«
Ils détruiront Paris plutôt que de laisser la ville au peuple. Et ils détruiront le peuple pour reprendre la ville. »
Paris, mai 1871. Les versaillais s’apprêtent à donner l’assaut. 60 000 soldats, des armes et des minutions à n’en plus finir. En face d’eux 10 000 communards désorganisés, à bout de souffle, manquant de tout, sans véritable chef. Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Des ouvriers, des médecins, des ivrognes, des rêveurs, des salauds, des altruistes, des opportunistes. Ils attendent la marée en sachant qu’ils ne pourront la retenir, qu’ils vont être submergés. Et pendant ce temps, dans les rues, des femmes disparaissent, enlevées par un monstre à la gueule cassée. Le commissaire Roques, chargé de l’enquête, va tenter par tous les moyens de mener sa tâche à bien, pendant que la ville s’écroule.
Ce n’est pas la première fois qu’un auteur imagine les agissements d’un criminel en temps de guerre (la BD
Notre mère la guerre par exemple fonctionne sur le même principe). Si le procédé n’est pas nouveau, Hervé le Corre l’utilise pour mener une réflexion plus large sur le bien, le mal et la complexité de la nature humaine. Il ne pouvait trouver un meilleur décor que le Paris agonisant de la semaine sanglante. Pendant dix jours, du 18 au 28 mai, il nous entraîne sur les pas du commissaire, du kidnappeur et de son complice, des femmes enlevées et séquestrées dans une cave, mais aussi de communards prêts à défendre la moindre barricade, d’infirmières débordées par l’afflux de blessés ou de parisiens terrés dans leurs appartements.
Un roman à l'ambiance étouffante qui montre à hauteur d’hommes le climat d’insurrection, la chienlit, le désordre des troupes. Le chaos est partout, les rêves d’utopie ne seront bientôt plus que poussière. Et Hervé Le Corre excelle à décrire le bruit du canon, les immeubles qui s’effondrent, les incendies, les ruines, les gravats, le verre brisé sous les semelles. Il n’épargne pas les combattants aux membres arrachés, aux têtes pulvérisées par un éclat d’obus, aux tripes étalées par la mitraille. C’est incroyablement intense et réaliste, même si les descriptions deviennent par moment un peu répétitives.
On sent chez le romancier une évidente tendresse pour les communards mais son regard n’a rien de l’optimisme lyrique d’un Jean Vautrin par exemple (
Le cri du peuple). Son ton est bien plus mélancolique. Certains insurgés continuent de croire au grand rêve de la liberté guidant le peuple mais chez la plupart c’est la lucidité qui l’emporte. Plus les jours passent et plus se renforce la certitude qu’il n’y aura pas de lendemains qui chantent. Qu’il n’y aura pas de lendemains du tout. Et pourtant ils restent debout face à l’ennemi. Ils font ce qu’ils ont à faire. «
Ce qu’ils croient non pas raisonnable, mais juste. Ils savent l’issue. Ils connaissent la fin. » Tout est dit. C'est sombre et désenchanté comme j’aime.
Dans l’ombre du brasier d’Hervé Le Corre. Rivages, 2019.
492 pages. 22,50 euros.