jeudi 9 juillet 2015

Coal Creek - Alex Miller

Queensland, années 50. Depuis la mort de son père, Bobby Blue a dû arrêter de parcourir le bush à cheval à la recherche de taureaux sauvages. Avec son paternel et son meilleur copain, le bagarreur Ben Tobin, il passait ses journées en pleine nature, bivouaquant devant un feu de camp le soir venu avant de s’endormir à la belle étoile. Une jeunesse libre et tumultueuse dont il s’est amendé en entrant dans la police. Son nouveau chef, Daniel Collins, arrive d’une grande ville côtière avec sa femme et ses deux filles, dont la belle Irie âgée de 13 ans et avec laquelle Bobby va nouer une profonde complicité. Esprit étroit manipulé par sa femme, Daniel ne cherche pas à s’imprégner des mœurs et coutumes locales, il se considère avant tout comme un homme civilisé face à des rustres mal embouchés. Le jour où les policiers sont appelés à Coal Creek pour arrêter Ben qui aurait frappé sa petite amie, Bobby se retrouve pris au piège entre la loyauté qu'il doit à son supérieur et l'inébranlable amitié qui le lie à celui qu’il connaît et apprécie depuis l’enfance.

J’ai eu du mal au départ. Le rythme est assez lent, il y a pas mal de digressions, de retours en arrière pas forcément passionnants, de réflexions un peu cucul. La caricature est poussée à l’extrême entre les blancs-becs de la côte pensant tout savoir et prenant tout le monde de haut, et les cul-terreux du bush, authentiques cow-boys australiens à l’ancienne, amoureux d’un environnement sauvage que les premiers nommés ne pourront jamais comprendre. Et puis je n’aime pas du tout ce procédé consistant à annoncer l’air de rien des événements à venir, du genre « si j’avais su alors que... » ou « je ne pouvais pas me douter à ce moment là que... ». J’ai toujours l’impression que l’auteur essaie de relancer notre attention avec ces tics d’écriture et je vois cela comme un aveu de faiblesse, comme s’il nous disait, « bon, là, tu t'ennuies un peu, mais ne te sauve pas, tu vas voir, des choses géniales vont arriver ! ».

En gros, j’ai peiné, me demandant même si j’allais aller jusqu’au bout. Mais au moment où la tragédie se déploie (dans les 75 dernières pages), où les faits s’enchaînent sans temps mort, cela devient excellent. C’est douloureux, plein d’émotion contenue et surtout on va à l’essentiel. Rien que pour ça je ne regrette pas d’avoir découvert cet auteur dont j’avais beaucoup entendu parler au moment de la sortie en France de son premier roman il y a deux ou trois ans (« Lovesong »). Et puis je fréquente trop peu la littérature australienne, c’est un plaisir de m’y plonger de temps en temps.

Coal Creek d’Alex Miller. Phébus, 2015. 245 pages. 20,00 euros.





mercredi 8 juillet 2015

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet T1 - Zidrou et Van Liemt

Ric Hochet est un héros de ma jeunesse. Bon, ses premiers faits d’armes datent de 1963 (soit bien avant ma naissance !) mais je l’ai découvert dans  les années 80 lorsque ses albums étaient prépubliés dans le journal de Tintin. C’est donc avec beaucoup de curiosité que je me suis plongé dans cette nouvelle aventure imaginée par Zidrou. Un Zidrou touche à tout qui s’est lancé depuis peu dans la résurrection de classiques de la BD franco-belge avec plus ou moins de bonheur (sa reprise de « Chlorophylle » par exemple ne m’avait pas entièrement convaincu). Ici, je l’ai senti bien plus à l’aise avec l’univers du journaliste-enquêteur et le résultat est plutôt bon.

Le scénariste connaît la série par cœur et il s’est à l’évidence beaucoup amusé à mettre en scène ses protagonistes les plus emblématiques. Ric bien sûr mais aussi l’incontournable inspecteur Bourdon, la jolie Nadine et le Caméléon, qui fut le tout premier criminel à croiser la route de notre héros blondinet dans l’album « Traquenard au Havre ». Une histoire de double maléfique, une situation inextricable dont personne ne pourra (à première vue) sortir vivant, des rebondissements en pagaille, beaucoup de clins d’œil au passé et un dynamitage en règle de l’image lisse qui caractérisait les personnages des BD à papa, Zidrou jongle sans cesse entre classicisme et modernité. Son irrévérence le pousse à se moquer de la célèbre tenue de Ric, cette affreuse veste noire et blanche dont il ne se sépare jamais, à faire de Nadine une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux ou encore à offrir à l’inspecteur Bourdon un passé peu reluisant, quitte à égratigner l’image exemplaire de l’inspecteur. Le tout sans forcer le trait, avec un naturel qui emporte d’emblée l’adhésion du lecteur.

Niveau dessin, Van Liemt n’est pas Tibet, c’est incontestable, et même s’il a bien fait de ne pas chercher à le copier coûte que coûte, le résultat n’est franchement pas folichon.

Au final, une reprise plus que correcte. Le dépoussiérage, parfois tonitruant, pourra faire hurler les puristes, mais personnellement j’ai passé un bon moment et je suis ravi de savoir qu’au moins deux autres nouvelles enquêtes de Ric Hochet sont en préparation.

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet T1 de Zidrou et Van Liemt. Le Lombard, 2015. 56 pages. 12,00 euros.




mardi 7 juillet 2015

Le premier mardi c'est permis (38) : Porno Graphique

Un cadeau de Noukette. On se connaît suffisamment maintenant pour s’offrir ce genre de bouquin sans ambiguïté ni arrière pensée. Bon, d’habitude, elle et moi parlons de littérature jeunesse le mardi. Mais en matière de lecture(s), c’est comme dans la vie, il faut varier les plaisirs.

Franchement au début j’ai craint le pire. Les trois premières nouvelles de ce recueil graphique ne m’ont pas titillé la moindre seconde. Aucun intérêt, voila ce que je me suis dit, inquiet d’avoir à enchaîner encore près de 100 pages du même acabit. Arrive alors l'histoire ayant pour titre « Deux rythmes » et là, les choses s’accélèrent, la température monte clairement de quelques degrés. Une femme et un homme en pleine action. On ne voit que le bas de son visage à elle chuchotant à l’oreille de son partenaire. Elle le guide, l’encourage de la voix en toute sensualité, sans aucune vulgarité. J’avoue, ça m’a donné chaud…  Rebelote juste après avec ce dessinateur en train de croquer (avec son stylo !) la vulve de sa chérie. Elle se laisse faire, la situation l’excite à tel point qu’elle commence à se masturber. Là encore, c’est très caliente ! Le reste est à l’avenant, avec notamment un trio qui fera fantasmer bien des hommes…

Incroyable de constater à quel point Nacho Casanova parvient à créer une atmosphère aussi torride en jouant uniquement sur la suggestion. Car les gros plans utilisés ici de manière quasi systématique n’ont paradoxalement rien de pornographiques. En se focalisant sur une partie du corps, il laisse l’imagination du lecteur faire le reste et embrasser mentalement l’ensemble de la scène. C’est vraiment fort !

Mauvaise idée de lire cet album en pleine canicule. Moi qui rêvais ces derniers jours de faire chambre à part tellement se retrouver à deux dans le même lit par cette chaleur me devenait pénible, je me suis infligé avec cette lecture une poussée de fièvre plutôt malvenue. Mais bon, comme je suis généreux, j’ai partagé cette lecture avec madame. Pas question d’être le seul à avoir chaud. Et ne comptez pas sur moi pour vous donner des détails supplémentaires, la suite des événements ne regarde que nous.

Merci Noukette !


Porno Graphique de Nacho Casanova. Diabolo éditions, 2013. 125 pages. 14,00 euros.





lundi 6 juillet 2015

Marcelin Comète se balade dans le cosmos - Marc Lizano et Elodie Shanta

Marcelin et son chien Mikado se réveillent dans une maison vide. Papa et maman sont au travail et mamie n’est pas encore arrivée. Profitant de la situation, le garçon s’amuse comme un petit fou jusqu’au moment où un grand bruit se fait entendre dans le jardin : un vaisseau spatial vient de s’y écraser avec à son bord un petit Robot prénommé Ulysse. Remettant la fusée sur pied, Ulysse invite Marcelin et Mikado à se joindre à lui pour faire un tour dans l’espace, vers l’infini et au-delà !


Marc Lizano m’avait enchanté avec « L’enfant cachée » et « La petite famille », je le retrouve ici dans un registre totalement différent, s’adressant à de plus jeunes lecteurs, comme il l’avait déjà fait avec « Hugo et Cagoule ». Marcelin est un gamin de son temps, impatient (il se plaint du temps de trajet trop long dans l’espace) et prompt à s’ennuyer dès qu’il n’a rien à faire. Mais c’est aussi un gamin comme tous les autres, à l’imaginaire sans limite, qui vit les événements sans distance, capable de s’inventer une vie et une aventure inoubliable en un clin d’œil. Sur ce point, il rappelle d’ailleurs fortement le facétieux Myrmidon.

Un voyage farfelu qui fait rêver et une fin qui appelle une suite, m’est avis que l’on retrouvera Marcelin à l’avenir. Cet album constitue une première approche de la BD idéale pour les primo lecteurs (dessin aussi naïf qu’expressif, nombre de pages raisonnable, lettrage parfaitement lisible et découpage simple permettant de ne jamais perdre le fil). Une jolie découverte qui ravira les enfants dès cinq ans.


Marcelin Comète se balade dans le cosmos de Marc Lizano et Elodie Shanta. Des ronds dans l’eau, 2015. 32 pages. 10,00 euros. A partir de 5-6 ans.






samedi 4 juillet 2015

Changer la vie - Antoine Audouard

Changer la vie, c’est un regard nostalgique jeté par-dessus l’épaule vers une jeunesse pleine de promesses dont aucune ne semble avoir été tenue. Antoine raconte ses vingt ans sous la France de Mitterand. 81, le grand chambardement politique et social, l’été du départ vers New-York  pour le narrateur. Accompagné de son meilleur ami François, il débarque à Manhattan sous une chaleur suffocante, invité par une riche Texane qui va lui prêter un appart et accessoirement devenir son amante d’un soir. Antoine est embauché pour recueillir les souvenirs d’une résistante, son patron pensant qu’avec ce témoignage de première main, il tiendra un best seller pouvant sauver sa maison d’édition du naufrage. Antoine rencontre beaucoup de monde, il navigue dans l’undergound culturel d’une ville fiévreuse qui ne dort jamais. Un été inoubliable, de ceux qui vous marquent à vie.

Franchement, j’ai trouvé l’exercice futile, un peu vain, sans grand intérêt. Antoine Audouard évite l’écueil du pénible « c’était mieux avant », il adopte un ton léger et emprunt d’une autodérision bienvenue mais cela n’a pas suffit pour que j’y trouve mon compte. Trop anecdotique, trop en surface, trop de digressions, de parenthèses, de notes en bas de pages… Trop de choses pour un arrière goût final de « pas assez », c’est le comble.

Cette histoire d’illusions et de déceptions interroge sur l’écart permanent entre nos rêves de jeunesse et notre réalité d’adulte, avec tout ce que cela comporte de renoncements et de compromissions. Déjà-vu, déjà-lu, je sais pertinemment qu’il ne m’en restera pas grand-chose d’ici peu.

Changer la vie d’Antoine Audouard. Gallimard, 2015. 200 pages. 18,00 euros.

Les avis de CanelJostein, Léa Touch Book, Nadael, Sharon et Sylire




vendredi 3 juillet 2015

Cry Father - Benjamin Whitmer

« La vie est un sandwich à la merde dans lequel on finit tous par être forcés de croquer »

Outch ! Après Pike, Benjamin Whitmer en remet une couche et nous montre une Amérique en perdition. Ses personnages se laissent submerger par la tristesse, ils baissent les bras, sachant le combat perdu d’avance. Aucun espoir dans ce roman, même si les figures féminines apportent une petite note de sagesse, elles ne se font pas d’illusions, disons juste qu’elles sont peut-être un poil plus combatives que leurs hommes. Des hommes qui ont eux depuis longtemps baissé les bras, trouvant leur salut dans une fuite en avant semée d’embûches et d’excès en tout genre.

Depuis le décès de son jeune fils suite à une erreur médicale, Patterson Wells sillonne les zones sinistrées par les ouragans et autres catastrophes naturelles afin de déblayer les décombres et de remettre en état les réseaux électriques. A la fin de chaque saison, il retourne avec son chien dans la cabane en bois qu’il a construit de ses propres mains, au fin fond des forêts du Colorado. Il survit en ermite, enchaînant les cuites en attendant le prochain lever de soleil. Le jour où il rencontre Junior, dealer, bagarreur et grand consommateur de cocaïne, Patterson sait qu’il noue une relation avec le diable. Une relation toxique qui va l’entraîner toujours plus près d’un précipice l’attirant comme un aimant.

Cry father, c’est l’Amérique dont personne n’a rien à cirer. Bienvenue chez les camés, les paumés, les sans grades. Bienvenue dans un monde régit par une violence qui surgit sans crier gare. Mettre une raclée ou prendre une branlée, tel est le quotidien de Patterson et Junior. Un duo à la dérive, ayant parfaitement conscience de filer droit sur les récifs, mais ne faisant rien pour résister au courant. La haine d’un monde dans lequel ils n’ont pas leur place chevillée au corps, ces deux-là avancent de concert vers l’inéluctable et le lecteur, pas dupe, sait très bien que les choses vont mal tourner…

Cry father, c’est une noirceur totale, brutale, sans aucun brin de lumière. L’écriture, âpre et concise, se fait parfois lyrique tandis que chaque dialogue est d’un réalisme criant. Il y a quelque chose de profondément immoral dans ce texte abrasif. Il y a aussi tout ce que j’aime dans la littérature américaine d’aujourd’hui.

Cry Father de Benjamin Whitmer. Gallmeister, 2015. 315 pages. 16,50 euros.


Les avis d'Alex et Marie-Claude











mercredi 1 juillet 2015

Maus T1 et T2 - Art Spiegelman

Deux ans, peut-être plus, que Mo’ a eu la gentillesse de m’offrir ces deux albums. Deux ans au moins qu’ils prenaient la poussière sur mes étagères. Difficile d’expliquer pourquoi, disons que certains livres semblent parfois trop grands pour nous, et c’est ce qui m'est arrivé avec Maus. Mais ce week-end j’ai pris le taureau par les cornes, j’ai cessé d’avoir peur et je me suis lancé. Je me demande bien maintenant comment je vais être capable d’en parler…

Maus, c’est l’histoire de Vladek Spiegelman, soldat juif polonais fait prisonnier de guerre par les allemands en 39, qui réussit par miracle à retourner dans sa ville de Sosnowiec et y retrouve sa femme avant de connaître avec elle un long calvaire : traque, confinement dans le ghetto, rafles et déportations auxquelles ils parviennent à échapper sur le fil. Pensant trouver une porte de sortie en Hongrie, ils sont arrêtés dans le train suite à une dénonciation et transférés à Auschwitz,  où, comme l’annonce le titre du tome deux, « c’est là que les ennuis ont commencé ».

Art Spiegelman a recueilli le témoignage de son père. Il dit l’horreur, la perte absolue de liberté et d’espoir, les coups, les privations, la faim, la certitude de ne pas ressortir vivant des camps. Il dit l’amour qui aide à tenir, la malice, l’opportunisme et surtout la chance et le hasard qui ont permis la survie du couple. Ce premier niveau du récit aurait suffi à faire de Maus une œuvre poignante, mais l’auteur va plus loin, et c’est ce qui fait toute la différence. Le fils relate les moments passés avec son père lorsqu’il enregistre son histoire. Il dresse le portrait « au présent » et sans complaisance d’un vieil homme malade, tyrannique, raciste, empêtré dans des querelles sans fin avec sa seconde épouse et d’une avarice sordide le faisant ressembler à la caricature du juif que se plaisent à entretenir les antisémites.

Cette description à première vue ambiguë met mal à l’aise le dessinateur lui-même, mais elle donne une dimension supplémentaire et une profondeur incroyable au propos. Maus restitue à la fois la parole du père et le travail du fils. A un moment, la compagne d’Art déclare : « D’une certaine manière, il n’a pas survécu. » Et c’est exactement ça je crois, tant l’évocation de la Shoah permet de découvrir les racines tragiques de la personnalité difficile du père et témoigne de l’impact psychologique de l’holocauste sur les survivants et leur descendance. Art précise d’emblée qu’il s’entend mal avec son géniteur, il se montre rongé par la mauvaise conscience d’être né après guerre, après la disparition en 1943 de Richieu, son « frère-fantôme ». Son père et lui souffrent de stigmates ayant marqué à jamais leur famille (stigmates encore plus profonds depuis le suicide de la mère en 1968).

Graphiquement, sobriété et économie de moyens dominent. La métaphore animale délivre d’un réalisme pesant et renforce l’expressivité dans la mesure où victimes (souris) et bourreaux (chats) sont immédiatement identifiables.

Maus est un chef d’œuvre qui dépasse largement les frontières de la BD. Ni dénonciation explicite, ni réflexion sur l’Histoire (même si l’horreur du génocide occupe une place centrale), c’est surtout et avant tout la retranscription fidèle d’une expérience et d’une mémoire individuelle. Mais c’est également une façon aussi unique qu’exceptionnelle de dessiner l’indicible.

Maus T1 et T2 d’Art Spiegelman. Flammarion, 1987 et 2001. 160 et 135 pages. 15 euros chaque volume.

L'avis de Moka


Et parce que Mo’ est la générosité incarnée, elle m’a aussi offert MetaMaus, une somme publiée vingt-cinq ans après Maus et dans laquelle Spiegelman revient sur son travail et explore les questions cruciales qu’il soulève : Pourquoi des souris, pourquoi la BD, pourquoi ses relations conflictuelles avec son père ? Il parle également de son propre voyage à Auschwitz, du complexe d’infériorité qui l’a miné toute sa vie. Surtout, il décrit avec minutie son processus créatif, illustré d’un incomparable matériel iconographique (carnets personnels, photos, croquis, etc). En bonus, un DVD, les enregistrements de son père et de nombreux documents historiques sur lesquels il s’est appuyé tout au long de la réalisation des albums. Riche et passionnant, cet ouvrage a été pour moi un complément indispensable à la lecture de Maus.

« Ma vie professionnelle a consisté pour l’essentiel à trouver la chose la plus dure que j’étais capable de faire […]. Quand j’ai eu trente ans, j’ai cherché un défi qui soit à la hauteur, et Maus répondait à ce critère. Il m’était difficile de devoir penser à mon passé, et il m’était difficile de devoir être en présence de mon père, métaphoriquement mais aussi concrètement. Donc tous ces éléments m’ont conduit à m’attaquer à une histoire trop importante pour que je la comprenne. »

MetaMaus : un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes. Flammarion, 2012. 300 pages + 1 DVD. 30,00 euros.





mardi 30 juin 2015

Ronde comme la lune - Mireille Disdero

Saskia n’a pas un problème de taille mais un problème de poids. Trop gourmande, incapable d’ouvrir un paquet de chips sans l’engloutir en entier. Ses excès de nourriture se reflètent sur son apparence. Un corps de lycéenne qu’elle déteste mais pour lequel elle n’est pas vraiment prête à faire d’efforts, tant pis pour les moqueries, les surnoms idiots, les blagues humiliantes ou les phrases griffonnées au tableau. Jusqu’au jour ou ses bourreaux franchissent la ligne rouge en créant un faux site internet pour la ridiculiser…

Beaucoup de choses m’ont plu dans ce texte. Et pourtant j’ai craint le pire au départ, persuadé d’avoir affaire à une énième variation autour d’une ado en souffrance, à un récit plein de geignardise et de portes ouvertes que l’on enfonce à grands coups de pathos. Mais je me suis vite rendu compte que Mireille Disdero ne cèderait pas à la facilité et qu’elle jouerait une partition tout en finesse et surtout extrêmement réaliste.

Le rejet de son apparence (« Mon corps ? Un boulet que je devais porter comme si je l’acceptais ; un boulet qui avait le droit d’exister et de m’écraser. »), la relation compliquée aux parents, la vie sociale qui continue malgré tout, l’attirance pour un garçon et l’incompréhension devant l’intérêt que lui-même manifeste alors qu’en théorie il devrait se sauver en courant, tout cela est relaté le plus naturellement du monde et rend Saskia incroyablement attachante.

J’ai aussi aimé le fait qu’elle rejette avec force l’empathie de ses proches et affirme son besoin d’être mise en difficulté pour pouvoir enfin avancer, une posture originale et qui sort des sentiers battis (« Le problème, avec ceux qui nous aiment, c’est la guimauve. Ils nous trouvent des circonstances atténuantes, refusent de nous faire du mal, nous protègent de la vie mais celle-ci est bien là, entière et cruelle, avec ses coups. Résultat ? Leur affection ne nous aide pas. »). Cerise sur le gâteau, je trouve la fin parfaite : non, elle ne devient pas une jolie jeune fille mince à force de régimes et d’une volonté sans faille ; non elle ne sombre pas dans une dépression profonde et ne se jette pas du haut d’un pont… Là encore, la finesse l’emporte, rien n’est tout blanc ou tout noir, et c’est d’autant plus crédible.

Un texte magnifique et particulièrement intelligent que je recommande chaudement (c’est de saison !), et ce n’est pas ma complice préférée qui vous dira le contraire.

Ronde comme la lune de Mireille Disdero. Seuil jeunesse, 2015. 176 pages. 12,50 euros. Dès 11 ans.

L'avis de Noukette avec qui je partage une fois de plus cette lecture jeunesse.




lundi 29 juin 2015

Les lectures de Charlotte (7) : Le gâteau perché tout là-haut

Qu’il a l’air appétissant ce gâteau perché tout là-haut ! L’ours aimerait bien le goûter mais il est trop petit pour l’atteindre. Heureusement, le cochon arrive et lui saute sur la tête. Pas suffisant cependant pour arriver jusqu’au gâteau. Avec l’aide du chien, du lapin, de la poule et de la grenouille, la fenêtre est enfin accessible. Sauf qu’elle se ferme d’un seul coup et…

Un album très drôle qui joue sur l’effet d’accumulation. Chaque double page offre le même décor fixe auquel vient s’ajouter un nouvel animal. Beaucoup d’efforts mis en commun pour, à première vue, une terrible frustration. Sauf que l’entraide finit toujours par payer, c’est bien connu. L’histoire est facile à suivre et le minimalisme du  graphisme se révèle au final très parlant. J’aime beaucoup aussi les détails hilarants comme la position des animaux qui change dans la « pyramide » dès que l’on tourne une page. Sans oublier ce petit oiseau sur le fil électrique qui ne cesse de se rapprocher du gâteau et en obtient un morceau à sa façon.



Lu, relu et rerelu des dizaines de fois depuis son arrivée à la maison, cet album fait un tabac auprès de ma petite lectrice préférée, qui a pourtant des goûts déjà très tranchés dès qu’il s’agit de choisir un livre. Et j’aime autant vous dire que quand elle en tient un qui lui plait autant, elle ne le lâche plus !

Le gâteau perché tout là-haut de Suzanne Straber. Tourbillon, 2015. 20 pages. 13,00 euros. A partir de 2 ans.


L'avis de Faelys


samedi 27 juin 2015

L’ampleur du saccage - Kaoutar Harchi

Ils sont quatre et leurs liens semblent ténus. Un fil, pourtant, relie l’histoire de Riddah, Ryeb, Si Larbi et Arezki. C’est de l’autre coté de la méditerranée, là-bas, en Algérie, où trois d’entre eux sont nés, que leurs destins vont se rejoindre et basculer une dernière fois. A l’origine, un acte collectif abominable perpétré trente ans plus tôt. Un acte sur les lieux duquel ils vont revenir depuis la France pour faire face à la vérité. Une vérité douloureuse et tragique, point de départ de tous leurs maux.

Difficile de rentrer dans ce texte choral tant il n’est pas simple à première vue de trouver des connexions entre chaque personnage. Mais peu à peu le puzzle se met en place, les interactions prennent sens et la tragédie à venir apparaît inéluctable. Kaoutar Harchi possède un sens aigu de la mise en scène. Elle avance ses pions avec une maîtrise narrative éblouissante, tissant un canevas dont la forme définitive surgit comme une évidence dans les toutes dernières pages. J’aime son écriture au lyrisme contenu, ses phrases brèves qui disent la douleur et le chagrin.

L’ampleur du saccage est une réflexion sur la quête des origines, la relation à la mère, l’exil, la violence des hommes. Des hommes perdus, souffrant de carences affectives et sexuelles, tellement en manque de repères qu’ils marchent en permanence au bord du précipice. Des hommes sans espoirs, torturés par le remords, certains de ne jamais trouver le repos, de ne jamais pouvoir expier leurs fautes. C’est beau, intense et triste comme la vie.

L’ampleur du saccage de Kaoutar Harchi. Babel, 2015 (première édition en 2011). 120 pages. 6,80 euros.

Un livre offert par une blogueuse chère à mon cœur pour des tas de raisons qui ne regardent qu’elle et moi. Merci encore, comme d’habitude, ton choix était parfait.

Extraits :

« Je ‘n’appartiens à aucune terre, je ne descends d’aucune lignée, je suis là, simplement. Cause abandonnée au bon vouloir des mystères mutiques, je dérive le long des impostures, épuisé, car tous les ports d’accueil ont disparu : j’ignore d’où je viens. »

« Nous étions des êtres nus, nos corps ne voulaient plus continuer. La décomposition et le pourrissement guettaient, seules nos âmes croyaient qu’il était encore possible de surmonter la boue, les puces et les rats. Criminels en fuite, nous portions en nous des cadavres, nos cadavres, car nous étions en avance sur la mort, nous lui avions mâché le travail. […] Comment ne pas tomber, ne pas creuser et s’enfouir soi-même, sans l’aide de personne, d’aucun Dieu, sous cette terre aux abois ? »