Un vétéran d’Irak revenu au pays défiguré tombe en panne dans un bled paumé. Au troquet du coin, il assiste à une dispute entre un couple. Après avoir dérouillé le mari violent, l’ex-soldat repart avec la femme. Pas forcément l’idée du siècle, pour l’un comme pour l’autre, vu la façon dont les choses vont se dérouler par la suite…
C’est un fait, il n’est pas bon d’enchaîner deux lectures très, très sombres dans la même semaine. D’abord pour le moral. Avec l’actualité et la météo déprimantes en plus, ça plombe sérieusement. Ensuite parce qu’on ne peut pas s’empêcher de comparer. Et pour le coup, Corrosion ne sort pas gagnant de sa confrontation face à Un homme à terre. Le problème de Corrosion, c’est la folie. Le personnage est cinglé, sa démence permet tous les comportements déviants sans justification (à part peut-être un rapport à la mère et par extension un rapport aux femmes des plus compliqués). C’est facile je trouve. Dans Un homme à terre, les dérapages répondent à des situations tangibles, des urgences vitales, un désespoir lié à des choix extrêmement concrets à faire, ou pas. On dépiaute la nature humaine jusqu’à l’os, sans jugement mais en restant dans le rationnel. Et clairement, je préfère.
Après, Corrosion est un vrai bon roman noir à l’ambiance pesante et à la construction tout sauf linéaire. Mais sa lecture ne m’a pas procuré beaucoup de sensations. Pas forcément de l’ennui mais quelque chose ressemblant à de l’indifférence, ce qui est limite pire. Le parcours du narrateur ne m’a pas passionné, c’est le moins qu’on puisse dire. Et puis l’écriture manque un peu de caractère, de relief. Pas une déception à proprement parler mais je m’attendais à mieux. Et maintenant, pour me remettre de mes émotions après ces deux romans éprouvants, il va me falloir des textes dégoulinant de sucre et de guimauve, plein d’arc-en-ciel et de licornes pailletées. Le problème, c’est que je n’ai pas ça en stock...
Corrosion de Jon Bassoff. Gallmeister, 2016. 230 pages. 17,20 euros.
vendredi 4 mars 2016
mercredi 2 mars 2016
Le maître des crocodiles - Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx
1984. Léo, documentariste et militant écologiste, débarque dans un archipel d’Indonésie avec son ami Bernard et sa compagne Isabelle qui attend leur premier enfant. A l’occasion d’une baignade matinale, cette dernière est attaquée par un crocodile géant. Une chasse au « monstre » s’engage aussitôt mais le corps sans vie de la jeune femme est récupéré et l’animal parvient à s’échapper. Trente ans plus tard, Léo revient sur les lieux du drame pour clôturer définitivement ce qui sera resté à jamais le drame de sa vie.
Il y a bien sûr du Moby Dick dans ce « Maître des crocodiles ». La référence au chef d’œuvre de Melville est évidente. Léo possède la même obsession, le même entêtement qu’Achab. Un ennemi à affronter, une quête qui, au-delà d’un pur désir de vengeance, donne un sens à son existence. Mais le récit lorgne aussi du coté des dents de la mer avec quelques séquences assez sanglantes et propose une réflexion proche de la fable écologique où le lien entre l’homme et la nature apparaît dans toute sa complexité. Le lecteur découvre aussi le quotidien difficile des habitants de ces îles isolées où le tourisme se développe et où les ressources naturelles continuent de s’épuiser malgré une prise de conscience ayant permis jusqu’alors d’éviter une catastrophe de grande ampleur (notamment grâce à l’arrêt de la pêche aux explosifs qui détruisait les récifs coralliens et l’ensemble de l’écosystème marin).
Le dessin est superbe et le travail sur la lumière, notamment, est impressionnant. Les aquarelles de Jean-Denis Pendanx magnifient les paysages luxuriants, entre jungle et océan, et offrent une esthétique plus suggestive que réaliste, ce qui n’est pas plus mal, surtout pendant les scènes où le crocodile entre en action.
Une histoire forte et engagée qui, au-delà du duel entre l’individu et l’animal, interroge sur l’influence néfaste qu’exerce l’homme sur son environnement. Sans compter que les multiples niveaux de lecture donnent à l’ensemble richesse et profondeur.
Le maître des crocodiles de Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx. Futuropolis, 2016. 140 pages. 20,00 euros.
Il y a bien sûr du Moby Dick dans ce « Maître des crocodiles ». La référence au chef d’œuvre de Melville est évidente. Léo possède la même obsession, le même entêtement qu’Achab. Un ennemi à affronter, une quête qui, au-delà d’un pur désir de vengeance, donne un sens à son existence. Mais le récit lorgne aussi du coté des dents de la mer avec quelques séquences assez sanglantes et propose une réflexion proche de la fable écologique où le lien entre l’homme et la nature apparaît dans toute sa complexité. Le lecteur découvre aussi le quotidien difficile des habitants de ces îles isolées où le tourisme se développe et où les ressources naturelles continuent de s’épuiser malgré une prise de conscience ayant permis jusqu’alors d’éviter une catastrophe de grande ampleur (notamment grâce à l’arrêt de la pêche aux explosifs qui détruisait les récifs coralliens et l’ensemble de l’écosystème marin).
Le dessin est superbe et le travail sur la lumière, notamment, est impressionnant. Les aquarelles de Jean-Denis Pendanx magnifient les paysages luxuriants, entre jungle et océan, et offrent une esthétique plus suggestive que réaliste, ce qui n’est pas plus mal, surtout pendant les scènes où le crocodile entre en action.
Une histoire forte et engagée qui, au-delà du duel entre l’individu et l’animal, interroge sur l’influence néfaste qu’exerce l’homme sur son environnement. Sans compter que les multiples niveaux de lecture donnent à l’ensemble richesse et profondeur.
Le maître des crocodiles de Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx. Futuropolis, 2016. 140 pages. 20,00 euros.
mardi 1 mars 2016
Le premier mardi c'est permis (46) : Les filles d'Ève - Frédérique Martin
Une halle couverte aux vitres monumentales. Du monde partout, un brouhaha d’enfer. Un reporter, caméra sur l’épaule, suit un concierge de luxe à la recherche de bonnes affaires pour ses riches clients. La marchandise qu’il convoite est étudiée de près et doit répondre à des critères physiques précis. Seuls les plus beaux spécimens l’intéressent.
Ici, on vient acheter des femmes : « la tragique raréfaction du sexe féminin avait conduit les gouvernements à prendre des mesures draconiennes pour éviter sa disparition ». Privées de liberté, les femmes sont devenues des produits, du bétail rare et hors de prix. Asservies, exploitées, elles ont perdu le statut d’être humain. Mais la colère gronde. Soudain, alors que le chef de l’état arpente les allées, une étincelle embrase la foule et sonne le temps de la révolte. Dans la panique ambiante, le reporter suit la jeune femme qui a mis le feu aux poudres, bien décidé à évacuer la frustration qui l’habite depuis trop longtemps : « Je veux ce qui me revient de droit. Je veux tes seins et tes fesses. Ta bouche aussi. » Mais la belle est bien décidée à ne pas se laisser faire car « le temps des femmes dociles s’achève ».
Une nouvelle de Frédérique Martin dans l’esprit du recueil publié il y a peu. Avec ce soupçon d’étrangeté, cette ironie mordante et cette représentation d’un futur proche pour le moins effrayant. Sans compter qu’à ces ingrédients vient s’ajouter une tension sexuelle parfaitement mise en scène.
Que retenir de ce texte si joliment troussé ? Que le sexe fort n’est pas celui que l’on croit ? Bon, c’est tout sauf un scoop pour moi, je suis bien placé pour savoir à quel point les mâles sont faibles, lâches, opportunistes, prêts à jeter leurs principes aux orties dès que la situation le permet, et à quel point une virilité de façade et une force physique portée en étendard ne suffisent pas à asseoir une quelconque supériorité. Frédérique Martin le démontre avec finesse et conviction, sans gros sabots. Parce que l’évidence saute aux yeux : malgré les apparences, les rapports hommes/femmes sont toujours menés par ces dames. Et personnellement ce n’est pas pour me déplaire, l’orgueil et l’amour propre typiquement masculin, il y a fort longtemps que je m’en tamponne.
Les filles d’Ève de Frédérique Martin. Éditions In8, 2012. 25 pages.
Un grand merci et un gros bisou à Stephie pour le cadeau !
Les avis de Noukette et Stephie
Ici, on vient acheter des femmes : « la tragique raréfaction du sexe féminin avait conduit les gouvernements à prendre des mesures draconiennes pour éviter sa disparition ». Privées de liberté, les femmes sont devenues des produits, du bétail rare et hors de prix. Asservies, exploitées, elles ont perdu le statut d’être humain. Mais la colère gronde. Soudain, alors que le chef de l’état arpente les allées, une étincelle embrase la foule et sonne le temps de la révolte. Dans la panique ambiante, le reporter suit la jeune femme qui a mis le feu aux poudres, bien décidé à évacuer la frustration qui l’habite depuis trop longtemps : « Je veux ce qui me revient de droit. Je veux tes seins et tes fesses. Ta bouche aussi. » Mais la belle est bien décidée à ne pas se laisser faire car « le temps des femmes dociles s’achève ».
Une nouvelle de Frédérique Martin dans l’esprit du recueil publié il y a peu. Avec ce soupçon d’étrangeté, cette ironie mordante et cette représentation d’un futur proche pour le moins effrayant. Sans compter qu’à ces ingrédients vient s’ajouter une tension sexuelle parfaitement mise en scène.
Que retenir de ce texte si joliment troussé ? Que le sexe fort n’est pas celui que l’on croit ? Bon, c’est tout sauf un scoop pour moi, je suis bien placé pour savoir à quel point les mâles sont faibles, lâches, opportunistes, prêts à jeter leurs principes aux orties dès que la situation le permet, et à quel point une virilité de façade et une force physique portée en étendard ne suffisent pas à asseoir une quelconque supériorité. Frédérique Martin le démontre avec finesse et conviction, sans gros sabots. Parce que l’évidence saute aux yeux : malgré les apparences, les rapports hommes/femmes sont toujours menés par ces dames. Et personnellement ce n’est pas pour me déplaire, l’orgueil et l’amour propre typiquement masculin, il y a fort longtemps que je m’en tamponne.
Les filles d’Ève de Frédérique Martin. Éditions In8, 2012. 25 pages.
Un grand merci et un gros bisou à Stephie pour le cadeau !
Les avis de Noukette et Stephie
lundi 29 février 2016
Un homme à terre - Roger Smith
« Une heure avant l’arrivée des tueurs, John Turner
regardait le soleil se coucher sur les monts Tucson en sirotant une eau de Seltz,
debout à côté de sa piscine surdimensionnée ». Où comment annoncer la
couleur dès la première phrase d’un roman. John et sa femme Tanya vont se faire braquer à domicile par trois
hommes déterminés. Des tueurs.
Je n’ai même pas envie d’en dire plus. A part peut-être que
les apparences sont parfois trompeuses. John est en Arizona depuis dix ans et
gagne très bien sa vie en vendant des aspirateurs de piscine. Il a quitté l’Afrique
du sud avec un joli pactole, laissant derrière lui un passé trouble. Tanya l’a
accompagné mais elle déteste l’Amérique et son mode de vie. Le couple bat de l’aile
malgré la présence de Lucy, leur fille de neuf ans. Et John a eu le malheur de tomber
amoureux de sa sculpturale assistante, Grace. Maintenant, trois braqueurs débarquent
chez lui sans crier gare, et c’est tout sauf un hasard…
Un homme à terre n’est pas un roman noir, c’est un roman
plus que noir. Tellement sombre et désespéré qu’il vous donne la nausée. Roger Smith
ne prend aucun gant. Il ne cherche pas midi à quatorze heures et fonce droit au
but. Pas besoin de tergiverser, la violence est là, brute, insupportable,
poisseuse. Une violence montrée sans complaisance, sans aucun désir de l’esthétiser,
même si la scène finale est clairement Tarantinesque. Ce n’est pas un roman
cool et affriolant, c’est un roman glauque, sans issue, d’un pessimisme absolu.
Impossible de rester insensible devant cette manière sans
concession de mener l’intrigue, de présenter une galerie de personnages tous
plus dégueulasses les uns que les autres. On alterne entre le passé de John en
Afrique du sud (cauchemardesque) et son présent américain où, sous le vernis de
la réussite sociale se cachent de lourds secrets. Je vous avoue que j’ai failli
ne pas aller au bout. Je voyais trop le coup venir, cette fin inéluctable qui
me laisserait ko debout avec en bouche un goût de bile impossible à ravaler. Et
puis j’ai cédé devant ce le jusqu’au-boutisme
assumé de l'auteur, un jusqu'au-boutisme déroulé dans une langue précise, lapidaire, là encore sans fioriture, et
qui vous force à regarder « la
banalité du mal » et les versants les plus obscurs de l’âme humaine les yeux dans les yeux.
Une expérience de lecture qui bouscule, secoue, interpelle. Et
dont je vous mets au défi de sortir indemne.
Un homme à terre de Roger Smith (traduit de l'anglais Estelle Roudet). Calmann-Lévy, 2016. 312
pages. 20,90 euros.
vendredi 26 février 2016
Mr Gwyn - Alessandro Baricco
A Londres, Jasper Gwyn, ancien accordeur de piano devenu auteur à succès en seulement trois romans, décide un beau jour d’arrêter l’écriture. Son agent pense que ce n’est qu’un caprice mais les mois passent et rien n’y fait. Peu à peu cependant, Mr Gwyn ressent un certain manque. Il se met d’abord à écrire dans sa tête puis, en observant des tableaux dans une galerie, il a une révélation et décide de se mettre à écrire des portraits. Mais des portraits particuliers, simples et épurés, sans description physique, qu’il rédigera après avoir longuement observé son modèle, nu et sans artifice. Des portraits en un seul exemplaire que le client s’engagera par contrat à ne jamais communiquer à qui que ce soit. Pour mettre son projet en œuvre, Mr Gwyn loue un immense atelier qu’il meuble sommairement et engage une assistante qui va servir de cobaye pour la mise en œuvre du premier portrait…
Quel étrange roman ! Un roman qui demande une certaine forme de lâcher prise. Ne pas se poser de question, tendre la main et se laisser emmener sans crainte vers un exercice de haute voltige. Car ce portrait d’un portraitiste relève à la fois de la mise en abyme et du labyrinthe. Ce texte a d’ailleurs fortement résonné avec ma lecture récente de Veracruz. Ici aussi la littérature est un jeu, une imposture. Et derrière les excentricités de Mr Gwyn se cache une véritable réflexion sur le rôle de l’écrivain. J’ai beaucoup aimé ce personnage. Un personnage comme Baricco les apprécie, solitaire, animé par une détermination farouche, à la poursuite de rêves fous. Un homme touchant, hors des modes et du temps, évoluant dans un monde qui n’est plus le sien et qu’il cherche à fuir.
Le récit est porté par le style élégant de l’auteur de Soie. C’est à la fois subtil, mélancolique, poétique et décalé. Au final, il reste au lecteur une sensation assez indéfinissable où la délicatesse le dispute à la tendresse. Séduisant et délicieux.
Mr Gwyn d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2014. 185 pages. 18,50 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Ingannmic.
L'avis de Moka
Quel étrange roman ! Un roman qui demande une certaine forme de lâcher prise. Ne pas se poser de question, tendre la main et se laisser emmener sans crainte vers un exercice de haute voltige. Car ce portrait d’un portraitiste relève à la fois de la mise en abyme et du labyrinthe. Ce texte a d’ailleurs fortement résonné avec ma lecture récente de Veracruz. Ici aussi la littérature est un jeu, une imposture. Et derrière les excentricités de Mr Gwyn se cache une véritable réflexion sur le rôle de l’écrivain. J’ai beaucoup aimé ce personnage. Un personnage comme Baricco les apprécie, solitaire, animé par une détermination farouche, à la poursuite de rêves fous. Un homme touchant, hors des modes et du temps, évoluant dans un monde qui n’est plus le sien et qu’il cherche à fuir.
Le récit est porté par le style élégant de l’auteur de Soie. C’est à la fois subtil, mélancolique, poétique et décalé. Au final, il reste au lecteur une sensation assez indéfinissable où la délicatesse le dispute à la tendresse. Séduisant et délicieux.
Mr Gwyn d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2014. 185 pages. 18,50 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Ingannmic.
L'avis de Moka
mercredi 24 février 2016
Alcibiade - Rémi Farnos
Alcibiade part à la recherche de sa destinée. Pour accomplir sa tâche, il va devoir traverser une forêt dangereuse, un désert sans fin, une chaîne de montagnes défendue par un terrible gardien, un labyrinthe de glace gardé par un minotaure et bien d’autres dangers. En chemin il rencontre le vautour Assatour qui lui sera d’une aide précieuse et deviendra son ami. Et des années après le début de son long voyage, Alcibiade rencontrera le grand sage censé lui révéler son avenir…
Une drôle de BD jeunesse, archi-classique au niveau de l’histoire mais ô combien originale dans sa forme. Récit d’initiation tendant vers la fable philosophique, il montre un héros enchaînant les épreuves et les péripéties jusqu'à la concrétisation de sa quête. Un schéma narratif respectant les canons du genre où le lecteur se sent à l’aise et possède ses repères. Action, réflexion, dialogues savoureux, quelques larmes versées, tout concourt à rendre ce petit album des plus plaisants.
Et pour ce qui est de la forme, la surprise est de taille. Je suis d’abord resté sceptique devant le dessin minimaliste, les cases minuscules, le découpage répétitif, les couleurs un peu fades et le lettrage tremblotant. Mais en y regardant de plus près, j'ai découvert une construction aussi maline qu’ambitieuse où, derrière les gaufriers aux innombrables cases se cachent parfois des illustrations pleine page extrêmement fouillées et tout sauf statiques (voir exemple ci-contre). Le procédé est surprenant et donne un rythme très particulier et très agréable au récit.
J’adore quand un album dont je n’attend pas grand chose et qui, de prime abord, ne ressemble pas à grand-chose, se révèle au final dense et ciselé dans les moindres détails. Une jolie surprise, que je n’aurais jamais dénichée moi-même. Un grand merci à la bonne fée qui a eu la gentillesse de me l’offrir accompagnée d’une jolie dédicace glanée à Angoulême.
Alcibiade de Rémi Farnos. La joie de lire, 2015. 38 pages. 10,00 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo et Noukette.
Une drôle de BD jeunesse, archi-classique au niveau de l’histoire mais ô combien originale dans sa forme. Récit d’initiation tendant vers la fable philosophique, il montre un héros enchaînant les épreuves et les péripéties jusqu'à la concrétisation de sa quête. Un schéma narratif respectant les canons du genre où le lecteur se sent à l’aise et possède ses repères. Action, réflexion, dialogues savoureux, quelques larmes versées, tout concourt à rendre ce petit album des plus plaisants.
Et pour ce qui est de la forme, la surprise est de taille. Je suis d’abord resté sceptique devant le dessin minimaliste, les cases minuscules, le découpage répétitif, les couleurs un peu fades et le lettrage tremblotant. Mais en y regardant de plus près, j'ai découvert une construction aussi maline qu’ambitieuse où, derrière les gaufriers aux innombrables cases se cachent parfois des illustrations pleine page extrêmement fouillées et tout sauf statiques (voir exemple ci-contre). Le procédé est surprenant et donne un rythme très particulier et très agréable au récit.
J’adore quand un album dont je n’attend pas grand chose et qui, de prime abord, ne ressemble pas à grand-chose, se révèle au final dense et ciselé dans les moindres détails. Une jolie surprise, que je n’aurais jamais dénichée moi-même. Un grand merci à la bonne fée qui a eu la gentillesse de me l’offrir accompagnée d’une jolie dédicace glanée à Angoulême.
Alcibiade de Rémi Farnos. La joie de lire, 2015. 38 pages. 10,00 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo et Noukette.
mardi 23 février 2016
Dans de beaux draps - Marie Colot
Elle est compliquée, la vie de famille de Jade : « A capacité maximale, on est huit : deux adultes et six enfants, issus de plusieurs mariages. » Une demi-sœur et deux sœurs par alliance, un demi-frère et un frère par alliance. « Mon arbre généalogique, c’est le délire total. » Et quand débarque Rodolphe, le plus âgé des fils de son beau-père dont elle ignorait jusqu’alors l’existence, Jade découvre un jeune homme de vingt ans au charme ravageur. Un jeune homme qu’elle s’empresse de faire passer pour son petit ami sur les réseaux sociaux, devenant rapidement la nouvelle coqueluche du collège. Une gloire soudaine à double tranchant qui lui vaudra de terribles déboires…
Marie Colot dresse le portrait d’une ado d’aujourd’hui. Une ado qui réinvente sa vie pour faire parler d’elle, entretient une image populaire en utilisant à outrance les réseaux sociaux et leurs vastes champs de possibles, quitte à travestir la réalité. Jade est réellement amoureuse de Rodolphe mais il est bien plus vieux qu’elle et a d’autres chats à fouetter. En créant de toutes pièces sa romance avec quelques photos mises en ligne, elle enclenche un processus qui la dépasse. Et plus dure sera la chute.
Le récit est prenant, alternant entre le présent de Jade et sa mésaventure survenue un an et demi plus tôt. Les échanges virtuels reproduits à l’aide de captures d’écran sont réalistes et rendent bien compte de l’agressivité et de la violence verbale qui règnent parmi les élèves. Un roman moderne, percutant et finement mené qui ne sombre pas dans les clichés. Un outil idéal pour aborder avec des ados la question du danger de l’utilisation des réseaux sociaux et des ravages qu’ils peuvent causer. A lire et faire lire, à mettre dans tout bon CDI qui se respecte.
Dans de beaux draps de Marie Colot. Alice, 2015. 153 pages. 12,00 euros. A partir de 13 ans.
Marie Colot dresse le portrait d’une ado d’aujourd’hui. Une ado qui réinvente sa vie pour faire parler d’elle, entretient une image populaire en utilisant à outrance les réseaux sociaux et leurs vastes champs de possibles, quitte à travestir la réalité. Jade est réellement amoureuse de Rodolphe mais il est bien plus vieux qu’elle et a d’autres chats à fouetter. En créant de toutes pièces sa romance avec quelques photos mises en ligne, elle enclenche un processus qui la dépasse. Et plus dure sera la chute.
Le récit est prenant, alternant entre le présent de Jade et sa mésaventure survenue un an et demi plus tôt. Les échanges virtuels reproduits à l’aide de captures d’écran sont réalistes et rendent bien compte de l’agressivité et de la violence verbale qui règnent parmi les élèves. Un roman moderne, percutant et finement mené qui ne sombre pas dans les clichés. Un outil idéal pour aborder avec des ados la question du danger de l’utilisation des réseaux sociaux et des ravages qu’ils peuvent causer. A lire et faire lire, à mettre dans tout bon CDI qui se respecte.
Dans de beaux draps de Marie Colot. Alice, 2015. 153 pages. 12,00 euros. A partir de 13 ans.
lundi 22 février 2016
Veracruz - Olivier Rolin
Le narrateur est venu à Veracruz pour donner un cycle de conférences intitulé « Proust m’énerve ». Au cours d’une soirée, il rencontre Dariana, en tombe fou amoureux et vit avec elle une passion aussi courte qu’intense : « Notre liaison dura peu, mais je m’en souviendrai au-delà de la mort, si l’éternité, ou quelque chose comme ça, est une option possible. »
Alors que Dariana disparaît soudainement sans laisser de trace, son amant reçoit par la poste un pli anonyme contenant quatre récits « brefs et terribles » ayant pour sujet la sensuelle et troublante Susana. Dans le premier, un jésuite défroqué se meurt d’amour pour la belle mais n’ose la toucher, se contentant de lui faire la lecture. Dans le second, c’est Miller, malfrat et mari violent de Susana, qui prend la parole. Vient ensuite le tour d’El Griego, père incestueux de la jeune femme, avant que cette dernière ne vienne clore le manuscrit. Tous les quatre œuvrent dans un trafic clandestin de cigares à destination des États-Unis et tous les quatre sont dans la même pièce, donnant leur point de vue sur les événements en cours et à venir dans un huis-clos étouffant alors qu’un cyclone menace…
Qui sont ces personnages ? Pourquoi ce courrier est-il arrivé dans les mains du narrateur ? Quel rapport avec Dariana ? L’homme s’interroge, voudrait trouver des liens où il n’y en a sans doute pas. Olivier Rolin tisse sa toile de façon magistrale. Il nous laisse en pleine expectative, en plein questionnement, jouant avec nos nerfs, construisant un récit gigogne dont chacun est libre d’interpréter le sens. Surtout, il joue avec le lecteur, insiste sur le lien parfois ténu entre fiction et réalité, jugeant utile de préciser : « Ce serait avoir une idée bien simpliste de la littérature que de penser qu’elle reflète sans détour, sans malice, la personnalité de l’écrivain. Il faut une grande naïveté, une ignorance des règles de l’écriture pour croire ce genre de platitude, qu’enseignaient encore de vieux professeurs du temps que j’étais étudiant. La littérature est une tromperie sans fin. »
Voila, tout est dit. J’ai adoré cette réflexion sur la littérature, cette écriture ciselée et élégante, ce ton parfois badin, cette construction libre et désordonnée où il n’y a pas à chercher ni à trouver de réponses précises. Du grand art et un auteur que je découvre ici avec un infini plaisir.
Veracruz d’Olivier Rolin. Verdier, 2016. 120 pages. 13,00 euros
Merci à Delphine Olympe de m’avoir donné envie de partir à la rencontre d’Olivier Rolin !
Les avis de Delphine et Papillon.
Extrait :
« Mais pourquoi les choses devraient-elles être ordonnées, emboîtées, pourquoi le temps ne pourrait-il pas rebrousser son cours comme le fleuve Alphée des Anciens, ou divaguer, pourquoi ce qui vient après ne serait-il pas la cause de ce qui précède ? D'où tient-on qu'il y a toujours des causes ? Pourquoi toutes les choses du monde doivent-elles être cause ou effet ? Cette construction, nous l’appelons "comprendre", et en vérité nous ne comprenons rien. »
Alors que Dariana disparaît soudainement sans laisser de trace, son amant reçoit par la poste un pli anonyme contenant quatre récits « brefs et terribles » ayant pour sujet la sensuelle et troublante Susana. Dans le premier, un jésuite défroqué se meurt d’amour pour la belle mais n’ose la toucher, se contentant de lui faire la lecture. Dans le second, c’est Miller, malfrat et mari violent de Susana, qui prend la parole. Vient ensuite le tour d’El Griego, père incestueux de la jeune femme, avant que cette dernière ne vienne clore le manuscrit. Tous les quatre œuvrent dans un trafic clandestin de cigares à destination des États-Unis et tous les quatre sont dans la même pièce, donnant leur point de vue sur les événements en cours et à venir dans un huis-clos étouffant alors qu’un cyclone menace…
Qui sont ces personnages ? Pourquoi ce courrier est-il arrivé dans les mains du narrateur ? Quel rapport avec Dariana ? L’homme s’interroge, voudrait trouver des liens où il n’y en a sans doute pas. Olivier Rolin tisse sa toile de façon magistrale. Il nous laisse en pleine expectative, en plein questionnement, jouant avec nos nerfs, construisant un récit gigogne dont chacun est libre d’interpréter le sens. Surtout, il joue avec le lecteur, insiste sur le lien parfois ténu entre fiction et réalité, jugeant utile de préciser : « Ce serait avoir une idée bien simpliste de la littérature que de penser qu’elle reflète sans détour, sans malice, la personnalité de l’écrivain. Il faut une grande naïveté, une ignorance des règles de l’écriture pour croire ce genre de platitude, qu’enseignaient encore de vieux professeurs du temps que j’étais étudiant. La littérature est une tromperie sans fin. »
Voila, tout est dit. J’ai adoré cette réflexion sur la littérature, cette écriture ciselée et élégante, ce ton parfois badin, cette construction libre et désordonnée où il n’y a pas à chercher ni à trouver de réponses précises. Du grand art et un auteur que je découvre ici avec un infini plaisir.
Veracruz d’Olivier Rolin. Verdier, 2016. 120 pages. 13,00 euros
Merci à Delphine Olympe de m’avoir donné envie de partir à la rencontre d’Olivier Rolin !
Les avis de Delphine et Papillon.
Extrait :
« Mais pourquoi les choses devraient-elles être ordonnées, emboîtées, pourquoi le temps ne pourrait-il pas rebrousser son cours comme le fleuve Alphée des Anciens, ou divaguer, pourquoi ce qui vient après ne serait-il pas la cause de ce qui précède ? D'où tient-on qu'il y a toujours des causes ? Pourquoi toutes les choses du monde doivent-elles être cause ou effet ? Cette construction, nous l’appelons "comprendre", et en vérité nous ne comprenons rien. »
vendredi 19 février 2016
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans - Riad Sattouf
Autant vous le dire d’emblée, je kiffe Esther. Grave.
Elle a 10 ans et est en CM1 dans une école privée (parce que son père pense qu’il y a trop de violence dans les écoles publiques). Son père, elle l’aime d’amour (et ça, ça me plait énormément !). Avec son frère de 14 ans, c’est plus compliqué (« Il n’a pas seulement l’air con, il l’est »). Esther vit à Paris dans un modeste appartement. Elle doit partager sa chambre avec son frangin et part en vacances en colo. Esther, elle est fraîche et pétillante, c’est une gamine bien dans sa peau, à la fois naïve et lucide, qui ne se prend pas la tête et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle trouve que les garçons sont fous, horribles et méchants, elle rêve d’un iPhone 6, est fan de Kendji Girac, Tal et Beyoncé. Elle pourrait regarder Raiponce en boucle et connaît tous les Disney par cœur. Son avenir est tracé, elle sera chanteuse et remplira les stades. Une gamine comme les autres quoi.
L’album regroupe des historiettes d’une page prépubliées dans l’Obs entre octobre 2014 et octobre 2015. Esther se raconte. A la maison, à l’école, avec son frère, son père, ses copines. En feuilletant l’album avant de m’y lancer, j’ai tiqué devant la surcharge de texte présente sur chaque planche. Mais à la lecture, ça passe tout seul. Esther est une fille, donc elle est bavarde, rien de plus normal (je sais de quoi je parle, j’en ai quatre à la maison).
Bon, je vais être un peu méchant. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Esther avec Pico Bogue (je ne sais pas si vous connaissez et si vous aimez Pico Bogue mais je sais que vous aimez bien quand je suis un peu méchant). Esther et Pico posent chacun leur regard d’enfant sur le monde qui les entoure. Celui de Pico m’agace fortement. J’ai lu tous ses albums (pour me convaincre à chaque fois que ça ne pourrait jamais coller entre lui et moi). Ses réflexions poético-philosophiques ne me touchent pas du tout. En fait je suis incapable d’apprécier ces mots d’auteurs mis dans la bouche d’un enfant, je trouve que tout sonne faux.
Avec Esther le charme opère parce qu’elle s’exprime à hauteur de petite fille. Une petite fille pas avare de gros mots, confrontée à un environnement souvent vulgaire, violent et cruel, mais dans lequel elle a trouvé sa place. Elle se demande ce qu’est un pédé, trouve que Violetta est la meilleure série du monde, côtoie des renois et des rebeus, pense que pour être belle il faut être souple et blonde, j’en passe et des meilleurs. En deux mots, elle est crédible (prends en de la graine Pico !).
La vie d’Esther sonne juste parce que Riad Sattouf a recueilli le témoignage à la source. Esther est la fille d’un couple d’amis .Chaque semaine, il échange avec elle, lui pose des questions, la laisse raconter les événements qui l’ont marquée. Avec ce matériau brut, il construit ses histoires au plus près de la réalité. Comme ses camarades de classe, Esther ne s’embarrasse pas de jugement, ni de la peur de blesser. La méchanceté gratuite ne la choque pas, ni le fait qu’une cour de récré se résume souvent à un clivage entre gros durs et souffre-douleurs. Son regard innocent et sans filtre, fortement (et logiquement) imprégnée par la société qui l’entoure, dresse au fil des pages le portrait infiniment juste d’une enfant de notre époque. Et ça fait un bien fou, même si ça pique un peu parfois.
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans de Riad Sattouf. Allary éditions, 2016. 54 pages.
Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Framboise et Philisine (merci pour le cadeau et, une fois encore, félicitations pour la bonne nouvelle que tu m’as annoncée en début de semaine !).
Elle a 10 ans et est en CM1 dans une école privée (parce que son père pense qu’il y a trop de violence dans les écoles publiques). Son père, elle l’aime d’amour (et ça, ça me plait énormément !). Avec son frère de 14 ans, c’est plus compliqué (« Il n’a pas seulement l’air con, il l’est »). Esther vit à Paris dans un modeste appartement. Elle doit partager sa chambre avec son frangin et part en vacances en colo. Esther, elle est fraîche et pétillante, c’est une gamine bien dans sa peau, à la fois naïve et lucide, qui ne se prend pas la tête et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle trouve que les garçons sont fous, horribles et méchants, elle rêve d’un iPhone 6, est fan de Kendji Girac, Tal et Beyoncé. Elle pourrait regarder Raiponce en boucle et connaît tous les Disney par cœur. Son avenir est tracé, elle sera chanteuse et remplira les stades. Une gamine comme les autres quoi.
L’album regroupe des historiettes d’une page prépubliées dans l’Obs entre octobre 2014 et octobre 2015. Esther se raconte. A la maison, à l’école, avec son frère, son père, ses copines. En feuilletant l’album avant de m’y lancer, j’ai tiqué devant la surcharge de texte présente sur chaque planche. Mais à la lecture, ça passe tout seul. Esther est une fille, donc elle est bavarde, rien de plus normal (je sais de quoi je parle, j’en ai quatre à la maison).
Bon, je vais être un peu méchant. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Esther avec Pico Bogue (je ne sais pas si vous connaissez et si vous aimez Pico Bogue mais je sais que vous aimez bien quand je suis un peu méchant). Esther et Pico posent chacun leur regard d’enfant sur le monde qui les entoure. Celui de Pico m’agace fortement. J’ai lu tous ses albums (pour me convaincre à chaque fois que ça ne pourrait jamais coller entre lui et moi). Ses réflexions poético-philosophiques ne me touchent pas du tout. En fait je suis incapable d’apprécier ces mots d’auteurs mis dans la bouche d’un enfant, je trouve que tout sonne faux.
Avec Esther le charme opère parce qu’elle s’exprime à hauteur de petite fille. Une petite fille pas avare de gros mots, confrontée à un environnement souvent vulgaire, violent et cruel, mais dans lequel elle a trouvé sa place. Elle se demande ce qu’est un pédé, trouve que Violetta est la meilleure série du monde, côtoie des renois et des rebeus, pense que pour être belle il faut être souple et blonde, j’en passe et des meilleurs. En deux mots, elle est crédible (prends en de la graine Pico !).
La vie d’Esther sonne juste parce que Riad Sattouf a recueilli le témoignage à la source. Esther est la fille d’un couple d’amis .Chaque semaine, il échange avec elle, lui pose des questions, la laisse raconter les événements qui l’ont marquée. Avec ce matériau brut, il construit ses histoires au plus près de la réalité. Comme ses camarades de classe, Esther ne s’embarrasse pas de jugement, ni de la peur de blesser. La méchanceté gratuite ne la choque pas, ni le fait qu’une cour de récré se résume souvent à un clivage entre gros durs et souffre-douleurs. Son regard innocent et sans filtre, fortement (et logiquement) imprégnée par la société qui l’entoure, dresse au fil des pages le portrait infiniment juste d’une enfant de notre époque. Et ça fait un bien fou, même si ça pique un peu parfois.
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans de Riad Sattouf. Allary éditions, 2016. 54 pages.
Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Framboise et Philisine (merci pour le cadeau et, une fois encore, félicitations pour la bonne nouvelle que tu m’as annoncée en début de semaine !).
mercredi 17 février 2016
Blast - de Manu Larcenet
Voila, ça y est, j’ai lu Blast. J’ai mis le temps. Il a fallu qu’on me prenne par la main. D’abord qu’une bonne âme décide de m’offrir les quatre volumes d’un seul coup (un immense cadeau !). Ensuite qu’une autre bonne âme me propose une lecture commune. L’occasion de sauter enfin le pas, de dépasser ma peur du choc un peu trop violent qui jusqu’alors me retenait. Exactement comme avec Maus en fait. Résultat ? Une claque monumentale, de celle dont on se souvient toute sa vie.
« Vous cherchez à simplifier mon histoire en une suite logique qui vous mènerait à Carole. Mon histoire n’est pas mathématique ! Elle se résume tout entière à la collision entre le hasard et mes… obsessions… Et ce qui est fascinant, c’est qu’entre ces deux pôles, il n’y a pas trace de morale, d’éthique ou même de justice… Là où vous vous réduisez à la loi, je ne me conforme qu’à la nature. Et la justice n’existe pas dans la nature. »
Deux flics. Un suspect. Une garde à vue. Carole est la victime. Dans le coma. Pozla a tout du coupable. On ne sait pas ce qu’il lui a fait, on ne sait pas qu’elles étaient leurs relations. Pozla, 38 ans. Écrivain devenu SDF à la mort de son père. Un routard alcoolique, obèse au physique répugnant. Un homme qui a été interné plusieurs fois, a vécu dans les bois puis dans des maisons abandonnées. Il aura fallu près de 800 pages à Manu Larcenet pour retracer son parcours, ses errances. Au fil des saisons, au fil de rencontres pas vraiment heureuses.
Pozla est à la recherche du Blast, un moment de transe inouï et béni où il se détache du monde, de cette enveloppe corporelle dans laquelle il étouffe. Une sorte de révélation métaphysique indéfinissable qui surgit rarement et sans crier gare.
Larcenet gratte, creuse, sonde les tréfonds de l’âme humaine dans toute sa folie, sa violence, sa solitude. Il traduit avec brio la complexité d’une incroyable souffrance psychologique, en prenant son temps, en étalant les silences de Pozla sur des cases et des cases, donnant parfois dans le contemplatif, le méditatif, l’introspection la plus intime. Graphiquement, il alterne le noir charbonneux, le lavis, le gris délavé, le crayonné rapide, le trait délicat, les gros plans et les illustrations pleine page dans un jeu d’ombres et de lumière permanent.
En fait, je me rends compte que je suis incapable d’exprimer correctement mon ressenti, incapable de dire à quel point j’ai été ébranlé par cette lecture, à quel point Blast est un bijou de noirceur sans concession qui interroge, bouscule, révolte, provoque et dont on ne sort pas indemne. En fait, je me rends compte que Blast est une œuvre trop dense, trop troublante, trop sidérante pour que je lui offre l’hommage qu’elle mérite. Une œuvre trop grande pour moi, ni plus ni moins. Un monument de la BD dont mon avis ne parvient pas à être à la hauteur mais que je suis heureux d’avoir enfin lu et qui restera comme un des plus précieux trésors de ma bibliothèque personnelle. Pour le reste, je ne peux que vous inviter à vous y plonger au plus vite, et sans traîner !
Blast T1 de Manu Larcenet. Dargaud, 2009. 204 pages.
Blast T2 de Manu Larcenet. Dargaud, 2011. 204 pages.
Blast T3 de Manu Larcenet. Dargaud, 2012. 204 pages.
Blast T4 de Manu Larcenet. Dargaud, 2014. 204 pages.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Moka.
« Vous cherchez à simplifier mon histoire en une suite logique qui vous mènerait à Carole. Mon histoire n’est pas mathématique ! Elle se résume tout entière à la collision entre le hasard et mes… obsessions… Et ce qui est fascinant, c’est qu’entre ces deux pôles, il n’y a pas trace de morale, d’éthique ou même de justice… Là où vous vous réduisez à la loi, je ne me conforme qu’à la nature. Et la justice n’existe pas dans la nature. »
Deux flics. Un suspect. Une garde à vue. Carole est la victime. Dans le coma. Pozla a tout du coupable. On ne sait pas ce qu’il lui a fait, on ne sait pas qu’elles étaient leurs relations. Pozla, 38 ans. Écrivain devenu SDF à la mort de son père. Un routard alcoolique, obèse au physique répugnant. Un homme qui a été interné plusieurs fois, a vécu dans les bois puis dans des maisons abandonnées. Il aura fallu près de 800 pages à Manu Larcenet pour retracer son parcours, ses errances. Au fil des saisons, au fil de rencontres pas vraiment heureuses.
Pozla est à la recherche du Blast, un moment de transe inouï et béni où il se détache du monde, de cette enveloppe corporelle dans laquelle il étouffe. Une sorte de révélation métaphysique indéfinissable qui surgit rarement et sans crier gare.
Larcenet gratte, creuse, sonde les tréfonds de l’âme humaine dans toute sa folie, sa violence, sa solitude. Il traduit avec brio la complexité d’une incroyable souffrance psychologique, en prenant son temps, en étalant les silences de Pozla sur des cases et des cases, donnant parfois dans le contemplatif, le méditatif, l’introspection la plus intime. Graphiquement, il alterne le noir charbonneux, le lavis, le gris délavé, le crayonné rapide, le trait délicat, les gros plans et les illustrations pleine page dans un jeu d’ombres et de lumière permanent.
En fait, je me rends compte que je suis incapable d’exprimer correctement mon ressenti, incapable de dire à quel point j’ai été ébranlé par cette lecture, à quel point Blast est un bijou de noirceur sans concession qui interroge, bouscule, révolte, provoque et dont on ne sort pas indemne. En fait, je me rends compte que Blast est une œuvre trop dense, trop troublante, trop sidérante pour que je lui offre l’hommage qu’elle mérite. Une œuvre trop grande pour moi, ni plus ni moins. Un monument de la BD dont mon avis ne parvient pas à être à la hauteur mais que je suis heureux d’avoir enfin lu et qui restera comme un des plus précieux trésors de ma bibliothèque personnelle. Pour le reste, je ne peux que vous inviter à vous y plonger au plus vite, et sans traîner !
Blast T1 de Manu Larcenet. Dargaud, 2009. 204 pages.
Blast T2 de Manu Larcenet. Dargaud, 2011. 204 pages.
Blast T3 de Manu Larcenet. Dargaud, 2012. 204 pages.
Blast T4 de Manu Larcenet. Dargaud, 2014. 204 pages.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Moka.
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