D’abord, il y eut le grand père. Antonio Pablo Luna Coll, un espagnol de Majorque qui, fuyant le franquisme, traversa les Pyrénées et remonta jusqu’au Finistère. C’est là, en 1937 qu’il rencontra sa future femme, une bretonne pur jus prénommée Rozenn. A peine deux ans plus tard, il se lança dans la culture de fruits et légumes et devint peu à peu un vendeur respecté des halles de Quimper. Son fils prit la relève et développa l’affaire. Au début des années 70, le narrateur, encore enfant, se souvient que son père se levait à l’aube et montait dans la 2CV camionnette pour faire le tour des grossistes. Il se souvient des vacances en Espagne, du confort de la vie en province. Mais il se souvient aussi des soucis qui commencèrent avec l’incendie des halles en 1976. Et puis il y eut l’apparition des premiers supermarchés qui précéda de peu celle des huissiers sur le seuil de la maison familiale. Au final, l’entreprise de primeurs Coll sombra corps et biens, et son père ne s’en remit jamais vraiment.
Anthony Palou, né à Quimper en 1965, possède un joli brin de plume, en apparence assez désinvolte, mais qui est à l’évidence très travaillé. Ces quelques souvenirs de prime jeunesse se déclinent en courts chapitres, voire en simples paragraphes qui donnent beaucoup de rythme et de tonicité au texte. Une chronique sur l’enfance douce-amère, certes un brin nostalgique mais qui montre surtout comment s’est construite la personnalité du narrateur à travers la figure d’un père devenu bien malgré lui une sorte de loser qui a fini par baisser les bras devant d’insurmontables difficultés professionnelles.
Mais ce petit roman est aussi un coup de projecteur sur les petites gens et cette France des années 70 en pleine mutation. Anthony Palou ne glorifie rien ni personne. Il ne fait pas de ses personnages des super héros, loin de là. Tout tend vers la médiocrité, de son premier amour à l’AVC de son père (que l’on retrouve aux toilettes « la tête dans la cuvette, du grumeau de vomi dégoulinant de son menton »), de l’huissier aux vendeurs et aux clients du marché. Un hymne à la province et à la Bretagne ? Même pas. Sans tomber dans le cynisme, le narrateur est d’une désarmante lucidité. Désabusé serait sans doute le qualificatif le plus juste. La désillusion a finalement saisie trois générations de Coll. Le grand-père, le père et finalement le fils, devenu patron d’une petit entreprise de peinture qui, s’il reconnaît que son « affaire ne marche pas trop mal », ne déborde pas non plus d’ambition.
Un roman simple, sans fioriture, qui sonne juste et m’a fait passer un excellent moment de lecture. J’espère, Mr Palou, qu’il ne faudra pas attendre dix ans avant de découvrir votre prochain texte.
Fruits et légumes, d’Anthony Palou, Albin Michel, 2010. 152 pages. 14 euros.
L’info en plus : Fruits et légumes est le second roman d’Anthony Palou. Le premier, Camille, est paru en 2000 et a remporté le prix Décembre cette même année. Fruits et Légumes a pour sa part remporté le Prix La Montagne - Terre de France 2010 qui a pour objet de « distinguer une œuvre, un roman, un récit, mettant en valeur une terre de France et ceux qui y vivent ». Pour le coup, je ne suis pas certain que le texte mette en valeur la Bretagne et ceux qui y vivent mais peu importe, c’est tout de même une belle reconnaissance pour l’auteur.