Hilarant et affligeant. Édifiant et effrayant. Ce roman graphique inspiré de la propre expérience d’éboueur de Derf Backderf est l’occasion pour lui de dénoncer avec force humour à la fois la surconsommation et le j’menfoutisme total de ses congénères dans la gestion de leurs déchets. Au fil de leurs tournées J.B et son copain Mike accumulent les déconvenues. Sacs surchargés qui se déchirent dès qu’on les soulève, poubelles infestées de vers et de mouches, encombrants laissés au bord de la route en dehors des jours de ramassage, animaux écrasés à décoller du bitume avec une pelle avant de les jeter dans la benne du camion, chaque nouvel arrêt est source de désagrément et d’écœurement. Sans compter les aléas climatiques et les agissements d’habitants toujours prompts à dénoncer un ramassage bâclé ou à profiter de leurs relations dans les hautes sphères municipales pour obtenir des passe-droits et compliquer la tâche des éboueurs.
C’est drôle et effarant mais pas seulement. J.B et Mike développent une rancœur tenace. Ils ont sur le dos un chef zélé qui ne les lâche pas d’une semelle. Trop crevés pour sortir le soir, puants comme des rats morts même après une douche prolongée, ils voient leur vie sociale disparaître sous l'amoncellement des ordures et en viennent à détester tous les habitants de leur bled, au point de se venger à leur façon, sans finesse mais avec une redoutable efficacité.
Au-delà du portrait décapant de J.B et de sa « vie de merde », comme il la qualifie lui-même, Derf Backderf interroge le rapport de l’américain moyen (voire en dessous de la moyenne) avec son mode de vie consumériste tout en dénonçant sa totale absence de réflexion sur son impact environnemental. Sous le vernis de la chronique déjantée affleure donc une prise de position engagée doublée d’une dimension pédagogique assumée, notamment dans les notes de conclusion où l’auteur offre des explications aussi sérieuses que documentées sur le traitement des déchets aux États-Unis. Une lecture évidemment peu ragoûtante mais qui se révèle au final distrayante et instructive.
Trashed de Derf Backderf (traduit de l’anglais par Philippe Touboul). Ça et Là, 2015. 240 pages. 22,00 euros.