mercredi 4 octobre 2017

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn

« Toute ma vie j’ai vécu un combat intérieur entre la volonté de me libérer de la tyrannie du groupe et la crainte que cela n’entraîne l’effondrement des structures traditionnelles à partir desquelles je m’étais construite. »

La « hchouma ». Cette injonction très utilisée dans la société marocaine renvoie à un code moral tacite. Son sens oscille entre la honte et la pudeur : « être bien élevé, être un bon citoyen, c’est aussi avoir honte ». Les femmes marocaines rencontrées par Leïla Slimani font souvent référence à la hchouma quand elles parlent de leur vie intime. Etre vierge ou épouse, il n’y a pas d’autres choix. La soumission plutôt que la transgression, il n’y a pas d’autre choix. En apparence du moins. Car peu à peu les lignes bougent. Certes doucement, mais le frémissement est là, indiscutable.

Ces femmes, Leïla Slimani les a rencontrées au cours d’une tournée promotionnelle effectuée au Maroc après la publication de son premier roman « Dans le jardin de l’ogre », où elle abordait sans tabou la question de l’addiction sexuelle. Face à l’écrivaine, la parole se libère. Les faits rapportés sont édifiants : IVG clandestine, reconstruction de l’hymen, adultère et homosexualité punis par la loi, impossibilité de rester célibataire sans être durement jugée, violeur pouvant échapper à la prison en épousant sa victime (ce tristement célèbre article 475 du code pénal a finalement été abrogé par les députés en 2014 après le suicide d’une adolescente de 15 ans ayant dû se marier avec celui qui l’avait agressée), etc.

A travers les propos de ces femmes se dresse le portrait d’un pays oscillant entre hypocrisie et schizophrénie. Un pays qui élève la pudeur en vertu absolue mais est « le cinquième consommateur mondial de pornographie sur internet ». Une société patriarcale où suinte chez les hommes autant de frustration que de peur de voir éclore des femmes fortes qui assument leur sexualité et s’assument en dehors du groupe. Un pays d’où se dégage un terrible manque d’éducation sexuelle et où la religion est brandie comme un étendard pour mettre un terme à toute tentative de discussion : « Dès qu’on veut vous dominer on vous assène cette phrase : c’est le coran qui le dit ». C’est instructif et sans langue de bois mais ce n'est pas non plus provocateur ou rentre dedans. Le jugement est à charge mais la volonté d’explication apporte une lumière bienvenue sur « les racines du mal ».

Un album courageux, militant et engagé qui décrit une situation effarante avec beaucoup de calme et d’intelligence, avec une réflexion et une sincérité qui honore chaque femme ayant osé se livrer sans retenue. Surtout l’espoir demeure de voir les choses changer et la société évoluer peu à peu. Croisons les doigts pour qu’un retour en arrière obscurantiste ne vienne pas mettre à mal les rares signaux d’émancipation émergeant à l’heure actuelle.

Je laisse le dernier mot à Leïla Slimani, il me semble que tout est dit dans sa conclusion :

« Tous ces témoignages confirment le rôle central que joue la place de la femme dans ces problématiques. Malgré les avancées législatives, malgré l’évolution de la société, le corps de la femme reste contraint par le groupe. Avant d’être un individu, une femme est une mère, une sœur, une épouse, une fille, garante de l’honneur familial, et, pire encore, de l’identité nationale. Sa vertu est un enjeu public.
Il reste à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n’aurait à répondre de ses actes qu’en tant que citoyen lambda et pas en fonction de son sexe. La femme qui pourrait s’affranchir de la qa’ida, c’est-à-dire de la norme, de la coutume admise par tous. »

Paroles d’honneur de Leïla Slimani et Laetitia Coryn. Les Arènes, 2017. 105 pages. 20,00 euros.












mardi 3 octobre 2017

Pablo de la Courneuve - Cécile Roumiguière

Pas facile la vie à la Courneuve quand on vient de Colombie. Pas facile d’accepter la ville triste, la grisaille ambiante, les HLM sans âme. Pas facile non plus le statut de sans-papiers. Ne pas faire de bruit, ne pas faire de vagues, ne pas attirer l’attention. Affronter les regards en biais et les petites humiliations sans broncher, ne pas répondre aux provocations, à ceux qui vous font comprendre que vous n’êtes pas le bienvenu. Pablo, 12 ans, se résigne difficilement au déracinement. Dans sa tête, il ne cesse de retourner à Santa Maria del Cauca. Là-bas il faisait beau et chaud tout le temps. Là-bas les papillons et les oiseaux multicolores illuminaient le ciel. Là-bas il avait des amis et se sentait chez lui. Depuis que ses parents ont fui sa terre natale avec sa sœur et sa grand-mère, il se sent seul et perdu.

Heureusement il y a Nina et la Goule. Heureusement il y a Georges et une maîtresse compréhensive. Heureusement, quelques rencontres peuvent adoucir le quotidien.

Réédition d’un texte publié il y a près de dix ans, Pablo de la Courneuve reste malheureusement d’une brûlante actualité. Un texte qui dit à hauteur d’enfant la vie comme elle est, avec ses coups durs, ses coups bas, ses coups de blues et ses coups de chance qui éclaircissent un horizon plein de nuages. L’exil devient supportable quand l’autre vous ouvre les bras, quand l’écoute, l’échange, le dialogue et l’altruisme prennent le pas sur la haine et le ressentiment. C’est simple, c’est plein de tendresse et d’espoir, c’est sans angélisme, ça déborde d’humanité et ça réchauffe le cœur. Un roman jeunesse tout en douceur à lire, à faire lire et à partager sans modération.


Pablo de la Courneuve de Cécile Roumiguière. Seuil, 2017. 95 pages. 10,00 euros. A partir de 9-10 ans.


Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










mercredi 27 septembre 2017

Strangers in Paradise : intégrale 1 - Terry Moore

Si on m’avait dit un jour que je lirais un soap opera de 600 pages en noir blanc… Et encore, ces 600 pages ne représentent qu’un tiers de la série puisque deux autres intégrales aussi volumineuses sont prévues. Le pire, c’est que j’ai vraiment apprécié ce comics fleuve auto-édité par Terry Moore entre 1993 et 2007 qui a remporté un Eisner Award en 96.

L’histoire est celle de Katchoo et Francine, deux colocs qui se connaissent depuis le lycée. Katchoo est très amoureuse de Francine, qui vient de plaquer son mec après l’avoir découvert en pleine partie de jambes en l’air avec sa secrétaire. Le jour où Katchoo rencontre David, un jeune homme sorti de nulle part prêt à tout pour la séduire, les relations entre les deux amies se compliquent grandement.

J’avoue, au départ, j’ai eu peur d’une ambiance digne des feux de l’amour. Au bout de quelques pages j’ai davantage misé sur la comédie romantique avec triangle amoureux et guimauve trop sucrée. Mais très vite l’atmosphère se charge de mystère et d’électricité. Katchoo n’est pas celle que l’on croit. Le FBI possède un dossier top secret la concernant plus épais qu’un annuaire, David connaît trop de choses sur elle pour être honnête et Francine se retrouve ligotée sur une chaise, un flingue collé contre la joue. La romance bascule dans le polar bien noir et je commence à m’accrocher aux rideaux, ce qui est franchement bon signe.

Terry Moore est un maître pour mélanger les genres. Il excelle dans les scènes intimistes et les dialogues au cordeau mais est aussi très à l’aise pour développer des séquences extrêmement drôles et d’autres aussi sombres que violentes. Ses personnages n’ont rien de caricatures, ils sont d’une touchante fragilité et il est impossible de ne pas s’attacher au duo Katchoo/Francine. Après, mon intérêt pour leurs tribulations n’a pas été d’une même intensité d’un épisode à l’autre, ce qui est logique dans la mesure où une telle narration au long cours n’est pas simple à maîtriser sur la durée.

Je ne crierais donc pas au coup de cœur mais je suis certain de poursuivre l’aventure aux côtés de ces deux femmes aux caractères bien trempés parce que j’ai très envie de savoir ce que l’avenir leur réserve.

Strangers in Paradise : intégrale 1 de Terry Moore. Delcourt, 2017. 600 pages. 39,95 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.











mardi 26 septembre 2017

Une fille de… - Jo Witek

« Moi je ne suis pas une enfant de l’amour, je suis une fille de passe. Ça calme. Ça tue d’entrée de jeu les rêves romantiques en rose et bleu. »

Une fille de passe, une fille de p… Hanna a compris très jeune ce que faisait sa mère pour payer le loyer, et le reste. Même si au départ ça restait un peu flou dans sa tête, au bout de quelques années tout était devenu très clair. Un « métier » à part, un statut impossible à assumer quand on est une fille de… Le regard des autres, ces phrases qui fusent, définitives, pour juger, condamner, exclure. Pas d’autre solution que le repli sur soi pour la jeune fille, pas question de lier des amitiés durables ou de ramener les copains et les copines à la maison.

Avec le temps surgissent les questions. Et si c’était héréditaire ? Et comment on fera quand maman ne sera plus en état de continuer, quand il va falloir la prendre en charge de A à Z ? Et comment imaginer que l’amour existe quand on voit sa mère suivre les hommes avec toujours la même froideur, quand on voit comment eux se comportent en consommateurs égoïstes et sans la moindre douceur ? Comment se construire et s’imaginer un avenir sentimental quand on est la fille d’un client parmi des milliers d’autres, quand on devient pour tous ceux qui connaissent la situation une pestiférée ou une proie forcément facile, puisque les chiens ne font pas des chats.

Une magistrale plongée dans la tête d’une ado pas vraiment comme les autres. Le monologue intérieur permet de focaliser le point de vue sur les pensées intimes d’Hanna, de montrer le cheminement qui va lui permettre d’accepter la situation, de garder intact son affection pour cette mère au parcours si difficile, de ne plus baisser la tête et d’affronter le regard des autres, de chasser cette honte qui n’a pas lieu d’être et d’accepter, devant l’évidence, que l’amour existe.

C’est beau, c’est fort, ça sonne juste, ça remue. Hanna court, elle trace le sillon d’une vie en dehors des sentiers battus. Et elle marque au fer rouge un lecteur qui jamais n’oubliera son histoire et sa voix.

Une fille de… de Jo Witek. Actes Sud Junior, 2017. 95 pages. Neuf euros. A partir de 13-14 ans.


Une pépite jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.




dimanche 24 septembre 2017

A la vie à la mort T1 : Pierrot le fou

Février à novembre 1946. Le gang des tractions terrorise la France et réalise le casse du siècle en braquant la Poste de Nice. Menée par Pierrot le fou qui devient le premier malfaiteur de l’histoire à porter le titre « d’ennemi public n°1 », la bande écume Paris et la province semant la mort et la désolation sur son passage.

Rodolphe adapte ici plus ou moins fidèlement son récit publié en 2015 « La légende de Pierrot le fou ». La chronologie est davantage bousculée, c’est plus rythmé, plus visuel (forcément !) mais les nombreuses ellipses risquent de perdre en route plus d’un lecteur peu au fait de l’histoire du fameux « gang des tractions » ayant terrorisé pendant quelques mois une France à peine libérée de l’occupant allemand.

L’album s’ouvre sur la mort de Pierrot, fait un crochet par sa rencontre avec Joe Attia en Tunisie pendant son service militaire, s’attarde sur la formation du gang, revient sur le passé de résistant et de collabo de son chef. Se dresse au fil des pages le portrait d’un opportuniste prêt à tout pour s’enrichir, d’un homme à femmes séducteur, d’une tête brûlée préparant méticuleusement chacun de ses coups mais capable de coups de sang ravageurs.

C’est bien mené, prenant, la narration est fluide, le dessin parfaitement au service du récit. Beaucoup de choses restent en suspens à la fin de ce premier tome, même si on sait depuis le début comment tout cela va se terminer puisque l'album s'ouvre sur la mort de Pierrot. Quoi qu'il en soit, vivement la suite.

A la vie à la mort T1 : Pierrot le fou de Rodolphe, Séjourné et Verney. Soleil, 2017. 60 pages. 15,50 euros. 


jeudi 21 septembre 2017

Sur l’écriture - Charles Bukowski

« Quand tu écris juste dans l’optique d’être célèbre tu finis par faire de la merde. Je veux pas établir de règles mais s’il y en a une c’est celle-ci : les seuls écrivains qui ont du style sont ceux qui doivent écrire pour ne pas devenir fous. »

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Bukowski est mon héros. Enfin, pas mon héros parce que je n’idolâtre personne. Mais il est celui qui a fait de moi le lecteur que je suis devenu. Alors forcément attaquer une anthologie de textes inédits signés de sa main ne me laisse pas indifférent.

Je savais à quoi m’attendre parce que j’avais déjà lu sa correspondance dans un ouvrage publié il y a plus de dix ans. Bien sûr ici le contenu est inédit mais sur le fond, rien ne change. Le vieux dégueulasse éructe, provoque, se moque, semble bourré 24h/24, se répète beaucoup, passe du coq à l’âne, égratigne ses confrères. Il parle d’écriture. La sienne et celle des autres. Entre la fin des années 40 et le début des années 70 il n’y a que la poésie qui compte. La sienne est la meilleure, les autres sont nuls (« ça fait des années que la poésie me gonfle, depuis des siècles, mais j’ai continué à en écrire parce que les autres s’y prenaient tellement mal »). Par la suite, quand son travail en prose commence à être reconnu, il s’apaise un peu. Mais dans l’ensemble il reste égal à lui-même. Il en fait des caisses, il surjoue, passe à la moulinette poètes, écrivains, éditeurs et critiques. Il endosse son habit préféré, celui du détestable misanthrope atrabilaire se plaignant de son pauvre sort de crève-la-faim incapable de garder un job, en permanence au bord de la folie et du suicide. Rien de neuf sous le soleil quoi.

Il faut dire aussi que ne suis pas fan de correspondance. D’abord parce que ça relève du domaine privé, donc ça ne me regarde pas. Ensuite parce que ce type d’échanges ne m’intéresse pas vraiment. Pour autant tout n’est pas à jeter dans cet amas de lettres. Je me suis amusé à le trouver obséquieux dans ses courriers à Henry Miller, j’ai apprécié ses références constantes aux très rares auteurs trouvant grâce à ses yeux (le Hemingway des débuts, Céline, Dostoïevski, Knut Hamsun et Sherwood Anderson) et j’ai adoré sa lettre la plus sincère et la plus poignante adressée à celui qu’il considère comme le plus grand de tous, John Fante (« Je ne sais pas d’où vous tenez votre talent mais les dieux vous en ont assurément bien doté. Vous avez représenté et représentez pour moi plus que n’importe quel homme mort ou vivant. Il fallait que je vous le dise »).

J’ai aussi apprécié ses réflexions sur l’écriture disséminées au fil des pages, son refus obstiné de l’académisme (« Il n’y a aucune excuse pour une création mutilée par les directives de l’académisme, de la mode, ou le livre de messe valétudinaire qui dit : la forme, la forme, la forme !! Autant foutre les mots en cage. Autorisons-nous l’espace et l’erreur, l’hystérie et la peine. »), sa soif de simplicité (« Je ne crois pas aux histoires de techniques, d’écoles ou de divas… Je crois plus au fait de s’accrocher aux rideaux comme un moine ivre… pour les réduire en morceaux encore, encore, encore… »), son humour toujours aussi ravageur, sa capacité à rire de lui-même, à savoir d’où il vient, à ne jamais se voir plus beau qu’il n’est (« C’est du côté des incultes que je me range, les incapables, les gens si avides de jeter leurs pensées sur papier qu’ils n’ont pas eu la patience d’attendre des années pour acquérir une base solide »).

C'est un fait, il n’y a rien de transcendant dans ce recueil. Rien de nouveau pour ceux, comme moi, qui ont tout lu de lui et sur lui. Mais cette somme est représentative de ce qu’il a toujours été et de ce qui m'a toujours séduit chez lui : un gars qui n’en a jamais rien eu à foutre. Des gens, des élites, des penseurs, des modèles à suivre, des casse-couilles et des culs serrés. Un gars qui a mené sa barque sans s’occuper de personne et a marqué de son empreinte indélébile tout un pan de la contre-culture américaine.

Sur l’écriture de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au diable Vauvert, 2017. 320 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.









mercredi 20 septembre 2017

Le voyageur - Koren Shadmi

Il parcourt les États-Unis en auto-stop. Dans son sac à dos, du sable. Toutes les directions sont bonnes à prendre, le voyageur erre à la recherche du remède pouvant guérir son mal. Sa quête est la même depuis trois cents ans : il cherche à vaincre l’immortalité, cette malédiction qui lui fait traverser les siècles et constater à quel point la situation ne fait que se dégrader. Dans un futur proche, l’Amérique suffoque, les catastrophes naturelles s’enchaînent, une guerre a semé la désolation. La planète devient invivable et le voyageur continue à vivre malgré lui.

De la SF de haute voltige par un auteur israélo-américain dont l’univers graphique n’est pas sans rappeler celui de Frederik Peeters et de sa série aâma. La construction est imparable. Chaque chapitre, dessiné dans une gamme chromatique différente, peut se lire comme une histoire indépendante faisant partie d’un grand tout. Un grand tout qui se tient de bout en bout où l'on traverse différentes époques. Je craignais une fin sans réelle explication, un truc un peu mystérieux, hermétique et facile. J’avais tout faux. La dernière partie, explicitement intitulée « Où le voyage s’achève », donne les clés du cheminement du voyageur et offre une cohérence indiscutable à l’ensemble.

Excellent cet album, vraiment excellent. Sombre, désespéré, cynique, lucide. Je n’ose pas dire visionnaire mais on ne doit malheureusement pas être loin du compte. J’ai adoré parce que c’est une réflexion sur la solitude, le temps qui passe, l’inexorable fin annoncée à laquelle personne n’échappera. C’est le portrait sans concession d’un pays, et plus largement d’une planète, qu’une espèce s’acharne à détruire avec une minutie et une volonté sans faille. C’est un regard porté sur l’humanité qui ne laisse place à aucune illusion. C’est d’un pessimisme absolu, un pavé dégoulinant de noirceur lancé dans l’océan de feelgood tellement à la mode en ce moment. Et bordel que ça fait du bien !

Le voyageur de Koren Shadmi (traduit de l’anglais par Bérengère Orieux). Ici même, 2017. 175 pages. 25,00 euros.




mardi 19 septembre 2017

Dans la forêt de Hokkaido - Éric Pessan

 « Les médecins n’expliquent rien parce qu’il n’y a rien à expliquer. Un garçon se perd, appelle à l’aide et c’est moi qui le trouve. Point. » Enfin, tout n’est pas si simple. Julie s’est réveillée un matin en hurlant. Elle avait fait un rêve. « J’étais un petit garçon. J’étais dans la forêt d’Hokkaido. J’étais seul. J’étais perdu. Pire que perdu. Abandonné. » Très vite la collégienne comprend que ce rêve n’en est pas vraiment un. Que ce garçon existe. Qu’à des milliers de kilomètres de la France, il est entré en contact avec elle. Ou l’inverse. Et à chaque fois qu’elle s’’endort, elle se retrouve dans son corps. Elle le guide comme elle peut. Affronte avec lui le froid, la faim, la peur des ours qui rôdent. Et plus le garçon faiblit, plus Julie sombre dans une fièvre qui la met en grand danger.

Quel bonheur de retrouver la plume délicate d’Éric Pessan. Il y a dans son écriture un charme indéfinissable qui m’emporte à chaque roman. Ici il met en scène Julie, un personnage déjà présent dans « Plus haut que les oiseaux » et « Les lumières dansaient dans le ciel ». Une Julie frappée malgré elle par un don de télépathie qui lui fait ressentir les maux de celui dont elle est devenue l’ange-gardien, sans le vouloir ni le choisir. On vit intensément le désespoir du petit garçon, on écoute avec lui les bruissements, cris et craquements de la forêt, tout sonne juste quand les esprits de Julie et de l’enfant partagent le même corps, tout s’imbrique parfaitement, même lorsqu’une histoire parallèle concernant les migrants vient se greffer à l’intrigue principale.

Un roman jeunesse entre rêve et réalité où les passerelles reliant les deux mondes se tissent avec un naturel et une limpidité qui forcent l’admiration. La partition est sans faute, le plaisir de lecture immense.

Dans la forêt de Hokkaido d’Éric Pessan. L’École des loisirs, 2017. 135 pages. 13,00 euros. A partir de 13-14 ans.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.









dimanche 17 septembre 2017

Les lectures de Charlotte (42) : L'ours qui fixe

Il était une fois un ours qui aimait fixer tout le monde d’un air concentré. TRÈS CONCENTRÉ. Mais les animaux qu’il fixait sans dire un mot n’appréciaient guère son comportement. Les coccinelles s’enfuyaient, les oisillons arrêtaient de manger et le blaireau lui demanda de ne plus l’espionner.

Dépité, l’ours se sentait incompris : « Ce n’est pourtant pas mon intention de déranger les gens, se dit-il. Je suis curieux, c’est tout. Mais je suis trop timide… ». Heureusement, près de la mare, il rencontra une grenouille pleine de bon sens qui lui donna le plus judicieux des conseils.

Il est touchant cet ours pataud et penaud qui voudrait tant échanger avec les autres animaux mais ne sait pas comment s’y prendre. Les dialogues sont savoureux, le dessin, coloré et expressif, est un régal pour les yeux et évidemment tout se termine très bien pour le pauvre plantigrade.

Un album parfait pour aborder en douceur la question de l’estime de soi, du rapport aux autres ou même de la politesse. Charlotte l’adore cet ours qui fixe !


L’ours qui fixe de Duncan Beedie (traduit de l’anglais par Michèle Moreau). Didier jeunesse, 2017. 40 pages. 14,00 euros. A partir de 3-4 ans.

vendredi 15 septembre 2017

Le sympathisant - Viet Thanh Nguyen

1975. Saïgon vient de tomber et le narrateur, capitaine d’un général sud-vietnamien, va fuir sa terre natale et découvrir celle de l’Oncle Sam, ses supermarchés et ses autoroutes. Mais sous les habits du soldat pro-américain se cache une taupe Vietcong. Ce narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, est un espion communiste prêt à tout pour ne pas se faire démasquer, prêt à tuer pour prouver sa fidélité au général.

J’ai eu peur d’un banal roman d’espionnage aux considérations politico-stratégiques barbantes mais cette histoire d’espion n’est pas au cœur du récit, elle sert juste à alimenter une réflexion autour du déracinement, de l’impossibilité de trouver sa place dans une Amérique accueillant les rescapés de la première grande défaite militaire de son histoire. Et les vietnamiens qui l’ont soutenue sur place ne sont pas les bienvenus : « La plupart des américains nous regardaient avec dégoût, car nous étions le rappel vivant de leur défaite cuisante. Nous menacions la sacro-sainte symétrie d’une Amérique noir et blanc, dont la politique raciale du yin et du yang ne laissait place à aucune autre couleur, notamment ces petits jaunes pathétiques qui venaient piquer dans la caisse ».

Le roman dit l’exil et la déchéance d’une diaspora ayant tout perdu en fuyant la guerre dans l’urgence. A ce titre la scène du départ de Saïgon sous les bombes est d’un réalisme sidérant. Se sentant inutile et humiliée, cette diaspora devient une communauté perdue, pathétique, s’accrochant sans illusion à d’hypothétiques rêves de retour.

La partie se déroulant aux États-Unis est passionnante, la parenthèse cinématographique expliquant en détail le tournage d’un film hollywoodien sur la guerre du Vietnam ne m’a pas enthousiasmé et le retour final dans la jungle m’a ennuyé à mourir, à tel point que j’ai traîné près de trois semaines pour lire les cent dernières pages. Une lecture inégale, donc. Même s’il se dégage de ce prix Pulitzer 2016 une grande puissance narrative et une indéniable force d’écriture (la traduction est vraiment impeccable), je dois reconnaître que je n’ai pas été totalement emporté par la confession de cet agent double en quête d’identité.

Le sympathisant de Viet Thanh Nguyen (traduit de l’anglais par Clément Baude). Belfond, 2017. 490 pages. 23,50 euros.










mercredi 13 septembre 2017

Extases T1 - JeanLouis Tripp

« J’ai décidé de m’avancer sans masque. Nu. (C’est le cas de le dire). Je n’en tire aucune gloire, mais je n’en ai aucune honte. Voici ce que je suis. »

Extases où l’itinéraire d’une vie sexuelle. Ce premier tome sous-titré « Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x… » s’étire de l’enfance au début de l’âge adulte avec quelques détours dans un passé beaucoup plus récent. JeanLouis Tripp, co-auteur avec son complice Régis Loisel du fabuleux Magasin général, dit tout et annonce la couleur en introduction : « Tout ce que je raconte dans ce livre est vrai. […] Le personnage principal, c’est moi, JeanLouis ».

On retrouve donc JeanLouis à l’école, dans les années 70. La vie en province, les parents communistes, les premiers questionnements autour de ce qui se cache sous les jupes des filles. Le premier baiser pendant un voyage en Angleterre, la première branlette, les premiers touche-pipi au collège avec la peu farouche Véronique. Et puis le lycée. Caroline. LE grand amour. La première fois. Des mois, des années avec Caroline. Des envies d’infidélité, une sexualité de couple qui tombe dans la routine, des tentatives pour relancer la machine. Le plan à trois, Caroline avec un autre homme, les partouzes. JeanLouis accro aux prostituées, JeanLouis et ses expériences homosexuelles. Tout est mis sur la table, sans fard ni faux semblant.

Rarement (voire jamais) un auteur aura autant dessiné sa bite. Et dans des proportions tout à fait raisonnables, il est important de le préciser. JeanLouis Tripp ne se met pas à nu pour fanfaronner ou pour la gaudriole. Sa biographie entièrement centrée autour d’une sexualité débordante n’a rien du grand déballage malgré les apparences. Loin d’une bête confession intime sans saveur, il allie franchise, modestie et pudeur (si, si, je vous jure !) avec une justesse des plus touchantes. Les trouvailles graphiques sont nombreuses pour analyser avec pertinence un ressenti brut et alimenter la réflexion. On ne cache rien mais on ne force pas le trait, on suggère autant que l’on montre. L’équilibre est fragile mais les fondations restent solides, en grande partie grâce à un sens du récit absolument bluffant.

Évidemment, ce n’est pas à mettre en toutes les mains. C’est cru, très cru. Jamais vulgaire pour autant, ni particulièrement excitant. J’ai adoré cet album pour sa sincérité, son autodérision, son mélange de sérieux et de légèreté et la limpidité de sa narration. 270 pages dans ce premier volume et il en reste deux à paraître. Autant dire que la vie sexuelle de JeanLouis Tripp est loin d’avoir livré tous ses secrets.

Extases T1 de JeanLouis Tripp. Casterman, 2017. 270 pages à réserver à un public averti. 22,00 euros.










mardi 12 septembre 2017

Le journal de Gurty T3 : Marrons à gogos - Bertrand Santini

Si Gurty n’existait pas, il faudrait l’inventer. Parce que même si vous avez le moral au fond des chaussettes, cette petite chienne trouvera toujours le moyen de vous redonner le sourire. Dans ce troisième volume de son journal, alors que l’automne s’annonce, Gurty revient à Aix-en Provence dans la maison de campagne de son maître Gaspard. L’automne, c’est une saison qu’elle adore parce que « la nature sent des fesses. Tout pourrit, tout croupit, tout moisit. C’est super ! ».

Sur place, la chienne retrouve sa copine Fleur et son émotivité exacerbée. Il y a aussi l’écureuil roublard que Gurty aimerait attraper et dévorer mais qui est bien trop malin pour elle, l’ennemi juré Tête de fesse et la vieille chienne Fanette. Parmi les nouveautés notables, une citrouille qui parle, un cerf-volant, des champignons hallucinogènes, des rêves prémonitoires et des kidnappeurs d’animaux.

Humour potache, scènes proches de l’absurde, naïveté à toute épreuve, réflexions philosophiques surprenantes, bon sens mis à mal et petits bonheurs quotidiens, les ingrédients restent les mêmes mais Bertrand Santini sait se renouveler pour éviter de tourner en rond.

Certes, tout cela ne vole pas bien haut, je vous l’accorde. Certes, il n’y a pas besoin d’exégèse, pas de torture intellectuelle à attendre avec un roman jeunesse comme celui-ci. Gurty est juste là pour offrir une bonne tranche de rigolade, un plaisir simple et direct. Gurty se contente de faire du bien, de filer la banane. Et puis, je l’ai constaté un nombre incalculable de fois depuis la sortie du premier tome, Gurty a le pouvoir de faire aimer la lecture à des enfants qui ne voient dans cette activité qu’une perte de temps barbante. Et ce pouvoir-là n’a pas de prix. Alors surtout ne change rien ma petite Gurty !

Le journal de Gurty T3 : Marrons à gogos de Bertrand Santini. Sarbacane, 2017. 175 pages. 9,90 euros. A partir de 7-8 ans.


Une pépite partagée comme chaque mardi avec Noukette.











dimanche 10 septembre 2017

Hanada le garnement T1 - Makoto Isshiki

Hanada est un sale gosse, un vrai. Du genre à coincer une grenouille morte dans la fente de la boîte aux lettres, à maltraiter le chien du voisin ou à pisser sur la véranda. Pour lui, sa mère est une vieille bique, son père un pochtron, son grand-père un ancêtre et sa sœur une « groche », vu qu’elle est grosse et moche. Pour faire court, Hanada est un gamin incontrôlable qui passe son temps à faire des crasses. Il n’y a que les fantômes qui lui font peur, à tel point qu’il n’ose pas aller faire ses besoins la nuit venue au fond du jardin.

Après une énième bêtise, il enfourche son vélo et part à toute vitesse pour échapper à une fessée bien méritée. Dévalant une colline, il ne voit pas une voiture arriver et ne peut éviter l’accident. Après s’être miraculeusement réveillé à l’hôpital sans la moindre séquelle, Hanada se rend compte qu’il est désormais possesseur d’un étrange pouvoir : il peut voir les esprits. Pire encore, ces derniers lui demandent de les aider à accomplir leurs dernières volontés afin qu’ils puissent définitivement passer dans l’autre monde. Devenu malgré lui le messager des âmes errantes, Hanada le garnement va avoir bien du mal à accomplir ses missions.

Un manga frais et pétillant dont l’ambiance rurale n’est pas sans rappeler l’excellente série « Une sacrée mamie ». On frôle parfois l’absurde, c’est drôle et irrévérencieux, un poil touchant par moments même si l’humour reprend vite le dessus. Le dessin est simple mais hyper lisible, jamais surchargé.

Traduit pour la première fois en français, Hanada a été publié au Japon en 1994. La série est donc terminée depuis belle lurette et ne compte que cinq volumes. Il serait vraiment dommage de s’en priver.


Hanada le garnement T1 de Makoto Isshiki. Ki-oon, 2017. 224 pages. 7,90 euros.

PS : pour les collègues documentalistes c’est un manga vraiment sympa à proposer au CDI je trouve. Je suis certain qu’il ravirait bien des collégiens.




vendredi 8 septembre 2017

Éléphant- Martin Suter

Près de Zurich, Schoch le SDF se réveille au fond de sa grotte nez à nez avec un éléphant rose de 30 cm qui brille dans le noir. Rien d’affolant à première vue, étant donné la cuite qu’il s’est pris la veille. Sauf qu’après avoir dessaoulé, il constate que l’éléphant est toujours là. Le pachyderme, fruit d’une manipulation génétique, a été déposé par un soigneur de cirque voulant à tout prix le protéger. Car le professeur Roux, à la base de l’expérience lui ayant donné la vie, voit dans cette créature improbable un potentiel commercial phénoménal. Avec ses associés, il se lance sur la piste de « son » trésor et compte bien le récupérer coûte que coûte.

Un SDF, une vétérinaire, un chinois, un savant fou, un birman et surtout un mini éléphant rose phosphorescent. Des ingrédients incongrus pour un roman aux faux airs de conte fantastique, parfois proche du thriller, qui interroge sur les avancées de la génétique et plonge avec un réalisme sidérant au cœur du quotidien difficile des sans-domicile-fixe. Le tout en alliant courses poursuites endiablées et moments intimistes, humour noir un poil cynique et questionnements philosophiques.

Martin Suter a bâti son roman sur une implacable chronologie. Il a par ailleurs pris le temps d’échanger avec les plus grands spécialistes de la génétique et de la fécondation artificielle de l’éléphant pour donner à son propos, de prime abord délirant, des références solidement documentées. Pour autant, son art de la concision lui permet de garder en permanence les informations scientifiques au service du récit sans jamais l’alourdir, un vrai tour de force.

Un roman à la construction parfaite, qui se dévore comme un page-turner et surprend par sa profondeur de réflexion. Assurément une des plus belles surprises de la rentrée littéraire (pour l'instant et en ce qui me concerne du moins).

Éléphant de Martin Suter (traduit de l’allemand par Olivier Mannonni). Bourgois, 2017. 356 pages. 22,00 euros.






mercredi 6 septembre 2017

Chevalier Brayard - Zidrou et Francis Porcel

S’en revenant de croisade, le chevalier Brayard tombe, près de son château, sur une fuyarde s’avérant être une princesse arabe kidnappée par l’un de ses « confrères ». Après avoir passé quelques jours déprimants auprès de sa pimbêche d’épouse, Brayard décide de reprendre la route pour ramener la princesse chez elle et récupérer la rançon promise par son père. Mais forcément, le chemin vers Alep sera semé d’embûches...

Qui aime bien châtie bien ? Ok, alors laissez-moi sortir le fouet. Mais où est passé Zidrou ? Le Zidrou que j’adore je veux dire, celui qui allie humour, émotion, surprise et vraie profondeur de réflexion. Dans cet album il est clairement aux abonnés absents. Après une entrée en matière prometteuse aux faux airs de Don Quichotte, la suite, loin d’être picaresque, tient davantage de la chute vertigineuse : scénario plat comme le dos de la main, scènes d’escarmouches répétitives avec bandits de grand chemin aussi fade qu’un pain sans sel, chevalier braillant la même ritournelle à longueur de pages et humour au ras des pâquerettes (implorer « Saint coup fourré » pendant un guet-apens ou « Saint Titanic » au moment d’un naufrage, sérieusement ????), le menu est plus qu’indigeste.

Non, vraiment, je n’ai rien trouvé à sauver de ce bouillon, à part peut-être le dessin très dynamique de Porcel et sa jolie maîtrise des couleurs. Un album lourdingue, anecdotique, sans le moindre intérêt. Je n’aurais pas cru dire cela un jour d’un scénario de Zidrou, comme quoi tout arrive. Entre Les beaux étés et ce Chevalier Brayard l’écart est abyssal, sans doute la preuve que même les meilleurs ont droit à un coup de pompe de temps en temps.


Chevalier Brayard de Zidrou et Francis Porcel. Dargaud, 2017. 80 pages. 15,00 euros.



Une lecture commune partagée avec Noukette. Je me demande si cette fan absolue de Zidrou va lui trouver des circonstances atténuantes !
















mardi 5 septembre 2017

Naissance des cœurs de pierre - Antoine Dole

Dans un futur plus ou moins proche, Jeb est en route avec sa mère Niline pour la plus grande épreuve de sa vie. A 12 ans, il va devoir prouver qu’il est prêt à rentrer dans Le Programme et laisser derrière lui toute forme d’émotion. Les taire, les oublier, ne plus rien ressentir et œuvrer sans sourciller pour maintenir l’équilibre du Nouveau Monde. Afin d'y parvenir, il va ingurgiter un traitement lourd et passer un entretien pour confirmer qu’il est prêt à suivre le chemin tracé par les membres de la communauté. Dans le cas contraire, il disparaîtra, comme ces enfants ayant échoué à ce fameux entretien et dont plus personne n’a de nouvelles.

J’ai d’emblée senti que ce petit air de dystopie adolescente serait parfait pour ma grande pépette de 15 ans, fan du genre. Je lui ai donc mis ce livre entre les mains pour voir ce qu’elle en pensait. Verdict cinq minutes plus tard, après avoir parcouru le premier chapitre : « C’est nul, on dirait Divergente. De toute façon c’est toujours les mêmes histoires, ils changent juste les noms… ».

Bon, bon, bon… voilà donc un avis direct et concis (les chiens ne font pas des chats il paraît). Un avis que je ne partage pas du tout. D’abord parce que je n’ai jamais lu Divergente et consorts, donc j’ai porté un œil neuf sur ce roman. Ensuite parce qu’elle ne connait pas la plume et l’univers torturé d’Antoine Dole, un auteur qui ne laisse jamais indifférent. Enfin parce qu’elle n’est pas allée plus loin que le premier chapitre, grave erreur s’il en est puisque dès le second on bascule dans un passé qui ressemble beaucoup à notre présent avec l’histoire d’Aude, une lycéenne rentrant en seconde dans un établissement huppé. Ce changement de lieu et d’époque entre chaque chapitre joue beaucoup sur la mécanique du récit, notamment parce que l’on ne cesse de se demander quel est le lien entre Jeb et Aude.

Par rapport à ses romans précédents, l’écriture d’Antoine Dole m’a paru moins heurtée, moins « coup de poing ». Elle gagne en fluidité ce qu’elle perd en nervosité et ce n’est pas plus mal. Après, j’ai retrouvé avec plaisir sa propension à ne jamais ménager ses personnages, des écorchés à vif à fleur de peau particulièrement attachants, ainsi que son habitude consistant à ne laisser filtrer qu’un infime rai de lumière dans une ambiance des plus sombres. Sans oublier son allergie aux happy end qui est à mes yeux une réelle qualité pour un auteur de littérature jeunesse. Bref, un Antoine Dole égal à lui à même, entraînant ses lecteurs sur un terrain où on ne l’attend pas vraiment sans pour autant renier les fondamentaux qui sont depuis des années sa marque de fabrique.

Naissance des cœurs de pierre d’Antoine Dole. Actes Sud junior, 2017. 150 pages. 14,50 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.











dimanche 3 septembre 2017

L'école : c'est pas si compliqué ! - Isabelle Delpuech et Rémi Saillard

La rentrée c’est demain. Forcément, le stress monte. Chez les profs, chez les parents et surtout chez les élèves. Du moins chez certains d’entre eux. Pour dédramatiser ce moment délicat, mieux vaut en parler. Avec ce petit livre, l’occasion est idéale. Il s’ouvre sur l’histoire de Nathan qui, au moment d’acheter ses fournitures trois jours avant la rentrée, est d’une humeur de chien. Pour lui l’école c’est « du travail, des contrôles et pire, des notes, souvent moyennes, parfois mauvaises ». Il tente dans un premier temps d’exprimer maladroitement son malaise mais quand il parvient vraiment à se confier à ses parents, les choses s’arrangent.

Une nouvelle collection pour les 6-9 ans intelligemment pensée qui aborde les petits et gros soucis du quotidien. Une histoire donc, puis dix grandes questions thématiques avec pour chacune d’entre elle réponses, conseils, astuces et pistes de réflexion. La mise en page est simple, aérée et intuitive, avec beaucoup d’illustrations, des paragraphes courts et des cartouches récurrentes d’une question à l’autre.

Parmi les interrogations sur le thème de l’école, nous avons donc : Tu as peur de ton maître ou de ta maîtresse ? Tu as peur de ne pas être dans la même classe que tes copains ? L’école te fatigue ? À l’école tu te sens nul(le) ? etc.



Le texte n'est ni trop généraliste ni cucul la praline. Isabelle Delpuech est professeur des écoles spécialisée, elle a su trouver le ton juste pour informer, rassurer et surtout dédramatiser. Un livre-outil d’une indéniable utilité.

L'école : c'est pas si compliqué ! d'Isabelle Delpuech (illustrations Rémi Saillard). Zethel, 2017. 34 pages. 9,90 euros. A partir de 6 ans.


Les autres titres de la collection :













vendredi 1 septembre 2017

À malin, malin et demi - Richard Russo

Pourquoi n’ai-je pas lu Richard Russo plus tôt ? Voilà la question que je me suis posée tout au long de ce roman tant l’humour noir, l’ironie mordante et l’écriture cinglante correspondent en tout point à ce que j’aime. Russo reprend ici le cadre et les personnages  « d’un homme presque parfait », publié il y a 25 ans et que je me suis empressé d’acheter cette semaine. On retrouve donc cette bonne vieille ville de North Bath, cité industrielle du nord de l’État de New York en pleine décrépitude qui a connu son heure de gloire comme station thermale au début du 19ème siècle mais a depuis perdu de sa superbe au dépend de Schuyler Springs, sa jumelle située à quelques encablures où tout semble plus propre, plus beau, plus attirant et plus civilisé.

Le roman s’ouvre dans les allées du cimetière où se déroule l’enterrement du juge Barton Flatt en présence du maire et des ronds de cuir locaux. Parmi eux Douglas Raymer, le chef de la police, déprimé depuis la mort de sa femme un an plus tôt dans une malheureuse chute d’escalier alors qu’elle venait de faire ses valises et de lui annoncer dans une lettre qu’elle le quittait pour un autre. A partir de cette scène d’ouverture, Russo déplie son intrigue sur 48 heures et tant d’événements s’enchaînent qu’il est impossible de les résumer. Sachez juste que vous croiserez, entre autres, un repris de justice tatoué, un entrepreneur poissard à la virilité défaillante, une restauratrice gouailleuse, un vieux de la vieille à qui on ne la fait pas, une standardiste volubile, des serpents très venimeux, un orage dantesque, une télécommande de garage capricieuse et un chien qui passe son temps à se machouiller le pénis. Rien que ça.

Évidemment j’ai adoré. C’est déjanté tout en restant très cohérent, c’est drôle, cynique, sans pitié, irrésistible quoi. Et puis cette galerie de personnages est inoubliable, tous plus cabossés les uns que les autres, tous abattus, tous résignés à sauter dans le vide sans parachute. Un bal des médiocres où chacun tient son rôle à merveille, où chacun enchaîne les humiliations et les regrets sans repentir. J’ai rarement vu un roman aller aussi loin dans le pathétique, un pathétique qui nous laisse à la fois désolé et mort de rire, effaré et goguenard. Du grand art malgré une fin trop bisounours et positive par rapport au reste, à la limite de la faute de goût. Pas de quoi effacer pour autant l’immense plaisir de lecture que m’a procuré cette balade dans les rues de North Bath.

À malin, malin et demi de Richard Russo (traduit de l’anglais par Jean Esch). Quai Voltaire/La Table Ronde, 2017. 620 pages. 24,00 euros.












jeudi 31 août 2017

Fief - David Lopez

« L’ennui, c’est de la gestion. Ça se construit. Ça se stimule. Il faut un certain sens de la mesure. On a trouvé la parade, on s’amuse à se faire chier. On désamorce. Ça nous arrive d’être frustrés, mais l’essentiel pour nous c’est de rester à notre place. Parce que de là où on est on ne risque pas de tomber. »

Jonas, Ixe, Lahuisse, Untel, Sucré, Miskine, Romain, Poto, Habib. Les rois de la glande. Une bande d’inséparables où on se salue à coups de checks épaule contre épaule, où on enchaîne les moqueries et les insultes bon enfant, où on passe ses journées à jouer aux cartes et à la console, à fumer des pétards, à dealer un peu aussi à l’occasion, à faire quelques virées nocturnes alcoolisées et à fréquenter la salle de boxe. Dans leur petite ville de province, il n’y rien d’autre à faire. Rien de mieux à faire surtout.

Je ne connais rien de David Lopez, à part qu’il a 32 ans et que Fief est son premier roman. Impossible donc de savoir si ce livre a quelque chose d’autobiographique mais force est de constater qu’il sent le vécu à plein nez. Il raconte au fil des chapitres le quotidien des pas grand-chose, l’existence ordinaire d’une France sans avenir qui ne se plaint pas de son sort mais ne peut pas se projeter dans le futur, à court ou à long terme. Une France qui a appris que « le seul chemin vers le bonheur c’était la résignation, pas honteuse mais clairvoyante ».

Il ne faudrait pas faire l’erreur de prendre ce texte pour un roman de racailles à la vulgarité gratuite enfilant les clichés comme des perles. L'écriture est vivante, elle saisit la vitalité, la répartie et la dérision d’une langue propre à des gamins dont la nonchalance peut agacer mais que pour ma part j’ai trouvés particulièrement attachants. Il se dégage du récit une poésie crue, spontanée, sans fioriture, illuminée par des scènes aussi belles qu’improbables comme cette dictée improvisée autour d’un extrait du « Voyage au bout de la nuit » ou les références au jardin de Candide que Jonas et ses compères ont bien du mal à interpréter.

Loin d’une apologie de l’oisiveté, loin de tout jugement, David Lopez croque la réalité d’une jeunesse sans rêve qui ne cherche en aucun à élargir son horizon, une jeunesse prête à basculer dans l’âge adulte sans la moindre illusion. Désespérant, exagéré ou lucide, à chacun de se faire sa propre idée. Personnellement, j’ai quitté ces lascars à regret et j’aurais adoré continuer à faire un bout de chemin vers nulle part avec eux.

Fief de David Lopez. Seuil, 2017. 252 pages. 17,50 euros.





mercredi 30 août 2017

L'anniversaire de Kim Jong-Il - Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag

Saxaoul a fait de cet album un énorme coup de cœur de l'année (son billet ici) alors quand je l'ai vu la semaine dernière sur le présentoir des nouveautés de la médiathèque, j'ai sauté dessus.

Comment peut-on supporter de vivre dans le pays le plus fermé du monde, un pays où aucune information venant de l’extérieur ne peut entrer, où la population meurt de faim et où le culte de la personnalité du dictateur prend des proportions inimaginables ? Jun Sang, 8 ans, ne se pose pas ce genre de questions. La faim, les voleurs exécutés en place publique, le travail dans les champs après l’école, les coupures d’électricité à répétition, l’unique chaîne de télé à la gloire du régime ou les camps de concentration pour mater les « contre-révolutionnaires », rien ne l’étonne puisqu’il ne connaît que cela et qu’il n’imagine pas que l’on puisse vivre autrement.

Aurélien Ducoudray décrit une Corée du Nord à hauteur d’enfant. Un enfant qui, comme l’ensemble de la population, fait partie d’un système politique, social et militaire ne pouvant souffrir aucune contestation. Son point de vue sans la moindre capacité de jugement et d’esprit critique est à la fois déroutant, naïf et incroyablement naturel. Dans la première partie de l’album, il est casse-cou et débrouillard comme bien des enfants de son âge, il traîne avec ses copains et fait les quatre cents coups. Mais par la suite la tonalité devient plus lourde, plus sombre, l’horizon se bouche davantage encore et les espoirs d’une vie meilleure, s’ils existent bel et bien, paraissent inaccessibles.

J’ai trouvé l’ensemble mené de main de maître, instructif, réaliste mais loin de toute critique frontale et sans nuance. C’est simple, tout sonne juste : le déroulement des événements, les dialogues et même le dessin mignon comme tout avec ses couleurs pastels semblant au départ peu adapté à une telle histoire mais qui se révèle au final parfait pour créer une distance avec la dureté des horreurs vécues.

Saxaoul avait raison, cet album est une totale réussite et je le classe à mon tour sans hésiter parmi mes plus belles découvertes BD de l’année.

L'anniversaire de Kim Jong-Il d’Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag. Delcourt, 2016. 142 pages. 16,95 euros.











mardi 29 août 2017

La camionnette blanche - Sophie Knapp

Il a suffi d’un prof absent. Un lundi. Finir à 16h au lieu de 17. Devoir rentrer à pied, seule. Et là, rue du Clos, une camionnette blanche stationnée le long du trottoir avec le moteur qui tourne, le carreau de la portière baissée et une voix d’homme qui appelle : « Mademoiselle, s’il vous plait ! ». Clémentine se retourne et voit ce quel n’aurait jamais voulu voir : « Ses mains touchent quelque chose, au niveau de la braguette de son pantalon. L’espace d’une seconde, mes yeux passent sur son visage, puis sans que je le décide, mon regard descend plus bas, attiré par le mouvement de ses mains ».

De retour à la maison après une course folle, Clémentine peine à retrouver son calme. Les jours passent, l’inquiétude perdure. Surtout, le lundi suivant approche, le prof est toujours absent et la jeune collégienne n’imagine pas une seconde rentrer seule chez elle…

Attention, sujet brulant, terrain glissant. La mauvaise rencontre, l’émotion engendrée par un événement inattendu et choquant. Comment aborder la question sans tomber dans la dramatisation à outrance et, à contrario, sans donner l’impression de survoler le sujet ? En parlant d’exhibitionnisme et non de viol ou d’enlèvement, Sophie Knapp choisit un angle d’attaque moins « frontal » qui lui permet néanmoins de démontrer avec beaucoup de justesse qu’une agression, même si elle n’est pas physique, peut faire de terribles dégâts psychologiques. On assiste, après la peur et le réflexe de fuite, au cheminement du traumatisme : l’enfermement dans le silence malgré le besoin d’être rassurée, l’impression de se sentir sale, honteuse, « presque coupable », la certitude d’avoir assisté à quelque chose qui n’était pas normal et que l’on n’a pas compris, la certitude que quelqu’un nous a fait du mal.

Clémentine est touchante, on a envie de la prendre dans nos bras pour la consoler, de lui dire que tout va bien, que tout va s’arranger, que l’on comprend son malaise. Ses parents sont eux aussi croqués avec beaucoup de justesse. Ils ne se rendent pas compte du changement de comportement, ils ne voient pas les signaux d’appel à l’aide envoyés par leur fille et ils réagissent de la meilleure manière possible une fois l’abcès crevé.

Publié pour la première fois en 2009 chez le même éditeur, ce petit roman intelligemment mené et d’une grande pertinence est un outil idéal pour faire prendre conscience aux enfants de l’importance de se confier à son entourage et de ne jamais garder pour soi des secrets trop lourds à porter.

La camionnette blanche de Sophie Knapp. Petit à Petit, 2017. 80 pages. 7,50 euros. A partir de 10 ans.


Une pépite jeunesse partagée comme chaque mardi avec Noukette.












dimanche 27 août 2017

La vie du bon côté - Keisuke Hada

« Dans la société actuelle, condamné par les progrès de l’espérance de vie à continuer de subsister sans rien pouvoir faire de ce qui lui plaît, chacun doit réfléchir par lui-même aux conditions dans lesquelles accueillir la mort. Pour la majorité des gens, cela se réduit à attendre la fin d’un enfer sans jour ni nuit. S’agissait-il d’une épreuve imposée à l’homme contemporain et à sa longévité ? N’était-ce pas trop cruel d’infliger cela à son petit papy ? »

Kento, au chômage, enchaîne les entretiens d’embauche infructueux. Il a une petite amie, avec laquelle il passe régulièrement quelques heures dans des Love Hotels, faisant preuve d’un certain manque d’endurance au lit. A vingt-huit ans il vit encore chez sa mère avec son grand-père, se lève souvent en fin de matinée et glandouille le reste de la journée. Le papy est au bout du rouleau. Il se traîne, se plaint continuellement de douleurs dans tout le corps et répète à longueur de journée qu’il veut mourir, que ce serait mieux pour tout le monde. Kento n’est pas loin de partager son avis, à tel point que sur les conseils de son copain Daisuke qui travaille dans une maison de retraite, il décide d’exaucer le voeu du vieillard en appliquant des règles strictes : ne pas le laisser réfléchir, lui ôter toute opportunité de faire travailler son cerveau, ne rien lui laisser faire seul, accomplir toutes les tâches à sa place pour saper son autonomie, éviter tout exercice physique pour laisser ses muscles s’atrophier. En gros céder à tous ses caprices, l’affaiblir physiquement et mentalement pour précipiter sa fin de vie. Simple sur le papier, la méthode ne s’avère pourtant pas, à l’usage, d’une grande efficacité...

Un roman qui a remporté en 2015 le prestigieux prix Akutagawa, l’équivalent du Goncourt japonais. Un roman étrange et décalé qui aborde un des sujets de société les plus importants du Japon actuel : le vieillissement de la population et la prise en charge des personnes âgées. Kento et sa mère vivent un enfer quotidien avec le papy, ce dernier en a conscience et aimerait ne plus être un fardeau mais son heure semble loin d’être arrivée. Ils n’ont pas les moyens de le mettre dans une maison de retraite privée, les établissements publics ont des listes d’attente longues comme le bras et le fait d’imaginer prolonger ce ménage à trois de quelques années apparaît à tous insupportable. Alors que faire ?

Le texte allie d’abord cynisme et dérision. La mère acariâtre est détestable, le grand-père geignard ne suscite aucune empathie et la volonté froide de Kento d’accéder au souhait mortifère de son aïeul met mal à l’aise. Mais assez vite on comprend que chacun est dans une posture, un jeu de dupe. Et quand les masques tombent le récit prend une tournure bienveillante qui n’a rien d’artificielle ni de gnangnan. Décidément, la littérature japonaise n’a pas fini de me surprendre.

La vie du bon côté de Keisuke Hada (traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako). Picquier, 2017. 150 pages. 16,50 euros.






vendredi 25 août 2017

Underground Railroad - Colson Whitehead

L’Undergound Railroad est un réseau de chemin de fer souterrain et clandestin traversant les États-Unis du Sud au nord. Un réseau construit par des abolitionnistes blancs et des esclaves affranchis pour offrir une route vers la liberté à ceux ayant l’audace de tenter leur chance. Cora l’a utilisé pour quitter la plantation de Géorgie où sa vie était un enfer. Une fuite éperdue avec sur ses traces le terrible chasseur d’esclaves Ridgeway, bien décidé à mettre le grappin sur celle dont la mère est la seule à avoir pu échapper à ses griffes des années auparavant.

Caroline du Sud, Caroline du Nord, Indiana, Cora remonte vers le nord et découvre dans chaque état une forme de racisme différente : stérilisation de masse, pendaison et lynchage pour les blancs se montrant trop conciliants avec les noirs, repli communautaire dans un état « progressiste » tenant plus du miroir aux alouettes que d’un espoir réel, Cora découvre du haut de ses 16 ans que « le monde rend les hommes méchants ».

 L’Undergound Railroad, réseau d’aide aux esclaves fugitifs, a bien existé, mais pas sous la forme d’un chemin de fer souterrain. Cette « invention » permet à Colson Whitehead de donner une dimension fantastique salutaire à un récit d’une brutale réalité. Car la fuite de Cora n’a évidemment rien d’un long fleuve tranquille. C’est une lutte farouche et désespérée contre l’adversité, un chemin semé d’horreurs où les désillusions s’enchaînent. Impossible de ne pas s’indigner devant le traitement réservé à la population noire par les états du sud avant la guerre de sécession. Impossible de ne pas mettre en parallèle ce traitement avec la question raciale toujours brûlante dans l’Amérique d’aujourd’hui. Et impossible également de ne pas voir dans la situation de Cora le reflet de celle des migrants actuels, fuyant un enfer en pensant que l’herbe est forcément plus verte ailleurs alors qu’ils ne sont en réalité bienvenus nulle part.

Un roman puissant, habité, très documenté, où l’insoutenable n’est pas un effet de style qui cherche gratuitement l’obscène et le sensationnel. On en sort secoué, ébranlé, anéanti devant autant de haine, ébloui devant autant d’abnégation, devant une telle volonté de vivre dans un monde vous faisant perpétuellement comprendre qu’il n’y aura jamais de place pour vous à la table des rois. Surtout, on sort de ce roman en se disant avec tristesse et effarement que Colson Whitehead vient peut-être de nous montrer, avec un incroyable brio, le vrai visage de l’Amérique.

 Underground Railroad de Colson Whitehead (traduit de l’anglais par Serge Chauvin). Albin Michel, 2017. 400 pages. 22,90 euros.