Elle est compliquée, la vie de famille de Jade : « A capacité maximale, on est huit : deux adultes et six enfants, issus de plusieurs mariages. » Une demi-sœur et deux sœurs par alliance, un demi-frère et un frère par alliance. « Mon arbre généalogique, c’est le délire total. » Et quand débarque Rodolphe, le plus âgé des fils de son beau-père dont elle ignorait jusqu’alors l’existence, Jade découvre un jeune homme de vingt ans au charme ravageur. Un jeune homme qu’elle s’empresse de faire passer pour son petit ami sur les réseaux sociaux, devenant rapidement la nouvelle coqueluche du collège. Une gloire soudaine à double tranchant qui lui vaudra de terribles déboires…
Marie Colot dresse le portrait d’une ado d’aujourd’hui. Une ado qui réinvente sa vie pour faire parler d’elle, entretient une image populaire en utilisant à outrance les réseaux sociaux et leurs vastes champs de possibles, quitte à travestir la réalité. Jade est réellement amoureuse de Rodolphe mais il est bien plus vieux qu’elle et a d’autres chats à fouetter. En créant de toutes pièces sa romance avec quelques photos mises en ligne, elle enclenche un processus qui la dépasse. Et plus dure sera la chute.
Le récit est prenant, alternant entre le présent de Jade et sa mésaventure survenue un an et demi plus tôt. Les échanges virtuels reproduits à l’aide de captures d’écran sont réalistes et rendent bien compte de l’agressivité et de la violence verbale qui règnent parmi les élèves. Un roman moderne, percutant et finement mené qui ne sombre pas dans les clichés. Un outil idéal pour aborder avec des ados la question du danger de l’utilisation des réseaux sociaux et des ravages qu’ils peuvent causer. A lire et faire lire, à mettre dans tout bon CDI qui se respecte.
Dans de beaux draps de Marie Colot. Alice, 2015. 153 pages. 12,00 euros. A partir de 13 ans.
mardi 23 février 2016
lundi 22 février 2016
Veracruz - Olivier Rolin
Le narrateur est venu à Veracruz pour donner un cycle de conférences intitulé « Proust m’énerve ». Au cours d’une soirée, il rencontre Dariana, en tombe fou amoureux et vit avec elle une passion aussi courte qu’intense : « Notre liaison dura peu, mais je m’en souviendrai au-delà de la mort, si l’éternité, ou quelque chose comme ça, est une option possible. »
Alors que Dariana disparaît soudainement sans laisser de trace, son amant reçoit par la poste un pli anonyme contenant quatre récits « brefs et terribles » ayant pour sujet la sensuelle et troublante Susana. Dans le premier, un jésuite défroqué se meurt d’amour pour la belle mais n’ose la toucher, se contentant de lui faire la lecture. Dans le second, c’est Miller, malfrat et mari violent de Susana, qui prend la parole. Vient ensuite le tour d’El Griego, père incestueux de la jeune femme, avant que cette dernière ne vienne clore le manuscrit. Tous les quatre œuvrent dans un trafic clandestin de cigares à destination des États-Unis et tous les quatre sont dans la même pièce, donnant leur point de vue sur les événements en cours et à venir dans un huis-clos étouffant alors qu’un cyclone menace…
Qui sont ces personnages ? Pourquoi ce courrier est-il arrivé dans les mains du narrateur ? Quel rapport avec Dariana ? L’homme s’interroge, voudrait trouver des liens où il n’y en a sans doute pas. Olivier Rolin tisse sa toile de façon magistrale. Il nous laisse en pleine expectative, en plein questionnement, jouant avec nos nerfs, construisant un récit gigogne dont chacun est libre d’interpréter le sens. Surtout, il joue avec le lecteur, insiste sur le lien parfois ténu entre fiction et réalité, jugeant utile de préciser : « Ce serait avoir une idée bien simpliste de la littérature que de penser qu’elle reflète sans détour, sans malice, la personnalité de l’écrivain. Il faut une grande naïveté, une ignorance des règles de l’écriture pour croire ce genre de platitude, qu’enseignaient encore de vieux professeurs du temps que j’étais étudiant. La littérature est une tromperie sans fin. »
Voila, tout est dit. J’ai adoré cette réflexion sur la littérature, cette écriture ciselée et élégante, ce ton parfois badin, cette construction libre et désordonnée où il n’y a pas à chercher ni à trouver de réponses précises. Du grand art et un auteur que je découvre ici avec un infini plaisir.
Veracruz d’Olivier Rolin. Verdier, 2016. 120 pages. 13,00 euros
Merci à Delphine Olympe de m’avoir donné envie de partir à la rencontre d’Olivier Rolin !
Les avis de Delphine et Papillon.
Extrait :
« Mais pourquoi les choses devraient-elles être ordonnées, emboîtées, pourquoi le temps ne pourrait-il pas rebrousser son cours comme le fleuve Alphée des Anciens, ou divaguer, pourquoi ce qui vient après ne serait-il pas la cause de ce qui précède ? D'où tient-on qu'il y a toujours des causes ? Pourquoi toutes les choses du monde doivent-elles être cause ou effet ? Cette construction, nous l’appelons "comprendre", et en vérité nous ne comprenons rien. »
Alors que Dariana disparaît soudainement sans laisser de trace, son amant reçoit par la poste un pli anonyme contenant quatre récits « brefs et terribles » ayant pour sujet la sensuelle et troublante Susana. Dans le premier, un jésuite défroqué se meurt d’amour pour la belle mais n’ose la toucher, se contentant de lui faire la lecture. Dans le second, c’est Miller, malfrat et mari violent de Susana, qui prend la parole. Vient ensuite le tour d’El Griego, père incestueux de la jeune femme, avant que cette dernière ne vienne clore le manuscrit. Tous les quatre œuvrent dans un trafic clandestin de cigares à destination des États-Unis et tous les quatre sont dans la même pièce, donnant leur point de vue sur les événements en cours et à venir dans un huis-clos étouffant alors qu’un cyclone menace…
Qui sont ces personnages ? Pourquoi ce courrier est-il arrivé dans les mains du narrateur ? Quel rapport avec Dariana ? L’homme s’interroge, voudrait trouver des liens où il n’y en a sans doute pas. Olivier Rolin tisse sa toile de façon magistrale. Il nous laisse en pleine expectative, en plein questionnement, jouant avec nos nerfs, construisant un récit gigogne dont chacun est libre d’interpréter le sens. Surtout, il joue avec le lecteur, insiste sur le lien parfois ténu entre fiction et réalité, jugeant utile de préciser : « Ce serait avoir une idée bien simpliste de la littérature que de penser qu’elle reflète sans détour, sans malice, la personnalité de l’écrivain. Il faut une grande naïveté, une ignorance des règles de l’écriture pour croire ce genre de platitude, qu’enseignaient encore de vieux professeurs du temps que j’étais étudiant. La littérature est une tromperie sans fin. »
Voila, tout est dit. J’ai adoré cette réflexion sur la littérature, cette écriture ciselée et élégante, ce ton parfois badin, cette construction libre et désordonnée où il n’y a pas à chercher ni à trouver de réponses précises. Du grand art et un auteur que je découvre ici avec un infini plaisir.
Veracruz d’Olivier Rolin. Verdier, 2016. 120 pages. 13,00 euros
Merci à Delphine Olympe de m’avoir donné envie de partir à la rencontre d’Olivier Rolin !
Les avis de Delphine et Papillon.
Extrait :
« Mais pourquoi les choses devraient-elles être ordonnées, emboîtées, pourquoi le temps ne pourrait-il pas rebrousser son cours comme le fleuve Alphée des Anciens, ou divaguer, pourquoi ce qui vient après ne serait-il pas la cause de ce qui précède ? D'où tient-on qu'il y a toujours des causes ? Pourquoi toutes les choses du monde doivent-elles être cause ou effet ? Cette construction, nous l’appelons "comprendre", et en vérité nous ne comprenons rien. »
vendredi 19 février 2016
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans - Riad Sattouf
Autant vous le dire d’emblée, je kiffe Esther. Grave.
Elle a 10 ans et est en CM1 dans une école privée (parce que son père pense qu’il y a trop de violence dans les écoles publiques). Son père, elle l’aime d’amour (et ça, ça me plait énormément !). Avec son frère de 14 ans, c’est plus compliqué (« Il n’a pas seulement l’air con, il l’est »). Esther vit à Paris dans un modeste appartement. Elle doit partager sa chambre avec son frangin et part en vacances en colo. Esther, elle est fraîche et pétillante, c’est une gamine bien dans sa peau, à la fois naïve et lucide, qui ne se prend pas la tête et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle trouve que les garçons sont fous, horribles et méchants, elle rêve d’un iPhone 6, est fan de Kendji Girac, Tal et Beyoncé. Elle pourrait regarder Raiponce en boucle et connaît tous les Disney par cœur. Son avenir est tracé, elle sera chanteuse et remplira les stades. Une gamine comme les autres quoi.
L’album regroupe des historiettes d’une page prépubliées dans l’Obs entre octobre 2014 et octobre 2015. Esther se raconte. A la maison, à l’école, avec son frère, son père, ses copines. En feuilletant l’album avant de m’y lancer, j’ai tiqué devant la surcharge de texte présente sur chaque planche. Mais à la lecture, ça passe tout seul. Esther est une fille, donc elle est bavarde, rien de plus normal (je sais de quoi je parle, j’en ai quatre à la maison).
Bon, je vais être un peu méchant. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Esther avec Pico Bogue (je ne sais pas si vous connaissez et si vous aimez Pico Bogue mais je sais que vous aimez bien quand je suis un peu méchant). Esther et Pico posent chacun leur regard d’enfant sur le monde qui les entoure. Celui de Pico m’agace fortement. J’ai lu tous ses albums (pour me convaincre à chaque fois que ça ne pourrait jamais coller entre lui et moi). Ses réflexions poético-philosophiques ne me touchent pas du tout. En fait je suis incapable d’apprécier ces mots d’auteurs mis dans la bouche d’un enfant, je trouve que tout sonne faux.
Avec Esther le charme opère parce qu’elle s’exprime à hauteur de petite fille. Une petite fille pas avare de gros mots, confrontée à un environnement souvent vulgaire, violent et cruel, mais dans lequel elle a trouvé sa place. Elle se demande ce qu’est un pédé, trouve que Violetta est la meilleure série du monde, côtoie des renois et des rebeus, pense que pour être belle il faut être souple et blonde, j’en passe et des meilleurs. En deux mots, elle est crédible (prends en de la graine Pico !).
La vie d’Esther sonne juste parce que Riad Sattouf a recueilli le témoignage à la source. Esther est la fille d’un couple d’amis .Chaque semaine, il échange avec elle, lui pose des questions, la laisse raconter les événements qui l’ont marquée. Avec ce matériau brut, il construit ses histoires au plus près de la réalité. Comme ses camarades de classe, Esther ne s’embarrasse pas de jugement, ni de la peur de blesser. La méchanceté gratuite ne la choque pas, ni le fait qu’une cour de récré se résume souvent à un clivage entre gros durs et souffre-douleurs. Son regard innocent et sans filtre, fortement (et logiquement) imprégnée par la société qui l’entoure, dresse au fil des pages le portrait infiniment juste d’une enfant de notre époque. Et ça fait un bien fou, même si ça pique un peu parfois.
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans de Riad Sattouf. Allary éditions, 2016. 54 pages.
Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Framboise et Philisine (merci pour le cadeau et, une fois encore, félicitations pour la bonne nouvelle que tu m’as annoncée en début de semaine !).
Elle a 10 ans et est en CM1 dans une école privée (parce que son père pense qu’il y a trop de violence dans les écoles publiques). Son père, elle l’aime d’amour (et ça, ça me plait énormément !). Avec son frère de 14 ans, c’est plus compliqué (« Il n’a pas seulement l’air con, il l’est »). Esther vit à Paris dans un modeste appartement. Elle doit partager sa chambre avec son frangin et part en vacances en colo. Esther, elle est fraîche et pétillante, c’est une gamine bien dans sa peau, à la fois naïve et lucide, qui ne se prend pas la tête et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle trouve que les garçons sont fous, horribles et méchants, elle rêve d’un iPhone 6, est fan de Kendji Girac, Tal et Beyoncé. Elle pourrait regarder Raiponce en boucle et connaît tous les Disney par cœur. Son avenir est tracé, elle sera chanteuse et remplira les stades. Une gamine comme les autres quoi.
L’album regroupe des historiettes d’une page prépubliées dans l’Obs entre octobre 2014 et octobre 2015. Esther se raconte. A la maison, à l’école, avec son frère, son père, ses copines. En feuilletant l’album avant de m’y lancer, j’ai tiqué devant la surcharge de texte présente sur chaque planche. Mais à la lecture, ça passe tout seul. Esther est une fille, donc elle est bavarde, rien de plus normal (je sais de quoi je parle, j’en ai quatre à la maison).
Bon, je vais être un peu méchant. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Esther avec Pico Bogue (je ne sais pas si vous connaissez et si vous aimez Pico Bogue mais je sais que vous aimez bien quand je suis un peu méchant). Esther et Pico posent chacun leur regard d’enfant sur le monde qui les entoure. Celui de Pico m’agace fortement. J’ai lu tous ses albums (pour me convaincre à chaque fois que ça ne pourrait jamais coller entre lui et moi). Ses réflexions poético-philosophiques ne me touchent pas du tout. En fait je suis incapable d’apprécier ces mots d’auteurs mis dans la bouche d’un enfant, je trouve que tout sonne faux.
Avec Esther le charme opère parce qu’elle s’exprime à hauteur de petite fille. Une petite fille pas avare de gros mots, confrontée à un environnement souvent vulgaire, violent et cruel, mais dans lequel elle a trouvé sa place. Elle se demande ce qu’est un pédé, trouve que Violetta est la meilleure série du monde, côtoie des renois et des rebeus, pense que pour être belle il faut être souple et blonde, j’en passe et des meilleurs. En deux mots, elle est crédible (prends en de la graine Pico !).
La vie d’Esther sonne juste parce que Riad Sattouf a recueilli le témoignage à la source. Esther est la fille d’un couple d’amis .Chaque semaine, il échange avec elle, lui pose des questions, la laisse raconter les événements qui l’ont marquée. Avec ce matériau brut, il construit ses histoires au plus près de la réalité. Comme ses camarades de classe, Esther ne s’embarrasse pas de jugement, ni de la peur de blesser. La méchanceté gratuite ne la choque pas, ni le fait qu’une cour de récré se résume souvent à un clivage entre gros durs et souffre-douleurs. Son regard innocent et sans filtre, fortement (et logiquement) imprégnée par la société qui l’entoure, dresse au fil des pages le portrait infiniment juste d’une enfant de notre époque. Et ça fait un bien fou, même si ça pique un peu parfois.
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans de Riad Sattouf. Allary éditions, 2016. 54 pages.
Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Framboise et Philisine (merci pour le cadeau et, une fois encore, félicitations pour la bonne nouvelle que tu m’as annoncée en début de semaine !).
mercredi 17 février 2016
Blast - de Manu Larcenet
Voila, ça y est, j’ai lu Blast. J’ai mis le temps. Il a fallu qu’on me prenne par la main. D’abord qu’une bonne âme décide de m’offrir les quatre volumes d’un seul coup (un immense cadeau !). Ensuite qu’une autre bonne âme me propose une lecture commune. L’occasion de sauter enfin le pas, de dépasser ma peur du choc un peu trop violent qui jusqu’alors me retenait. Exactement comme avec Maus en fait. Résultat ? Une claque monumentale, de celle dont on se souvient toute sa vie.
« Vous cherchez à simplifier mon histoire en une suite logique qui vous mènerait à Carole. Mon histoire n’est pas mathématique ! Elle se résume tout entière à la collision entre le hasard et mes… obsessions… Et ce qui est fascinant, c’est qu’entre ces deux pôles, il n’y a pas trace de morale, d’éthique ou même de justice… Là où vous vous réduisez à la loi, je ne me conforme qu’à la nature. Et la justice n’existe pas dans la nature. »
Deux flics. Un suspect. Une garde à vue. Carole est la victime. Dans le coma. Pozla a tout du coupable. On ne sait pas ce qu’il lui a fait, on ne sait pas qu’elles étaient leurs relations. Pozla, 38 ans. Écrivain devenu SDF à la mort de son père. Un routard alcoolique, obèse au physique répugnant. Un homme qui a été interné plusieurs fois, a vécu dans les bois puis dans des maisons abandonnées. Il aura fallu près de 800 pages à Manu Larcenet pour retracer son parcours, ses errances. Au fil des saisons, au fil de rencontres pas vraiment heureuses.
Pozla est à la recherche du Blast, un moment de transe inouï et béni où il se détache du monde, de cette enveloppe corporelle dans laquelle il étouffe. Une sorte de révélation métaphysique indéfinissable qui surgit rarement et sans crier gare.
Larcenet gratte, creuse, sonde les tréfonds de l’âme humaine dans toute sa folie, sa violence, sa solitude. Il traduit avec brio la complexité d’une incroyable souffrance psychologique, en prenant son temps, en étalant les silences de Pozla sur des cases et des cases, donnant parfois dans le contemplatif, le méditatif, l’introspection la plus intime. Graphiquement, il alterne le noir charbonneux, le lavis, le gris délavé, le crayonné rapide, le trait délicat, les gros plans et les illustrations pleine page dans un jeu d’ombres et de lumière permanent.
En fait, je me rends compte que je suis incapable d’exprimer correctement mon ressenti, incapable de dire à quel point j’ai été ébranlé par cette lecture, à quel point Blast est un bijou de noirceur sans concession qui interroge, bouscule, révolte, provoque et dont on ne sort pas indemne. En fait, je me rends compte que Blast est une œuvre trop dense, trop troublante, trop sidérante pour que je lui offre l’hommage qu’elle mérite. Une œuvre trop grande pour moi, ni plus ni moins. Un monument de la BD dont mon avis ne parvient pas à être à la hauteur mais que je suis heureux d’avoir enfin lu et qui restera comme un des plus précieux trésors de ma bibliothèque personnelle. Pour le reste, je ne peux que vous inviter à vous y plonger au plus vite, et sans traîner !
Blast T1 de Manu Larcenet. Dargaud, 2009. 204 pages.
Blast T2 de Manu Larcenet. Dargaud, 2011. 204 pages.
Blast T3 de Manu Larcenet. Dargaud, 2012. 204 pages.
Blast T4 de Manu Larcenet. Dargaud, 2014. 204 pages.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Moka.
« Vous cherchez à simplifier mon histoire en une suite logique qui vous mènerait à Carole. Mon histoire n’est pas mathématique ! Elle se résume tout entière à la collision entre le hasard et mes… obsessions… Et ce qui est fascinant, c’est qu’entre ces deux pôles, il n’y a pas trace de morale, d’éthique ou même de justice… Là où vous vous réduisez à la loi, je ne me conforme qu’à la nature. Et la justice n’existe pas dans la nature. »
Deux flics. Un suspect. Une garde à vue. Carole est la victime. Dans le coma. Pozla a tout du coupable. On ne sait pas ce qu’il lui a fait, on ne sait pas qu’elles étaient leurs relations. Pozla, 38 ans. Écrivain devenu SDF à la mort de son père. Un routard alcoolique, obèse au physique répugnant. Un homme qui a été interné plusieurs fois, a vécu dans les bois puis dans des maisons abandonnées. Il aura fallu près de 800 pages à Manu Larcenet pour retracer son parcours, ses errances. Au fil des saisons, au fil de rencontres pas vraiment heureuses.
Pozla est à la recherche du Blast, un moment de transe inouï et béni où il se détache du monde, de cette enveloppe corporelle dans laquelle il étouffe. Une sorte de révélation métaphysique indéfinissable qui surgit rarement et sans crier gare.
Larcenet gratte, creuse, sonde les tréfonds de l’âme humaine dans toute sa folie, sa violence, sa solitude. Il traduit avec brio la complexité d’une incroyable souffrance psychologique, en prenant son temps, en étalant les silences de Pozla sur des cases et des cases, donnant parfois dans le contemplatif, le méditatif, l’introspection la plus intime. Graphiquement, il alterne le noir charbonneux, le lavis, le gris délavé, le crayonné rapide, le trait délicat, les gros plans et les illustrations pleine page dans un jeu d’ombres et de lumière permanent.
En fait, je me rends compte que je suis incapable d’exprimer correctement mon ressenti, incapable de dire à quel point j’ai été ébranlé par cette lecture, à quel point Blast est un bijou de noirceur sans concession qui interroge, bouscule, révolte, provoque et dont on ne sort pas indemne. En fait, je me rends compte que Blast est une œuvre trop dense, trop troublante, trop sidérante pour que je lui offre l’hommage qu’elle mérite. Une œuvre trop grande pour moi, ni plus ni moins. Un monument de la BD dont mon avis ne parvient pas à être à la hauteur mais que je suis heureux d’avoir enfin lu et qui restera comme un des plus précieux trésors de ma bibliothèque personnelle. Pour le reste, je ne peux que vous inviter à vous y plonger au plus vite, et sans traîner !
Blast T1 de Manu Larcenet. Dargaud, 2009. 204 pages.
Blast T2 de Manu Larcenet. Dargaud, 2011. 204 pages.
Blast T3 de Manu Larcenet. Dargaud, 2012. 204 pages.
Blast T4 de Manu Larcenet. Dargaud, 2014. 204 pages.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Moka.
Les BD de la semaine sont à découvrir chez Stephie aujourd'hui |
mardi 16 février 2016
La porte de la salle de bain - Sandrine Beau
« J’avais honte de ce qui m’arrivait. Honte d’en parler. Honte que les autres le sachent. Honte de ne pas arriver à le dire. »
Mia était pourtant tellement contente de ressentir cette douleur juste au-dessus du cœur. « Le tout début du commencement du départ des seins qui poussent ! ». Enfin, l’événement tant attendu était en marche, un vrai soulagement et une grande fierté. Mais très vite, la jeune fille a déchanté : « C'est à partir des p'tits œufs au plat que tout s'est déglingué. Comme s'ils s'étaient passé le mot pour gâcher ma joie toute nouvelle. Ça a commencé dans le bus. C'est là que j'ai vu le regard des hommes changer. Enfin de certains hommes... Ceux-là, ils ne se gênaient pas pour me regarder. Ou plutôt pour me regarder directement dans les seins. Pas gênés ! Tranquilles. Je détestais ça. »
Surtout, l’attitude de son beau-père change. Monsieur se permet d’entrer sans prévenir dans la salle bain pendant qu’elle prend sa douche quand sa mère n’est pas là. Mia met en vain des stratagèmes pour éviter toute intrusion. La situation la mine de plus en plus, elle refuse de se confier et ne supporte plus la situation…
Attention, sujet archi casse-gueule. Le beau-père qui dérape avec une gamine de 11 ans dans un roman jeunesse, c’est un peu un exercice d’équilibriste. Sandrine Beau marche sur un fil mais elle le fait avec une belle assurance. Pas question de tomber dans le sordide tout en restant réaliste. Le malaise est bien présent mais jamais il ne devient étouffant. La suggestion ne laisse place à aucune ambiguïté, sans choquer, et la voix de Mia est d’une justesse touchante.
Un roman parfait pour aborder la question avec de jeunes ados. L’importance de préserver son intimité, les métamorphoses du corps pouvant impliquer un changement de comportement et de regard chez les tiers, la nécessité absolue de ne pas garder les choses pour soi, de confier sa souffrance, de ne pas tomber dans le piège de la victime qui se sent coupable. Une vraie réussite et un pari difficile relevé haut la main.
La porte de la salle de bain de Sandrine Beau. Talents Hauts, 2015. 95 pages. 7,00 euros. A partir de 12-13 ans.
Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
Mia était pourtant tellement contente de ressentir cette douleur juste au-dessus du cœur. « Le tout début du commencement du départ des seins qui poussent ! ». Enfin, l’événement tant attendu était en marche, un vrai soulagement et une grande fierté. Mais très vite, la jeune fille a déchanté : « C'est à partir des p'tits œufs au plat que tout s'est déglingué. Comme s'ils s'étaient passé le mot pour gâcher ma joie toute nouvelle. Ça a commencé dans le bus. C'est là que j'ai vu le regard des hommes changer. Enfin de certains hommes... Ceux-là, ils ne se gênaient pas pour me regarder. Ou plutôt pour me regarder directement dans les seins. Pas gênés ! Tranquilles. Je détestais ça. »
Surtout, l’attitude de son beau-père change. Monsieur se permet d’entrer sans prévenir dans la salle bain pendant qu’elle prend sa douche quand sa mère n’est pas là. Mia met en vain des stratagèmes pour éviter toute intrusion. La situation la mine de plus en plus, elle refuse de se confier et ne supporte plus la situation…
Attention, sujet archi casse-gueule. Le beau-père qui dérape avec une gamine de 11 ans dans un roman jeunesse, c’est un peu un exercice d’équilibriste. Sandrine Beau marche sur un fil mais elle le fait avec une belle assurance. Pas question de tomber dans le sordide tout en restant réaliste. Le malaise est bien présent mais jamais il ne devient étouffant. La suggestion ne laisse place à aucune ambiguïté, sans choquer, et la voix de Mia est d’une justesse touchante.
Un roman parfait pour aborder la question avec de jeunes ados. L’importance de préserver son intimité, les métamorphoses du corps pouvant impliquer un changement de comportement et de regard chez les tiers, la nécessité absolue de ne pas garder les choses pour soi, de confier sa souffrance, de ne pas tomber dans le piège de la victime qui se sent coupable. Une vraie réussite et un pari difficile relevé haut la main.
La porte de la salle de bain de Sandrine Beau. Talents Hauts, 2015. 95 pages. 7,00 euros. A partir de 12-13 ans.
Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
lundi 15 février 2016
Les portes de fer - Jens Christian Grondahl
Ce roman, c’est l’histoire d’un homme à travers trois époques de sa vie. A 18 ans, le narrateur se passionne pour la philosophie. Posters de Marx et de Hendrix dans sa chambre, le cœur ancré à l'extrême gauche, il voit sa mère emportée par le cancer et être remplacée dans la foulée par une inconnue. Première déconvenue amoureuse avec la belle Erika qu’il aura rejointe à Berlin sur un coup de tête, en vain. Puis nous le retrouvons quarantenaire, au milieu des années 90. Devenu enseignant, divorcé de Maria, père d’une ado, il recueille un élève venu de Serbie et a une aventure avec sa mère, Ivana. Elle disparaîtra sans laisser de trace. Troisième temps, troisième époque. A la veille de ses 60 ans, grand-père depuis peu, il déambule seul dans les rues de Rome et rencontre Jessie, une photographe qui pourrait être sa fille et avec laquelle il part vers le sud…
A quoi tient la vie d’un homme ? Pour Jens Christian Grondahl, essentiellement aux femmes qui l’ont traversée. Du moins celles avec lesquelles nous passons « plus qu’une simple nuit de hasard ». Lisbeth, Erika, Adèle, Viviane, Maria, Ivana, Benedicte, Jessie. Des femmes aimées et perdues qui nous laissent parfois penser que l’on est passé à coté de l’essentiel. Ou pas. Quoi qu’il en soit, aucune raison de dramatiser pour autant. Il reste forcément quelques regrets mais on finit toujours par s’en accommoder.
Que j’ai aimé ce portrait sobre, mélancolique mais jamais geignard et surtout ne jouant pas sur la corde du « c’était mieux avant ». J’ai apprécié retrouver ce « même homme à des âges différents, avec des nuances différentes, avec une répartition de connaissances et d’espoirs, de pesanteur et de vivacité qui n’était plus tout à fait la même ». Il m’a touché ce narrateur fou de livres et de culture, amoureux de son métier, « arrogant et plein de doutes sur lui-même », ce solitaire conscient que la vie des siens, dont il ne s’est jamais vraiment préoccupé, « avait continué dans toutes les directions, sans [lui] ». Rien de plaintif donc, chez celui qui n’a jamais eu peur de vieillir, considérant au contraire que « les ans sont comme une lente arrivée vers moi-même. »
Un texte superbe sur le temps qui passe, le désir et la tristesse de son assouvissement, le désenchantement comme marque de fabrique du bourgeois occidental. Tout en pudeur et sans esclandre. Un régal.
Les portes de fer de Jens Christian Grondahl. Gallimard, 2016. 404 pages. 23,50 euros.
A quoi tient la vie d’un homme ? Pour Jens Christian Grondahl, essentiellement aux femmes qui l’ont traversée. Du moins celles avec lesquelles nous passons « plus qu’une simple nuit de hasard ». Lisbeth, Erika, Adèle, Viviane, Maria, Ivana, Benedicte, Jessie. Des femmes aimées et perdues qui nous laissent parfois penser que l’on est passé à coté de l’essentiel. Ou pas. Quoi qu’il en soit, aucune raison de dramatiser pour autant. Il reste forcément quelques regrets mais on finit toujours par s’en accommoder.
Que j’ai aimé ce portrait sobre, mélancolique mais jamais geignard et surtout ne jouant pas sur la corde du « c’était mieux avant ». J’ai apprécié retrouver ce « même homme à des âges différents, avec des nuances différentes, avec une répartition de connaissances et d’espoirs, de pesanteur et de vivacité qui n’était plus tout à fait la même ». Il m’a touché ce narrateur fou de livres et de culture, amoureux de son métier, « arrogant et plein de doutes sur lui-même », ce solitaire conscient que la vie des siens, dont il ne s’est jamais vraiment préoccupé, « avait continué dans toutes les directions, sans [lui] ». Rien de plaintif donc, chez celui qui n’a jamais eu peur de vieillir, considérant au contraire que « les ans sont comme une lente arrivée vers moi-même. »
Un texte superbe sur le temps qui passe, le désir et la tristesse de son assouvissement, le désenchantement comme marque de fabrique du bourgeois occidental. Tout en pudeur et sans esclandre. Un régal.
Les portes de fer de Jens Christian Grondahl. Gallimard, 2016. 404 pages. 23,50 euros.
dimanche 14 février 2016
Quand on a que l'amour...
Un peu d'amour en ce jour de Saint Valentin, je donne dans l'originalité, non ? Un peu, beaucoup, passionnément... c'est tout ce dont j'ai besoin en ce moment alors aucune raison de se priver. Ces trois albums me tiennent particulièrement à cœur, alors en route pour un peu de poésie dans un monde de brutes.
Ceci est une lettre d'amour,
Deux qui s'aiment de Jürg Schubiger et Wolf Erbruch. La joie de lire, 2013. 44 pages. 12,00 euros.
Deux qui s'aimaient voulaient se donner un baiser,
mais ne savaient comment s'y prendre.
Longtemps on en resta aux courbettes.
Quand leurs bouches enfin se touchèrent,
........................................................................................................................
Ceci est une lettre d'amour,
aussi profonde, aussi sombre
que la forêt par exemple,
ou que la nuit, tout simplement.
Mon cœur bat fort
à ta porte
et tu cries : entre !
Car je ne veux pas être sans toi,
mais avec toi plutôt.
Ceci est une lettre d'amour,
aussi profonde, aussi sombre
que la mer par exemple,
sans fond, tout simplement.
Aimer
verbe du premier groupe
et du premier amour
Il est petit le groupe
toi et moi
Rien que nous deux
ça fait bien peu
Mais rien que toi
c'est déjà tout
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Courir
verbe d'amour
Courir vers toi
des jambes dans la tête
Je pense donc je cours
tu m'aimes donc j'y crois
Je vous aime de Marc Baron et Anna Obon. Bulles de savon, 2014. 40 pages. 14,50 euros.
Je t'aime tellement que je crois qu'on ne survit pas à ce genre d'état
Je t'aime tellement que je pourrais ouvrir le toit et aspirer tous les nuages qui passent
Je t'aime tellement que nous serons fous avant d'avoir l'âge
Il n'y a plus rien à faire qu'aimer. C'est gigantesque
Je t'aime tellement que de Anne Herbauts. Casterman, 2013. 56 pages. 18,50 euros.
vendredi 12 février 2016
Viens avec moi - Castle Freeman Jr
Au fin fond du Vermont, dans le trou du cul de l’Amérique profonde, Lilian a besoin d’aide. Elle est devenue la cible de Blackway, le gros dur du coin. Terrorisé, son petit copain s’est fait la malle mais elle a décidé de rester et d’affronter son adversaire. Mission perdue d’avance quand on a pour seule arme un ridicule couteau à beurre. La police refusant de l’aider, elle se tourne vers Whizzer, ancien bûcheron en chaise roulante qui passe ses journées dans un moulin désaffecté avec des glandouilleux de première à disserter en sirotant des bières. Whizzer lui dégote deux anges gardiens pas vraiment rassurants : Lester, vieillard boiteux à l’œil malicieux et Nate, géant baraqué un peu crétin sur les bords. Embarquée dans une chasse à l’homme avec cet étrange duo, Lilian se demande comment elle va pouvoir s’en sortir vivante…
Comme quoi, c’est pas compliqué de faire un roman qui me plait, même un roman noir. Eviter le suspens et la tension du thriller, ne pas diluer sur 600 pages une intrigue qui tiendrait en 200, ne pas imaginer une histoire alambiquée avec trois mille personnages et des rebondissements toutes les deux secondes, ne pas donner dans le récit psychologique, entre autres. Castle Freeman Jr a compris tout ça. Il déroule les événements sur une seule journée et va droit au but. On commence au petit matin avec Lilian cherchant de l’aide, on termine le soir avec Lilian ayant réglé son problème. Simple, direct, sans fioriture.
Le scénario avance de façon linéaire, on navigue d’hôtels miteux en bars crasseux jusqu’au cœur de la forêt et on sait d’avance qu’une explosion de violence viendra conclure les débats. Chaque étape du périple de Lilian et de ses acolytes est précédée de conversations drôles et absurdes entre Whizzer et sa clique. Les dialogues sont vraiment le gros point fort de ce roman intense et sans boursouflage inutile. A noter que son adaptation cinématographique, réalisée par Daniel Alfredson (le suédois qui a porté à l'écran la saga Millénium) et avec au générique Anthony hopkins et Ray Liotta, sera bientôt dans les salles.
Viens avec moi de Castle Freeman Jr. Sonatine, 2016. 186 pages. 17,00 euros.
Comme quoi, c’est pas compliqué de faire un roman qui me plait, même un roman noir. Eviter le suspens et la tension du thriller, ne pas diluer sur 600 pages une intrigue qui tiendrait en 200, ne pas imaginer une histoire alambiquée avec trois mille personnages et des rebondissements toutes les deux secondes, ne pas donner dans le récit psychologique, entre autres. Castle Freeman Jr a compris tout ça. Il déroule les événements sur une seule journée et va droit au but. On commence au petit matin avec Lilian cherchant de l’aide, on termine le soir avec Lilian ayant réglé son problème. Simple, direct, sans fioriture.
Le scénario avance de façon linéaire, on navigue d’hôtels miteux en bars crasseux jusqu’au cœur de la forêt et on sait d’avance qu’une explosion de violence viendra conclure les débats. Chaque étape du périple de Lilian et de ses acolytes est précédée de conversations drôles et absurdes entre Whizzer et sa clique. Les dialogues sont vraiment le gros point fort de ce roman intense et sans boursouflage inutile. A noter que son adaptation cinématographique, réalisée par Daniel Alfredson (le suédois qui a porté à l'écran la saga Millénium) et avec au générique Anthony hopkins et Ray Liotta, sera bientôt dans les salles.
Viens avec moi de Castle Freeman Jr. Sonatine, 2016. 186 pages. 17,00 euros.
mercredi 10 février 2016
Alvin - Dillies et Hautière
Ne pas comparer l’incomparable. C’est avec ce leitmotiv en tête que je me suis lancé dans ce diptyque reprenant l’univers du chef d’œuvre Abélard. Ne pas comparer l’incomparable pour éviter toute déception, car il m’apparaissait évident avant le coup qu’Alvin ne pourrait pas rivaliser avec le poussin rêveur et cueilleur d’étoiles qui avait fait fondre mon petit cœur tout mou.
Ce postulat de départ posé, j’ai pu retrouver avec plaisir Gaston, l’ours bougon compagnon de route d’Abélard. Un Gaston mélancolique, travaillant comme manœuvre sur des chantiers et noyant son blues le soir venu dans un bar où il retrouve la jolie Purity, avec laquelle il passe quelques moments d’intimité tarifée. Avant de succomber sous les coups d’un client aviné, la belle demande au plantigrade de s’occuper de son fils Alvin. Prendre soin d’un gamin teigneux et turbulent n’ayant pas sa langue dans sa poche n’enchante pas vraiment Gaston, mais une promesse est une promesse. L’assistance publique ne voulant plus du garnement, l’adoption par un riche couple tournant au fiasco, Gaston se résout à ramener l’enfant dans le village natal de sa mère, dans le sud profond.
J’avoue que je n’ai pas vraiment su par quel bout prendre cette histoire. D’abord un peu déçu par le manque d’originalité du duo Gatson/Alvin. Le père malgré lui à la froideur de façade qui a en fait un cœur gros comme ça et le gosse pénible mais finalement touchant et fragile, cela m’a paru un poil stéréotypé et manquant de subtilité (ne pas comparer, ne pas comparer, ne pas comparer…). Manque de subtilité encore dans le second tome dénonçant les méfaits d'un discours pseudo-religieux alimentant la haine ordinaire et la stigmatisation d’une population (les « emplumés à bec ») considérée comme inférieure et dégénérée. Le parti pris est certes limpide mais il manque cruellement de nuance. Dernier détail qui m’a gêné, une happy end bien trop mielleuse à mon goût, surtout après l’émotion tragique de la fin d’Abélard (punaise, on a dit qu’on ne comparait pas !!!!!!).
Reste (encore heureux !) de nombreux points positifs. Le fabuleux dessin de Renaud Dillies, offrant une humanité débordante aux animaux qu'il met en scène, son jeu sur les couleurs, ses gros plans si explicites, ses trouvailles graphiques pleines de charme, sa capacité à rendre expressif le moindre silence, etc. Et cette poésie qui surgit du chapeau d'Abélard dont Gaston a hérité, la tendresse et l'émotion jamais surjouées, des séquences magnifiques où le dessin et les dialogues s'unissent parfaitement... bref, le plaisir de lecture est là et bien là, ça ne fait aucun doute.
Un diptyque que je conseille donc plus que fortement malgré mes bémols, c'est une évidence (et pas un mot de plus sur Abélard, non mais !).
Alvin T1 : L’héritage d’Abélard de Dillies et Hautière. Dargaud, 2015. 56 pages. 14,00 euros.
Alvin T2 : Le Bal des Monstres de Dillies et Hautière. Dargaud, 2016. 56 pages. 14,00 euros.
Une lecture commune que je partage avec Mo et Noukette. Je ne pouvais rêver meilleure compagnie pour suivre les traces d'Alvin et Gaston.
Ce postulat de départ posé, j’ai pu retrouver avec plaisir Gaston, l’ours bougon compagnon de route d’Abélard. Un Gaston mélancolique, travaillant comme manœuvre sur des chantiers et noyant son blues le soir venu dans un bar où il retrouve la jolie Purity, avec laquelle il passe quelques moments d’intimité tarifée. Avant de succomber sous les coups d’un client aviné, la belle demande au plantigrade de s’occuper de son fils Alvin. Prendre soin d’un gamin teigneux et turbulent n’ayant pas sa langue dans sa poche n’enchante pas vraiment Gaston, mais une promesse est une promesse. L’assistance publique ne voulant plus du garnement, l’adoption par un riche couple tournant au fiasco, Gaston se résout à ramener l’enfant dans le village natal de sa mère, dans le sud profond.
J’avoue que je n’ai pas vraiment su par quel bout prendre cette histoire. D’abord un peu déçu par le manque d’originalité du duo Gatson/Alvin. Le père malgré lui à la froideur de façade qui a en fait un cœur gros comme ça et le gosse pénible mais finalement touchant et fragile, cela m’a paru un poil stéréotypé et manquant de subtilité (ne pas comparer, ne pas comparer, ne pas comparer…). Manque de subtilité encore dans le second tome dénonçant les méfaits d'un discours pseudo-religieux alimentant la haine ordinaire et la stigmatisation d’une population (les « emplumés à bec ») considérée comme inférieure et dégénérée. Le parti pris est certes limpide mais il manque cruellement de nuance. Dernier détail qui m’a gêné, une happy end bien trop mielleuse à mon goût, surtout après l’émotion tragique de la fin d’Abélard (punaise, on a dit qu’on ne comparait pas !!!!!!).
Reste (encore heureux !) de nombreux points positifs. Le fabuleux dessin de Renaud Dillies, offrant une humanité débordante aux animaux qu'il met en scène, son jeu sur les couleurs, ses gros plans si explicites, ses trouvailles graphiques pleines de charme, sa capacité à rendre expressif le moindre silence, etc. Et cette poésie qui surgit du chapeau d'Abélard dont Gaston a hérité, la tendresse et l'émotion jamais surjouées, des séquences magnifiques où le dessin et les dialogues s'unissent parfaitement... bref, le plaisir de lecture est là et bien là, ça ne fait aucun doute.
Un diptyque que je conseille donc plus que fortement malgré mes bémols, c'est une évidence (et pas un mot de plus sur Abélard, non mais !).
Alvin T1 : L’héritage d’Abélard de Dillies et Hautière. Dargaud, 2015. 56 pages. 14,00 euros.
Alvin T2 : Le Bal des Monstres de Dillies et Hautière. Dargaud, 2016. 56 pages. 14,00 euros.
Une lecture commune que je partage avec Mo et Noukette. Je ne pouvais rêver meilleure compagnie pour suivre les traces d'Alvin et Gaston.
mardi 9 février 2016
L’été des pas perdus - Rachel Hausfater
« On retourne chez lui, où je me sens chez moi, on repart dans son temps, ce bon vieux temps d’antan qui est devenu mon temps. Cela fait des semaines que je chemine à ses côtés, à me balader de maintenant à avant, à lui tenir la main et l’écouter parler. De tout l’été, je ne l’ai pas lâché, je l’ai accompagné partout où il allait, dans tous ses âges, au gré de ses souvenirs, à partager ses joies et consoler ses peines. »
Madeleine, la narratrice, passe l’été avec son grand-père. Un grand père dont la mémoire défaille de plus en plus souvent. Un grand-père qu’elle adore, aimant, « mais de plus en plus en plus absent ». Un grand-père qui est là pour la garder pendant que ses parents divorcés ont mieux à faire. Mais peu à peu les rôles s'inversent et c’est elle qui en vient à s’occuper de lui.
Ensemble ils vont quitter Paris en train pour la Normandie. Sur les terres natales de « Gramps », sur ces plages où, petit garçon, il a vécu en direct le débarquement. Le grand-père raconte, il se croit parfois revenu en enfance, confond Madeleine avec sa propre sœur. Il se fatigue, mélange passé et présent, remonte soudainement la pente et replonge aussitôt. Et Madeleine gère comme elle peut, joue le jeu pour lui faire plaisir, le rappelle parfois à la dure réalité de cette mémoire qui fiche le camp…
Une chronique douce et tendre abordant un sujet difficile. Rachel Hausfater montre bien la perte de lucidité, l’alternance entre les périodes de lumière et celles où les choses s’effacent. Les sentiments de Madeleine suivent les traces de ces montagnes russes dont elle finit par s’accoutumer avec une belle maturité. Au-delà de la maladie reste l’amour inconditionnel d’une petite fille pour un grand-père qui s’éloigne d’elle bien malgré lui. C’est sensible et touchant, à aucun moment larmoyant et l’écriture a un petit quelque chose d’indéfinissable et plein de charme. Un très joli petit roman.
L’été des pas perdus de Rachel Hausfater. Flammarion, 2015. 114 pages. 12,00 euros. A partir de 11 ans.
Une lecture jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.
Les avis de Gambadou, Lasardine, Livresse, Nadège
Madeleine, la narratrice, passe l’été avec son grand-père. Un grand père dont la mémoire défaille de plus en plus souvent. Un grand-père qu’elle adore, aimant, « mais de plus en plus en plus absent ». Un grand-père qui est là pour la garder pendant que ses parents divorcés ont mieux à faire. Mais peu à peu les rôles s'inversent et c’est elle qui en vient à s’occuper de lui.
Ensemble ils vont quitter Paris en train pour la Normandie. Sur les terres natales de « Gramps », sur ces plages où, petit garçon, il a vécu en direct le débarquement. Le grand-père raconte, il se croit parfois revenu en enfance, confond Madeleine avec sa propre sœur. Il se fatigue, mélange passé et présent, remonte soudainement la pente et replonge aussitôt. Et Madeleine gère comme elle peut, joue le jeu pour lui faire plaisir, le rappelle parfois à la dure réalité de cette mémoire qui fiche le camp…
Une chronique douce et tendre abordant un sujet difficile. Rachel Hausfater montre bien la perte de lucidité, l’alternance entre les périodes de lumière et celles où les choses s’effacent. Les sentiments de Madeleine suivent les traces de ces montagnes russes dont elle finit par s’accoutumer avec une belle maturité. Au-delà de la maladie reste l’amour inconditionnel d’une petite fille pour un grand-père qui s’éloigne d’elle bien malgré lui. C’est sensible et touchant, à aucun moment larmoyant et l’écriture a un petit quelque chose d’indéfinissable et plein de charme. Un très joli petit roman.
L’été des pas perdus de Rachel Hausfater. Flammarion, 2015. 114 pages. 12,00 euros. A partir de 11 ans.
Une lecture jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.
Les avis de Gambadou, Lasardine, Livresse, Nadège
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