mercredi 13 juillet 2011

Les schtroumpfs 2 : Le schtroumpfissime

« Le grand schtroumpf est en voyage. Les schtroumpfs lui choisissent un remplaçant. » Voila comment était résumé le Schtroumpfissime au moment de sa prépublication dans le journal Spirou. Nous sommes en 1964 et après six mini-récits et deux histoires en vingt planches, les schtroumpfs vivent leur première grande aventure. Peyo et Delporte y décrivent l’élection d’un chef temporaire au suffrage « universchtroumpf » qui, une fois élu, devient un terrible dictateur. Discours démagogique, campagne électorale où la corruption fait rage, tentative de tricherie au bureau vote, opportunisme, mise en place de la dictature, répression contre les opposants, tous les tristes éléments de certaines situations politiques modernes sont déclinés avec finesse et humour.

Les éditions Dupuis ont la bonne idée de rééditer ce chef d’œuvre augmenté des commentaires du journaliste spécialisé Hugues Dayez. Chaque planche originale est précédée de réflexions sur le contexte de sa création ou d’analyses plus générales sur l’univers des schtroumpfs et de leur créateur. On y apprend par exemple que, au moment où il créé ses petits lutins, Peyo, n’ayant aucun sens de la couleur, charge sa femme Nine de leur trouver le teint de peau adéquat. C’est donc cette dernière qui choisit le bleu en procédant par élimination : verts, ils se seraient noyés dans le décor de la forêt ; rouges, ils auraient été trop voyants ; jaunes, ils auraient eu l’air malade ; roses, Peyo refusa cette couleur car il voulait signifier que ses petits personnages ne font pas partie du genre humain. Restait donc le bleu qui finit par convaincre tout le monde.

Hugues Dayez nous apprend par ailleurs que Peyo s’est inspiré de beaucoup d’éléments différents pour créer son univers : le schtroumpf à lunettes a des airs de famille avec le personnage d’Agnan, le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse dans Le petit Nicolas (publié en 1960) ; Les cadeaux explosifs du schtroumpf farceur sont une référence au dessin animé de Bip Bip et le Coyotte ; les traits de caractères spécifiques à chaque schtroumpf sont à mettre en parallèle avec ceux des sept nains de Blanche Neige (le dessin animé sorti en Belgique en 1938 aura fortement marqué Peyo) ; certaines scènes du schtroumpfissime sont des hommages plus ou moins directs à Chaplin (Le Dictateur), Hergé (Le cigare des pharaons) ou encore au film Robin des bois ayant pour héros Errol Flynn.

Le journaliste insiste également sur le travail d’équipe qui a été nécessaire pour que cet album voit le jour : le scénario est dû en grande partie à Yvan Delporte, alors rédacteur en chef du magazine Spirou ; la plupart des décors ont été réalisés par Claude de Ribaupierre, un tout jeune dessinateur qui signera par la suite ses propres productions sous le pseudonyme de Derib (Yakari, Buddy Longway). François Walthéry, autre jeune dessinateur qui connaîtra le succès avec Natacha, intervient quant à lui ponctuellement, notamment pour représenter les arbres et les feuillages.

Avec le Schtroumpfissime, Peyo est au sommet de son art. Sa narration est d’une incroyable fluidité. La lisibilité est d’ailleurs la plus grande qualité graphique que l’on peut reconnaître à ce dessinateur. Même Franquin, maître parmi les maîtres, était admiratif du travail de son ami : « C’est la qualité d’un dessin de Peyo : tu mets sa planche au mur, tu recules de cinq mètres, tu vois très bien ce qui se passe. C’est un don : il sait dessiner clair ! ».

Le Schtroumpfissime est un chef d’œuvre, je pèse mes mots. Delporte et Peyo ont créé une publication pour la jeunesse incroyablement audacieuse pour l’époque. Un album drôle, impertinent, politiquement engagé, aux multiples niveaux de lecture et dont la narration frôle le génie.

Cette réédition commentée est remarquable et passionnante. Elle éclaire surtout d’un jour nouveau une œuvre majeure et intemporelle de l’âge d’or de la BD franco-belge. Indispensable !


Le schtroumpfissime, de Peyo, commenté par Hugues Dayez, Dupuis, 2011. 88 pages. 19.95 euros.




La BD du mercedi, c'est chez Mango


Le challenge palsèche de Mo'


dimanche 10 juillet 2011

Achille Talon

Je profite de la période estivale bien plus tranquille professionnellement parlant pour me lancer dans une série de chroniques sur les grands classiques de la BD franco-belge. Mon ambition ? Présenter modestement quelques titres emblématiques de la bande dessinée européenne de l’après guerre. Au niveau de la présentation, et pour corser un peu les choses, j’ai décidé de rédiger mes billets en m’inspirant du modèle utilisé par PG Luneau sur son excellent blog. C’est évidemment un hommage plutôt qu’un plagiat et l’exercice me semble délicat à mener, ce qui le rend d’autant plus intéressant. Quoi qu’il en soit, j’espère me montrer à la hauteur, même si je sais que l’élève ne dépassera jamais le maître.
Pour entamer cette nouvelle rubrique, je me suis replongé dans Achille Talon, une série phare du journal Pilote au début des années 60.
Lorsqu’il apparaît pour la première fois dans les pages de l’hebdomadaire le 7 novembre 1963, Achille Talon fait office de bouche-trou. René Goscinny, le rédacteur en chef, a demandé à Greg d’imaginer un gag d’une planche qui serait publié épisodiquement lorsque la régie publicitaire manquerait de matière pour remplir les pages lui étant réservées. En réponse à cette demande, Greg, s’inspirant du Monsieur Poche d’Alain Saint Ogan (une célèbre BD des années 30), créé un personnage de bon bourgeois, un tantinet suffisant, qu’il présente comme «un cerveau-choc doué d’un savoir puisé dans une encyclopédie à laquelle il manquerait un certain nombre de pages ».
A la grande surprise de Goscinny, le courrier des lecteurs reçu le mois suivant ce premier gag ne parle que d’Achille Talon ! Devenu la coqueluche du journal, Achille se met à donner son avis sur tout, intervenant même au sein de certains articles. Sa popularité grandissante fait de l’ancien bouche-trou une figure incontournable de Pilote.
Un gros nez, un ventre rond, une canne à la main, un verbiage emphasé et une haute estime de sa propre personne, voila comment on reconnaît Achille. Pour enrichir l’univers de son héros, Greg a imaginé une galerie de personnages secondaires croustillants : Lefuneste, l’insupportable voisin ; Virgule de Guillemets, l’élue de son cœur ; Vincent Poursan, le commerçant qui vend tout et n’importe quoi à des prix imbattables ; Papa Talon, encore plus ventripotent que son fils et toujours représenté une bière à la main ; Maman Talon, passionnée par la cuisine et la moto ; Goscinny, le rédacteur en chef coléreux et souvent totalement hystérique...
Petite précision importante, malgré son traitement graphique très orienté jeunesse, cette série s’adresse avant tout aux adultes. D’ailleurs, une enquête menée quelques mois après son apparition dans l’hebdomadaire a démontré qu’une très grande majorité des lecteurs d’Achille Talon a plus de 18 ans.
En 1975, Pilote est devenu mensuel et pour mieux s’adapter à ce nouveau rythme de parution, Greg décide de décliner les aventures de son héros en longues histoires de 44 planches. Aujourd’hui, alors que son créateur a disparu en 1999, Achille Talon est toujours présent parmi les nouveautés des libraires puisque son 48ème album est paru en 2009 illustré par Roger Widenlocher sur des scénarios de Christian Godard, Brett et Herlé.
 Achille Talon, c'est une série incontournable de l’âge d’or de la BD franco-belge avec un personnage que l’on reconnaît au premier coup d’œil et de l’humour tout en finesse reposant en grande partie sur des dialogues aussi pompeux que savoureux.

Plus grandes forces de cette série : 
  • Le coté verbeux des dialogues. Le style volontairement ampoulé d’Achille et de ses congénères réjouira les amoureux de la langue française. 
  • L’ambiance générale de la série, très marquée « petite bourgeoisie des années 60 » avec pavillon coquet, jardinet bien entretenu et décors urbains que l’on reconnaît du 1er coup d’œil.
  • La richesse des personnages secondaires qui sont tous devenus des figures incontournables de la série.
  • Le fait qu’Achille travaille pour le journal Polite, une déclinaison parodique du Pilote dans lequel il est publié. Les lecteurs ont toujours adoré les gags se déroulant à la rédaction du journal et leur permettant de découvrir « les dessous de cartes » de leur hebdo préféré. D’ailleurs, l’album de la série le plus vendu reste encore aujourd’hui « La vie secrète du journal Polite ».
Ce qui m’a le plus agacé :
  • Achille Talon a les défauts de ses qualités, à savoir que le verbiage excessif peut devenir rédhibitoire pour nombre de lecteurs ne supportant pas ce ressort comique très particulier. Personnellement, je ne peux pas lire un recueil de gags de cette série d’un seul coup : trop indigeste ! Il me faut découper ma lecture en séquences de 5 ou 6 gags à la fois, pas plus. 
  • Le passage en histoires complètes m’a toujours moins convaincu, comme s’il dénaturait l’esprit premier de la série. Pourtant Greg est un vrai spécialiste des histoires longues puisqu’il a scénarisé de nombreux albums (Olivier Rameau, Bernard Prince, Bruno Brazil, Comanche…), mais je reste persuadé qu’Achille Talon est avant tout une série à gags
  • La reprise de la série depuis la mort de Greg est (comme c’est souvent le cas) d’une grande médiocrité. Il est agaçant de voir les éditeurs (et parfois les ayant droits) vouloir continuer à tirer sur la ficelle alors que la magie a depuis longtemps disparu. D’autres exemples : Boule et Bill, Spirou, Lucky Luke, Cubitus, Alix… Seules exceptions peut-être, Blake et Mortimer et quelques albums des schtroumpfs, même si, pour cette série, il y a parfois eu de gros ratés
  • Cette série très datée n’a aucune chance de recruter de nouveaux lecteurs dans les générations actuelles. Les ados qui lisaient Pilote dans les années 60 sont peut-être restés nostalgiques de la série mais lorsque ces fans aujourd’hui sexagénaires auront disparu, Achille Talon n’aura malheureusement plus beaucoup de raisons d’être. Entendons-nous, il restera tout de même au panthéon de la BD franco-belge. Une œuvre patrimoniale, en quelque sorte.


Carte d’identité de la série :

Auteur : Greg
Date de création : 1963
Nombre d'albums : 48
Éditeur : Dargaud

vendredi 8 juillet 2011

L’univers de schtroumpfs 1 : Gargamel et les schtroumpfs

A quelques jours de la sortie au cinéma du film « Les Schtroumpfs », le studio Peyo racle les fonds de tiroirs afin de coller à l’actualité. C’est ainsi qu’est sorti la semaine dernière le premier volume d’une nouvelle série intitulée « L’univers des schtroumpfs ». Le recueil regroupe six histoires ayant pour dénominateur commun la présence de l’affreux Gargamel. L’occasion de découvrir que ce dernier a un frère jumeau, un cousin et des neveux. Pour le reste, pas grand-chose d’intéressant à vrai dire. Pour appâter le chaland, l’éditeur précise que ces histoires sont inédites en album. Tu m’étonnes ! Au vu de leur piètre qualité, on comprend qu’elles n’aient jusqu’alors été publiées que dans la presse.

Graphiquement, c’est assez moyen. Du travail de studio limite bâclé et très éloigné des productions originales du grand maître Peyo. Même au niveau scénario, on frôle le zéro pointé. Deux des histoires sont des resucées d’albums de la série classique : L’ogre et les schtroumpfs est clairement inspirée de La soupe aux schtroumpfs et Les schtroumpfs et le Bougloubou est une variation très proche du titre Les schtroumpfs et le Cracoucass. De l’auto-plagiat en quelque sorte !

Pas la peine d’en dire plus, mon avis sera définitif : cet album est une pure opération marketing indigne du fabuleux travail du créateur de la série. Promettez-moi juste de ne pas faire découvrir les schtroumpfs à vos enfants avec un recueil aussi médiocre. L’adage se vérifie une fois de plus : une pâle copie ne vaudra jamais une édition originale.


L’univers des schtroumpfs T1 : Gargamel et les schtroumpfs du studio Peyo créations, Le Lombard, 2011. 48 pages. 10.45 euros. A partir de 8 ans.




Le challenge Palsèche de Mo'


mercredi 6 juillet 2011

Le perroquet des Batignolles 1 : L’énigmatique Monsieur Schmutz

Cette histoire est l’adaptation d’un feuilleton radiophonique créé en 1997 sur France Inter par Jacques Tardi et Michel Boujut. Oscar Moulinet, preneur de son à la Maison de la Radio, enquête sur deux meurtres et des agressions en rapport avec de petites boîtes à musique en forme de canard expédiées à des connaissances par un faussaire aujourd’hui décédé. Un point de départ abracadabrantesque pour une aventure sans temps mort qui mènera Oscar de Paris au fin fond de la Bretagne.

Le Perroquet des Batignolles, c’est de la BD à papa. Le genre franco belge à l’ancienne qui me conforte dans l’idée que je suis passé de l’autre coté de la barrière, proche, toujours plus proche du vieux con un poil réac qui se dit que, décidément, c’était mieux avant. Bien sûr, l’action se passe dans le Paris de la fin du 20ème siècle. Mais le traitement narratif et graphique se veut un hommage aux grands anciens que sont Franquin, Tillieux, Jacobs ou Hergé. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’un des personnages lâche à un moment donné en voyant la tournure que prennent les événements : « On dirait une histoire de Tintin. » Et il est vrai que comme chez ce dernier, l’intrigue est ici ultra linéaire avec des rebondissements à toutes les pages.

Autant d'éléments qui laissaient à penser que j’allais me régaler. Et bien pour le coup, c’est raté. Le personnage d’Oscar est plutôt lisse, il manque d’épaisseur. Finalement, les rôles secondaires (notamment sa compagne Edith et son collègue Patafoin) sont les plus intéressants. Et puis dans ce volume d’introduction, on reste dans le flou artistique le plus complet. L’histoire s’emballe sans donner l’impression d’avancer vraiment. Peut-être sera-t-il préférable d’aborder l’ensemble lorsque tous les tomes seront parus. Mais comme Stanislas a déjà prévenu qu’il mettait à peu près un an et demi pour finaliser un nouvel album et que la série devrait en compter quatre ou cinq, on n’est pas arrivé au bout ! Autre problème majeur dû au fait que ce titre est une adaptation d’un programme radiophonique, les planches sont surchargées de texte (voir les extraits ci-dessous). Un vrai inconvénient qui a rendu ma lecture très pénible. Peut-être y-a-t-il un problème de découpage mais en même temps je vois difficilement comment l’auteur aurait pu s’y prendre autrement. Au final, cet envahissement de chaque page par des quantités astronomiques de texte alourdit fait perdre beaucoup de fluidité au récit.

Une déception à la hauteur de mes attentes qui ne m’incite pas du tout à lire la suite. Tant pis !

Le perroquet des Batignolles T1 : L’énigmatique Monsieur Schmutz de Stanislas, Boujut et Tardi, Éditions Dargaud, 2011. 56 pages. 13.95 euros.  





Le challenge Palsèche de Mo'


samedi 2 juillet 2011

Ubel Blatt 1

Il y a 20 ans, en l’an de grâce 3972, l’empereur confia une mission à 14 jeunes gens qu’il dota de 14 lances sacrées. Leur but : vaincre la puissance maléfique de l’armée des ténèbres de Wischtech et rétablir la paix dans le royaume. Trois d’entre eux périrent en chemin. Quatre trahirent l’empire et furent exécutés. Les sept derniers revinrent en héros et furent portés en triomphe dans la capitale. Mais ces sept survivants sont-ils vraiment des héros ?

Aujourd’hui, dans la ville frontière de Rielde Velem, les moines guerriers sont chargés d’octroyer des laissez-passer aux réfugiés qu’ils estiment être des « justes ». La population afflue en masse pour espérer obtenir ce précieux sésame leur permettant de passer de « l’autre coté », au pays des sept héros et de la paix. Ceux qui tentent de franchir la frontière clandestinement sont exécutés sur la place publique. La corruption est bien souvent le moyen le plus efficace pour obtenir l’assentiment des moines.

C’est dans cette ambiance tendue et oppressante que vont se rencontrer Peepi, Vido, Altea et Köinzell. Un quatuor improbable animé par des motivations différentes mais partageant un but commun : parvenir à tout prix à passer la frontière…

Ubel Blatt, c’est de la Dark Fantasy. Je fais le malin, mais n’y connaissant pas grand chose dans les nombreuses appellations propres à ce genre particulier, je suis allé rendre une visite à mon ami Wiki pour qu’il m’en apprenne davantage : "La dark fantasy ou fantaisie noire est un sous genre de la fantasy qui désigne les œuvres dans lesquelles l'ambiance est très sombre et proche de l'apocalypse. Le bien laisse place au mal et les héros sont souvent fatigués et abattus par les épreuves qu'ils ont subies. En partant donc d'une mentalité pessimiste, l'auteur nous présente la plupart du temps une œuvre évoluant dans l'horreur en présentant aux lecteurs les détails des combats. Cela leur donne une dimension plus violente et souvent assez proche de l'horreur sans pour autant en faire partie. Cette dimension nouvelle de la fantasy s'éloigne du classique classement bien/mal et permet une réflexion sur le bien fondé des notions de bien et de mal".

Ambiance, sombre, héros ayant subi de lourdes épreuves, détails dans les combats… Pas de doute, Ubell Blatt réunit ces critères. C’est un univers d’une grande noirceur où il est question de trahison et d’honneur. La violence y est omniprésente et les combats sont plutôt sanglants. Petit contre pied aux poncifs habituels de ce type de récit, le héros Köinzell n’est pas un grand macho baraqué mais plutôt une figure androgyne d’apparence frêle et vulnérable. Pour ce qui est du dessin, on est dans du grand classique où les mouvements et la variété des scènes d’action sont bien rendus. Un petit souci néanmoins avec les personnages féminins qui se ressemblent tous comme deux gouttes d’eau.

Ne se contentant pas d’enfiler les combats comme des perles, l’auteur pose dans ce premier tome les bases d’une fresque complexe où les enjeux géopolitiques sont au moins aussi importants que les destins individuels. D’ailleurs, à la fin de chaque volume on trouve des informations sociales ou historiques qui donnent beaucoup d’épaisseur à l’environnement qui est décrit. Au final, Ubell Blatt est un seinen (décidément, mon vocabulaire spécialisé ne cesse de s’élargir !) riche et violent qui, par certains aspects, rappellera aux nostalgiques du club Dorothée la série Hokuto no Ken (Ken le survivant). A priori pas du tout ma tasse de thé mais j’ai tout de même passé un bon moment de lecture.


Ubell Blatt T1 de Etorouji Shiono, Éditions Ki-Oon, 2007. 216 pages. 7.50 euros.





Le challenge Palsèche de Mo'



La quinzaine Nippone de Choco
 

vendredi 1 juillet 2011

La ballade de Hambone 1

Huzlehurst, Mississipi, années 20. Bull Rockwell et Elmer Turpin débarquent à l’hôtel Plaza, le seul de ce bled paumé comptant 2027 âmes. Les deux hommes sont des tueurs à gage. Leur objectif est un notable de la ville dont la fille Omara fait tourner bien des têtes. Le second client de l’hôtel se nomme Mr Oerle. Il travaille pour la Vocalion American, une maison de disque qui recrute les meilleurs joueurs de blues. L’un de ses rabatteurs locaux lui a parlé de Hambone, un incroyable guitariste qu’il doit absolument emmener à Memphis pour pouvoir l’enregistrer. Problème, Hambone ne peut jouer qu’en présence de sa chérie Ophélia et cette dernière reste introuvable. Dans la moiteur étouffante du sud profond, tous ces personnages vont se télescoper et devenir les acteurs d’un terrible drame.

Avec la ballade de Hambone, les auteurs mettent en scène une tragédie moderne. Des destins auxquels personne n’échappe dans une ambiance à la fois crépusculaire et morbide. Il y a une sorte de poésie sombre qui traverse chaque planche. L’action se déroule à Huzlehurst, localité où est né Robert Johnson, bluesman légendaire qui aurait vendu son âme au diable pour devenir le plus grand guitariste de tous les temps. L’œuvre du Malin plane sur l’ensemble de l’album. La ville et ses habitants semblent possédés. L’intrusion d’éléments fantastiques renforce cet aspect surnaturel. Vous l’aurez compris, la légèreté n’est pas ici de mise…

Visuellement, le travail Leila Marzocchi est tout bonnement incroyable. Utilisant la technique de la carte à gratter, elle donne à chaque case l’aspect d’une gravure. Les personnages sont figés dans des postures dignes de sculptures. Les visages n’expriment aucune joie et semblent tous droit sortis d’un tableau de Munch (Le cri). Les couleurs, où l’ocre et le noir dominent, renforcent le coté crépusculaire de l’intrigue. Finalement, c’est surtout visuellement que ce titre impressionne car le scénario reste très classique et les nombreux récitatifs, un poil verbeux, ont tendance à alourdir inutilement le propos.

Pour autant, j’ai apprécié cet album oppressant dominé par une tension psychologique de chaque instant où l’amour, la mort et la douleur tiennent les premiers rôles. Encore un joli cadeau de Mo’ qui, après Courtney Crumrin et Salvatore, parvient de nouveau à faire mouche en me faisant découvrir une œuvre que je ne serais jamais allé chercher par moi-même dans les bacs de mon libraire. Un grand merci à elle, dont je ne louerais décidément jamais assez les talents d’amatrice plus qu’éclairée du 9ème art.

La ballade de Hambone T1 de Leila Marzocchi et Igort, Éditions Futuropolis, 2009. 64 pages. 15 euros.



Le challenge Palsèche


mercredi 29 juin 2011

Bride Stories 1

Asie centrale, 19ème siècle. Amir, 20 ans, du clan des Hargal, épouse Karluk, jeune garçon de 12 ans du clan voisin des Eyhon. Si ces derniers sont sédentarisés depuis plusieurs générations, la famille de la mariée pratique encore la transhumance estivale. Amir trouve très rapidement ses marques dans son nouvel environnement et est particulièrement appréciée par sa belle famille. Un peu sauvage, bonne archère, instinctive, forte, ingénue, sachant plein de choses sur la nature, la jeune femme se révèle être une vraie perle. Qui plus est, malgré un mariage forcé et une importante différence d’âge entre les époux, ces derniers deviennent naturellement complices. Mieux, au fil des mois, Amir va peu à peu tomber amoureuse de son mari. Mais une ombre plane sur le bonheur du couple : le clan des Hargal, considérant qu’ils se sont précipités en offrant Amir aux Eyhon, décide d’aller la récupérer…

Dans une courte postface, l’auteur résume parfaitement son ambition : « Dans ce manga, je vous raconterai l’histoire du conflit entre les clans Hargal et Eyhon en y insérant des descriptions de la vie quotidienne de l’époque ». Tout est dit ! Kaoru Mori aurait pu faire de ce titre une diatribe dénonçant le traitement réservé aux femmes dans cette région du Caucase à l’époque. Elle préfère se garder de tout jugement péremptoire pour s’attarder sur la description des petits riens du quotidien. Une existence simple entre chasse, cueillette, artisanat et respect des traditions. Elle s’attarde également sur l’importance de la transmission des savoir-faire, notamment à travers la fascination du benjamin de la famille pour le travail de l’ébéniste du village.

Le dessin est d’une qualité rarement vue dans un manga (du moins pour moi qui suis loin d’être une référence en la matière). Les costumes sont somptueusement détaillés, les visages d’une grande finesse et les décors naturels magnifiques. Les scènes d’extérieur, où le mouvement domine, sont par ailleurs d’une grande fluidité.

Une mangaka qui prend son temps pour raconter une histoire toute simple, c’est agréable et ça ne se voit pas souvent (à part le grand Taniguchi, bien sûr !). Avec un dessin qui tient de l’orfèvrerie et une intrigue tout en délicatesse qui n’occulte pas la rudesse de l’environnement et le poids des traditions, Bride Stories propose de découvrir de façon quasi documentaire le mode de vie des tribus du Caucase au 19ème siècle. Un vrai délice !

Bride Stories T1 de Kaoru Mori, Éditions Ki-oon, 2011. 182 pages. 7.50 euros.



Le top BD de Yaneck


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Le challenge Women's BD de Théoma

La quinzaine nippone de Choco

Fauve : Prix inter-génération 2012

lundi 27 juin 2011

Les vacances d’un serial killer

« Brel aurait aimé ces gens-là. Les rois du camping car, les beaufs à casquette Jupiler vautrés dans la merditude des choses. Les Alphonse, Josette et compagnie qui causent comme des charretiers et se lancent des gros mots à la gueule ».

Comme chaque année, la famille Destrooper part en vacances sur la côte belge. Dans la voiture, il y a Fonske, le paternel, Josette, sa femme, et Steven et Lourdes, leurs enfants. Dans la caravane accrochée à l’arrière, il y a mémé, une Calamity Jane du 3ème âge. Quand un motard pique le sac de Josette à un carrefour, personne ne se doute que ce vol va être le point de départ de vacances tout simplement infernales…

Une ENOOORME farce, voila comment je qualifierais ce texte. Un grand délire, certes maîtrisé, mais quand même ! Déjà, la galerie de personnages est absolument impayable : Mémé Cornemuse, grand-mère nymphomane et manipulatrice. Fonske, père de famille beauf jusqu’au bout des ongles mais attachant en diable. Les enfants, ados cinéastes un brin pervers. Josette, épouse nunuche et superficielle. Biloute, tueur en cavale qui garde des principes malgré ses agissements coupables… Ensuite, l’enchaînement des événements donne un rythme frénétique et ne laisse aucun temps mort au lecteur. Un tourbillon quasi incontrôlable où l’on navigue d’un personnage à l’autre, d’une situation abracadabrantesque à l’autre. Enfin, l’écriture, pleine de gouaille, est à la fois désinvolte et fluide, même si le niveau de langue parfois très peu soutenu pourra heurter certaines sensibilités.

Férocement drôle, politiquement incorrect, à prendre au second, troisième, voire quatrième degré, ce roman inclassable souffre de ces accumulations de scènes improbables. Trop, c’est trop. Et après avoir franchement rit au démarrage de l’intrigue, l’essoufflement s'est rapidement fait sentir. Finalement, plus rien ne devient surprenant tant l’auteur pousse plus loin le bouchon à chaque page. On garde le sourire, mais la lassitude n’est jamais loin.

Un bon titre si l’on aime les blagues potaches et les textes délirants. Fans de Groland et d’humour belge, ces Vacances d’un serial killer sont faites pour vous. Personnellement, je n’ai été que moyennement emballé par cette grosse farce qui m’a plus d’une fois fait frôler l’indigestion.

Les vacances d’un serial killer, de Nadine Monfils, Éditions Belfond, 2011. 236 pages. 18,50 euros.

vendredi 24 juin 2011

Les grenouilles samouraïs de l’étang des Genji

L’étang des Genji est un très vieil étang. Il y a fort longtemps y vivaient en harmonie des grenouilles, des crapauds et des rainettes vertes et rousses. Le Seigneur Yorimoto régnait sur le clan, magnanime. Mais par un bel été survint la catastrophe : un cri transperça la nuit et on trouva une rainette verte gravement blessée au bord de l’eau. Près d’elle, sur le sol, il y avait des empreintes que l’on n’avait jamais vues et un objet long et blanc que la guerrière Tomoé reconnut : le poil de la moustache d’un chat Heiké ! Alors, sur ordre du seigneur Yorimoto, dix mille grenouilles de l’étang des Genji prirent les armes pour aller attaquer le chat malfaisant. Mais l’assaut tourna à la déroute car le chat était trop fort. Il fallut alors toute l’ingéniosité d’une jeune grenouille pour venir à bout de cet adversaire qui semblait pourtant invincible.

Inspiré de la célèbre épopée du Heiké Monogatari qui décrit le combat qui s’est déroulé au XIIème siècle entre les clans Genji et Heiké pour le contrôle du Japon, cet album poétique offre une succession de tableaux se déployant sur des doubles pages. Les illustrations, aux couleurs somptueuses sont d’une rare élégance. Célébrant l’ingéniosité des plus faibles face à la force brute, voila un ouvrage dépaysant qui ravira petits et grands. Une lecture à partager en famille !

Les grenouilles samouraïs de l’étang des Genji, de Kazunari Hino et Takao Saitô, Éditions Picquier Jeunesse, 2009. 40 pages. 15,00 euros. Dès 7 ans.




Ce billet constitue ma 1ère participation à la quinzaine nippone de Choco.




lundi 20 juin 2011

Touriste

Julien Blanc-Gras revendique haut et fort son statut de touriste. Pas forcément la caricature du type en chemise à fleurs qui parcourt des milliers de kilomètres pour manger la même pizza que chez lui. Plutôt un voyageur cherchant à s’assurer que les atlas feuilletés depuis l’enfance contiennent des informations correctes : "Certains veulent faire de leur vie une œuvre d'art, je compte en faire un long voyage. Je n'ai pas l'intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas aussi exigeant. Touriste, ça me suffit. Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en prime. Il prend le temps d'être futile. De s'adonner à des activités non productives mais enrichissantes. Le monde est sa maison. Chaque ville, une victoire. Le touriste inspire le dédain, j'en suis bien conscient. Ce serait un être mou, au dilettantisme disgracieux. C'est un cliché qui résulte d'une honte de soi, car on est toujours le touriste de quelqu'un." Tout est dit !

Angleterre, Colombie, Guatemala, Inde, Maroc, Brésil, Chine, Polynésie, Madagascar… Autant de destinations que de découvertes. Julien Blanc-Gras possède une façon bien à lui d’appréhender la dynamique du monde. Il conçoit le tourisme comme une leçon de géographie à l’échelle 1. Et il faut bien reconnaître que ses impressions de voyage sont délicieuses à partager. Refusant (et ne pouvant se permettre) le luxe des grands hôtels, il côtoie les autochtones dans leur milieu, en parfaite immersion. Quand il se rend dans un faubourg ultra violent de Cali ou dans une favela brésilienne, c’est sans à priori, oscillant entre naïveté et réelle lucidité.

C’est un fait, ce voyageur là possède à la fois de l’humour et une vraie profondeur, parfois cachée derrière son goût pour les bons mots et les formules à l’ironie mordante. Son écriture, d’une belle fluidité, est délicieuse. Pas de chichi, pas de langue de bois, pas d’envolée lyrique ou philosophique. Pas non plus de dénonciation outragée ou de prise de position militante. Un point de vue plein de fraîcheur qui sait se faire critique quand la situation l’exige. Sans nier la terrible réalité du monde, Julien Blanc-Gras garde un regard souvent tendre et toujours très respectueux pour les gens qu’il rencontre.

Un récit de voyages parmi tant d’autres ? Surement pas. Une vision moderne et très personnelle du tourisme alliée à un joli brin de plume font de ce recueil passé totalement inaperçu au moment de sa sortie un vrai régal de lecture. Vous serez prévenu…

Touriste, de Julien Blanc-Gras, Éditions Au diable vauvert, 2011. 260 pages. 17,00 euros.