mercredi 21 mars 2018

Ar-Men : L'Enfer des Enfers - Emmanuel Lepage

Le phare d'Ar-Men est l'édifice le plus à l'Ouest du Finistère, à dix kilomètres de l'île de Sein, en pleine mer d'Iroise. Un phare que l'on découvre dans les années 60, au moment de l'hélitreuillage de l'un de ses gardiens, Louis. Germain, lui, est déjà sur place. Hanté par de douloureux souvenirs, ce taiseux solitaire relate l'histoire du phare à travers les légendes qu'il racontait à sa fille et à travers le destin de Moïzez, nourrisson trouvé sur la plage en 1850 après un naufrage qui deviendra dix-sept ans plus tard un des bâtisseurs du phare, dont il sera le premier gardien.

Quel bol d'air cet album ! On en sort vivifié, fouetté par les embruns. A chaque page s'expriment la violence de la mer et la force des éléments déchaînés. Emmanuel Lepage convoque autour de l'incroyable épopée de la construction du phare des figures de la mythologie bretonne telles que l'Ankou ou la fabuleuse cité d'Ys et son maître Gradlon, roi d'Armorique. Il montre également le quotidien hors-norme des gardiens seuls au monde, entourés d'un environnement redoutable.

Pour ne pas perdre en route le lecteur parmi les époques et les récits enchâssés les uns dans les autres, le dessinateur use de différentes techniques. Aquarelle pour les années 60, lavis noir et blanc aux teintes brunes pour le 19èmes siècle et encres de couleurs pour la partie sur la ville d'Ys. Ces choix graphiques parfaitement clairs rendent la narration fluide et la lecture ne souffre d'aucune difficulté de compréhension particulière.

Au final je me suis régalé. C'est tellement beau, la puissance d'évocation de chaque planche maritime est renversante et l'histoire du phare se révèle passionnante. Un magnifique voyage au bout du monde (breton).


Ar-Men, l’Enfer des enfers d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2017. 96 pages. 21,00 euros.

mardi 20 mars 2018

J'ai suivi un nuage - Maëlle Fierpied

« Maman redoute que les choses dérapent à nouveau et que la maladie l’empêche de veiller sur moi. Car maman est malade. Certains la traite de folle, mais je n’aime pas qu’on l’appelle comme ça. Je préfère dire qu’elle est comme un nuage. Les jours gris, elle pleut, et les jours de soleil, elle resplendit, blanche et pure, comme dans un ciel d’été. »

Une maman pluie et une maman soleil. Une maman qui change d’humeur sans crier gare, qui rayonne puis s’éteint, perd le goût de tout et ne s’occupe plus de rien, même pas du fils qu’elle élève seule. Ce fils, c’est lui qui parle. Il dit son quotidien incertain, les hauts et les bas, la vie dans un grand huit sans fin. Il dit ce jour où maman n’est plus parvenue à faire face, ce jour où elle s’est retrouvée à l’hôpital psychiatrique et lui chez ses grands-parents. Il dit le moment de la première visite, sa crainte de voir des fous partout et sa certitude que sa mère n’avait rien à faire parmi eux. Il le dit avec ses mots, ses peurs, ses incompréhensions, ses espoirs.

L’enfant ne juge pas, ne critique pas, n’accable pas. Il déborde d’amour et s’inquiète. Pas pour lui mais pour elle. Il ne perd pas pied, ne voit pas tout en noir, même si l’angoisse ne le quitte pas, à l’école et ailleurs.

Un roman jeunesse tout en retenu. Un roman jeunesse intelligent qui ne se règle pas à coup de baguette magique et ne sombre pas non plus dans le sordide. Bien sûr à la fin la maman va mieux et un avenir se dessine. Mais tout reste fragile et l’enfant, d’une étonnante maturité, en a bien conscience : « Si maman est un nuage, moi je suis le petit arbre en dessous. Alors, quand maman pleure, c’est moi qui suis mouillé. […] Mais maintenant je me rends compte que ça ne me dérange pas d’être mouillé de temps en temps. Je n’ai pas peur de suivre un nuage. »
En un mot comme en cent : Superbe !

J’ai suivi un nuage de Maëlle Fierpied. L’école des loisirs, 2018. 84 pages. 12,50 euros.

dimanche 18 mars 2018

Homo sapienne - Niviaq Korneliussen

Quand on se lance dans un roman groenlandais, on pourrait s'attendre à quelques images d'Épinal : le froid, la glace, la neige et la chasse aux phoques par exemple. Les grands espaces, les déplacements en motoneige et la communion avec la nature aussi. On pourrait s'attendre à tomber sur un écrivain qui défend la culture ancestrale des siens, une charge contre le colonialisme danois et un chant d'amour pour les 55 000 descendants d'Inuits qui peuplent cette terre hostile.

Mais le lecteur espérant un tel catalogue de clichés risque de tomber de sa chaise avec Niviaq Korneliunssen. Cette groenlandaise née en 1990 exprime le malaise d'une jeunesse qui se cherche. En cinq chapitres elle offre une voix à cinq personnages vivant à Nuuk, la capitale. On suit donc dans ce récit choral Fia, qui découvre qu'elle est attirée par les femmes, son frère homosexuel Inuk, sa colocataire Arnaq avec qui elle va connaître sa première relation « entre filles », Ivik, une jeune femme comprenant qu'elle est un homme et ne supportant plus que son amie Sara la touche. Une Sara bouleversée à la fois par le rejet d'Ivik et par la naissance de sa nièce.

Fia, Inuk, Arnaq, Ivik et Sara. Des chemins qui se croisent le temps de soirées noyées sous l'alcool, des relations humaines complexes, des questionnements profonds sur la difficulté d'être pleinement soi et une quête d'identité sexuelle jamais évidente à assumer. Un roman cru, urbain, à l'écriture très contemporaine. Dans la préface l'universitaire québécois Daniel Chartier le qualifie, entre autres, de politique, féministe, social et queer. Niviaq Korneliunssen brise les tabous et dresse le portrait d'une génération refusant les conventions d'une société restée très traditionnelle et très patriarcale.

Omniprésence de l'anglais (volontairement non traduit dans la version française), multiplication des formes de discours (du dialogue au journal intime en passant par le SMS, le mail, les hashtags et messenger), la forme est pour le lecteur plus déroutante que le fond. Mais au final tout se tient et si cinq points de vue différents s'enchaînent, le texte reste cohérent de bout en bout.

Une superbe découverte que ce portrait sans concession d'un Groenland moderne traversé par des problématiques finalement universelles.

mercredi 14 mars 2018

Mon voisin Raymond - Troubs

Il ne se passe rien dans cette BD. Mais vraiment rien. Et c'est ce qui fait tout son charme. Troubs y raconte sa relation avec son voisin Raymond, en Dordogne. Raymond est un vieil homme qui vit dans un hameau où n'habitent plus que lui et son frère. le dessinateur l'aide à couper son bois, à entretenir son jardin et ses ruches. Ensemble ils vont aux champignons, passent des heures à discuter et à boire du café. On suit les deux hommes de janvier à décembre, au rythme des saisons.

Un album calme, tranquille, serein, contemplatif. Un album plein de silences, de solitude et d'empathie. Des vies simples, une réflexion sur la vieillesse et le temps qui passe. Isolé, Raymond a de plus en plus de mal à rester autonome : « C'est le coeur qui fatigue. Je porte un bout de bois, c'est comme si j'avais travaillé toute la journée ». Certains matins il reste au lit. Et chaque automne, quand le temps devient maussade et que les feuilles tombent, il n'a pas le moral et pense à la mort. Mais le paysan demeure vaillant. de toute façon il ne pourrait pas vivre ailleurs que dans la maison de ses parents, sur cette terre où il est né.

Une plongée apaisante chez les taiseux. Pas un mot de trop, pas la peine de parler pour ne rien dire, pas de poésie bucolique à deux balles, Troubs ne cherche pas à dresser une chronique rurale où les clichés s'enfileraient comme des perles. Son trait doux et presque enfantin ne donne pas non plus dans l'esbroufe. Proches du crayonné, ses déambulations et ses heures partagées avec Raymond semblent croquées sur le vif.

Bien sûr on est loin de la BD d'aventure trépidante, de l'adaptation de roman percutante, de la biographie pimpante ou de la virée au bout du monde dépaysante. Ici, la nature règle le pas des hommes, lentement. Et l'amitié pudique entre le paysan et le dessinateur se suffit à elle-même pour faire naître douceur et émotion.

Mon voisin Raymond de Troubs. Futuropolis, 2018. 92 pages. 17,00 euros.

mardi 13 mars 2018

Soixante-douze heures - Marie-Sophie Vermot

Voilà, il est né, Max. Il est né à 15 heures le 15 avril. Trois kilos six cent vingt grammes. Irène a choisi elle-même son prénom. Elle a accepté qu'on le pose sur elle. Ce bébé qu'elle vient d'expulser de son corps est le sien pour la vie. Elle le sait. Et le fait de l'abandonner à la naissance n'y changera rien.

Irène, 17 ans, élève de première. Il a suffi d'une fois, sa première fois, pour qu'elle tombe enceinte. Elle a pu cacher se grossesse le plus longtemps possible. Ses parents ont évidemment mal pris la chose. Leur petite fille modèle qui attend un bébé, bonjour le choc ! Maintenant que le mal est fait, sa mère voudrait la convaincre de garder l'enfant. Irène a soixante-douze heures pour revenir sur sa décision. Mais la jeune fille semble sûr d'elle, inébranlable. Ce bébé a beau être le sien, elle n'envisage pas une seconde de l'élever.

Soixante-douze heures dans la tête d'Irène. de son accouchement au moment où elle quitte la maternité. Irène avec sa mère, Irène avec la psy, Irène avec l'assistante sociale. Et le temps qui passe jusqu'au moment de signer les papiers faisant de Max un enfant né sous X. La jeune maman revient sur le moment où sa vie a basculé. Elle revient sur son environnement familial, sur sa relation difficile avec sa propre mère, sur l'amour qu'elle porte à sa jeune soeur handicapée mentale, sur sa grand-mère qu'elle adore, sur ses vacances d'été avec sa meilleure amie Nour. Les heures passent et Irène vit un tourbillon intime. Elle dit en toute sincérité à la fois son attachement à Max et sa conviction d'avoir fait le meilleur choix. Pour lui mais aussi pour elle.

Un roman jeunesse qui, malgré son sujet, ne joue pas sur le registre de l'émotion et c'est tant mieux. Il y a chez Irène quelque chose de froid, d'analytique, de réfléchi. Elle n'est pas vraiment touchante, on n'a pas vraiment envie de la plaindre mais son cheminement intérieur et sa maturité fascinent. A la fois forte et fragile, elle se pose évidemment une tonne de questions mais elle assume et ne se laisse pas influencer.

Un texte aussi percutant qu'atypique, qui ne nous emmène pas sur des sentiers où tout semble couru d'avance. le thème de la maternité est abordé de manière frontale, sans jugement ni bienveillance mal placée. C'est cru, réaliste, sensible et surtout d'une grande subtilité.

Soixante-douze heures de Marie-Sophie Vermot. Éditions Thierry Magnier, 2018. 170 pages. 13,00 euros. A partir de 15 ans.







lundi 12 mars 2018

L'affaire Furtif - Sylvain Prudhomme

Le Furtif, un petit voilier, a quitté Lisbonne en pleine nuit avec les vedettes de la douane aux trousses. A son bord un équipage hétéroclite composé d'un sculpteur new-yorkais et de sa maîtresse, d'une photographe italienne, d'un architecte russe, d'une musicienne irlandaise et d'un scientifique japonais. Ayant semé ses poursuivants après avoir passionné les médias du monde entier, le Furtif fait route vers un archipel aussi isolé que glacial de l'Atlantique sud. Arrivé à destination, chacun des passagers s'installe sur un caillou de quelques centaines de mètres carrés et plus personne ne s'intéresse à leur cas. Les années passent, jusqu'au jour où une chaîne de télévision décide d'envoyer sur place une expédition pour tenter de retrouver leur trace…

Nouveau départ ? Nouvelle vie ? Happening ? Choses à cacher ? Les grands pontes se penchent sur le cas des naufragés volontaires pour tenter de comprendre. On organise des colloques, on invite des spécialistes à la télé, on écrit des livres à leur sujet. Chacun glose, interprète, avance des arguments définitifs, aussitôt contredits. Lorsque l'on trouve des indices sur les lieux de leur installation, la machine à interpréter repart de plus belle, toujours autant à coté de la plaque. C'est drôle, cynique, grinçant. Assez affligeant aussi, et caractéristique d'une époque où tout le monde donne son avis sur tout avec la certitude d'avoir raison.

On retrouve dans ce court texte publié pour la première fois il y a huit ans la plume fluide d'un Sylvain Prudhomme s'amusant comme un petit fou à mettre en scène la quête d'isolement et de solitude d'un groupe d'originaux voulant plus que tout qu'on leur fiche la paix. Il joue sur différents registres d'écriture, mêlant notes, journal intime ou haïkus, alternant les moments faussement intello et l'humour noir un poil féroce. Il s'amuse quoi, en toute liberté de ton et de forme, sans pour autant perdre ses lecteurs en route.

« L'affaire Furtif » n'a certes pas encore la profondeur de « Légende » mais pas la peine d'être devin pour déceler dans ce roman de jeunesse la promesse d'un futur grand.

mercredi 7 mars 2018

Royal City T1 : Famille décomposée - Jeff Lemire

Suite à un malaise, Peter Pike sombre dans le coma. Sa femme et ses enfants se retrouvent à son chevet, sans pour autant montrer l’image d’une famille parfaitement unie. La mère est rongée par une ancienne histoire d’adultère, la fille Tara négocie une future opération immobilière juteuse, Patrick, l’aîné, débarque en ville avec un roman à écrire et la pression de son éditeur tandis que le cadet Richard passe son temps à boire et en oublie d’aller pointer à l’usine. Mal dans leur peau et dans leur vie, les Pike sont de plus hantés par la présence de Tommy, le quatrième enfant de la famille, disparu tragiquement en 1993.

« Famille décomposée ». Le titre du premier volume de la nouvelle série de Jeff Lemire résume parfaitement la situation. La figure du père mourant ne suffit pas à resserrer les liens. Tara et Patrick sont sur le point de divorcer, Richard doit de l’argent à des gros bras qui menacent de lui faire la peau, la mère cherche son salut dans la religion… Chacun joue égoïstement sa propre partition, chacun suit son propre chemin sans se soucier des problèmes des autres. On comprend que l’éclatement familial remonte à la mort de Tommy, que personne ne s’est remis de cette disparition et que le défunt est le ciment fragile reliant les Pike entre eux.

Quel bonheur de retrouver Jeff Lemire dans une veine intimiste. Une petite ville industrielle sans âme, des petites gens, l’équilibre instable d’une cellule familiale que les liens du sang ne parviennent pas à souder, ce premier tome expose les grandes lignes d’un scénario saupoudrant d’un touche de fantastique les moindres événements du quotidien.

L’auteur de Winter Road prend son temps. Il multiplie les scènes contemplatives et la noirceur de son dessin est adoucie par des tons pastel qui renforcent la frontière entre rêve et réalité. J’aime ce rythme lent, la complexité des relations humaines qui se tissent, les non-dits, les silences. La famille, l’amour, la mort, la solitude, Lemire parle de la vie et dresse les portraits de personnages sans éclat, passionnément ordinaires. Vivement la suite !

Royal City T1 : Famille décomposée de Jeff Lemire. Urban Comics, 2018. 168 pages. 10,00 euros.

Quand on me dit Lemire je pense tout de suite à Mo, il était donc impensable de ne pas partager cette lecture avec elle !




Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka




lundi 5 mars 2018

Entrez dans la danse - Jean Teulé

Strasbourg, le 12 juillet 1518. En pleine rue une femme entre en transe et se met à danser. Incapable de s’arrêter, elle attire bientôt à elle, comme un aimant, des pauvres hères qui la rejoignent pour se lancer dans une farandole sans fin. Les jours passent et le nombre de danseurs ne cesse de croître. Pieds en sang, épuisés, affamés, ils semblent possédés, incapables de stopper leur folle sarabande. Dépassés par un phénomène aussi incontrôlable qu’inexplicable le maire, l’armée, les médecins et l’église tentent de trouver une solution. En vain.

J’aime bien quand Teulé donne dans le roman historique. J’aime y retrouver sa patte inimitable, ses anachronismes lexicaux (ici on a droit aux danseurs qui font un flash mob où à la rave party), sa verve, son langage fleuri, sa sexualité débridée. Sauf que dans le cas des danseurs strasbourgeois, même si ces éléments sont présents, je me suis fait ch… Grave.

 Il ne se passe rien dans ce roman. Plus précisément, il se passe toujours la même chose. On danse, on crève de chaud, on crève de faim, on nage dans les immondices et la vermine. Les forces publiques tentent de régler le problème. Le maire bedonnant est un bon à rien, l’évêque un enfoiré de première. Et on danse encore et on crève toujours plus de chaud, on crève toujours plus de faim, et tout est toujours plus dégueulasse, et les mêmes hommes tiennent toujours les mêmes discours. Les gueux dansent la farandole et le lecteur tourne en rond.

Désolé monsieur Teulé, je vous adore pourtant mais là, pas moyen. Votre roman m’a paru sans intérêt. Un roman vain. Sans souffle, sans relief, sans épaisseur, sans passion. Un vrai raté dont je ne vous tiens évidemment pas rigueur. A charge de revanche cela dit.

Entrez dans la danse de Jean Teulé. Julliard, 2018. 160 pages. 18,50 euros.









vendredi 2 mars 2018

Les lectures de Charlotte (50) : Petites histoires de nuits - Kitty Crowther

Parce qu’il a dit trois fois s’il te plaît, l’ourson a droit à trois histoires avant de s’endormir.

Dans la première, la gardienne de la nuit frappe sur son gong pour prévenir les animaux de la forêt qu’il est l’heure d’aller se coucher. Ce faisant, elle doit convaincre quelques récalcitrants. Dans la seconde, on rencontre la petite Zhora qui, partant à la recherche de la plus belle mûre, finit par se perdre. Heureusement, recueillie par le gentil Jacko Mollo, Zohra va passer la nuit au chaud avant de pouvoir rentrer chez elle. Dans la dernière, Bo, incapable de trouver la moindre « miette de sommeil », se dirige vers la mer. En chemin il rencontre son amie loutre qui lui conseille d’aller nager pour régler son problème.

Un petit livre carré à la couverture douce comme une peau de pêche. Un petit livre aux teintes roses, illuminé par les crayons de couleur d’une Kitty Crowther au meilleur de sa forme. Un petit livre qui donne envie de se glisser sous la couette et d’ouvrir grand ses oreilles pour plonger dans un univers merveilleux. Un petit livre parfait pour faire de jolis rêves avec en écho la tendre voix de maman ourse. Un petit livre poétique et moelleux qui ravira parents et enfants et fera de l’histoire du soir un moment rare de plaisir à partager.



Petites histoires de nuits de Kitty Crowther. Pastel, 2017. 76 pages. 11,00 euros. A partir de 3 ans.



mercredi 28 février 2018

La tristesse de l’éléphant - Nicolas Antona et Nina Jacqmin

C’est une belle, une magnifique histoire d’amour. Une histoire d’amour pure et cristalline. Parce que parfois l’évidence existe. Une rencontre, quelques approches maladroites, une séparation douloureuse, des lettres pour maintenir le contact et entretenir la flamme, des retrouvailles qui renforcent les certitudes. Le temps passe et les sentiments demeurent, malgré les différences, malgré l’éloignement, malgré les nombreux obstacles. Le temps passe et il faut faire des choix, prendre des risques. Le temps passe et chaque jour prouve que le bonheur existe. Le temps passe et arrive le moment de se dire adieu.

C’est l’histoire de Louis et Clara. Lui, orphelin obèse et binoclard, elle, fille du cirque dresseuse d’éléphant. C’est l’histoire de leur vie à deux, de leurs chemins qui se croisent, s’éloignent, fusionnent et se séparent. C’est l’histoire de leur amour infini et de leur indéfectible volonté de passer leur existence côte à côte.

Je ne vais pas m’étendre davantage parce que tout a déjà été dit sur ce superbe album aux illustrations pleines de charme. C’est beau, c’est touchant et c’est émouvant mais (ben oui, il y a un mais, désolé) j’ai moyennement aimé la fin. Pas la fin en elle-même, plutôt sa mise en scène. J’ai eu l’impression qu’on cherchait par tous les moyens à me tirer quelques larmes, qu’on dramatisait à outrance une conclusion qui n’avait pas besoin de ça pour être cohérente et raccord avec le reste. Un bémol minuscule cela dit, qui ne doit pas occulter les innombrables qualités de cette BD qui fera fondre à coup sûr les cœurs les plus endurcis.

La tristesse de l’éléphant de Nicolas Antona et Nina Jacqmin. Les enfants rouges, 2016. 76 pages. 17,00 euros.


Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Mo !


















mardi 27 février 2018

Nos cœurs tordus - Séverine Vidal et Manu Causse

Une histoire d’amour contrariée, une histoire d’adolescence et de handicap.

Vlad débarque le jour de la rentrée avec sa canne, son bagout, sa passion pour le cinéma et sa dégaine de « tordu », pieds en dedans et genoux qui se cognent. Handicapé de naissance, Vlad se déplace comme il peut, à son rythme. Et il sait en intégrant l’ULIS (classe spécialisée pour la scolarisation des élèves en situation de handicap) du collège Georges Brassens que l’année va être longue. A ses côtés il y a Dylan le trisomique et Mathilde dans son fauteuil roulant. Il y a aussi Saïd le redoublant à qui on ne cesse de promettre le conseil de discipline et l’exclusion définitive. Il y a surtout Lou, la belle, la magnifique Lou dont Vlad tombe éperdument amoureux. Problème, Lou est déjà avec l’athlétique Morgan, un garçon tout ce qu’il il y a de plus normal avec lequel un  « pantin désarticulé » ne peut pas rivaliser…

Un texte à quatre mains pétri de sensibilité, sans angélisme ni pathos. Pas simple de mettre en scène une telle bande d’ados, d’imaginer des interactions crédibles entre chacun d’eux et de ne pas tomber dans l’apitoiement. Pas simple de donner à ses enfants souffrant d’un handicap une voix qui sonne juste, d’exprimer leur envie de lutter contre l’injustice de leur condition. C’est poignant, plein d’émotion contenue et ça respire la joie de vivre.

Finalement, je crois que la tirade du grand-père de Vlad dans les dernières pages résume au mieux l’esprit de ce roman jeunesse lumineux : « Ton handicap n’est rien comparé à ce que tu vaux. Rien. Alors je le traite comme il le mérite. Je fais comme s’il n’était pas là. »

Une lecture qui fait du bien et qui donne le sourire. A recommander plus que chaudement !   

Nos cœurs tordus de Séverine Vidal et Manu Causse. Bayard, 2017. 220 pages. 13,90 euros. A partir de 12-13 ans.


Une superbe pépite jeunesse, évidemment partagée avec Noukette !















lundi 26 février 2018

LaRose - Louise Erdrich

Un accident de chasse. Landreaux Iron, un indien Ojibwe, tue un enfant en tirant sur un cerf. L’enfant s’appelle Dusty, il est le fils de son voisin et ami Peter Ravich. Dusty avait cinq ans. En échange de cette mort donnée accidentellement et suivant une tradition ancestrale, Landreaux offre son plus jeune fils, LaRose, aux parents en deuil. Une décision évidemment lourde de conséquences qui va bouleverser la vie des deux familles.

Franchement j’ai eu peur. Peur d’un torrent de larmes et de mouchoirs à essorer, peur d’une tragédie jouant uniquement sur la corde sensible et les ressorts convenus d'un mélo juste bon à faire pleurer dans les chaumières. Heureusement Louise Erdrich ne cède pas à tant de facilité. Les émotions qu’elle déplie au fil des pages sont complexes, parfois contradictoires, toujours d’une rare finesse. LaRose est le guérisseur, celui qui apaise les âmes en peine, celui qui apporte un rayon de lumière dans les ténèbres. Tout le monde est ravagé par la situation. Les mères en premier lieu, celle de Dusty bien sûr, mais aussi sa propre mère, incapable de supporter la perte de cet enfant qu’on lui arrache. Les pères ne sont pas plus à la fête. Landreaux ne comprend pas comment l’accident a pu avoir lieu et Peter est écartelé entre la pitié pour son ami et une légitime envie de vengeance face au tueur de son fils.

Louise Erdrich ne se contente pas de tisser les relations entre les deux familles. Elle nous renvoie des siècles en arrière, s’attarde sur d’autres indiens que les quatre parents et sur le prêtre se battant chaque jour pour remettre les brebis égarées de la réserve sur le chemin du Seigneur. Elle montre le quotidien souvent sordide d’une population ravagée par l’alcool et les opiacés, elle montre une jeunesse qui se serre les coudes et continue malgré tout à rêver d’avenir. Surtout, elle ne cesse de mettre chacun à l’épreuve, de pousser ses personnages dans leur dernier retranchement, de chercher en chacun d’eux l’étincelle, parfois infime, qui pourra rallumer la flamme de l’espoir.

Un roman splendide, où la colère se drape de dignité, où la douleur ne cesse d’être pudique, où tradition et modernité, passé et présent, se conjuguent à la perfection. Une partition sans la moindre fausse note. 
     
LaRose de Louise Erdrich (traduit de l’américain par Isabelle Reinharez). Albin Michel, 2018. 512 pages. 24,00 euros.












vendredi 23 février 2018

Les lectures de Charlotte (49) : Mon royal petit frère - Sally-Lloyd-Jones et David Roberts

Il était une fois un papa, une maman et « la plus jolie, la plus intelligente, la plus gentille princesse qui fut. […] Ils vivaient dans un royaume où il y avait toujours du temps pour raconter des histoires, de la place sur les genoux de maman et jamais le moindre pleur. Jusqu’à cet abominable, cet horrible jour qui vit naître un tyran… ». Bébé arrive et la princesse disparaît aux yeux de ses parents. Elle raconte elle-même ses déboires et son témoignage contre le petit frère est à charge : sans nuance ni demi-mesure.

Un album plein d’humour pour aborder la question sensible de l’arrivée d’un nouveau venu dans la famille et du sort réservé aux aînés. La princesse se sent invisible, elle ne comprend pas pourquoi un petit être si bruyant et si puant peut susciter autant d’admiration. Résignée, elle ne peut que constater « le règne démoniaque » de « son altesse sacrément gourmande ! Sa grandeur potelée, le roi Bébé ! ». C’est drôle parce que la fillette force le trait et fait preuve d’une sacrée mauvaise foi. En même temps on comprend son agacement et sa frustration de ne plus être au centre de l’attention : « Admirez l’élu, sa majesté pourrie gâtée, le roi bébé ! ».

Le point de vue de la grande sœur est joliment illustré par le trait aiguisé de David Roberts, dont certaines double-pages fourmillant de détails sont un régal pour les yeux. Évidemment la fin est positive et atténue la rancœur, évidemment la grande sœur, sous ses airs bravaches, garde une place au chaud dans son cœur pour le royal petit frère. Mais le ton décalé de l’album permet d’aborder la question avec une percutante originalité.

Mon royal petit frère : une terrible histoire vraie de Sally-Lloyd-Jones et David Roberts. Little Urban, 2018. 40 pages. 13,50 euros. A partir de 3 ans.

mardi 20 février 2018

Philibert Merlin apprenti enchanteur - Gwladys Constant

Philibert est perdu, Philibert ne comprend pas. Dernier né d’une grande lignée d’enchanteurs, ses six frères et sœurs sont tous des génies dans leur domaine et lui a beau chercher, il ne se trouve aucun don particulier. La musique, la littérature, la danse, les mathématiques, la peinture et l’informatique étant déjà pris, il a tenté sa chance du côté de l’herboristerie mais le résultat s’est révélé catastrophique puisqu’il a intoxiqué un de ses camarades de classe. Se jeter du toit de l’école pour voir s’il savait voler était une fausse bonne idée, comme le fait de passer son bras à travers le grillage de la cage aux fauves du zoo pour essayer de les apprivoiser. Rien n’y fait, Philibert ne sort pas du lot. Enfant sans talent, Philibert s’interroge sur ses capacités et ses parents, même s’ils le soutiennent de tout cœur, s’inquiètent sérieusement d’avoir un fils « normal » à la maison.

Difficile de trouver sa place, de supporter la pression exercée par un environnement ou chacun tend vers l’excellence. Philibert se rend compte qu’il est différent. Sa quête de don à tout prix le perturbe fortement. Il se cherche, chacun souhaite lui venir en aide mais au final c’est pire que mieux. Et si, tout simplement, on lui fichait la paix à Philibert ? Et s’il n’était qu’un petit garçon pas forcément doué mais pas mal dans sa peau pour autant ?

J’aime l’écriture de Gwladys Constant découverte avec  « La révolte des personnages ». Elle parsème d’humour et de légèreté un sujet sensible et pousse à la réflexion sans avoir l’air d’y toucher. La grande question de l’orientation perturbe bien des familles, même les plus illustres. Plutôt que de pousser nos enfants trop vite dans une hypothétique vocation, n’est-il pas préférable de leur laisser le temps de trouver leur voie par eux-mêmes sans chercher à forcer les choses ? La réponse semble évidente mais Philibert et les siens vont mettre du temps à la trouver. Et comme (presque) toujours, le hasard est un allié de choix pour faire basculer un destin...

Philibert Merlin apprenti enchanteur de Gwladys Constant. Le Rouergue, 2018. 110 pages. 9,50 euros. A partir de 9 ans.


Une jolie pépite jeunesse partagée une fois encore avec Noukette.













lundi 19 février 2018

Il n’en revint que trois - Gudbergur Bergsson

C’est l’histoire d’une ferme isolée dans un coin paumé d’Islande, à deux pas d’un champ de lave et de l’océan. Une ferme où vivent un vieux couple, leur fils, leurs deux petites filles et un gamin dont la mère malade ne peut s’occuper. C’est l’histoire de cette ferme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. L’histoire de cette ferme à l’aune de l’évolution d’un pays foncièrement rural que le conflit va amener sur le chemin de la modernité.
D’abord grâce à l’occupation anglaise, ensuite et surtout grâce à l’arrivée des américains et de l’installation de leurs bases militaires un peu partout sur l’île.

Le roman raconte donc les décennies du 20ème siècle qui ont transformé la société islandaise à travers une galerie de personnages avec lesquels on partage quelques années. Et c’est tout le problème selon moi. On navigue de l’un à l’autre, on commence à s’attacher à certains qui disparaissent soudainement et dont on n’entend plus jamais parler. L’ensemble manque de liant, d’épaisseur, tout va trop vite et les différents événements sonnent comme des anecdotes, rien de plus. En gros je me suis ennuyé. Et pas qu'un peu. Quand je mets plus de quinze jours à lire 200 pages ce n’est pas bon signe. Du tout.

J’ai bien compris la volonté de l’auteur de montrer la difficulté pour un pays enfermé dans ses traditions ancestrales de se confronter de façon brutale à la modernité, j’ai bien compris que le personnage central de son texte est la ferme isolée et non ceux qui gravitent autour d’elle mais il m’a manqué beaucoup trop de choses pour que ce roman passionne. Dommage parce qu’une fois encore la traduction d’Eric Boury est impeccable.

Il n’en revint que trois de Gudbergur Bergsson (traduit de l'islandais par Eric Boury). Métailié, 2018. 210 pages. 18,00 euros.






















samedi 17 février 2018

Paris-Venise - Florent Oiseau

J’avais qualifié le premier roman de Florent Oiseau de « roman de branleur » (ce qui n’avait rien de péjoratif pour moi, bien au contraire). Je constate que le second est du même tonneau. Un personnage sans ambition à la vanne facile, un quotidien de banlieue triste comme un jour de pluie, une forme de renoncement et de désillusion assumée, pas un rond en poche, la glandouille comme principale activité...  un parfait branleur quoi. Sauf que la pression mise par sa banquière oblige Roman à chercher un job. Engagé par une compagnie ferroviaire privée sur le Paris-Venise, le jeune homme plonge dans l’univers très particulier des trains de nuit longue distance.

Dans ce train faussement haut de gamme, il découvre les avantages de certains postes par rapport à d’autres, les collègues magouilleurs, les clients pénibles, les pigeons bons à plumer, les fraudeurs et les clandestins qui tentent de monter à bord pendant les escales en Suisse ou en Italie. Il découvre l’état effroyables des toilettes à nettoyer en fin de nuit, les douaniers portés sur la boisson, les policiers lourdingues, les supérieurs pénibles. Sans compter les arrivées au petit matin dans une ville grise et lugubre où il passe sa journée à dormir dans un hôtel miteux avant de repartir le soir suivant vers Paris.

Roman se met vite au diapason de ses collègues et profite de la moindre opportunité pour améliorer l'ordinaire. Il a parfois des états d’âme mais les scrupules ne l’étouffent jamais longtemps. Il y a une truculence jouissive dans la prose de Florent Oiseau. Son récit sent le vécu à plein nez. Loin du glamour et du romantique, son Paris-Venise est sordidement drôle, porté par une langue très orale. C’est frais, moderne, spontané et derrière le je-m'en-foutisme de façade affleure une réflexion profonde sur la nature humaine.

Seul petit bémol, j’ai parfois trouvé Roman trop gentil, trop naïf, trop bien-pensant. Je l’aurais préféré plus roublard, plus cynique. Un poil moins lisse en somme. Mais je chipote parce qu’au final j’ai pris un vrai plaisir à partager son quotidien de galérien et ses mésaventures tragi-comiques. Il se confirme donc que les romans de branleur me vont comme un gant, ce qui ne surprendra personne je pense.

Paris-Venise de Florent Oiseau. Allary Éditions, 2018. 240 pages. 17,90 euros.














mercredi 14 février 2018

L’homme gribouillé - Serge Lehman et Frederik Peeters

N’y allons par quatre chemins, cet album est une vraie claque ! D’emblée il vous prend par la main et vous emmène sur un chemin brumeux. Un brouillard qui, lorsqu’il se dissipe, vous oriente vers des pistes difficiles à suivre. Mieux vaut ne pas résister et se laisser guider dans un univers réaliste où tout peut basculer en un claquement de doigt dans une dimension fantastique. Hors de question de vous dire quoi que ce soit de l’intrigue, je vous laisse dans le même état d’ignorance que moi au moment de tourner la première page. Seul petit indice, l’univers imaginé par Serge Lehman s’inspire en partie des photographies de Charles Fréger, notamment sa série Wilder Man représentant  des portraits en lien avec la figure de « l’homme sauvage » (à découvrir ici). 

J’aime quand rien n’est donné, quand il ne faut pas chercher à tout comprendre tout de suite. J’aime me dire que je n’ai pas tout saisi, qu’une seconde lecture s’impose pour affiner mon point de vue et mon ressenti. J’aime aussi que l’on prenne son temps pour me raconter une histoire, que l’on tricote des mailles serrées sur lesquelles dégouline une pluie glaciale pendant que l’atmosphère se charge d’électricité et d’étrangeté. J’aime enfin qu’un dessinateur s’empare d’une telle histoire et la sublime avec son découpage cinématographique et son trait d’une troublante intensité.

Il y a quelque chose de magnétique dans cette fable fantastique aux accents gothiques. Une fascination née du renouvellement perpétuel de l’intrigue, des rebondissements aussi inattendus que cohérents et d’une fantasmagorie mêlant avec brio folklore juif, légendes médiévales et sociétés occultes. Pas besoin de tourner autour du pot ni d’en dévoiler davantage, L’homme gribouillé est un album puissant, surprenant,  imprévisible, entretenant une confusion diabolique entre le réel et l’irréel. Un coup de maître !

L’homme gribouillé de Serge Lehman et Frederik Peeters. Delcourt, 2018. 330 pages. 30,00 euros.

Une lecture commune partagée avec Mo et Noukette !






Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Noukette








mardi 13 février 2018

Mon grand soir - Audrey Demaury

« Ils viennent le chercher ». Un coup de téléphone qui change tout. Le quotidien de Lola, celui de ses parents et surtout la vie de Mano, son petit frère de sept ans, en attente d’une greffe du cœur. L’ambulance va arriver, l’opération est enfin programmée. Restée seule à la maison pour la soirée, Lola navigue entre le plaisir d’une liberté nouvelle et l’inquiétude face aux événements à venir. Surtout que dehors la tempête de neige fait rage et que l’hélicoptère censé amener le nouveau cœur de Mano n’est pas certain de pouvoir décoller…

Un premier roman jeunesse touchant, apparemment inspiré de l’expérience personnelle d’Audrey Demaury. La voix de Lola exprime la difficulté d’être une collégienne en bonne santé dans la maison d’un enfant malade : « Le cœur de mon frère fait la loi à la maison ». Difficile d’exister aux yeux de ses parents, d’attirer leur attention, de susciter un minimum d’affection. Parce que Mano monopolise toute leur énergie et génère une forme d’angoisse permanente ne laissant que peu de place à une vie de famille « normale ».

La galerie de personnages venant  égayer la soirée en solitaire de la jeune fille est aussi savoureuse que décalée, de Fatou l’apprentie voyante à madame Saranzole la prof de maths et son caniche à trois pattes en passant par William aux faux airs d’« Harry Potter en plus télégénique ». C'est frais, absolument pas tire-larmes, et ça sonne juste de bout en bout. Un sujet qui sort des sentiers battus et un premier roman prometteur, il n'en fallait pas plus pour que je passe un excellent moment de lecture.

Mon grand soir d’Audrey Demaury. Thierry Magnier, 2018. 92 pages. 9,90 euros. A partir de 11-12 ans.

Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










samedi 10 février 2018

Vulnérables - Richard Krawiec

Dandy, premier roman noir, écorché, crépusculaire de Richard Krawiec, m’avait ébloui. J’attendais donc le second avec une impatience mêlée d’appréhension. L’univers de Vulnérables reste le même que celui de Dandy, présentant une Amérique pauvre et un personnage principal à la marge. Billy Pike, quadra sortant tout juste de prison, est appelé à l’aide par ses parents venant d’être cambriolés. Le fils maudit n’a pas remis les pieds dans la maison familiale depuis des années. Son arrivée est loin de soulever l’enthousiasme mais le couple, incapable de surmonter le traumatisme de la violation de son intimité et craignant une nouvelle effraction, n’a pas eu d’autre choix que de le solliciter pour assurer un minimum de sécurité autour et à l’intérieur du logement. Une initiative guidée par la peur et le désespoir qui s’avérera à l’usage bien plus néfaste que positive. 

En préface, Krawiec prévient : « Billy Pike est de ceux qui sont tombés avant de découvrir qu’il n’y avait personne pour les relever. »  Le moins que l’on puisse dire c’est que le « sauveur » n’est pas d’une solidité à toute épreuve. C’est un homme solitaire, fragile, torturé, en plein désarroi. Un géant au pied d’argile qui avait trouvé dans la fuite loin des siens une manière radicale de les protéger de ses propres démons. Car Billy est violent, instable, immature, capable des pires atrocités. Adepte de l’autodestruction, il survit avec les moyens du bord, seul contre tous.

Vulnérables. Le titre est parfait. Dans ce roman tout le monde est vulnérable. Autopsie d’un naufrage, le texte ne laisse aucune place à la lumière. Une noirceur qui a la  longue m’a fatigué. Le pathos tourne au mélo dégoulinant et, un peu comme chez William Boyle, j’ai trouvé que Krawiec forçait le trait dramatique gratuitement et que cela desservait son histoire. On est à la limite de la complaisance dans la description finale de la chute de Billy, en tout cas on est loin de la finesse de Dandy. Dommage parce que le bougre connait à merveille le monde des oubliés du rêve américain et il n’a pas besoin d’en rajouter pour mettre en scène des marginaux aux trajectoires aussi fouillées que marquantes. Finalement mon appréhension de départ s’est révélée légitime. Malheureusement.

Vulnérables de Richard Krawiec. Tusitala, 2017. 220 pages. 20,00 euros.