passes ton livre à ton voisin ». Tu devras donc déposer un livre de ton choix dans un lieu public pour qu’un inconnu l’emporte, le découvre et le remette dans le circuit des livres voyageurs par la suite. Quel livre choisis-tu et dans quel lieu le déposes-tu ?
Je crois que choisirais La conjuration des imbéciles parce que  le personnage d’Ignatius Reilly gagne à être connu. Et puis je laisserais bien traîner ce livre dans un stade de foot, dans la tribune réservée aux ultras par exemple, en espérant qu’ils ne prennent pas le titre pour eux (quoique…).

5. Un de tes amis souhaite suivre davantage l’actualité littéraire. Quel webzine lui conseillerais-tu ?
Pour moi il n’y a rien de mieux que www.livreshebdo.fr. Il y a une grosse partie réservée aux abonnés mais quelques articles peuvent aussi être consultés gratuitement

6. Tu te réveilles un matin et constates rapidement qu’Internet n’existe plus. Toutes les radios relayent l’information. C’est un fait : Internet n’existe plus et rien ne le remplacera. Qu’est-ce qui te manquera le plus ?
Ben toi. Comment on ferait pour causer sans internet ? Y a bien le téléphone mais je suis pas fan. Ce serait dur dur…

7. Lors d’un Festival du livre, tu fais la queue pour rencontrer un auteur. Dans la file d’à-côté, un festivalier s’adresse à toi. Vous sympathisez. Il te parle de son dernier coup de cœur et d’une chronique qu’il a lue sur internet et avec laquelle il n’est pas d’accord. En investiguant, tu comprends que ladite chronique incendiaire est celle que tu as mise en ligne. Que fais-tu ? Te dénonces-tu comme l’auteur de cet écrit ou le laisses-tu parler et te dénigrer ?
Bien sûr que je me dénonce. J’écris pas de chroniques incendiaires mais si je le faisais j’espère qu’elles seraient argumentées donc à priori j’aurais de quoi répondre à ce festivalier dénigreur…

8. Un auteur te contacte car il aimerait que tu présentes son dernier ouvrage. En suivant le lien qu’il te donne pour accéder à son site, tu constates que tu n’apprécies ni son style, ni la teneur de ses propos. Avec diplomatie, tu le recontactes en lui expliquant que tu ne souhaites pas t’engager dans ce projet de partenariat. Il t’insulte, te trouve intolérant… Que lui réponds-tu ?
Je réponds rien du tout. Silence radio, c’est la meilleure des réponses dans un cas comme celui-là.

9. Suite à un accident, tes deux bras sont plâtrés pour deux mois. Te voilà en arrêt, incapable de travailler et avec un boulevard de temps libre pour les semaines à venir. Le problème, c’est que tu ne peux rien attraper seul. Adieu lectures ou as-tu un stratagème pour contourner cette difficulté ?
On peut être vulgaire, dis, on peut ? Alors si je n’ai plus l’usage de mes bras et que je devais tourner les pages d’un livre, je crois que j’essaierais avec ma b… Ok, je vois pas bien techniquement comment je m’y prendrais mais au moins ça occuperait mon temps libre d’essayer de trouver une solution.

10. Envie de sensations fortes ? Dans quel lieu atypique tenterais-tu une heure de lecture ?
Aucune idée. Pas en hauteur parce que j’ai le vertige. A la limite sous l’eau si c’était possible.

11. De quel conte d’enfant aimerais-tu être le héros ?
J’aimerais bien être Le chat Botté. Entre celui de Perrault et celui de Nancy Pena, c'est un personnage d'une grande richesse.

Les questions de Philisine

1-Si tu étais un mot ?
Eh ben, il commence bien ton questionnaire ! Si j’étais un mot,  je dirais « délectation ». Ça renvoie au plaisir, au ravissement, à la volupté… tout ce que j’aime. 

2- Si tu étais un événement ?
Un concours de tee-shirt mouillés sur une plage de Miami, ça me paraît pas mal comme événement important.

3- Si tu étais une image ?

© Crumb


4- Si tu étais une fleur ?
Je dirais le muguet parce que j’aime bien ses clochettes. Maintenant, sucer sa tige rend malade et j’avoue que ça me pose un vrai problème…

5- Si tu étais un mensonge ? Une couleur ?
Oui, je me suis permis de changer la question (je fais un peu comme chez moi) parce que sache que je ne mens jamais et qu’il m’est donc impossible d’imaginer être un mensonge. Bref, si j’étais une couleur je serais le bleu picard. Comment ça tu ne connais pas le bleu picard ? C’est une couleur obtenue grâce à la waide, une plante cultivée au Moyen-âge permettant de produire un magnifique pigment bleu. On appelle cette plante « l’or bleu de la Picardie » (c’était ma petite minute culturelle, il faut bien que j’essaie de remonter le niveau par rapport à mes autres réponses, surtout la précédente…)

6- Si tu étais un pays ?
Un pays qui me ressemble, tu veux dire ? Disons l’Islande. Des gens solitaires et taciturnes, beaucoup de silence, une météo changeante, une terre glaciale et  bouillonnante, c’est tout moi ça.

7- Si tu étais une idée ?
Je serais l'idée géniale qu'a eu Gutenberg avec l'imprimerie. La plus importante invention dans l'histoire de l'humanité selon moi.

8- Si tu étais un texte ?
Je dirais l’Étranger de Camus. Ce texte m’a fasciné. A tel point que je rêvais d’être dans la même pièce que lui au moment où il a écrit cette fameuse première phrase. Je me voyais me pencher par dessus son épaule pour voir les mots apparaître : « Aujourd'hui maman est morte. » 

9 - Si tu étais un objet ? 
Un serre-livre, juste pour passer tout mon temps dans une bibliothèque.

10- Qui t'a donné l'envie de bloguer ?
Pas qui mais quoi. A force de lire et de ne trouver personne à qui parler de ces lectures dans mon entourage je me suis dit qu’il fallait élargir mon horizon. Et quoi de mieux qu'un blog ?

11-Quelle empreinte veux-tu laisser ?
J’aime bien laisser mes empreintes de pas dans la neige. C’est joli mais c’est temporaire, c’est une petite trace qui ne fait que passer et dont pas grand monde ne se souviendra longtemps, ça me convient parfaitement.



mercredi 8 mai 2013

L’entrevue - Manuele Fior

C’est la semaine où j’ouvre mes cadeaux, ceux offerts récemment par deux de mes blogueuses préférées. J’ai commencé lundi avec Comme on respire de Jeanne Benameur (cadeau de Noukette) et j’enchaîne aujourd’hui avec L’entrevue de Manuele Fior (cadeau de Mo'). Pas grand-chose en commun entre ces deux ouvrages, si ce n’est un réel plaisir de lecture.

J’avais quelques doutes par rapport au nouvel album de Fior. Le billet enthousiaste de Cristie m’avait convaincu mais les arguments avancéspar Mo’, pourtant elle aussi sous le charme, m’avaient quelque peu refroidit. En général je n’aime pas les histoires qui laissent une trop grande part au rêve et qui gardent une sorte de flou artistique entre onirisme et réalité. Je trouve que c’est une forme de facilité scénaristique qui cache souvent de vraies faiblesses en termes de narration. Je dois reconnaître que ce n’est pas le cas ici, comme d’ailleurs dans la série Philémon de Fred qui ne m’attirait pas spécialement pour les mêmes raisons et que je découvre avec bonheur ces jours-ci, une fois de plus grâce à l’art de la persuasion de Mo’. Comme quoi les certitudes de lecteur sont faites pour être bousculées…


Rien ne va plus dans la vie du psychologue Raniero. Sa femme est sur le point de le quitter, un accident de voiture l’oblige à porter une minerve, des cambrioleurs s’introduisent chez lui et le passent à tabac et pour couronner le tout il aperçoit dans le ciel d’étranges formes triangulaires qui ne peuvent être que des ovnis. Quand Dora, une jeune patiente de trente ans sa cadette, lui affirme être en contact télépathique avec des extraterrestres, Raniero voit ses certitudes vaciller.  

Petite précision qui a son importance, nous sommes en 2048. Les voitures sont téléguidées et la jeunesse, en rupture avec les aînés  s’est rangée sous la bannière d’une « nouvelle convention » prônant la « non exclusivité émotive et sexuelle.» Raniero reste de la vieille école. Pourtant il comprend que les bouleversements à venir vont tout changer…   

Fascinant, voila comment je qualifierais cet album. Fascinant par sa faculté à saupoudrer avec le plus grand naturel une touche futuriste dans le quotidien d’un homme qui pourrait être d’aujourd’hui. Fascinant par la poésie graphique déployée tout au long de ses 175 pages. Manuele Fior fait preuve d’une inventivité incroyable. Son trait charbonneux semble parfois élastique et son découpage multiplie les angles de vue plus audacieux les uns que les autres. Une démonstration technique qui reste constamment au service de la narration pour mieux la magnifier.

L’entrevue est à la fois une histoire d’amour et une réflexion métaphysique sur le sens de la vie. Raniero est un homme à la croisée des chemins, ébranlé par une réalité qui lui échappe. Un homme au bord du précipice, hésitant à sauter le pas vers l’inconnu(e) qui lui tend les bras. L’ensemble reste néanmoins léger et pousse à la réflexion. Une vraie grande réussite, je comprends pourquoi Cristie et Mo’ ont été conquises. 
  

L’entrevue de Manuele Fior. Futuropolis, 2013. 174 pages. 24 euros.






mardi 7 mai 2013

Le premier mardi c'est permis (16) : Tout ce qu’il voudra : l’intégrale

J’avais pourtant dit le mois dernier : « Marre de la clit ». Mais je suis lunatique. Il aura fallu un lundi de Pâques passé chez une copine de ma femme pour que je replonge. Un repas copieux, un peu arrosé. Un début d’après-midi où les enfants jouent dehors et où les parents papotent après le café. Bibi sur le canapé, prêt à piquer du nez et qui en tournant la tête tombe sur ce bouquin. Feuilletage rapide, je lis le premier chapitre et je me dis : « c’est pas possible ! ». Je repars le soir avec le livre sous le bras, persuadé d’avoir touché le graal, le roman rassemblant à lui seul tous les clichés propres à la clit lit. Bingo ! (si je puis dire)     

L’histoire est comme toutes les autres : une oie blanche et un apollon richissime qui se rencontrent et copulent comme des bêtes. La différence c’est que les choses démarrent au quart de tour. Troisième page : « un corps dur me pressa contre les portes de la cabine. Le contact du métal froid contre mes tétons soudain érigés et sensibles m’arracha un léger soupir. [...] un long membre tumescent venait de se coller à ma hanche ». Trois pages et on donne déjà dans le membre tumescent. Elle le croise tous les jours dans l’ascenseur. Ce matin-là il lui colle la main dans la culotte comme si de rien n’était : « Je connus alors l’orgasme de ma vie dans une exclamation étranglée. » Bien sûr, bien sûr...

Le soir même, rebelote. Il la surprend dans le parking souterrain. Ça commence par « Lachez-moi ou je hurle » (elle) et ça finit par « Sucez-moi » (lui). Entre les deux, elle a adoré ce simulacre de viol : « je jouis avec une force incroyable, secouée par des vagues successives de plaisir. » Pas à dire, le fantasme du viol dans le parking souterrain, ça marche à tous les coups. Et attendez, c’est pas fini !

Troisième round le lendemain. Alors qu’elle se présente pour trouver un job, devinez qui fait passer l’entretien d’embauche... son apollon, évidemment. « Levez-vous et penchez-vous sur le bureau, en appui sur vos coudes... » Et paf ! Le fantasme de l’entretien d’embauche qui se transforme en casting porno. Tout ça en moins de 30 pages. Si après la ménagère n’est pas échaudée, c’est à n’y plus rien comprendre. Effroyable image de la femme renvoyée tout le long du roman. Pour tempérer les choses, l’héroïne est surprise de sa docilité, elle fait même « appel à toute son indignation de femme » quand le patron la culbute sans lui demander son avis. Mais au fond elle adore ça la cochonne. Bien sûr, bien sûr...

Je crois que cette fois-ci j’ai touché le fond, le degré zéro de l’érotisme livresque. Et encore je ne vous parle pas du scénario totalement con avec une histoire de trafic d’armes et de luttes intestines au sein de la famille du milliardaire sans aucun intérêt. Je ne sais pas pourquoi je suis allé jusqu’au bout. Une forme de masochisme sans doute. L’impression de flageller mon amour de la belle littérature avec une ceinture à clous. L’écriture de Sara Fawkes est affligeante de médiocrité. C’est simple, en comparaison Sylvia Day ferait presque du Flaubert.

Fini la cli lit. Cette fois-ci je pense être définitivement vacciné. Je vais même vous annoncer en exclusivité ma lecture du mois prochain. Comme ça vous verrez que ce n’est pas de la clit lit et si en plus vous vous sentez d’attaque pour une lecture commune, ce sera avec plaisir. Le mois prochain donc, je vous causerais de la réédition aux éditions La musardine du roman d’Alain Bonnand Il faut jouir, Edith. Avouez que le titre sonne comme une invitation...

Tout ce qu’il voudra : l’intégrale de Sara Fawkes. Marabout, 2013. 310 pages. 15,90 euros.



L'avis de Noukette




lundi 6 mai 2013

Comme on respire - Jeanne Benameur

Voila un livre qui me tient doublement à cœur. D’abord parce que c’est Jeanne Benameur, une auteure qui prend une place de plus en plus importante dans mon panthéon personnel. Ensuite parce qu’il m’a été offert par Noukette, une blogueuse pas comme les autres pour moi, pour des tas de raisons que je n’ai pas envie d’expliquer ici.   
     
« Écrire c’est renoncer et désirer dans le même acte. » Dans ce texte spécialement créé pour la manifestation Un livre une rose en 2003, Jeanne Benameur explique pourquoi l’écriture est pour elle une activité vitale.

Un texte proche de la poésie, celle que j’aime, qui reste à hauteur d’homme, qui griffe et caresse avec élégance. Jeanne Benameur connait le pouvoir des mots. Elle sait les agencer pour que naisse l’émotion. Pas besoin de lyrisme boursoufflé, c’est ici le minuscule qui fait mouche. Les mots sont comptés, jamais légers, parfois brusques, ils semblent murmurés. J’ai vraiment beaucoup de mal à traduire mon ressenti par rapport à cette lecture. Ça relève d’un  registre trop intime pour que je l’exprime avec sérénité. Sachez juste que la prose de Benameur m’a ému autant qu’elle m’a ébloui. Je préfère lui laisser la parole plutôt que de continuer à parler pour ne rien dire :      
          
« Et si je sais que l’écriture n’accomplit rien, je m’y tiens.
C’est ma colonne vertébrale.
Ma seule façon d’accepter de vivre.
 »

« Dans ma tête, sous ma peau, les mots. Je parle tout bas en ramassant des cailloux. Je remplis mes poches. Je suis sur terre. Je fais partie.
J’ai tant de mal à accepter.
C’est avec les mots que j’ai ramassés sous ma langue que je suis devenue cette femme aujourd’hui qui peut dire sa colère, son amour.
 »

« Celui qui écrit accepte de refaire alliance avec son silence intime. Il va.
Jusqu’où ? Pour revenir avec ce qu’il a puisé, arraché parfois.
Cendre et roc.
Sable, sable, et grains de sable.
Il y a des mots incrustés dans l’obscur de la chair. Les mettre à jour, c’est bec et ongles. Et tout le travail pour lécher la boue, polir l’ombre juqu’à ce qu’elle reflète. Un peu.
J’ai choisi.
 »

Comme on respire de Jeanne Benameur. Thierry Magnier, 2011. 36 pages. 6,10 €.