mercredi 27 mars 2019

Fables amères : Détails futiles - Chabouté

Des nouvelles en BD, quelle drôle d’idée.  Des nouvelles de quelques pages en noir et blanc, la plupart sans texte. Des moments du quotidien, comme une succession de de tout petits riens (c’était d’ailleurs le sous-titre du premier tome paru il y a près de 10 ans). Chabouté y montre les solitaires, les invisibles, les isolés, les exclus. On trouvera aussi dans ces nouvelles des fiers-à-bras ridicules, ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, un gros dur au cœur d’enfant, un cul de jatte admirant la vitrine d’un magasin de chaussures ou un paraplégique à qui l’on reproche de ne pas se lever pendant la marseillaise.

Les choses tiennent souvent à des broutilles mais les « détails futiles » accompagnant le titre sur la couverture ne le sont pas vraiment. Chabouté joue des silences, des angles de vue, des gros plans et des expressions des visages pour dire le grotesque et l’insignifiant, les maladresses qui font mal, la bêtise ordinaire.

Graphiquement on va à l’essentiel. Après m’avoir fasciné en racontant pendant plus de 300 pages l’histoire d’un banc public avec Un peu de bois et d’acier, Chabouté démontre une fois encore sa maîtrise du noir et blanc et du découpage. Son sens de la narration est un modèle du genre et son art de l’épure éblouit une fois de plus. Il fait mouche sans chichi ni fioriture, sans le moindre effet de style inutile, en gardant le regard à hauteur d’homme.

Comme disait le grand Raymond Carver, maître ès nouvelles s’il en est, « c’est pas grand-chose mais ça fait du bien. »

Fables amères : Détails futiles de Chabouté. Vents d’Ouest, 2019. 102 pages. 13,90 euros.










mardi 26 mars 2019

Renversante - Florence Hinckel

Dans le pays de Léa et Tom les femmes dirigent l’état et les hommes s’occupent des enfants. Dans le pays de Léa et Tom les filles font du foot pendant que les garçons jouent à la corde à sauter et s’habillent en rose. Dans ce pays les femmes sont mieux payées que les hommes et si ces derniers représentent la moitié de la population, ils sont minoritaires dans tous les domaines, absents des manuels d’histoire et aucun n’a une rue ou une école à son nom. Sans compter qu'en grammaire, le féminin l’emporte toujours sur le masculin puisque « le genre féminin est réputé plus noble que le masculin à cause de la supériorité de la femelle sur le mâle ». Pour faire court, dans le pays de Léa et Tom la domination féminine est sans partage et personne ne s’en offusque.

Pourtant Léa et Tom s’interrogent. Sur cette société matriarcale injuste, sur les maigres progrès que peut revendiquer la cause masculine, sur la façon de résister à l’ordre établi, voire sur la façon de le remettre en cause pour pouvoir rêver, un jour peut-être, d’égalité entre les sexes. Et comme le dit si bien Léa, « est-ce que tout ce que l’on vit ne serait pas juste une question de point de vue ? ».

Florence Hinckel imagine un monde miroir du nôtre en inversant les rôles. Elle pousse à la réflexion et détricote avec humour des clichés qui ont la vie dure. C’est malin et rondement mené mais je regrette un peu qu’on en reste à une sorte de catalogue thématique où l’enchaînement des chapitres ne raconte pas une véritable histoire.

Après, il faut reconnaître que l’exercice n’était pas simple et particulièrement casse gueule. Le résultat ne peut donc qu’être salué, tant par la finesse et la pertinence de son analyse que par l’invitation au débat qu’il suscite.

Renversante de Florence Hinckel. L’école des Loisirs, 2018. 94 pages. 10,00 euros. A partir de 9 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.







samedi 23 mars 2019

Les dévastés - JJ Amaworo Wilson

« Ce sont tous des désaxés. Des ex-drogués. Des ex-alcooliques. Des malades mentaux. Des nécessiteux. Des infirmes. C’est ce que nous sommes. »

Les dévastés partirent à 600 et finirent bien plus nombreux. A leur tête Nacho l’estropié. Un boiteux qui les mena jusqu’aux portes d’un gratte-ciel abandonné de soixante étages dans la mégalopole de Favelada. Pour s’y installer ils durent chasser des loups puis faire face à un déluge, à des nuées de moustiques et à une armée corrompue. Leurs rangs ne cessèrent de grossir, la communauté ne cessa de lutter pour sa liberté dans un combat que chacun pensait perdu d’avance. Protégés par la figure tutélaire de Nacho, prophète malgré lui, ils s’obstinèrent, envers et contre tout. « Des dévastés. Au plus bas de l’échelle. Sicaires. Agresseurs au couteau. Assassins. Bandits. A la détente facile, au regard froid. Des impies, des sans-logis à la botte d’un éclopé. »

Une odyssée épique, picaresque, traversée par le souffle du réalisme magique latino-américain. JJ Amaworo Wilson, anglo-nigérian vivant aux États-Unis, signe un premier roman plein d'humanité,  ambitieux et maîtrisé. Nacho, son frère Emil, le chinois qui n’en est pas un et tous les dévastés forment une galerie de personnages attachants aux personnalités et aux parcours complexes. On alterne les moments d’action, les échanges quasi philosophiques, les pauses méditatives et les intrusions d’éléments fantastiques. Ça pourrait tourner au foutoir mais c’est au contraire très structuré, parfaitement charpenté. On frémit, on sourit, on s’émeut, on pleure ou on souffre, on vit quoi !

Il y a bien sûr un petit quelque chose d’utopique dans cette improbable aventure. Mais les coups durs ont beau s’enchaîner, l’espoir demeure et force est de constater que le chemin des dévastés jusqu’à la terre promise de leur tour de Babel en ruine est un superbe exemple d’abnégation et de force collective. Un excellent premier roman, aussi abouti que surprenant. 

Les dévastés de JJ Amaworo Wilson (traduit de l’anglais par Camille Nivelle). Les éditions de l’Observatoire, 2019. 400 pages. 22,00 euros.











mercredi 20 mars 2019

Bolchoi arena T1 : Caelum incognito - Boulet et Aseyn

Imaginez un lieu où à peu près tout est possible, un lieu peuplé de planètes lointaines, d’inventions futuristes, de vaisseaux spatiaux et de villes tentaculaires dans lequel vous pouvez naviguer à votre guise depuis votre lit ou votre canapé, en enfilant un casque virtuel. Ce lieu s’appelle Bolchoi Arena et est devenu l’espace de jeu le plus populaire du monde. Marje, étudiante en astrophysique, va y faire ses premiers pas, guidée par son amie Dana. Très vite elle comprend à quel point l’univers de Bolchoi Arena constitue un champ d’exploration sans limite à la hauteur de sa passion pour les astres. Elle y fait d’emblée preuve d’une dextérité surprenante, quitte à s’attirer les foudres de joueurs chevronnés voyant d’un mauvais œil débarquer cette novice aux dents longues.
Évidemment, un monde virtuel aussi fascinant rend vite les utilisateurs accros, les coupant chaque jour davantage de la réalité quotidienne. Pour Marje, cela signifie moins de temps pour les études et moins de temps pour son amoureux Colin...

Boulet s’amuse comme un fou avec ce Bolchoi Arena. Il faut dire qu’une telle invention lui offre un terrain de jeu sans limite. C’est d’ailleurs le petit bémol de ce premier tome qui ne fait que mettre en place les éléments : on s’éparpille pas mal et on laisse en suspens bien des questions sans trop creuser la psychologie des personnages. Logique pour un tome d’exposition mais la série étant prévue pour être une trilogie, il va falloir se recentrer sur un fil conducteur plus épais pour ne pas rester dans l’anecdotique. Heureusement la toute fin de ce premier opus semble aller dans ce sens.

Niveau dessin, je suis fan du trait de Aseyn, clairement inspiré de Katsuhiro Otomo, le dessinateur d’Akira et de Masamune Shirow, celui de Ghost in the Shell et Appleseed. Les couleurs pastel et le petit côté vintage de son univers graphique ont un charme fou qui me ramène à ma découverte émerveillée du manga au début des années 90 (ben oui, ça remonte à loin, je ne suis plus tout jeune que voulez-vous).

Une nouvelle série SF prometteuse où la réalité virtuelle vient télescoper le réel. Si le scénario se densifie et que le dessin reste à un tel niveau, la trilogie à venir s’annonce comme une incontournable du genre !

Bolchoi arena T1 : Caelum incognito de Boulet et Aseyn. Delcourt, 2018. 164 pages. 23,95 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie.










mardi 19 mars 2019

Mamie fait sa valise - Gwladys Constant

Mamie n’en peut plus de sa vie planplan avec pépé Hubert. Du coup c’est décidé, elle le quitte. Et quand elle débarque chez Armand et ses parents pour s’installer quelques temps, la surprise est totale et plutôt mauvaise, tant pour son gendre que pour sa fille. Armand voit les choses d’un autre œil. Avoir sa mamie à demeure c’est une bonne chose vu qu’avec elle il peut faire tout ce qu’il n’a pas le droit de faire habituellement. Mais en même temps le petit garçon s’interroge. Il voudrait savoir d’où vient le problème, savoir si les morceaux peuvent être recollés et savoir comment aider pépé à reconquérir le cœur de sa femme.

Un roman rigolo et plein de fraîcheur. La mamie qui n’a pas sa langue dans sa poche, le pépé largué, la fille qui supporte difficilement sa mère, le gendre qui veut donner le change mais peine à garder son calme et le petit fils au regard aussi naïf que malicieux forment un casting haut en couleur. L’humour est bien présent, les dialogues dépotent et les échanges entre Armand et sa grand-mère valent leur pesant de cacahuètes, même s’il est difficile d’imaginer un enfant de six ans avoir autant de réflexion et de réparti.

Au final l’amour triomphera. Mais avant cette heureuse issue les obstacles seront nombreux. Et Armand comprendra que l’amour est comme un jardin, il faut l’entretenir et lui accorder beaucoup d’attention pour ne pas le voir dépérir.

Mamie fait sa valise de Gwladys Constant. Rouergue, 2019. 75 pages. 8,50 euros. A partir de 8 ans.



Une pépite jeunesse partagée avec Noukette








mercredi 13 mars 2019

Les brûlures - Zidrou et Laurent Bonneau

Nutella et Light. Le premier est noir mais doit son surnom à un concours gagné durant son enfance. Le second est obèse mais ses collègues lui ont donné ce sobriquet parce que ce n’est pas une lumière. Nutella et Light ou un duo de flics mal assorti chargé d’enquêter sur les meurtres atroces de prostituées dans une station balnéaire. Des flics de nuit dont la vie privée est loin de briller de mille éclats qui savent depuis longtemps que la nature humaine n’a rien de bon à offrir. Pour se changer les idées, Nutella passe beaucoup de temps à la piscine. Nager pour ne pas sombrer. Et pour faire des rencontres. Des rencontres aussi inattendues qu’excitantes qui pourraient s’avérer toxiques…

Zidrou et Laurent Bonneau, en voilà un joli duo. Ils troussent ici un polar se focalisant davantage sur l’intimité de l’un des protagonistes que sur l’enquête en cours. Un polar qui ne donne pas dans l’action mais joue plutôt sur les dialogues, les petits riens, les attitudes. Un peu comme ce que Tardi a fait en adaptant les romans de Jean-Patrick Manchette : on s’attarde beaucoup plus sur les comportements que sur la psychologie des personnages, on multiplie les silences, les non-dits, et on laisse le lecteur les interpréter à sa guise. C’est particulier mais personnellement j’adore.

Le découpage est simple et les cadrages très travaillés, d’une précision clinique. Le dessin de Laurent Bonneau, parfois proche du photomontage, donne une impression assez statique, s’attardant souvent sur l’expression des visages en gros plan. Un parti pris graphique qui donne au déroulement du récit une froideur à la fois étrange et hypnotique. Un léger bémol tout de même, j’ai trouvé que l’album se lisait trop vite et se refermait avec un petit goût de trop peu un poil frustrant. Pas de quoi bouder mon plaisir néanmoins, le résultat reste à la hauteur de mes espérances.

Les brûlures de Zidrou et Laurent Bonneau. Grand Angle, 2019. 120 pages. 19,90 euros.  











mardi 12 mars 2019

La première fois - Agnès de Lestrade

Trois semaines que Rose aurait dû avoir ses règles. Évidemment, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout vu ce qu’il s’est passé pendant les vacances avec Paolo. Rose est perdue. Elle aimerait tout raconter à sa mère. « Mais comment lui dire qu’à seulement quatorze ans, j’avais peut-être un têtard dans le ventre, future grenouille géante. Comment lui dire qu’elle était une future mémé en puissance ? »

Elle ne l’a pas vu venir, sa première fois. Un coup de foudre. Inexplicable. Incontrôlable. Un séjour en Corse qui ne se déroule pas comme prévu, une cohabitation forcée avec un garçon inconnu dont elle tombe d’emblée follement amoureuse mais qui ne semble faire aucun cas d’elle. Difficile de comprendre que les apparences sont trompeuses quand on est une ado sans expérience de l’amour. Difficile d’accepter les secousses engendrées par ce coup de foudre, difficile d’y résister et de ne pas en souffrir.

Au fil des chapitres Rose égrène ses premières fois : le premier regard, les premières paroles échangées, le premier contact physique, la première caresse, le premier baiser. Et cette inoubliable première fois : « Je ne sais pas comment j’ai fait, mais je l’ai fait. M’emmêler. Me fondre. Me mélanger. Ses yeux dans les miens, sa bouche dans ma bouche. Et son reste dans mon reste. C’était la première fois. »

Un roman court, percutant. La voix de Rose touche en plein cœur, sa sincérité fait mouche, ses mots résonnent, son angoisse et ses questionnements ébranlent. Un petit roman simple, direct, universel.

La première fois d’Agnès de Lestrade. Talents Hauts, 2018. 62 pages. 7,00 euros. A partir de 13 ans.  




Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette








mercredi 6 mars 2019

Malaterre - Pierre-Henry Gomont

Après le gentil, gros, placide et mollasson personnage de Pereira dans son album précédent, Pierre-Henry Gomont met cette fois-ci  en scène un grand sec nerveux et antipathique père de famille. Gabriel, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas grand-chose pour lui. Menteur, colérique, flambeur, alcoolique, méprisant, imbu de lui-même, faisant passer son intérêt personnel  avant tout autre considération, ce rustre n’hésite pas à faire exploser sa famille pour mener à bien ses projets.

Cinq ans après avoir disparu des radars sans donner la moindre nouvelle à sa femme et à ses trois enfants, le bonhomme réapparaît soudain pour obtenir la garde des deux aînés. Son but ? Les emmener avec lui en Afrique équatoriale pour leur faire découvrir la maison coloniale, la scierie et le pan de forêt perdus par ses ancêtres pendant la crise de 29 qu’il vient de racheter au prix fort.  Trop occupé à mener ses affaires, Gabriel laisse ses enfants livrés à eux-mêmes. Les ados ne s’en plaignent pas vraiment, profitant d’une liberté inattendue pour enchaîner les virés entre copains et les transgressions plus ou moins avouables.

Gomont propose une jolie réflexion sur l’adolescence, ses questionnements et ses turpitudes tout en dressant le portrait d’un père aussi incompétent qu’imprévisible. Difficile de trouver la moindre circonstance atténuante à un pervers narcissique tel que Gabriel dont l’emprise sur les siens ne fait que distendre les liens. Mais à aucun moment le narrateur n’exprime le moindre jugement. C’est là toute la force du récit que de laisser le lecteur se faire son propre point de vue sur cet homme finalement très fragile dont le comportement déplorable peut trouver une éventuelle explication dans sa soif délirante de reconnaissance et de préservation d’un patrimoine familial forcément voué à disparaître malgré ses nombreuses gesticulations.

Le dessin tout en souplesse rappelle le trait de Christophe Blain (Isaac le pirate), les couleurs sont somptueuses et la jungle africaine magnifiquement restituée. Le découpage est quant à lui limpide, d’une grande maîtrise, il donne une surprenante impression de facilité. Cerise sur le gâteau, j’ai trouvé le texte extrêmement bien écrit. C’est la quatrième fois que je lis un album de Pierre-Henry Gomont  et il ne fait aucun doute que ce Malaterre restera à mes yeux comme celui de la maturité.

Un petit bijou qui a remporté le prix RTL de la BD 2018 et que l’adorable Moka a eu la gentillesse de m’offrir à Angoulême en janvier dernier. Merci à toi pour ce choix parfait !

Malaterre de Pierre-Henry Gomont. Dargaud, 2018. 190 pages. 24,00 euros.














mardi 5 mars 2019

La tribu des Zippoli - David Nel-Lo

« Avec un livre, on ne joue pas au ballon, on ne fait des batailles de boules de neige, mais avec un livre, on peut rire ou pleurer, et parfois on connaît tellement les personnages que c'est comme si on les avait vus ou qu'on avait rêvé d'eux. »

Le passage obligatoire à la bibliothèque de l’école quand on n’aime pas lire, c’est comme l’heure de piscine quand on ne sait pas nager : un calvaire. Ce calvaire, Guillem le vit difficilement. Chaque mercredi il se rend avec sa classe dans la bibliothèque de Mme Milstein et à chaque fois il doit en ressortir avec un livre. Un livre qu’il va laisser traîner jusqu’à la semaine suivante sans même l’ouvrir.

Si cela ne tenait qu’à lui il n’emprunterait que des BD mais Mme Milstein oblige les élèves à choisir un livre sans illustration. Un jour, pressé de faire son choix, il sort au hasard de derrière une étagère un vieil ouvrage poussiéreux ayant pour titre « La tribu des Zippoli ». Trois jours plus tard, en retrouvant le livre près de son lit, Guillem se décide à y jeter un œil. Et ce qu’il découvre en lisant les premières lignes le laisse sans voix. Il ne le sait pas encore, mais « La tribu des Zippoli » va changer sa vie…

Un livre sur les livres, sur la force de l’imaginaire, sur la magie de la lecture. Il serait dommage de trop en dévoiler sur le pouvoir de cette tribu vivant sur une île microscopique. Le catalan David Nel-Lo déroule une histoire certes pleine de fantaisie mais qui reste du début à la fin solidement charpentée et facile à comprendre. Surtout, il montre à quel point un livre peut procurer plaisir et évasion à celui qui s’y plonge. Un message simple, qui coule de source et qui prouve une fois encore qu’une vie de lecteur passionné démarre (presque) toujours par la rencontre magique entre un enfant et LE livre qui va faire résonner en lui une corde sensible dont il ignorait jusqu’alors l’existence.

La tribu des Zippoli de David Nel-Lo (traduit du catalan par Edmond Raillard). Actes Sud junior, 2019. 132 pages. 13,80 euros. A partir de 10 ans.










mercredi 27 février 2019

Portrait d’un buveur - Florent Ruppert, Jérôme Mulot et Olivier Schrauwen

Le sérieux du titre est trompeur. Et ne vous fiez pas à la figure avenante du portrait se trouvant sur la couverture car vous partiriez sur une sacrée fausse piste. Le buveur dont on parle s’appelle Guy. Charpentier de marine, il vit à la glorieuse époque de la piraterie et se comporte en vrai sans foi ni loi. Ses actions sont uniquement guidées par son besoin ou ses excès d’alcool. D’un bout à l’autre des 200 pages de l’album, il ne dessaoulera pas. Sa dépendance à la boisson fait de lui, en fonction de la situation, un lâche, un fainéant, un menteur ou un tueur sans scrupule. De ses larcins sur la terre ferme à la trahison de ses camarades marins en plein abordage par des pirates, Guy cumule les méfaits et passe miraculeusement entre les gouttes.

Décoiffant portrait d’un salopard en puissance. Ne cherchez aucune morale à cette fable cynique, la seule chose à en retenir est que la probité ne paie pas et qu’il vaut mieux avoir l’alcool mauvais qu’être un modèle de vertu. J’aime  cette prise de parti totalement amorale. Guy est délicieusement détestable, divinement médiocre. Un enfoiré de première qui se fout de tout, n’a pas de limites et est aussi méchant que dangereux, j’adore !

Graphiquement, c’est totalement dingue. Le duo Ruppert et Mulot est connu pour son audace depuis des albums tels que Soirée d’un faune mais l'association avec le belge Olivier Schrauwen, réputé pour son avant-gardisme décapant, donne un résultat incroyable. Au-delà des mésaventures de notre affreux jojo, ce portrait de buveur offre une expérience de lecture unique. Découpage surprenant passant de l’ultra classique gaufrier de six cases à des compositions dignes du surréalisme, jeu de couleurs désarçonnant, rupture brutale du rythme de la narration, les trouvailles se multiplient mais restent au service du récit sans jamais tomber dans de la pure expérimentation. Certes, il faut un peu s’accrocher au début pour trouver ses marques mais une fois le projet des auteurs bien cerné, on s’embarque  pour un voyage au long cours qui revisite avec virtuosité les codes de la bande dessinée.

Portrait d’un buveur de Florent Ruppert, Jérôme Mulot et Olivier Schrauwen. Dupuis, 2019. 184 pages. 28,95 euros.