mercredi 13 juillet 2011

Les schtroumpfs 2 : Le schtroumpfissime

« Le grand schtroumpf est en voyage. Les schtroumpfs lui choisissent un remplaçant. » Voila comment était résumé le Schtroumpfissime au moment de sa prépublication dans le journal Spirou. Nous sommes en 1964 et après six mini-récits et deux histoires en vingt planches, les schtroumpfs vivent leur première grande aventure. Peyo et Delporte y décrivent l’élection d’un chef temporaire au suffrage « universchtroumpf » qui, une fois élu, devient un terrible dictateur. Discours démagogique, campagne électorale où la corruption fait rage, tentative de tricherie au bureau vote, opportunisme, mise en place de la dictature, répression contre les opposants, tous les tristes éléments de certaines situations politiques modernes sont déclinés avec finesse et humour.

Les éditions Dupuis ont la bonne idée de rééditer ce chef d’œuvre augmenté des commentaires du journaliste spécialisé Hugues Dayez. Chaque planche originale est précédée de réflexions sur le contexte de sa création ou d’analyses plus générales sur l’univers des schtroumpfs et de leur créateur. On y apprend par exemple que, au moment où il créé ses petits lutins, Peyo, n’ayant aucun sens de la couleur, charge sa femme Nine de leur trouver le teint de peau adéquat. C’est donc cette dernière qui choisit le bleu en procédant par élimination : verts, ils se seraient noyés dans le décor de la forêt ; rouges, ils auraient été trop voyants ; jaunes, ils auraient eu l’air malade ; roses, Peyo refusa cette couleur car il voulait signifier que ses petits personnages ne font pas partie du genre humain. Restait donc le bleu qui finit par convaincre tout le monde.

Hugues Dayez nous apprend par ailleurs que Peyo s’est inspiré de beaucoup d’éléments différents pour créer son univers : le schtroumpf à lunettes a des airs de famille avec le personnage d’Agnan, le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse dans Le petit Nicolas (publié en 1960) ; Les cadeaux explosifs du schtroumpf farceur sont une référence au dessin animé de Bip Bip et le Coyotte ; les traits de caractères spécifiques à chaque schtroumpf sont à mettre en parallèle avec ceux des sept nains de Blanche Neige (le dessin animé sorti en Belgique en 1938 aura fortement marqué Peyo) ; certaines scènes du schtroumpfissime sont des hommages plus ou moins directs à Chaplin (Le Dictateur), Hergé (Le cigare des pharaons) ou encore au film Robin des bois ayant pour héros Errol Flynn.

Le journaliste insiste également sur le travail d’équipe qui a été nécessaire pour que cet album voit le jour : le scénario est dû en grande partie à Yvan Delporte, alors rédacteur en chef du magazine Spirou ; la plupart des décors ont été réalisés par Claude de Ribaupierre, un tout jeune dessinateur qui signera par la suite ses propres productions sous le pseudonyme de Derib (Yakari, Buddy Longway). François Walthéry, autre jeune dessinateur qui connaîtra le succès avec Natacha, intervient quant à lui ponctuellement, notamment pour représenter les arbres et les feuillages.

Avec le Schtroumpfissime, Peyo est au sommet de son art. Sa narration est d’une incroyable fluidité. La lisibilité est d’ailleurs la plus grande qualité graphique que l’on peut reconnaître à ce dessinateur. Même Franquin, maître parmi les maîtres, était admiratif du travail de son ami : « C’est la qualité d’un dessin de Peyo : tu mets sa planche au mur, tu recules de cinq mètres, tu vois très bien ce qui se passe. C’est un don : il sait dessiner clair ! ».

Le Schtroumpfissime est un chef d’œuvre, je pèse mes mots. Delporte et Peyo ont créé une publication pour la jeunesse incroyablement audacieuse pour l’époque. Un album drôle, impertinent, politiquement engagé, aux multiples niveaux de lecture et dont la narration frôle le génie.

Cette réédition commentée est remarquable et passionnante. Elle éclaire surtout d’un jour nouveau une œuvre majeure et intemporelle de l’âge d’or de la BD franco-belge. Indispensable !


Le schtroumpfissime, de Peyo, commenté par Hugues Dayez, Dupuis, 2011. 88 pages. 19.95 euros.




La BD du mercedi, c'est chez Mango


Le challenge palsèche de Mo'


19 commentaires:

  1. Quel billet! Tu me donnes envie de replonger dans les aventures des Schtroumpfs, lues il y a bien des années avec une candeur enfantine. Entendu Hugues Dayez à la radio récemment qui m'avait déjà donner envie d'aller revoir les petits lutins bleus sous un autre angle. Je vais guetter ce titre en librairie, en médiathèque, partout!

    RépondreSupprimer
  2. Et oui Véro, si tu savais avec quel plaisir j'ai relu ce titre enrichi par l'éclairage de Dayez ! Que du bonheur !

    RépondreSupprimer
  3. C'est très intéressant que tu nous fasses revisiter ces classiques avec des détails en plus comme le choix de la couleur bleue! Comme Vero, j'ai envie de relire ces albums que je crois connaître et que peut-être je n'ai même pas lus en entier mais ils ont un air si familier que j'ai l'impression d'en avoir lu pas mal d'extraits. On nous offrait des petits journaux avec diverses BD comme récompense au club Mickey où j'allais chaque été! Beaux souvenirs!

    RépondreSupprimer
  4. @ Mango : ça me reprend chaque été cette envie de replonger dans les classiques. Des souvenirs de jeunesse, de lectures de vacances, de moments inoubliables...

    RépondreSupprimer
  5. Toute mon enfance en un billet !! Tu donnes vraiment envie de découvrir cet album qui a l'air très intéressant. :-)

    RépondreSupprimer
  6. ça pourrait mettre de l'eau au moulin de celui qui a écrit une thèse sur les schtroumphs... au moins, on sait pourquoi ils sont bleus !

    RépondreSupprimer
  7. Argg, mais tout le monde Schtroumpf ces derniers temps !!! :)

    RépondreSupprimer
  8. Bonne idée, que cette version enrichie.
    Tu me fais me demander d'ailleurs où est mon propre exemplaire de cet album, que je ne retrouve pas dans ma bibliothèque. Pourtant, je suis sûr de l'avoir eu à une époque...

    RépondreSupprimer
  9. Quelle bonne idée de rééditer ces albums avec un appareil critique ! ça nous fait découvrir l'oeuvre avec un oeil un peu plus adulte !

    RépondreSupprimer
  10. Forcément, je ne l'ai pas lu en BD (le contraire t'aurait étonné non ?). En revanche, je me souviens d'avoir vu à la télé Les schtroumpfs et d'avoir été excédé par le personage de Gargamel...

    RépondreSupprimer
  11. Super, ce billet! Il est à l'image de l'album qu'il présente!! D'ailleurs, je viens juste de vérifier et, effectivement, je n'ai pas cet album des Schtroumpfs!! Ce sera donc une excellente occasion de me le procurer... avec les annotations de ce Hugues Dayez en plus! Chouette! Merci pour cette belle découverte!
    Je sais que je ne suis pas le premier à te le dire, mais tu nous donnes sincèrement le goût de nous replonger dans nos vieux classiques!

    RépondreSupprimer
  12. Rhooooooo, mes chouchous ! Et je ne savais même pas pourquoi ils étaient bleus, merciiiii ! ;-)

    RépondreSupprimer
  13. C'est très drôle, car je viens de lire, aujourd'hui même, l'album «Spirou Dream Team»... dans lequel Hugues Dayez est un des personnages principaux!! Moi qui n'avais jamais entendu parler de lui avant hier, voilà que je trouve son nom partout!! Synchronicité, quand tu nous tiens!

    RépondreSupprimer
  14. @ PG : Hugues Dayez tient chaque semaine une rubrique intitulée "Les aventures d'un journal" dans le magazine Spirou. Il y revisite l'histoire du magazine en présentant les n° les plus marquants : c'est toujours passionnant !

    RépondreSupprimer
  15. Bravo Jérôme. Les Schtroumpfissime est un album de très haut niveau. Lorsque je donne mes conférences, il m'arrive souvent de le citer pour démontrer le second niveau de lecture car il s'agit ici de la bêtise de l'homme face au pouvoir.Enjeu pertinent en ces temps Harperiens! Les petites madames qui méprisent les "ticomics" restent pantois.
    Je ne savais pas que cette version était en vente. Voilà une parfaite idée pour la fête d'un membre de mon club BD.

    RépondreSupprimer
  16. Je cours chez mon libraire chercher ce livre!!! Il ne sort pas avant la mi août! Tu es Européen?

    RépondreSupprimer
  17. Oui Arsenul je suis français et chez nous le livre est sorti début juillet. C'est vraiment pénible ces délais de sortie différents entre l'Europe et l'Amérique du nord !

    RépondreSupprimer
  18. Alors, Jérôme, tel que promis, voici la surprise que j'ai tenu à faire à mes lecteurs pour ma 300e critique : une série classique, un de tes tomes favoris :

    http://www.lepigeonographe.com/luneau/schtroumpfs/-02-le-schtroumpfissime-335.html

    J'espère que tu ne m'en voudras pas d'avoir mentionné ton nom!!

    RépondreSupprimer

Je modère les commentaires pour vous éviter les captcha pénibles de Google. Je ne filtre rien pour autant, tous les commentaires sans exception seront validés au plus vite, promis !