dimanche 30 décembre 2012

Requiem des innocents de Louis Calaferte

Calaferte © Folio 2000
1952. Louis Calaferte entre en littérature par la grande porte. Requiem des innocents est un roman terrible sur l’enfance et la misère. Calaferte y raconte ses jeunes années dans « la zone » de Lyon, un ghetto où vivent les indigents des années 30 et 40. Un pauvre gosse parmi tant d’autres : « J’étais aussi crasseux que les autres. Aussi vicieux et mal habillé que les autres. Comme eux, j’appartenais à une famille sordide du quartier le plus écorché de la ville de Lyon : la zone. Sous toutes les latitudes, on trouve ces repaires de repris de justice, de bohémiens, et d’assassins en puissance. Je n’étais qu’un petit salopard des fortifs, graine de bandit, de maquereau, graine de conspirateur et féru de coups durs. Pas plus que les autres, je ne redoutais le mal ni le sang. » Si le petit Louis ne se distingue pas de cette masse grouillante, il sera pourtant le seul parmi ses camarades à obtenir le certificat d’étude. Quand les résultats furent annoncés, « une large, une profonde et vaste stupéfaction pétrifia les copains. On me regarda avec des yeux moqueurs, des yeux méprisants, des yeux haineux. J’étais le premier bâtard de mon quartier qui allait quitter l’école avec autre choses que des poux et le vice de la masturbation collective. »

Calaferte raconte la crasse, la promiscuité, la violence, l’alcool, la sexualité débridée, l’ignorance et la cruauté des enfants de la zone : « Nés au cœur de cette fournaise, nous étions, dès les premiers mois, dépositaires de ses excès et de sa constante fureur. Au surplus nous restions ignorants du monde extérieur et de ses mœurs. [...] Nous n’étions que des bêtes malfaisantes, museaux au vent, flairant une proie ». Pour l’auteur, Requiem des innocents n’est pas un roman : « Je n’ignore pas que ces pages n’ont de valeur qu’en vertu de l’émotion qui, si toutefois j’y réussis, doit sourdre de cette succession de scènes, de faits, tous réels, que j’ai dépeints. » Et il faut bien reconnaître que l’émotion est souvent présente et vous fouille les tripes. Ainsi, cette tirade incroyable contre la mère honnie : « Toi, ma mère, garce, je ne sais où tu es passée. Je n’ai pu retrouver ta trace. J’aurais bien aimé pourtant. Tu es peut-être morte sous le couteau de Ben Rhamed, le bicot des barrières dont les extravagances sexuelles t’affolaient. Si tu vis quelque part, sache que tu peux m’offrir une joie. La première. Celle de ta mort. Te voir mourir me paierait un peu de ma douloureuse enfance. Si tu savais ce que c’est qu’une mère. Rien de commun avec toi, femelle éprise, qui livra ses entrailles au plaisir en m’enfanta par erreur. Une femme n’est pas mère à cause d’un fœtus qu’elle nourrit et qu’elle met au monde. Les rats aussi savent se reproduire. Je traîne ma haine de toi dans les dédales de ma curieuse existence. Il ne fallait pas me laisser venir. Garce. Il fallait recourir à l’hygiène. Il fallait me tuer. Il fallait ne pas me laisser subir cette petite mort de mon enfance, garce. Si tu n’es pas morte, je te retrouverais un jour et tu paieras cher, ma mère. Cher. Garce. »

C’est Keisha, suite à un billet sur une BD parlant du bidonville de Nanterre qui m’a donné envie de relire ce texte. Calaferte, dans mon panthéon personnel, fait partie des auteurs français les plus importants. Je pense avoir lu à peu près tout ce qu’il a publié, hormis son journal. Parmi ses nombreux ouvrages, Septentrion restera à jamais comme l’un des chefs-d’œuvre de ma bibliothèque. De ces livres tellement grands qu’il m’est impossible d’en parler.

De Calaferte, je retiens en premier lieu la qualité de l’écriture. Une prose qui mêle le flux lyrique et l’aphorisme, créant un ensemble à la fois classique et baroque où les séquences narratives se multiplient en un mélange de réalisme et de fantasmagorie. Un grand auteur et un grand premier roman, tout simplement.

Requiem des innocents de Louis Calaferte. Folio, 2000. 216 pages. 6,50 euros.




samedi 29 décembre 2012

Lou ! 6 : L’âge de cristal - Julien Neel

Neel © Glénat 2012
Lou a grandi et elle se cherche. Elle tente de répondre à des questions qu’elle n’arrive pas à formuler. Les garçons, sa mère, son petit frère, Richard, son beau père, qui a fui avant la naissance du bébé, les cours, les soirées en boîte de nuit. Est-ce que tout cela a un sens ? Et pendant ce temps là, en ville, d’étranges cristaux roses émergent un peu partout et mettent le gouvernement sur les dents.

Trois ans depuis le tome 5. On avait quitté Lou à 14 ans, on la retrouve à la fac ! Sa relation avec le beau Tristan est toujours aussi compliquée et si sa mère a connu le succès avec son premier roman, l’adaptation du texte en comédie musicale sur glace s’avère plus difficile que prévu. Si l’on rajoute l’intrusion du fantastique dans le quotidien à priori bien réglé de la jeune fille, il y a de quoi perdre plus d’un lecteur en route.

Une rupture totale, voila ce qu’a choisi Julien Neel pour donner un nouvel élan à sa série. Vu le succès public, il aurait pu se contenter de continuer dans la bluette ado façon sitcom. Il a choisi de surprendre avec l’irruption du fantastique et la mise en place d’élément de prime abord difficilement compréhensibles. Alors, courageux ou suicidaire ? Dans une interview au magazine Spirou, l’auteur s’est justifié : « Je ne cherche pas à dérouter le lecteur. Des images, que je ne comprends pas toujours moi-même, s’imposent à moi, et j’essaie simplement de les relier en une sorte d’histoire. Pas question de les expliquer aux lecteurs, car j’ai envie que chacun trouve sa propre explication. » Un peu facile me direz-vous. Certes, mais je crois à la sincérité de sa démarche et je n’y vois en aucun cas une forme de désinvolture. Et puis pour ceux qui se sentent vraiment perdus, les pages de gardes apportent de nombreuses informations permettant de mieux comprendre ce qui s’est passé entre les tomes 5 et 6.  

C’est un fait, je ne crierais pas au chef d’œuvre mais je m’attendais à bien pire. Les aspects fantastiques relèvent davantage de l’anecdote qu’autre chose. Tant que l’on continuera à voir grandir cette adorable gamine entourée de son chat, d’une maman immature, d’un petit frère trop mimi et d’une ribambelle de garçons lui faisant tourner la tête, ça me va.

Lou ! T6 : L’âge de cristal de Julien Neel. Glénat, 2012. 48 pages. 10,45 euros.

L'avis de Sara

Neel © Glénat 2012

vendredi 28 décembre 2012

Petit bilan des lectures 2012 : BD et manga

210 BD et mangas lus cette année. Un chiffre correct, proche de celui de 2011 (214). En termes de qualité j’ai l’impression que c’est un peu en-dessous. Il n’y a qu’une grosse vingtaine de titres que je qualifierais d’excellents. Parmi les autres, beaucoup de « sympa, sans plus », quelques « bof » et de très rares « c’est pas possible, comment un éditeur a pu accepter une horreur pareille ! ».

Comme d’hab, j’ai relu et découvert quelques classiques, notamment La quête de l’oiseau du temps, Chick Bill, Clifton, Pépito, Oumpah-Pah ou encore Modeste et Pompon version Franquin.

Coté manga, j’ai essayé de m’y remettre plus sérieusement mais en dehors de Thermae Romae, Chi et à un degré moindre Puella Magi Madoka Magica voire Jintaro, il n’y a pas grand-chose à retenir.

En tout cas, niveau BD, voici mon top 5 :

Rien lu de mieux cette année. Un canevas imparable, une puissance narrative exceptionnelle. Du très grand art.
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Une découverte que je dois à Mo' (rendons à César...). Une réflexion pleine de pertinence sur la 1ère guerre mondiale où le trait puissant de Maël magnifie la prose très littéraire de Kris. Incontournable !
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L'album est paru l'année dernière mais je me le réservais comme on se met de coté une bonne bouteille en attendant le moment propice pour la déguster. Je tenais absolument à lire cette BD sur une chaise longue dans mon jardin en plein été (on a tous des petits fantasmes de lecteur, non ?). Comme je l'ai reçue pour la St Valentin, je l'ai gardée au chaud. Bref tout ça pour dire que c'est un album magistral, aussi triste et mélancolique qu'un fado. Et puis j'adore Pedrosa, je savais que je ne serais pas déçu.  
Mon avis complet      
Un petit bijou onirique, traversé par de vrais moments de poésie. A lire en version intégrale et en noir et blanc pour profiter pleinement du dessin de Peeters.  
Mon avis complet              
Pour conclure ce top 5, non pas un album mais un éditeur, picard de surcroit (ben oui quoi, on peut être fier de sa région de temps en temps). Les éditions de la Gouttière proposent des albums jeunesse d'une qualité toujours remarquable avec le souci constant de ne jamais prendre le petit lecteur pour un imbécile. Sans compter que chaque titre est accompagné d'une exploitation pédagogique en vue d'une utilisation éventuelle en classe. Fin, intelligent sans jamais être barbant : l'éditeur jeunesse idéal, quoi.
Mon avis sur Anuki/Hugo et Cagoule
Mon avis sur Mon copain secret   

J'aurais pu en citer quelques autres en plus de ceux-là : Kililana Song, Matha Jane Cannary, L'enfance d'Alan, Les souvenirs de Mamette, Une métamorphose iranienne ou encore L'enfant cachée.

Quoi qu’il en soit, 2012 restera comme un cru correct mais pas exceptionnel. Pour 2013, j’ai déjà quelques belles cartouches en réserve : Un drôle de père (manga chaudement recommandé par Marie), La guerre du feu (reçu via Babelio), Le singe de Hartlepol (acheté suite au billet de Noukette), Arelate T1 et 2 (un péplum prometteur dessiné par Sieurac), Les petites gens (une lecture commune prévue avec Valérie), Le loup des mers (adaptation d’un roman de Jack London Par Riff Rebs) et Un printemps à Tchernobyl qui m’a été offert par Mo’. Rajoutez-y l’intégrale Pim Pam Poum et La jeunesse de Picsou découverts le 25 décembre au pied du sapin et vous avouerez que j’aurais tort de me plaindre ! Sans compter que pour le site Lire pour le plaisir, j’ai un stock conséquent de BD jeunesse sous le coude et là encore, les bonnes surprises risquent de s’accumuler.
Donc, vivement 2013 !

jeudi 27 décembre 2012

Petit bilan des lectures 2012 : romans et nouvelles

Comme chaque année, je prends deux minutes pour faire le point sur les lectures marquantes qui ont jalonné les douze derniers mois. Sur le plan purement comptable, j’ai lu une soixantaine de romans et recueils de nouvelles.

J’avais décidé que 2012 serait, entre autres, l’occasion de découvrir ou (re)découvrir des textes plus classiques. Au final, je comptabilise six titres dans cette catégorie, soit un tous les deux mois. Peut mieux faire !
Heureusement qu’il y a eu quelques lectures communes pour me mettre le pied à l’étrier. Grâce à Marie, j’ai relu La duchesse de langeais et découvert Fanny Hill, le plus célèbre récit érotique de la littérature anglaise. Avec XL j’ai relu La faim de Knut Hamsun, prix nobel de littérature en 1920. Et tout seul dans mon coin, j’ai apprécié Gatsby le magnifique, De goupil à Margot de Louis Pergaud (prix Goncourt 1910) et Bubu de Montparnasse de Charles Louis-Philippe. Mon gros regret est d’avoir laissé en plan Les raisins de la colère, mais je compte bien m’y remettre en 2013. D’ailleurs si vous avez des propositions de lectures communes de classiques, je suis partant même si je n’ai plus vraiment de titres bien arrêtés, à part peut-être Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee.

Sinon pour ce qui est de la littérature contemporaine, voici mon top 5.

Un roman islandais somptueux, tout simplement. Sans doute le plus littéraire que j'ai lu cette année. Et un immense coup de chapeau à Eric Boury dont la traduction est éblouissante. Second volume d'une trilogie, La tristesse des anges sort en poche le 10 janvier. Plus d'excuses pour ne pas découvrir ce petit bijou. Le troisième et dernier tome sera quand à lui en librairie jeudi prochain. L'éditeur doit me l'envoyer en service de presse. Je sais déjà avec quel livre je vais commencer 2013^^
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Élu livre de l'année par le magazine Lire. Un premier roman barré à souhait, sans concession, totalement décomplexé. La littérature américaine que j'aime, celle qui pourait en remontrer tous les jours aux adeptes de l'autofiction à la française qui me sort par les yeux.  
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Comment Claire Keegan ne pourrait pas être dans mon top 5 de l'année ? Tant de finesse, de simplicité et de précision dans les descriptions. Une écriture magnifique, lumineuse, étourdissante. Bref, lisez Claire Keegan je ne peux pas vous dire mieux.
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Un petit bijou. De ces découvertes inattendues qui illuminent une vie de lecteurs. C'est parce que j'ai eu la chance d'être bien conseillé que ce titre m'est arrivé entre les mains. Comme quoi il faut toujours écouter les conseils avisés.
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J'ai adoré cette réflexion sur la vulnérabilité, sur le fait que tout peut basculer malgré les certitudes affichées. La vie tient décidément à peu de choses, c'est bon de s'en souvenir de temps en temps.
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J'aurais pu en citer d'autres, notamment Peste et choléra, Certaines n'avaient jamais vu la mer, Le sermon sur la chute de Rome, Home, Les affligés, La montagne ou encore L'art du jeu. Une bien belle année de lecture, largement supérieure à la précédente. Espérons que 2013 réservera autant de bonnes surprises livresques.

mercredi 26 décembre 2012

Texas Cowboys - Trondheim et Bonhomme

Trondheim et Bonhomme
© Dupuis 2012
Envoyé par son rédacteur en chef réaliser un reportage au cœur de l’Ouest sauvage, Harvey Drinkwater quitte Boston pour le Texas. La commande de son boss est on ne peut plus claire : « Je veux du sensationnel. Je veux des duels au colt entre cowboys, aventuriers de tout poil, chasseurs de bisons et escrocs à la petite semaine. Je veux des culs-terreux qui se flanquent des peignées pour une éclaboussure de jus de chique sur une botte. Je veux des couteaux plantés dans des mains tenant deux as de cœur. Je veux des cowboys à cheval qui cavalcadent dans des saloons bondés. Je veux tout ça en mille fois plus violent. »

En débarquant à fort Worth, Drinkwater sait ce qui l’attend : « le pire de toute la racaille des ploucs de l’ouest rassemblé sur un espace grand comme le cul d’une mouche. »

Mais le jeune homme n’est pas là pour jouer au journaliste. Il a accepté le deal pour trois raisons : se venger de l'ex-mari de sa mère, s'enrichir et trouver l'amour. Le premier cowboy qu’il rencontre calme ses ardeurs : on ne peut pas venir dans l’ouest pour autant de choses à la fois, il faut en choisir une seul et unique pour rester concentré...

Parce qu’il a avant tout été conçu comme un hommage aux grands classiques, ce western accumule tous les poncifs du genre. Les personnages pittoresques à souhait forment la colonne vertébrale du récit : le blanc-bec naïf, la prostituée joueuse de poker, le shérif corrompu, le bandit cruel, etc. Un univers codifié qui ne constitue que le cadre de départ et que les auteurs s’amusent à modeler à leur guise, en jouant notamment sur la façon dont les éléments s’enchaînent. L’originalité tient donc dans la chronologie aléatoire qui régit l’ensemble de l’album. Les nombreuses intrigues sans lien apparent finissent par se rejoindre, les mêmes scènes sont présentées à différents endroits sous plusieurs angles et selon des points de vue qui varient en fonction des personnages, bref la construction de l’ensemble de l’histoire suit un canevas aussi complexe qu’imparable.

Le dessin de Mathieu Bonhomme, ultra précis et s’appuyant sur une abondante documentation, est volontairement vintage : utilisation récurrente du gaufrier (6 cases identiques par planches) et des effets de trame, mise en couleurs « à l’ancienne » avec un nombre de teintes limité (une quinzaine en tout), on a vraiment l’impression d’avoir sous les yeux une BD des années 60.

Un album à la narration d’une redoutable efficacité qui ne brille certes pas par son scénario mais qui mérite que l’on s’attarde sur son cas, ne serait-ce que pour son incontestable qualité graphique.


Texas Cowboys, de Trondheim et Bonhomme. Dupuis, 2012. 144 pages. 20,50 euros.

L'avis d'Yvan

L'avis de Mo'

Trondheim et Bonhomme © Dupuis 2012



dimanche 23 décembre 2012

Du côté de Canaan de Sebastian Barry

Barry © Joëlle Losfeld 2012
« Quel bruit fait le cœur d’une femme de quatre-vingt-neuf ans quand il se brise ? Sans doute guère plus qu’un silence. » En voila une jolie première phrase pour débuter un roman. Lilly Bere vient de perdre Bill, son petit fils adoré. Une douleur insupportable la submerge. La vieille femme a décidé d’en finir. Mais avant de tirer sa révérence, elle veut coucher sur le papier le récit d’une vie où les drames se sont succédé, pour expliquer son geste et pour faire un dernier point avec elle-même avant le grand saut vers l’inconnu.  
       
Lilly est née en Irlande. Sa mère est morte en lui donnant le jour. Elle a grandi entourée d’un père policier, de deux sœurs et d’un frère qui perdra la vie en Picardie au cours de la première guerre mondiale. Au début des années 20 son fiancé, Tadg, menacé par l’IRA, doit quitter le pays. Elle le suit, direction l’Amérique. D’abord New York, puis Chicago où Tadg sera finalement assassiné. Seule, désespérément seule, Lilly entre au service d’une riche famille irlandaise. C’est durant cette période qu’elle rencontre Joe Kinderman, un homme qui disparaitra dans la nature alors qu’elle est enceinte. Elle mettra Ed au monde à 40 ans et l’élèvera seule. Il s’engagera plus tard pour le Vietnam dont il reviendra totalement brisé. Devenue septuagénaire, Lilly recueillera Bill, le garçon d’Ed, à peine âgé de 2 ans. Un petit fils qu’elle adorera plus que tout, jusqu’au jour où il partira faire la guerre en Irak. Un destin funeste de plus dans une vie où chaque homme qu’elle a connu semblait voué à disparaître dans des circonstances tragiques. 
      
Du coté de Canaan est le troisième roman que Sebatian Barry consacre aux Dunne, une famille irlandaise perpétuellement touchée par la disgrâce. Derrière ce roman d’adieu, Barry dresse un magnifique portrait de femme. Lilly l’irlandaise qui traverse les turpitudes de ce 20ème siècle si meurtrier avec bonne humeur et résignation. Lilly l’optimiste qui aura la chance, malgré ses déboires, de rencontrer des personnes d’une incroyable bonté qui n’auront de cesse de la soutenir dans les moments difficiles.          
         
Lilly raconte les bonheurs simples, elle se remémore aussi les événements les plus dramatiques sans jamais se plaindre. Elle se repasse en esprit de vieilles bobines, « des films simples, sans intérêt pour les autres. Le cinéma privé de chacun. » Point de mélo ici, rassurez-vous. La confession est parfois traversée d’une grande tristesse mais elle sait aussi s’illuminer de rires, de tendresse et de joie de vivre. Surtout, le témoignage reste empreint d’une belle dose d’humanité. On pourra certes trouver qu’à certains moments la barque de Lilly semble bien trop chargée. Vivre autant de drames en une seule existence peut paraître irréaliste. Mais pour créer une telle généalogie romanesque, il ne faut parfois pas hésiter à forcer le trait, surtout quand cela est fait avec autant de talent.

Du côté de Canaan de Sebastian Barry. Joëlle Losfeld, 2012. 275 pages. 19,50 euros. 



samedi 22 décembre 2012

Un temps à s’ouvrir les veines

Marre de ce temps de m****. C’est Noël et il fait 15 degrés. C’est Noël et il pleut des seaux d’eau à longueur de journée. C’est Noël et on se croirait encore à la Toussaint.  Quand je regarde par la fenêtre je pense au titre d’un recueil de poèmes publié par André Laude en 1979 : Un temps à s’ouvrir les veines. Je vous rassure j’en suis pas là mais j’aime beaucoup ce titre. Il y a tant de mélancolie dans la poésie d’André Laude. J’en ai déjà longuement parlé au moment du printemps des poètes.

J’en remets juste une couche pour offrir une petite fenêtre à ce poète aujourd'hui disparu et tombé dans le plus total anonymat :

J’ai vu l’homme couché dans son manteau de nuit
J’ai vu la femme humiliée
et l’enfant assis sur un tas d’ordures
j’ai vu flamber l’orient
craquer les méridiens et tituber les aubes
j’ai vu l’amante déchirer douloureusement sa robe
j’ai vu le père se taire auprès des cendres du foyer
j’ai vu l’amour bafoué l’espoir insulté l’avenir mis aux fers
je n’ai jamais renoncé à la lumière
au feu sur la terre

J’aime bien aussi celui-là, encore plus désespéré :

La nuit il m’arrive de ramper jusqu’à ta chair détestable
de frotter mon sexe à la peau sèche de ton ventre
de murmurer des mots qui n’ont plus aucun sens
de te promettre des escales sauvages au pays des ivoires noirs
La nuit il m’arrive de croire à quelque paradis
j’étouffe sur mes lèvres le cri des origines
je mords tes seins mes dix doigts dénouent ta chevelure de fée
mon sang tremble à l’orée de tes narines
Mêlés comme des forçats aux vêtements de bure rêche
nous nous imaginons montant vers des soleils baoulés
nous nous imaginons vainqueurs de cette orgie de plaies
L’aurore nous rend à l’horreur du temps qu’il fait

A part le temps, il y a autre chose qui m’énerve beaucoup en ce moment, c’est toute cette musique de m**** que mes filles écoutent à longueur de journée. Je ne citerais pas de nom mais il y a entre autres un chanteur coréen qui me sort par les yeux. Il y a aussi le Justin Bieber suisse qui reprend le Hallelujah de Léonard Cohen. J’en peux plus ! Si au moins elles écoutaient la version de Jeff Buckley. J’ai bien essayé de les éduquer comme il faut musicalement parlant mais il n’y rien à faire. Dès que je mets un vieux Fleetwood Mac ou un AC/DC période Bon Scott, elles prennent un air dégoutté. J’ai bien essayé de durcir le ton avec RATM, Biohazard ou Metallica mais c’est encore pire (en même temps fallait s’en douter ). Question de génération évidemment. Pourtant quand j’étais gamin et que ma mère écoutait Claude François en boucle, j’aimais bien.

Voila un billet un peu fourre tout sans grand intérêt, je vous le concède. Mais bon, je suis chez moi je fais ce que je veux^^

Pour revenir à Jeff Buckley, je vous offre une version très énervée du Kick out the Jam des MC5 enregistrée à l’Olympia en 1995. Exactement la musique qu'il me faut en ce moment… 



vendredi 21 décembre 2012

Petit Inuit et les deux questions

 Cali et Quarello © Sarbacane 2012
« Petit Inuit voulait savoir deux choses. Il voulait savoir… s’il allait devenir un grand chasseur… Et aussi, ce qu’il y a de l’autre coté du grand lac glacé. » Pour trouver la réponse à ces questions, Petit Inuit interrogea successivement le lièvre, le renard, la chouette, le morse et la baleine. En vain. Le cétacé dit à l’enfant que seul le grand élan blanc vivant sur une île au milieu du lac connaissait tout sur tout le monde. Alors, n’écoutant que son courage, Petit Inuit monta sur le nez de la baleine et glissa vers l’île…

Une histoire qui commence comme un classique récit en randonnée (à chaque page une nouvelle rencontre et toujours les mêmes questions) mais qui se termine sur une note plus philosophique, notamment par rapport au destin et à l’avenir : « Les ombres de l’avenir ne laissent pas d’empreintes sur la neige […]. C’est toi qui imprimes le chemin. Tu peux aller où tu veux et devenir ce que tu veux » dit l’élan au jeune garçon.

Un texte simple et intelligent qui pousse le petit lecteur à la réflexion. Chaque illustration pleine page de Maurizio Quarello est un magnifique petit tableau aux couleurs extrêmement travaillées. A noter par ailleurs que le format à l’italienne offre des scènes panoramiques du plus bel effet. Un album superbe dont la lecture à voix haute ne pourra que fasciner l’auditoire, quel qu’il soit, j'en mets ma main à couper.


Petit Inuit et les deux questions de Davide Cali et Maurizio Quarello. Sarbacane, 2012. 32 pages. 15,50 euros. A partir de 4-5 ans.


 Cali et Quarello © Sarbacane 2012

jeudi 20 décembre 2012

Bons baisers (ratés) de Paris

Cali et Rouquette © Gulf Stream 2012
Une demoiselle invite un jeune homme à la retrouver à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris. Et il imagine qu’elle va l’embrasser…  A l’aéroport ? Non, pas assez romantique…  Dans le RER ? Non, pas assez romantique non plus… Place de la Bastille, alors ? Mais elle a mieux à faire… Et pourquoi pas devant Notre-Dame… Ou bien derrière ? Trop banal, sans doute ! La Tour Eiffel ? Trop de vent, à coup sûr. Rien non plus en traversant le Jardin des Tuileries à la fin du jour, ni sous la pyramide du Louvre. Pas plus au Père Lachaise, ni dans le Quartier latin… Aucun des lieux mythiques traversés par cet amoureux dans l’attente d’une marque d’affection ne semble inspirer la dame… Mais bien évidemment ! Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? C’est certainement sur un bateau mouche qu’elle se serait laissé tenter par un baiser langoureux. Seulement voilà, il est trop tard… Elle est partie.

Tous les grands lieux parisiens ou presque sont ici visités. Chaque illustration se présente comme un jeu où les petits s’amuseront à chercher  notre amoureux et sa douce amie. Un livre à lire avant une promenade dans la capitale. Les enfants seront ravis de traverser les lieux où notre héros a vainement attendu que sa dulcinée l’embrasse. Et, si c’est raté à Paris, peut-être aura-t-il plus de chance à Venise, ou bien à New-York (deux titres à paraître dans la même collection).

Voici donc revisité le concept du guide touristique, façon carte du tendre des temps modernes… pour enfants. A noter sur les pages de garde finales un plan de la capitale permettant de localiser en un coup d’œil tous les endroits visités par nos tourtereaux.

Bons baisers ratés de Paris de Davide Cali et Anne Rouquette. Gulf Stream éditeur, 2012. 36 pages. 19,50 Euros. A partir de 5 ans. 

Cali et Rouquette © Gulf Stream 2012

mercredi 19 décembre 2012

Joe l’aventure intérieure - Grant Morrison et Sean Murphy

Morrison et Murphye
© Urban comics 2012
Joe a perdu son père à la guerre. Ado solitaire, atteint par un sévère diabète, il vit avec sa mère. Un soir en rentrant chez lui, il est foudroyé par une crise d’hypoglycémie. Le chemin le menant de sa chambre au frigo, où se trouve la canette de soda qui pourra le remettre sur pieds, va se transformer en parcours du combattant. En proie à des hallucinations, Joe devient dans son monde parallèle « l’enfant-qui-meurt » tandis que son rat domestique se transforme en samouraï protecteur prêt à affronter les armées des ténèbres.  

220 pages racontant le trajet effectué par un gamin insulino-dépendant entre sa chambre et son frigidaire, il fallait oser. Le cerveau en manque de sucre de Joe créé un univers d’héroïc-fantasy  violent et crépusculaire. Régulièrement, le lecteur revient dans la maison près de l’enfant malade avant d’être à nouveau projeté en plein délire. Cette alternance dans la narration n’est pas du tout perturbante, elle renforce le coté halluciné et désespéré de la quête de Joe.

Le trait de Sean Murphy est incroyable de vivacité et de précision. Certaines scènes de combat sont absolument bluffantes. Le découpage est un modèle du genre, à montrer dans les écoles. Seules les couleurs sont fades et sans grand intérêt, malheureusement comme souvent dans les comics (ok, j’avoue, je préférerais toujours le noir et blanc à la couleur, que voulez-vous, on ne se refait pas).  
  
Un one shot qui a vraiment tout pour plaire et pourtant je suis passé complètement à coté. L’univers parallèle est riche mais ne repose sur aucune fondation solide (rien de plus normal me direz-vous puisqu’il est issu d’une sorte de cauchemar incontrôlable). Du coup, je suis resté très éloigné des différentes péripéties, comme si je regardais tout cela de loin sans m’y intéresser le moins du monde. J’enrage parce qu’à lire les avis ici ou là, tous plus positifs les uns que les autres, je voudrais me persuader que cet album est un petit bijou d’intelligence à la construction imparable. Rien à faire, je n’y parviens pas. Je n’aime pas cette sensation d’avoir raté quelque chose, d’avoir manqué la finesse de l’analyse psychanalytique qui fait de ce récit une parabole sur les difficultés de l’adolescence, ce moment clé où l’on préfère parfois se réfugier dans des mondes imaginaires plutôt que d’affronter la dure réalité. Bref, je ressors insatisfait de cette lecture, en colère contre l’indifférence qui ne m’a pas lâché de la première à la dernière page. Un vrai gros raté.

Joe : L’aventure intérieure de Grant Morrison et Sean Murphy. Urban Comics, 2012. 224 pages. 19 euros.  

Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Mo’. Je suis certain qu’elle a su apprécier cet album à sa juste valeur.



Morrison et Murphye  © Urban comics 2012