Allez, un petit coup de gueule, y avait longtemps. Ce roman jeunesse est celui que pépette n°1, comme tous les futurs élèves de 5ème de son collège, devait lire pendant les vacances. Une bonne idée je trouve cette lecture imposée avec, leur a-t-on précisé en juin, « une évaluation dès la rentrée ». Bonne idée donc mais très mauvais choix d'ouvrage. Je m'explique.
La bibliothécaire est un roman en hommage aux bibliothécaires et aux documentalistes (ce qui est plutôt un bon point). Il met en scène Guillaume, un garçon rêveur à l'imagination foisonnante et au parcours scolaire peu reluisant. Guillaume, donc, suite à un enchaînement d'événements pour le moins improbables que je ne raconterais pas ici, se voit plonger avec son ami Doudou au cœur de quelques œuvres majeures de la littérature française à la recherche d'un mystérieux grimoire. Je dis bien « plongé » car le jeune homme est tout simplement « téléporté » à l'intérieur de ces œuvres. C'est ainsi qu'il va découvrir Alice au pays des merveilles, Poil de Carotte, les poèmes de Rimbaud, Les misérables ou encore Le petit prince. L'idée est sympa mais l'enchaînement des péripéties n'est pas toujours d'une clarté absolue. C'est d'ailleurs parce que pépette a eu du mal à comprendre certains passages qu'elle m'a demandé de lire le texte pour pouvoir lui expliquer. Et c'est bien là que le bât blesse.
Ce roman a besoin de l'accompagnement d'un adulte pour être dompté. Du moins pour une très grande majorité d'enfants. C'est pourquoi les laisser se débrouiller seuls pendant les vacances avec une telle histoire n'est franchement pas l'idée du siècle. Les œuvres citées ne leur parleront pas forcément (combien connaissent Rimbaud et Les misérables à la fin de la 6ème?) et les éléments fantastiques sont parfois trop brouillons pour être bien maîtrisés. Donc je m'interroge.
Au moment de retourner en classe, combien l'auront lu ? Combien auront compris ce qu'ils ont lu ? Combien auront pris plaisir à le lire ? J'ai ma petite idée sur les réponses à ces questions et je trouve que c'est bien dommage. Dommage car je décèle derrière tout cela une certaine facilité de la part des enseignants. La bibliothécaire est paru en 1995. Près de vingt ans. C'est devenu un incontournable du collège, prescrit à tour de bras (l'éditeur annonce un million de lecteurs!). Une valeur sûre pourrait-on dire. Surtout, c'est le bouquin sur lequel on a déjà travaillé cent fois, on le connaît par cœur, pas besoin de se casser la tête. Mais depuis vingt ans, il y en a eu bien d'autres, des romans pour de futurs élèves de 5ème. Originaux, modernes, bien écrits, suffisamment trépidants pour qu'on ne les lâche pas une fois ouverts. Ce qui n'est clairement pas le cas de celui-là.
Loin de moi l'idée de passer pour un donneur de leçon ou de me mettre au-dessus de la mêlée. Je choisis des ouvrages pour des élèves depuis des années et je me suis trompé plus souvent qu'à mon tour. Mais au moins j'essaie en permanence de renouveler les titres que je leur propose, je ne m'appuie pas en permanence sur les références poussiéreuses découvertes pendant la préparation de mon CAPES il y a quinze ans.
Bref, c'était mon petit coup de gueule du jour. Rien de grave, et je suis peut-être à coté de la plaque mais je persiste à croire que le choix de cet ouvrage comme lecture de vacances n'est vraiment pas un bon choix, si tant est que le but des enseignants était d'offrir une lecture plaisir à des enfants peu portés sur cette activité.
La bibliothécaire de Gudule. Le livre de poche jeunesse, 2013. 186 pages. 4,95 euros. A partir de 11 ans.
lundi 1 septembre 2014
samedi 30 août 2014
Debout-payé - Gauz
« Les noirs sont costauds, les
noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur.
Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage
qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs
chargés du recrutement et dans chacun des noirs venus exploiter ces
clichés en sa faveur. » La longue file d'hommes noirs qui
montent les escaliers ce matin-là est venue chercher un job. Ils
seront tous vigiles. Formation minimaliste, aucune expérience
exigée, regard volontairement bienveillant sur les situations
administratives, devenir vigile est le moyen le plus simple de
décrocher un CDI pour les africains de Paris. « Ceux qui déjà
ont une expérience du métier savent ce qui les attend les prochains
jours : rester debout toute la journée dans un magasin, répéter
cet ennuyeux exploit de l'ennui, tous les jours, jusqu'à être payé
à la fin du mois. Debout-payé. »
Gauz raconte dans ce premier roman très
autobiographique l'itinéraire d'Ossiri, étudiant ivoirien sans
papiers devenu vigile dans le Paris des années 90. Il retrace aussi
à travers lui l'histoire d'une communauté et l'évolution de ce
métier particulier depuis la Françafrique jusqu'à l'après 11
septembre. On trouve entre chaque chapitre des interludes, sortes
d'instantanées croqués sur le vif par Gauz lui-même lorsqu'il
travaillait comme vigile dans un magasin de fringues de Bastille puis
dans la plus grande parfumerie des Champs-Élysées. Autant de
réflexions sur la société de consommation ou sur son travail, de
portraits de clients et d'aphorismes particulièrement bien troussés.
Exemples :
« Les jeunes de banlieue à qui
l'on donne le titre abusif et arbitraire de racailles viennent se
parfumer systématiquement au rayon Hugo Boss, ou avec One Million de
Paco Rabanne, une bouteille forme de lingot d'or. Il y a du rêve
dans la symbolique et de la symbolique dans le rêve. »
« Ennui, sentiment d'inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d'imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile. Or, militaire est une forme très exagérée de vigile. »
« Une théorie lie l'altitude relative du coccyx par rapport à l'assise d'un siège et la qualité de la paie. Elle peut être énoncée comme suit : Dans un travail, plus le coccyx est éloignée de l'assise d'une chaise, moins le salaire est important.
Autrement dit, le salaire est inversement proportionnel au temps de station debout. Les fiches de salaire du vigile illustrent cette théorie. »
C'est très bien écrit, c'est drôle,
empreint d'une ironie mordante qui fait mouche. Le regard porté par
Gauz sur sa communauté est aussi tendre que lucide. Cette lucidité
permanente, cette fausse légèreté, cette causticité exempte de
toute méchanceté donnent au récit une atmosphère douce-amère
pleine de sensibilité. Une excellente surprise parmi les nombreux
premiers romans de la rentrée et un auteur à la plume singulière
qui mérite vraiment que l'on s'attarde sur son cas.
Debout-payé de Gauz. Le nouvel Attila,
2014. 172 pages. 17,00 euros.
Un billet qui signe mon entrée dans le challenge tous risques d'Aaliz |
Et une troisième participation au challenge 1% de la rentrée littéraire |
vendredi 29 août 2014
Soie - Allesandro Baricco
A Lavilledieu, en 1861, Hervé Joncour mène une existence paisible. C’est « un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre ». Seul son métier étonne. Car Hervé Joncour achète et vend des vers à soie. Où plutôt des œufs de vers à soie. Pour cela, il doit se rendre dans toute l’Europe mais aussi en Syrie et en Égypte. Seulement, quand une épidémie touche l’ensemble des productions de vers européennes et méditerranéennes, ce drôle de commerçant n’a plus qu’un endroit où aller pour s’approvisionner : le Japon. « Une île faite d’îles », refusant depuis des siècles tout contact avec le continent et l’étranger. Une destination fascinante dont il ne reviendra pas indemne.
Un très beau texte. Raconter une histoire aussi dense avec une telle légèreté et une telle économie de moyens est un tour de force admirable. C’est simple, c’est limpide, je dirais presque « essentiel », tant il n’y a pas un mot de trop dans ce court roman. L’écriture est dépouillée de tout effet trop recherché mais les phrases restent étonnamment musicales (d’ailleurs la qualité du travail de la traductrice est à souligner). Baricco procède par scènes, par séquences. La construction de la narration alterne les phases «d’action » et de « respiration » et le récit coule tout seul, c’est un vrai bonheur de lecture.
Raffinée et élégante, la soie d’Allesandro Baricco a la douceur du miel. Un délice.
Soie d’Allesandro Baricco. Folio, 2001. 142 pages. 6,20 euros.
Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
Un très beau texte. Raconter une histoire aussi dense avec une telle légèreté et une telle économie de moyens est un tour de force admirable. C’est simple, c’est limpide, je dirais presque « essentiel », tant il n’y a pas un mot de trop dans ce court roman. L’écriture est dépouillée de tout effet trop recherché mais les phrases restent étonnamment musicales (d’ailleurs la qualité du travail de la traductrice est à souligner). Baricco procède par scènes, par séquences. La construction de la narration alterne les phases «d’action » et de « respiration » et le récit coule tout seul, c’est un vrai bonheur de lecture.
Raffinée et élégante, la soie d’Allesandro Baricco a la douceur du miel. Un délice.
Soie d’Allesandro Baricco. Folio, 2001. 142 pages. 6,20 euros.
Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
jeudi 28 août 2014
Viva - Patrick Deville
Ce livre n’est pas un roman. C’est plutôt une fiction biographique. Certains qualifient le genre d’exofiction, en opposition à l’autofiction que j’exècre. Pour faire court, dans l’exofiction, le romancier n’est pas que biographe, il ne livre pas uniquement le résultat de ses recherches mais il fait également part au fil du texte de ses réflexions, de ses découvertes, il n’hésite pas à se mettre en scène. Bref, tout ça pour dire que Patrick Deville est un adepte du genre et qu’il maîtrise l’exercice à merveille, comme j’avais déjà pu le constater dans l’excellent Peste et Choléra.
On retrouve dans ce Viva l’auteur et ses fameux carnets en peau de taupe dans lesquels il consigne avec méticulosité le fruit de ses investigations, sur les lieux même où ont vécu les personnages dont il retrace le parcours. Direction le Mexique et l’année 1937. « La dictature somoziste est installée au Nicaragua, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne et le stalinisme en Russie. C’est la guerre d’Espagne, bientôt la déroute des républicains et la victoire du franquisme. » C’est aussi l’année où Trotsky arrive à Mexico, accueilli par Frida Kahlo dans sa maison bleue. L’ancien commissaire du peuple, l’ancien chef de l’armée rouge, qui commandait cinq millions d’hommes, n’est plus qu’un proscrit, poursuivant la fuite éperdue entamée depuis qu’il a pu s’extraire des geôles sibériennes où Staline l’avait fait déporter. Cette même année, Malcolm Lowry et sa femme Jan débarquent du paquebot Penssylvania à Acapulco. « Lowry a vingt-sept ans, un physique de boxeur, les doigts trop courts pour atteindre l’octave au piano comme à l’ukulélé. Il vient de subir une première cure de désintoxication alcoolique. Jamais encore il n’a gagné le moindre rond, et vit de la pension que chaque mois son père lui fait remettre par des comptables obséquieux. » Ce n’est ni un fuyard, ni un proscrit, il a choisi le Mexique parce que les alcools y sont moins chers. Il y trouvera certes le mescal et la tequila qu’il était venu chercher mais aussi et surtout le décor de ce qui restera à jamais son seul et unique chef d’œuvre, Au-dessous du volcan.
Trotsky et Lowry. Le révolutionnaire et le génie littéraire. Ces deux-là ne se rencontreront jamais et le texte suit en parallèle leur destin tragique. Mais pas que. C’est là toute la force de Deville. Son ode à ces deux figures mythiques, qui n’a rien d’un panégyrique pleurnichard, ne s’y limite pas. On croise dans ces pages Frida Kahlo, Diego Rivera, la photographe Tina Modotti, Antonin Artaud, André Breton et bien d’autres. Un tourbillon de noms, de faits, d’anecdotes, de rencontres et de rendez-vous manqués. Chronologies et biographies se bousculent, se télescopent parfois, sans que jamais le lecteur ne perde le fil. Le canevas est tissé tellement serré, avec une telle dextérité, une telle érudition, une telle plume, que l’on ne peut que s’extasier devant une fresque aussi saisissante.
Viva est un hymne à la révolution, à la poésie, à l’art. C’est une plongée vertigineuse au cœur d’une époque où l’idéalisme politique et le culte de la littérature bouillonnaient de concert. Une époque où des hommes et des femmes servaient des causes qu’ils mettaient au-dessus de leur propre existence. Une époque depuis longtemps révolue…
« A l’impossible, chacun de nous est tenu. »
Viva de Patrick Deville. Seuil, 2014. 210 pages. 17,50 euros.
On retrouve dans ce Viva l’auteur et ses fameux carnets en peau de taupe dans lesquels il consigne avec méticulosité le fruit de ses investigations, sur les lieux même où ont vécu les personnages dont il retrace le parcours. Direction le Mexique et l’année 1937. « La dictature somoziste est installée au Nicaragua, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne et le stalinisme en Russie. C’est la guerre d’Espagne, bientôt la déroute des républicains et la victoire du franquisme. » C’est aussi l’année où Trotsky arrive à Mexico, accueilli par Frida Kahlo dans sa maison bleue. L’ancien commissaire du peuple, l’ancien chef de l’armée rouge, qui commandait cinq millions d’hommes, n’est plus qu’un proscrit, poursuivant la fuite éperdue entamée depuis qu’il a pu s’extraire des geôles sibériennes où Staline l’avait fait déporter. Cette même année, Malcolm Lowry et sa femme Jan débarquent du paquebot Penssylvania à Acapulco. « Lowry a vingt-sept ans, un physique de boxeur, les doigts trop courts pour atteindre l’octave au piano comme à l’ukulélé. Il vient de subir une première cure de désintoxication alcoolique. Jamais encore il n’a gagné le moindre rond, et vit de la pension que chaque mois son père lui fait remettre par des comptables obséquieux. » Ce n’est ni un fuyard, ni un proscrit, il a choisi le Mexique parce que les alcools y sont moins chers. Il y trouvera certes le mescal et la tequila qu’il était venu chercher mais aussi et surtout le décor de ce qui restera à jamais son seul et unique chef d’œuvre, Au-dessous du volcan.
Trotsky et Lowry. Le révolutionnaire et le génie littéraire. Ces deux-là ne se rencontreront jamais et le texte suit en parallèle leur destin tragique. Mais pas que. C’est là toute la force de Deville. Son ode à ces deux figures mythiques, qui n’a rien d’un panégyrique pleurnichard, ne s’y limite pas. On croise dans ces pages Frida Kahlo, Diego Rivera, la photographe Tina Modotti, Antonin Artaud, André Breton et bien d’autres. Un tourbillon de noms, de faits, d’anecdotes, de rencontres et de rendez-vous manqués. Chronologies et biographies se bousculent, se télescopent parfois, sans que jamais le lecteur ne perde le fil. Le canevas est tissé tellement serré, avec une telle dextérité, une telle érudition, une telle plume, que l’on ne peut que s’extasier devant une fresque aussi saisissante.
Viva est un hymne à la révolution, à la poésie, à l’art. C’est une plongée vertigineuse au cœur d’une époque où l’idéalisme politique et le culte de la littérature bouillonnaient de concert. Une époque où des hommes et des femmes servaient des causes qu’ils mettaient au-dessus de leur propre existence. Une époque depuis longtemps révolue…
« A l’impossible, chacun de nous est tenu. »
Viva de Patrick Deville. Seuil, 2014. 210 pages. 17,50 euros.
Et une seconde participation au challenge 1% de la rentrée littéraire |
mercredi 27 août 2014
Rouge Karma - Gomont et Simon
Enceinte jusqu’aux yeux, Adélaïde se rend en Inde pour retrouver son compagnon Matthieu dont elle est sans nouvelles. Spécialiste du cryptage informatique, engagé par une multinationale aux activités obscures, le futur père de son enfant a semble-t-il découvert des informations ultra-sensibles avant de disparaître sans laisser de trace. Arrivée à Calcutta, Adelaïde, aidée d’Imran, un sympathique et débrouillard chauffeur de taxi, se lance dans une enquête dont elle ne soupçonne pas la complexité…
Un one shot qui propose un superbe voyage dans l’Inde d’aujourd’hui. L’enquête pointe du doigt le délicat problème de l’approvisionnement en eau et les innombrables tensions avec le Bangladesh voisin, mais le lecteur se laisse avant tout emporter par le rythme effréné et les nombreuses péripéties que doit affronter Adélaïde.
Et le plaisir est surtout visuel, tant les aquarelles chaleureuses et évocatrices de Pierre-Henry Gomont parviennent à restituer le grouillement plein de vie de Calcutta. Un énorme travail sur la lumière magnifie chaque planche et le contraste entre les ambiances diurnes (où les couleurs terre de sienne dominent) et nocturnes (où on passe à du verdâtre au rose crépusculaire) est parfaitement rendu.
Dépaysement garanti, donc. Sans compter que la pugnace Adélaïde et son ange gardien Imran, à la bienveillance permanente, sont des personnages attachants en diable. Un vrai plaisir de lecture pour une BD intelligemment construite et magistralement illustrée, que demander de plus ? Un grand merci à Moka et à son billet tentateur qui m’ont poussé vers cette bien jolie découverte.
Rouge Karma de Gomont et Simon. Sarbacane, 2014. 120 pages. 22,00 euros
L'avis de L'ivresse des mots
Un one shot qui propose un superbe voyage dans l’Inde d’aujourd’hui. L’enquête pointe du doigt le délicat problème de l’approvisionnement en eau et les innombrables tensions avec le Bangladesh voisin, mais le lecteur se laisse avant tout emporter par le rythme effréné et les nombreuses péripéties que doit affronter Adélaïde.
Et le plaisir est surtout visuel, tant les aquarelles chaleureuses et évocatrices de Pierre-Henry Gomont parviennent à restituer le grouillement plein de vie de Calcutta. Un énorme travail sur la lumière magnifie chaque planche et le contraste entre les ambiances diurnes (où les couleurs terre de sienne dominent) et nocturnes (où on passe à du verdâtre au rose crépusculaire) est parfaitement rendu.
Dépaysement garanti, donc. Sans compter que la pugnace Adélaïde et son ange gardien Imran, à la bienveillance permanente, sont des personnages attachants en diable. Un vrai plaisir de lecture pour une BD intelligemment construite et magistralement illustrée, que demander de plus ? Un grand merci à Moka et à son billet tentateur qui m’ont poussé vers cette bien jolie découverte.
Rouge Karma de Gomont et Simon. Sarbacane, 2014. 120 pages. 22,00 euros
L'avis de L'ivresse des mots
mardi 26 août 2014
La bulle des secrets - Sophie Bénastre
L’histoire d’une rencontre. Celle de Polo et de Pierre-Yves.
Le premier est un ado fugueur ne supportant plus son beau-père. Le second, un
retraité un poil misanthrope à la vie réglée comme du papier à musique. La rencontre
a lieu le jour où Polo s’installe par effraction dans le salon de Pierre-Yves
et se menotte à son radiateur pour être sûr que le vieil homme ne le ramènera
pas chez lui. Vous imaginez bien que leur relation ne part pas sous les meilleurs auspices…
J’avoue être entré dans ce petit roman sur la pointe des pieds. Un ado et un papy réunis de façon pour le moins inattendue et qui entament un dialogue ne semblant mener à rien de concret tant chacun campe sur ses positions, mouais... Le gamin en crise et le retraité solitaire séparés par un abîme d’incompréhension, mouais…
Franchement, je me suis dit après trois chapitres, tout ça pour ça,
voila qui ne va pas nous mener bien loin.
J’étais donc inquiet parce que pour avoir beaucoup aimé le premier livre de Sophie Bénastre, j’ai pensé bêtement qu’elle avait raté la marche si difficile du second roman. Comme quoi il importe de ne pas juger un texte sur ses premières pages. En effet, plus leurs échanges avancent et plus chacun se confie à l’autre. Enfermés dans ce qu’ils qualifient eux-mêmes de « bulle des secrets », Polo et Pierre-Yves vident leur sac. Les personnalités perdent alors peu à peu leur coté lisse et se dévoilent sans fard, quitte à bousculer…
Voila un auteur qui a l’art d’installer un huis clos, de mettre en place un ping-pong verbal qui coule naturellement en respectant les registres de langue de chaque protagoniste. Elle sait aussi révéler les fêlures intimes par petites touches pour arriver à une évidence : ces-deux-là ont bien plus de points communs qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Je pourrais aussi vous parler de la question du père, qui est quand même le sujet central de ce texte il me semble, mais je ne veux pas trop en révéler.
Je ressors donc sous le charme de cette courte et efficace confrontation générationnelle. L’essai est transformé et comme dit le proverbe, jamais deux sans trois donc j’attends avec sérénité le prochain titre que Sophie Bénastre voudra bien nous offrir.
La bulle des secrets de Sophie Bénastre. Oskar, 2014. 82
pages. 9,95 euros. A partir de 11 ans.
Ma lecture jeunesse du mardi avec Noukette. Où le plaisir de retrouver les bonnes habitudes...
L'avis de Manika
L'avis de Manika
lundi 25 août 2014
Maine - J. Courtney Sullivan
Maine raconte l'histoire de quatre femmes de la côte Est. Quatre femmes de la même famille. Alice, la mère, 83 ans, atrabilaire et revêche, qui vit seule dans le cottage en bord de mer que son mari aujourd'hui décédé a construit il y a des décennies. Kathleen, sa fille, ex-alcoolique partie en Californie où elle élève des vers de terre avec son conjoint hippie. Maggie, sa petite fille (la fille de Kathleen), new-yorkaise en début de grossesse abandonnée par son compagnon photographe et coureur. Et enfin Anne-Marie, sa belle-fille, femme au foyer modèle (quoique), adepte du country club et des soirées caritatives. Quatre femmes se retrouvant au cours d'un été où leur existence pourrait basculer.
Une histoire de femmes où les caractères sont bien campés et les interactions parfaitement menées. On n'est certes pas loin de la caricature mais si le trait est parfois grossier, l'ensemble tient parfaitement la route. Parce qu'elles sont d'âge et de statuts sociaux différents, ces quatre-là représentent en quelque sorte l'évolution de la condition féminine aux États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Je dis bien en quelque sorte, ce roman n'ayant rien d'une étude sociologique. D'ailleurs, au-delà de cet aspect, c'est surtout l'image de la famille qui m'a intéressé. J. Courtney Sullivan retranscrit à merveille les rancœurs, les non-dits, les traumatismes d'enfance qui perdurent à l'âge adulte, les secrets enfouis qui ressurgissent, les apparences trompeuses que l'on affiche devant nos proches pour éviter tout conflit. Et puis elle sait aussi donner le petit coup d'ongle qui fait sauter le vernis et révèle les choses telles qu'elles sont vraiment. Forcément, ce n'est pas joli-joli mais c'est tout ce qui fait le sel de son récit.
Quelques bémols ? L'écriture est simple et sans charme. La fin m'a beaucoup déçu puisqu'en dehors de Kathleen, pour qui la boucle semble bouclée, on laisse les trois autres en plan à des moments particulièrement importants de leur vie. Mais pour le reste, j'ai dévoré ces 450 pages avec gourmandise. Un sujet pourtant très éloigné de mes habituelles préoccupations. Je peux même avouer que je me réjouissais avant coup de passer à la moulinette une histoire 100% féminine dont mon instinct de mâle allait pouvoir faire du petit bois. Comme quoi, il est bon parfois de faire voler en éclat ses préjugés de lecteur...
Maine de J. Courtney Sullivan. Rue Fromentin, 2013. 450 pages. 22,00 euros.
Et un grand merci à Philisine qui a eu la gentillesse de faire voyager ce livre jusqu'à moi. Je l'ai séquestré bien trop longtemps et je m'en excuse mais je suis prêt à lui faire poursuivre sa route dès que tu m'auras donné le nom de son futur destinataire.
Une histoire de femmes où les caractères sont bien campés et les interactions parfaitement menées. On n'est certes pas loin de la caricature mais si le trait est parfois grossier, l'ensemble tient parfaitement la route. Parce qu'elles sont d'âge et de statuts sociaux différents, ces quatre-là représentent en quelque sorte l'évolution de la condition féminine aux États-Unis depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Je dis bien en quelque sorte, ce roman n'ayant rien d'une étude sociologique. D'ailleurs, au-delà de cet aspect, c'est surtout l'image de la famille qui m'a intéressé. J. Courtney Sullivan retranscrit à merveille les rancœurs, les non-dits, les traumatismes d'enfance qui perdurent à l'âge adulte, les secrets enfouis qui ressurgissent, les apparences trompeuses que l'on affiche devant nos proches pour éviter tout conflit. Et puis elle sait aussi donner le petit coup d'ongle qui fait sauter le vernis et révèle les choses telles qu'elles sont vraiment. Forcément, ce n'est pas joli-joli mais c'est tout ce qui fait le sel de son récit.
Quelques bémols ? L'écriture est simple et sans charme. La fin m'a beaucoup déçu puisqu'en dehors de Kathleen, pour qui la boucle semble bouclée, on laisse les trois autres en plan à des moments particulièrement importants de leur vie. Mais pour le reste, j'ai dévoré ces 450 pages avec gourmandise. Un sujet pourtant très éloigné de mes habituelles préoccupations. Je peux même avouer que je me réjouissais avant coup de passer à la moulinette une histoire 100% féminine dont mon instinct de mâle allait pouvoir faire du petit bois. Comme quoi, il est bon parfois de faire voler en éclat ses préjugés de lecteur...
Maine de J. Courtney Sullivan. Rue Fromentin, 2013. 450 pages. 22,00 euros.
Et un grand merci à Philisine qui a eu la gentillesse de faire voyager ce livre jusqu'à moi. Je l'ai séquestré bien trop longtemps et je m'en excuse mais je suis prêt à lui faire poursuivre sa route dès que tu m'auras donné le nom de son futur destinataire.
vendredi 22 août 2014
Au-dessous du volcan - Malcolm Lowry
Je ne sais pas si, comme moi, vous avez l’habitude de sauter les avant-propos, préfaces et autre postfaces avant de vous lancer dans un roman mais, pour le coup, je vous conseille de ne pas faire l’impasse sur celles qui ont accompagné la publication d’Au-dessous du volcan en France à la fin des années 50 et que l’on retrouve dans cette version chez Folio. Vous y trouverez les clés indispensables pour bien comprendre la substantifique moelle de ce texte que Paul Morelle n’a pas hésité à qualifier dans Le Monde de « chef d’œuvre comme il n’en existe pas dix par siècle ».
C’est un fait, Au-dessous du volcan n’est pas simple d’accès. Il demande de l’attention, il vous pousse dans vos derniers retranchements de lecteur. Le premier chapitre, d’une centaine de pages, est déstabilisant, presque inintelligible. Il se dresse comme un mur qu’il vous faudra contourner pour accéder à ce monument de la littérature, rien de moins. L’histoire est pourtant simplissime. Un homme, consul britannique déchu, échoué dans un coin perdu du Mexique, noie son mal-être dans la tequila et le mescal. Douze chapitres retraçant ses douze dernières heures, sa chute vertigineuse et inéluctable. Yvonne, sa femme, qui l’a quitté, qui revient, qui l’aime et qu’il aime, ne pourra que constater les dégâts, impuissante. Dans l’avant-propos, Maurice Nadeau parle de l’histoire d’amour du consul et d’Yvonne comme d’une « des plus belles et des plus poignantes qu’on ait jamais lues. »
Mais Au-dessous du volcan ne se résume pas à une magnifique histoire d’amour impossible. C’est « le roman d’un alcoolique qui, avec une lucidité effrayante et une suprême maîtrise de moyens, décrit tous les symptômes de sa maladie et lui trouve ses véritables causes, qui ne sont pas du ressort de la médecine » (Nadeau, encore). Car le consul est malade de l’âme, incapable d’aimer, incapable de communier avec l’autre. On assiste au spectacle de son dérèglement, à sa volonté délirante de dépasser l’ivresse pour accéder à l’absolu. Et le consul de finir abattu par des policiers fascistes à la sortie d’une gargote. Il bascule dans un ravin, mort. Quelqu’un jette auprès de lui le cadavre d’un chien.
Dis comme ça, ça fait ne fait pas très envie, je le concède. Mais ce roman est proprement fascinant. Sa construction, son exigence, son style inclassable en font un texte à part, essentiel, et je me répète, un monument de la littérature.
Extraits :
« Ne te reste-t-il donc plus de tendresse ou d’amour pour moi ? demanda soudain Yvonne, presque piteusement en se tournant vers lui, et il pensa : Si, je t’aime, et il me reste pour toi tout l’amour du monde, mais cet amour me paraît si loin de moi, et si étrange aussi, je pourrais prétendre l’entendre, un bruit sourd et un sanglot, mais loin, très loin, un son triste, perdu, et qu’il s’approche ou s’éloigne, je ne saurais le dire. »
« Le consul, suçant une tranche de citron, sentit le feu de la tequila courir le long de sa colonne vertébrale comme la foudre frappant un arbre qui ensuite, par miracle, fleurit. »
« Il pria : Je vous en prie, accordez à Yvonne son rêve d’une vie nouvelle avec moi – je vous en prie, laissez-moi croire que tout cela n’est pas une abominable duperie de moi-même – je vous en prie, laissez-moi la rendre heureuse, délivrez-moi de cette effrayante tyrannie de moi. Je suis tombé bas. Faites-moi tomber encore plus bas, que je puisse connaître la vérité. Apprenez-moi à aimer de nouveau, à aimer la vie. »
Yvonne, s’adressant au consul : « Est-ce trop tard ? Je veux des enfants de toi pour bientôt, pour tout de suite, je les veux. Je veux sentir ta vie m’emplir et m’agiter. Je veux ton bonheur sous mon sein et tes peines dans mes yeux et ta paix entre les doigts de ma main. […] Tu marches au bord d’un gouffre et je ne puis te suivre. Si nous pouvions sortir de notre misère, nous chercher une fois encore, et retrouver la consolation de nos lèvres et de nos yeux. Qui s’interposera ? Qui peut s’opposer. »
Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry. Folio, 2012. 636 pages. 9,40 euros.
C’est un fait, Au-dessous du volcan n’est pas simple d’accès. Il demande de l’attention, il vous pousse dans vos derniers retranchements de lecteur. Le premier chapitre, d’une centaine de pages, est déstabilisant, presque inintelligible. Il se dresse comme un mur qu’il vous faudra contourner pour accéder à ce monument de la littérature, rien de moins. L’histoire est pourtant simplissime. Un homme, consul britannique déchu, échoué dans un coin perdu du Mexique, noie son mal-être dans la tequila et le mescal. Douze chapitres retraçant ses douze dernières heures, sa chute vertigineuse et inéluctable. Yvonne, sa femme, qui l’a quitté, qui revient, qui l’aime et qu’il aime, ne pourra que constater les dégâts, impuissante. Dans l’avant-propos, Maurice Nadeau parle de l’histoire d’amour du consul et d’Yvonne comme d’une « des plus belles et des plus poignantes qu’on ait jamais lues. »
Mais Au-dessous du volcan ne se résume pas à une magnifique histoire d’amour impossible. C’est « le roman d’un alcoolique qui, avec une lucidité effrayante et une suprême maîtrise de moyens, décrit tous les symptômes de sa maladie et lui trouve ses véritables causes, qui ne sont pas du ressort de la médecine » (Nadeau, encore). Car le consul est malade de l’âme, incapable d’aimer, incapable de communier avec l’autre. On assiste au spectacle de son dérèglement, à sa volonté délirante de dépasser l’ivresse pour accéder à l’absolu. Et le consul de finir abattu par des policiers fascistes à la sortie d’une gargote. Il bascule dans un ravin, mort. Quelqu’un jette auprès de lui le cadavre d’un chien.
Dis comme ça, ça fait ne fait pas très envie, je le concède. Mais ce roman est proprement fascinant. Sa construction, son exigence, son style inclassable en font un texte à part, essentiel, et je me répète, un monument de la littérature.
Extraits :
« Ne te reste-t-il donc plus de tendresse ou d’amour pour moi ? demanda soudain Yvonne, presque piteusement en se tournant vers lui, et il pensa : Si, je t’aime, et il me reste pour toi tout l’amour du monde, mais cet amour me paraît si loin de moi, et si étrange aussi, je pourrais prétendre l’entendre, un bruit sourd et un sanglot, mais loin, très loin, un son triste, perdu, et qu’il s’approche ou s’éloigne, je ne saurais le dire. »
« Le consul, suçant une tranche de citron, sentit le feu de la tequila courir le long de sa colonne vertébrale comme la foudre frappant un arbre qui ensuite, par miracle, fleurit. »
« Il pria : Je vous en prie, accordez à Yvonne son rêve d’une vie nouvelle avec moi – je vous en prie, laissez-moi croire que tout cela n’est pas une abominable duperie de moi-même – je vous en prie, laissez-moi la rendre heureuse, délivrez-moi de cette effrayante tyrannie de moi. Je suis tombé bas. Faites-moi tomber encore plus bas, que je puisse connaître la vérité. Apprenez-moi à aimer de nouveau, à aimer la vie. »
Yvonne, s’adressant au consul : « Est-ce trop tard ? Je veux des enfants de toi pour bientôt, pour tout de suite, je les veux. Je veux sentir ta vie m’emplir et m’agiter. Je veux ton bonheur sous mon sein et tes peines dans mes yeux et ta paix entre les doigts de ma main. […] Tu marches au bord d’un gouffre et je ne puis te suivre. Si nous pouvions sortir de notre misère, nous chercher une fois encore, et retrouver la consolation de nos lèvres et de nos yeux. Qui s’interposera ? Qui peut s’opposer. »
Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry. Folio, 2012. 636 pages. 9,40 euros.
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jeudi 21 août 2014
Enon - Paul Harding
"La plupart des hommes de ma famille font de leurs épouses des veuves, et de leurs enfants des orphelins. Je suis l'exception. Ma fille unique, Kate, est morte renversée par une voiture alors qu'elle rentrait de la plage à bicyclette, un après-midi de septembre, il y a un an. Elle avait 13 ans. Ma femme Susan et moi nous sommes séparés peu de temps après".
Les six premières lignes du texte. Tout est dit. Charlie a perdu sa fille unique. Charlie a perdu sa femme. Charlie a perdu pied. Totalement.
Attaquer la rentrée littéraire avec un sujet aussi plombant à de quoi vous mettre le moral dans les chaussettes. Un père détruit par une tragédie personnelle impossible à surmonter, un père qui sombre dans l’alcool, la drogue et qui rôde la nuit venue près de la tombe de son enfant, il faut reconnaître que ce n’est pas joyeux-joyeux. Mais personnellement j’aime bien. Je suis dans ma zone de confort avec les personnages à la marge, les solitaires misanthropes, les histoires sombres, très sombres.
Bon j’avoue, le Charlie, on a souvent envie de lui botter le cul, de lui dire qu’il n’est pas le premier à qui ça arrive et qu’il ne sera malheureusement pas le dernier. On a aussi envie de lui dire que c’est un peu facile de se laisser couler de la sorte plutôt que d’affronter la réalité en face. Mais ce que j’aime chez Paul Harding c’est qu’il ne saute pas à la gorge de son lecteur en hurlant « regarde et pleure ! » comme tant d’autres savent si bien le faire. Il dessine l’indicible par petites touches, il bifurque, il vagabonde sur des chemins de traverse, perd le fil de son récit pour plonger dans les souvenirs d’enfance de son personnage ou exposer l’histoire de la ville d’Enon et sa toponymie. Et sans crier gare il revient au quotidien de Charlie et nous immerge à nouveau dans son terrible voyage aux confins de la déchéance et de la folie. J’adore ce choix narratif plein de liberté, une manière de dire au lecteur « qui m’aime me suive, et tant pis si j’en perds en route ». Et puis il peut se le permettre parce qu’il écrit magnifiquement bien. Il y a dans ce texte des passages absolument somptueux :
« Comprendre que mon chagrin était infinitésimal, comparé à la somme de l’univers, ne m’empêchait pas d’en être dévasté. Je savais bien que mon tourment était présomptueux, une manière fallacieuse de prétendre à la tragédie absolue. Si je ne cessais de clamer que j’étais trop faible pour supporter la mort de ma fille, cela ne signifiait-il pas justement que j’en avais la force en réalité ? […]Ma peine n’aurait-elle pas été plus intense si Kate n’avait jamais existé ? Beaucoup plus intense ? N’était-il pas vrai que sa brève et joyeuse existence était la plus grande joie de la mienne ? La joie de ces treize années ne constituait-elle pas un royaume à part entière, dont le chagrin assiégeait à présent les murailles, certes, mais sans parvenir à les abattre ? Voila ce que je me disais. La joie de ces treize années possédait une intégrité en propre, au sein de laquelle Kate continuait d’exister. Les souffrances entraînées par sa propre mort ne pouvaient l’atteindre. »
Ou encore :
« J’étais affamé de mon enfant et venais me repaître dans le cimetière, dans l’espoir qu’elle me rejoigne, à mi-chemin de nos deux mondes, ou juste au-delà, ne fût-ce qu’une nuit, ne fût-ce que pour un instant – qu’elle se dresse de nouveau, debout sur ses pieds nus, et foule l’herbe humide ou les feuilles mortes ou la terre enneigée de l’Enon vivant afin que nous puissions échanger elle et moi ne fût-ce qu’un seul, un dernier mot humain. »
Un roman d’une beauté tragique, un roman anti « feel good » par excellence. Tout ce que j’aime, quoi.
J’ai voulu entraîner Noukette dans cette première lecture de la rentrée. Pas sûr que ma binômette préférée ait autant apprécié le voyage à Enon que moi…
Enon de Paul Harding. Le cherche midi, 2014. 288 pages. 17,50 euros.
Les six premières lignes du texte. Tout est dit. Charlie a perdu sa fille unique. Charlie a perdu sa femme. Charlie a perdu pied. Totalement.
Attaquer la rentrée littéraire avec un sujet aussi plombant à de quoi vous mettre le moral dans les chaussettes. Un père détruit par une tragédie personnelle impossible à surmonter, un père qui sombre dans l’alcool, la drogue et qui rôde la nuit venue près de la tombe de son enfant, il faut reconnaître que ce n’est pas joyeux-joyeux. Mais personnellement j’aime bien. Je suis dans ma zone de confort avec les personnages à la marge, les solitaires misanthropes, les histoires sombres, très sombres.
Bon j’avoue, le Charlie, on a souvent envie de lui botter le cul, de lui dire qu’il n’est pas le premier à qui ça arrive et qu’il ne sera malheureusement pas le dernier. On a aussi envie de lui dire que c’est un peu facile de se laisser couler de la sorte plutôt que d’affronter la réalité en face. Mais ce que j’aime chez Paul Harding c’est qu’il ne saute pas à la gorge de son lecteur en hurlant « regarde et pleure ! » comme tant d’autres savent si bien le faire. Il dessine l’indicible par petites touches, il bifurque, il vagabonde sur des chemins de traverse, perd le fil de son récit pour plonger dans les souvenirs d’enfance de son personnage ou exposer l’histoire de la ville d’Enon et sa toponymie. Et sans crier gare il revient au quotidien de Charlie et nous immerge à nouveau dans son terrible voyage aux confins de la déchéance et de la folie. J’adore ce choix narratif plein de liberté, une manière de dire au lecteur « qui m’aime me suive, et tant pis si j’en perds en route ». Et puis il peut se le permettre parce qu’il écrit magnifiquement bien. Il y a dans ce texte des passages absolument somptueux :
« Comprendre que mon chagrin était infinitésimal, comparé à la somme de l’univers, ne m’empêchait pas d’en être dévasté. Je savais bien que mon tourment était présomptueux, une manière fallacieuse de prétendre à la tragédie absolue. Si je ne cessais de clamer que j’étais trop faible pour supporter la mort de ma fille, cela ne signifiait-il pas justement que j’en avais la force en réalité ? […]Ma peine n’aurait-elle pas été plus intense si Kate n’avait jamais existé ? Beaucoup plus intense ? N’était-il pas vrai que sa brève et joyeuse existence était la plus grande joie de la mienne ? La joie de ces treize années ne constituait-elle pas un royaume à part entière, dont le chagrin assiégeait à présent les murailles, certes, mais sans parvenir à les abattre ? Voila ce que je me disais. La joie de ces treize années possédait une intégrité en propre, au sein de laquelle Kate continuait d’exister. Les souffrances entraînées par sa propre mort ne pouvaient l’atteindre. »
Ou encore :
« J’étais affamé de mon enfant et venais me repaître dans le cimetière, dans l’espoir qu’elle me rejoigne, à mi-chemin de nos deux mondes, ou juste au-delà, ne fût-ce qu’une nuit, ne fût-ce que pour un instant – qu’elle se dresse de nouveau, debout sur ses pieds nus, et foule l’herbe humide ou les feuilles mortes ou la terre enneigée de l’Enon vivant afin que nous puissions échanger elle et moi ne fût-ce qu’un seul, un dernier mot humain. »
Un roman d’une beauté tragique, un roman anti « feel good » par excellence. Tout ce que j’aime, quoi.
J’ai voulu entraîner Noukette dans cette première lecture de la rentrée. Pas sûr que ma binômette préférée ait autant apprécié le voyage à Enon que moi…
Enon de Paul Harding. Le cherche midi, 2014. 288 pages. 17,50 euros.
mercredi 20 août 2014
Fairest T1 : Le grand réveil - Willingham, Gimenez et Sturges
Après une succession de déceptions livresques, j’ai voulu revenir vers une valeur sûre pour me remettre sur les rails. Rien de mieux que la BD, rien de mieux qu’un comics, qu’un spin off d’une série que j’adore (Fables) pour retrouver un vrai plaisir de lecture. Du moins c’est ce que je pensais avant d’attaquer ce Fairest. Parce qu’après coup, je n’ai qu’une chose à dire : encore raté !
Pourtant le pitch avait tout pour me plaire : Ali Baba réveillant la Belle au bois dormant d’un baiser langoureux et la sauvant des griffes d’une horde de gobelins aidé par un odieux génie sorti d’une bouteille, avouez que ça donne envie. Faire en sorte, en plus, que le prince des voleurs, devenu prince charmant, se trompe dans un premier temps et emballe la Reine des neiges avant sa dulcinée, fallait oser. Ça démarrait donc drôlement bien, juste barré comme j’aime. Mais patatras, sur la distance, ça n’a malheureusement pas tenu la route.
Le scénariste Bill Willigham a créé avec Fables une œuvre dense, originale et particulièrement riche. A tel point qu’il peut se permettre de sortir certains personnages de la série-mère pour leur offrir leur propre histoire (il l’avait déjà fait avec Jack – celui du haricot magique – au fil des six tomes de Jack of the Fables »). Une façon comme une autre d’exploiter le filon mais pour le lecteur, il y a un vrai risque de perte d’intérêt et de dispersion. C’est du moins ce que j’ai ressenti ici. Les mésaventures d’Ali et de ses femmes relèvent franchement de l’anecdotique et si les dialogues sont souvent drôles, les péripéties pour le moins abracadabrantesques ont failli m’arracher quelques bâillements, c’est dire.
Encore raté, donc. Mais je ne baisse pas les bras, je vais bien finir par trouver chaussure à mon pied.
Fairest T1 : Le grand réveil de Willingham, Gimenez et Sturges. Urban Comics 2014. 155 pages. 15 euros.
Pourtant le pitch avait tout pour me plaire : Ali Baba réveillant la Belle au bois dormant d’un baiser langoureux et la sauvant des griffes d’une horde de gobelins aidé par un odieux génie sorti d’une bouteille, avouez que ça donne envie. Faire en sorte, en plus, que le prince des voleurs, devenu prince charmant, se trompe dans un premier temps et emballe la Reine des neiges avant sa dulcinée, fallait oser. Ça démarrait donc drôlement bien, juste barré comme j’aime. Mais patatras, sur la distance, ça n’a malheureusement pas tenu la route.
Encore raté, donc. Mais je ne baisse pas les bras, je vais bien finir par trouver chaussure à mon pied.
Fairest T1 : Le grand réveil de Willingham, Gimenez et Sturges. Urban Comics 2014. 155 pages. 15 euros.
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