Pour des raisons « techniques », Noukette ne peut m’accompagner aujourd’hui pour vous présenter une pépite jeunesse. J’ai donc dû me débrouiller tout seul dans mon coin, et j’avoue que c’est quand même bien moins plaisant quand elle n'est pas à mes cotés. J’ai néanmoins réussi à dégoter un petit roman (d’un grand monsieur) qui aborde un sujet pour le moins méconnu.
Je n’avais jamais entendu parler du Coltan, ce minerai indispensable au fonctionnement de nos smartphones et à leur miniaturisation toujours plus poussée. Donc je ne savais pas que pour l’extraire, en République démocratique du Congo, des milices sans foi ni loi exploitent des hommes, des femmes et des enfants enlevés dans leur village pour devenir des esclaves.
Daeninckx raconte l’histoire de Cherald, 13 ans, kidnappé dans sa salle de classe avec tous ses camarades et qui se retrouve du jour au lendemain plongé dans l’enfer des mines de Coltan, où ses talents pour manier les armes à feu lui vaudront d’être désigné comme surveillant des prisonniers avec pour ordre d’abattre quiconque tenterait de s’échapper. Les circonstances vont lui permettre de rejoindre la Belgique après plusieurs mois de captivité. Un pays dans lequel il découvrira à quoi sert le minerai gris arraché dans le sang et les larmes à la terre d’Afrique…
Réédition d'un texte publié en 2013 sous le titre « Mortel smartphone : nos p... de téléphones portables valent-ils un tel bain de sang ? », ce petit livre ouvre les yeux sur une situation souvent méconnue, sur une forme d’esclavagisme moderne à laquelle nous participons pour la plupart, même indirectement. Et avec l'écriture directe, tendue, très visuelle de Daeninckx, le propos a d’autant plus de portée. Quelques éclaircissements géopolitiques et techniques sur la fabrication du coltan sont bienvenus mais pas besoin non plus d’explications trop poussées, la mise en contexte des faits se suffit à elle-même. En fin d’ouvrage, l’auteur précise dans une interview ce qui l’a poussé à écrire ce texte et exprime sa colère face un phénomène révoltant dont, pour ainsi dire, personne ne parle. Instructif et engagé.
Mortel Smartphone de Didier Daeninckx. Oskar, 2015. 60 pages. 5,95 euros. A partir de 10-11 ans.
mardi 13 octobre 2015
lundi 12 octobre 2015
Petit éloge de la jouissance féminine - Adeline Fleury
« La jouissance féminine est une grande fête. Elle est
puissante, belle, c'est une joie qui transporte, dans laquelle on lâche prise,
on lâche tout, on laisse échapper. »
Je sais, nous ne sommes pas le 1er mardi du mois.
Et alors ? Je suis un homme imprévisible vous savez. Et puis comment
résister à un tel titre, croisé par le plus grand des hasards sur une table de
librairie la semaine dernière (je vous jure que c’est vrai !).
« Cette nuit j’ai joui, j’ai joui pour la première fois
de ma vie. J’ai senti cette chaleur intense m’emplir de l’intérieur, du vagin
au cerveau, partout dans le ventre, la poitrine gonflée de plaisir, la bouche
et les papilles pleines de saveurs inconnues. Mon corps a tressauté, j’en ai
perdu le contrôle. Je suis émerveillée par ce que mon corps est capable de
faire, de l’avoir confronté à ses limites. »
Adèle a 35 ans lorsqu’elle jouit pour la première fois. Cette
journaliste, mariée et mère d’un petit garçon avait jusqu’alors aimé tendrement
mais d’un amour où le sexe n’était pas primordial. Il a suffi d’une rencontre,
avec celui qui allait devenir son amant, celui qu’elle qualifie « d’homme-électrochoc »,
pour que sa vie bascule, qu’elle s’éveille au désir et accède au plaisir.
Le désir est le point central de ce texte 100%
autobiographique. Adèle est le double littéraire d’Adeline. Elle raconte sa
transformation, ce que cette naissance du désir à impliqué comme changement,
dans sa sexualité bien sûr, mais aussi dans ses relations sociales, son regard
sur son statut de femme et sur un corps qu’elle n’avait jusque là jamais mis en
valeur, qu’elle n’était jamais parvenue à habiter pleinement. Du désir
naît l’accomplissement, du désir naît l’épanouissement : « Dans la
jouissance, la distinction entre le corps et le sexe est gommée, la jouissance
l’emporte sur tout, la jouissance est le grand Tout ».
Au cœur de cette métamorphose, « l’homme-électrochoc ».
Une espèce rare, sans doute en voie de disparition, et que beaucoup de femmes
ne croiseront jamais au cours de leur existence : « Mon amant fait
partie de cette caste rare d’hommes qui font l’amour avec héroïsme, qui aiment
faire jouir les femmes avant d’envisager de jouir eux-mêmes. […] Auprès de l’homme
électrochoc, « je suis » à fond, pour la première fois, je n’intellectualise
pas une relation, je la vis. Je suis en pleine catharsis inversée. Pour une
fois, je ne transforme pas mes émotions en pensées, mais je ne suis qu’émotions
et j’arrête de penser. »
J’ai beaucoup aimé cette réflexion sur la jouissance
féminine, parfois crue, toujours profonde (la réflexion), n’idéalisant jamais
totalement cette métamorphose qui suscita aussi de nombreuses souffrances. Et puis adoré les nombreuses références cinématographiques et les extraits
littéraires cités tout au long du récit (Simone de Beauvoir, Flaubert, Henry
Miller, Despentes, Louise Labé, Anaïs Nin, Sappho, Yourcener, etc.). Seul
bémol, une vision « universelle » dans l’avant propos qui m’a quelque
peu gêné, affirmant qu’une vie sans désir sexuel est une vie « sans envie,
sans élan, une existence statique, immobile. » Dans son cas particulier,
certes. Mais de là à généraliser à l’ensemble des femmes, il me semble que c'est loin d'être aussi simple, et heureusement d'ailleurs.
Je recommande chaudement cette
lecture à tous les hommes. Pas parce que l’on donne ici dans le guide pratique,
mais au contraire parce que ce livre est tout sauf un guide pratique. Et aussi
parce que ce parcours individuel, ce témoignage sans fard, en toute franchise
et en toute liberté, ne peut pas nous faire de mal.Un beau portrait de femme en tout cas. Entière, qui assume et s’assume. Vibre, souffre, aime, s’interroge. Et s'épanouit.
Petit éloge de la jouissance féminine d’Adeline Fleury. Editions
François Bourin, 2015. 145 pages. 18,00 euros
PS : par contre, beaucoup de coquilles pour si peu de
pages, l’éditeur a moyennement fait le job niveau correction, c’est le
moins que l’on puisse dire.
samedi 10 octobre 2015
Quand le diable sortit de la salle de bain - Sophie Divry
Sophie est dans la dèche. Et pas qu’un peu. Chômage, RSA, factures qui s’accumulent, compte en banque au bord du précipice. Pâtes ou riz à tous les repas, aucune sortie possible, aucun loisir, aucun homme dans sa vie en dehors d’Hector, son meilleur ami dans la même situation qu’elle. Pas la joie donc, dans son studio lyonnais de douze mètres carrés, mais elle fait avec. La colère est contenue mais bien présente. Elle narre sa vie au jour le jour, la débrouille, la lutte contre la faim, la pauvreté qui, une fois qu’elle vous est tombée sur le dos, ne vous lâche plus. Elle décrit les méandres kafkaiens de Pôle Emploi, les non-dits face à la famille (pas question de faire pitié, de demander de l’aide, de les entendre la plaindre ou l’enfoncer) et un retour à l’emploi plutôt mouvementé dans le monde de la restauration. Jubilatoire !
Jubilatoire, oui. Parce que le ton n’est pas larmoyant. Il est drôle, enlevé, direct. La précarité n’est certes pas des plus joyeuses mais ici elle est racontée dans une langue explosive, une construction foutraque pleines de digressions potaches, de listes interminables, de néologismes, de prise à partie (ou à témoin) du lecteur, de changement intempestif de typographie, d’interventions d’un diable à la langue bien pendue, j’en passe et des meilleures. Ça pourrait être du grand n’importe quoi, ça devrait être du grand n’importe quoi, et pourtant ça se tient car l’ensemble relève d’une forme d’humour très pointue et très maîtrisée.
D’habitude, ce romanesque débridé n’est pas ma tasse de thé et j’avoue que je suis rentré dans ce texte sur la pointe des pieds. Mais très vite mes réticences sont tombées. Parce qu’au milieu d’une liberté formelle déroutante, le propos n’en reste pas moins pertinent et la description de la dèche particulièrement précise. En gros, c’est cocasse mais lucide. Extrêmement lucide même. L’équilibre semblait impossible à trouver. On marche tout du long sur un fil et j’étais certain d’en tomber à un moment donné. Ce n’est jamais arrivé. La prose se révèle aussi énergique que nerveuse et au final je me suis régalé d’un roman picaresque à souhait.
Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry. Notabilia, 2015. 310 pages. 18,00 euros.
Jubilatoire, oui. Parce que le ton n’est pas larmoyant. Il est drôle, enlevé, direct. La précarité n’est certes pas des plus joyeuses mais ici elle est racontée dans une langue explosive, une construction foutraque pleines de digressions potaches, de listes interminables, de néologismes, de prise à partie (ou à témoin) du lecteur, de changement intempestif de typographie, d’interventions d’un diable à la langue bien pendue, j’en passe et des meilleures. Ça pourrait être du grand n’importe quoi, ça devrait être du grand n’importe quoi, et pourtant ça se tient car l’ensemble relève d’une forme d’humour très pointue et très maîtrisée.
D’habitude, ce romanesque débridé n’est pas ma tasse de thé et j’avoue que je suis rentré dans ce texte sur la pointe des pieds. Mais très vite mes réticences sont tombées. Parce qu’au milieu d’une liberté formelle déroutante, le propos n’en reste pas moins pertinent et la description de la dèche particulièrement précise. En gros, c’est cocasse mais lucide. Extrêmement lucide même. L’équilibre semblait impossible à trouver. On marche tout du long sur un fil et j’étais certain d’en tomber à un moment donné. Ce n’est jamais arrivé. La prose se révèle aussi énergique que nerveuse et au final je me suis régalé d’un roman picaresque à souhait.
Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry. Notabilia, 2015. 310 pages. 18,00 euros.
vendredi 9 octobre 2015
Kokoro - Delphine Roux
Depuis le décès de leurs parents au cours d’un incendie, Koichi et sa grande sœur Seki essaient de se reconstruire. Seki s’est réfugiée dans le travail, a eu des enfants et mène une carrière brillante après des études aux États-Unis. Koichi, lui, magasinier dans une bibliothèque, a gardé une âme d’enfant : « Seki pense que j’ai l’âge mental d’un gosse de dix, tout au plus, qu’il faudrait que je pense à grandir, à agir en homme. » Une situation qu’il ne nie pas et avec laquelle il a appris à vivre, ne trouvant le bonheur qu’auprès de sa grand-mère adorée, une vieille femme perdant peu à peu la tête et croupissant dans une maison de retraite. Mais le jour où sa sœur sombre dans la dépression, le garçon décide de prendre les choses en main et se révèle bien plus mature qu’il ne l’aurait lui-même imaginé.
Soyons clair, j’ai adoré le personnage de Seki version « homme-enfant ». Son absence du monde, son absence d’ambition, son absence d’esprit de compétition, sa philosophie de vie : « Je ne remplis guère mon temps vacant. Le plus souvent, j’observe le monde en proximité. Je n’agis pas sur lui, n’essaie pas de le modifier. Pas l’envie, la volonté de ça. Je laisser aller. » Beaucoup verraient dans ce comportement une parfaite tête à claques. Ce n’est pas du tout mon cas. Je le trouve parfaitement attendrissant, en décalage complet par rapport à une société japonaise hyperactive où une très grande majorité fait de la réussite sociale sa raison d’être. Lui ne regarde pas les choses de haut, en donneur de leçon, il les regarde de loin, en spectateur peu, voire pas du tout concerné. C’est peut-être une posture facile à tenir, une posture de l’évitement, mais c’est une posture qui me parle énormément.
« Délicatesse » est sans doute le mot qui qualifie le mieux ce premier roman. Par le traitement de son sujet d’abord, et par son écriture ensuite. Une écriture légère, en apesanteur, d’une limpidité qui fait mouche. Pas de grands développements, on va à l’essentiel, peu de mots suffisent à dire l’intime, l’amour, les liens familiaux indestructibles malgré les apparences. C’est d’une rare subtilité, sans afféterie plombante. Une magnifique découverte, je suis tombé sous le charme de ce texte à la fois simple et lumineux !
Kokoro de Delphine Roux. Picquier, 2015. 114 pages. 12,50 euros.
Et une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette (oui, je sais, encore une, mais que voulez-vous, on adore ça !)
Soyons clair, j’ai adoré le personnage de Seki version « homme-enfant ». Son absence du monde, son absence d’ambition, son absence d’esprit de compétition, sa philosophie de vie : « Je ne remplis guère mon temps vacant. Le plus souvent, j’observe le monde en proximité. Je n’agis pas sur lui, n’essaie pas de le modifier. Pas l’envie, la volonté de ça. Je laisser aller. » Beaucoup verraient dans ce comportement une parfaite tête à claques. Ce n’est pas du tout mon cas. Je le trouve parfaitement attendrissant, en décalage complet par rapport à une société japonaise hyperactive où une très grande majorité fait de la réussite sociale sa raison d’être. Lui ne regarde pas les choses de haut, en donneur de leçon, il les regarde de loin, en spectateur peu, voire pas du tout concerné. C’est peut-être une posture facile à tenir, une posture de l’évitement, mais c’est une posture qui me parle énormément.
« Délicatesse » est sans doute le mot qui qualifie le mieux ce premier roman. Par le traitement de son sujet d’abord, et par son écriture ensuite. Une écriture légère, en apesanteur, d’une limpidité qui fait mouche. Pas de grands développements, on va à l’essentiel, peu de mots suffisent à dire l’intime, l’amour, les liens familiaux indestructibles malgré les apparences. C’est d’une rare subtilité, sans afféterie plombante. Une magnifique découverte, je suis tombé sous le charme de ce texte à la fois simple et lumineux !
Kokoro de Delphine Roux. Picquier, 2015. 114 pages. 12,50 euros.
Et une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette (oui, je sais, encore une, mais que voulez-vous, on adore ça !)
mercredi 7 octobre 2015
Au revoir là-haut - Pierre Lemaitre et Christian De Metter
Pour les rescapés de l’horreur de la Grande Guerre, difficile de retrouver une place dans la société civile. Albert et Edouard l’ont bien compris, la France n’a que faire de ses démobilisés et n’a de toute façon pas les moyens de les aider à se réinsérer. D’ailleurs, la patrie préfère glorifier ses morts et oublier les survivants, surtout quand ces derniers sont revenus amochés comme Edouard, gueule cassée refusant de dissimuler son facies sous une prothèse. Devant tant d’ingratitude, les deux amis comprennent que seule la débrouille leur permettra de survivre. Et quoi de mieux qu’une arnaque surfant sur la veine mémorielle pour assouvir une vengeance et s’imaginer un avenir...
Je n’ai pas lu le roman (acheté pourtant à sa sortie), et je pense que c’est un handicap au moment de découvrir cette adaptation. La comparaison m'aurait sans doute permis de mieux saisir les nombreuses différences entre les deux (notamment la fin, si j’ai bien compris). Il est rare qu’un écrivain adapte lui-même son roman en BD, sans doute parce que la narration « graphique » implique une prise de hauteur, une distance avec le texte d’origine qu’il n’est pas simple de mettre en œuvre. Ici, Pierre Lemaitre a eu la chance d’être parfaitement accompagné pour mener à bien son projet. Il ne pouvait trouver meilleur partenaire que Christian De Metter, dessinateur s’étant déjà fait remarquer, entre autres, pour son adaptation de Shutter Island.
Comment passer de 600 à 160 pages ? En étant forcément moins bavard, en ne reprenant aucun dialogue ni extrait, en proposant un récit plus tendu, plus dans l’ellipse, le raccourci. Avec la BD on est davantage dans la suggestion . Le superbe travail sur les regards et leur expressivité par exemple en dit bien plus sur la psychologie des personnages que de longs récitatifs. Clairement, la force du dessin prend le pas sur l'écriture. D'ailleurs ce dernier n'a aucun mal à le reconnaître quand il il parle de son duo avec De Metter : « C'est mon histoire, mais c'est vraiment son album ».
L'interprétation « visuelle » d'un texte aussi littéraire avait, avant le coup, tout du plan casse-gueule. Mais la mise en images, inspirée et pleine de souffle, tendant même parfois vers le burlesque, offre une nouvelle dimension au Goncourt 2013 et évite l'écueil de la fidélité absolue à l'oeuvre d'origine. Une incontestable réussite.
Je n’ai pas lu le roman (acheté pourtant à sa sortie), et je pense que c’est un handicap au moment de découvrir cette adaptation. La comparaison m'aurait sans doute permis de mieux saisir les nombreuses différences entre les deux (notamment la fin, si j’ai bien compris). Il est rare qu’un écrivain adapte lui-même son roman en BD, sans doute parce que la narration « graphique » implique une prise de hauteur, une distance avec le texte d’origine qu’il n’est pas simple de mettre en œuvre. Ici, Pierre Lemaitre a eu la chance d’être parfaitement accompagné pour mener à bien son projet. Il ne pouvait trouver meilleur partenaire que Christian De Metter, dessinateur s’étant déjà fait remarquer, entre autres, pour son adaptation de Shutter Island.
Comment passer de 600 à 160 pages ? En étant forcément moins bavard, en ne reprenant aucun dialogue ni extrait, en proposant un récit plus tendu, plus dans l’ellipse, le raccourci. Avec la BD on est davantage dans la suggestion . Le superbe travail sur les regards et leur expressivité par exemple en dit bien plus sur la psychologie des personnages que de longs récitatifs. Clairement, la force du dessin prend le pas sur l'écriture. D'ailleurs ce dernier n'a aucun mal à le reconnaître quand il il parle de son duo avec De Metter : « C'est mon histoire, mais c'est vraiment son album ».
L'interprétation « visuelle » d'un texte aussi littéraire avait, avant le coup, tout du plan casse-gueule. Mais la mise en images, inspirée et pleine de souffle, tendant même parfois vers le burlesque, offre une nouvelle dimension au Goncourt 2013 et évite l'écueil de la fidélité absolue à l'oeuvre d'origine. Une incontestable réussite.
Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre et Christian De Metter. Rue de Sèvres, 2015. 168 pages. 22,50 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec ma très chère Noukette.
L'avis de Livresse des mots ; celui d'Antigone
mardi 6 octobre 2015
Le premier mardi c'est permis (41) : Pas dans le cul aujourd’hui - Jana Cerna
« Pas dans le cul aujourd’hui / j’ai mal / et puis j’aimerais d‘abord discuter un peu avec toi / car j’ai de l’estime pour ton intellect. »
Le premier vers de ce poème donne ici son titre à une longue lettre d’amour. Car ce texte est bien une seule et unique lettre d’amour adressée par Jana Cerna à son amant Egon Bondy au début des années 60. Cerna, icône de la culture underground pragoise décédée dans un accident de la route en 1981, écrit à celui qui vient à peine de la quitter mais lui manque déjà tant. « J’ai commencé à écrire cette lettre qui n’a ni rime ni raison, où je ne veux rien révéler ni rien résoudre, mais je ne crois pas qu’il y ait besoin d’explication, tu comprendras sûrement et ça ne te posera pas de problème. »
Elle revendique l’impossibilité de séparer le désir physique, la sexualité et l’intellect, exprime son refus de se soumettre à la primauté masculine, défend le pouvoir de l’imagination tant malmené par le stalinisme et invite à lier de manière inéluctable et naturelle poésie et philosophie. Une prise de position sans concession, parfois mystique, pleine de souffle et de vitalité, traversée par des passages dignes d’une confession amoureuse des plus touchantes : « Je me sens bien et j’ai la certitude que tout est pour le mieux, qu’il n’arrivera jamais rien qui ne doit arriver. Je ne peux pas te perdre et toi, tu ne peux pas me perdre, l’état des choses et ceux qui s’en prévalent n’y peuvent plus rien, nous sommes arrivés à un tel point que c’est sûr et certain. Comment cela arrivera n’est pas de notre ressort, je n’ai aucune intention de forcer le destin et je m’accorde le luxe de cette insouciance d’un cœur léger. » ou encore « il faut savoir aimer et j’ai payé cher pour l’apprendre, je ne sais pas si j’ai réussi, mais ce dont je suis sûre et certaine, c’est que ce temps et ce prix-là m’ont permis de comprendre ce que c’est que d’aimer et que tu es le seul homme avec qui je puisse avoir une relation digne de ce mot profané et banal, mais pourtant clair et précis. »
Dans le dernier tiers, elle se lance dans une énumération érotique de ses envies et de sa frustration due à leur éloignement avec une incroyable liberté de ton : « Pourquoi sacredieu n’est-je pas ta langue dans ma chatte alors que c’est mon plus ardent désir, pourquoi je ne sens pas la chatouille douloureuse de ta morsure sur la plante de mes pieds, pourquoi je ne peux pas te tendre mon cul pour que tu le possèdes, le morde, l’étrilles et l’arroses de ton sperme ? » / « Je voudrais te coucher sur le dos et te mordiller les tétons, lécher le fond de ton nombril et prendre tout à tour chacune de tes couilles dans ma bouche jusqu’à te faire geindre. »
Cette lettre d'une sincérité et d'une force d'évocation remarquable dresse le portrait d'une femme libre et indomptable, d'une femme amoureuse et insoumise, d'une femme incapable de se comporter de manière raisonnable. Une femme moderne, quoi.
Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna. La contre allée, 2014. 92 pages. 8,50 euros.
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka en ce premier mardi du mois où, grâce à Stephie, tout est permis !
Le premier vers de ce poème donne ici son titre à une longue lettre d’amour. Car ce texte est bien une seule et unique lettre d’amour adressée par Jana Cerna à son amant Egon Bondy au début des années 60. Cerna, icône de la culture underground pragoise décédée dans un accident de la route en 1981, écrit à celui qui vient à peine de la quitter mais lui manque déjà tant. « J’ai commencé à écrire cette lettre qui n’a ni rime ni raison, où je ne veux rien révéler ni rien résoudre, mais je ne crois pas qu’il y ait besoin d’explication, tu comprendras sûrement et ça ne te posera pas de problème. »
Elle revendique l’impossibilité de séparer le désir physique, la sexualité et l’intellect, exprime son refus de se soumettre à la primauté masculine, défend le pouvoir de l’imagination tant malmené par le stalinisme et invite à lier de manière inéluctable et naturelle poésie et philosophie. Une prise de position sans concession, parfois mystique, pleine de souffle et de vitalité, traversée par des passages dignes d’une confession amoureuse des plus touchantes : « Je me sens bien et j’ai la certitude que tout est pour le mieux, qu’il n’arrivera jamais rien qui ne doit arriver. Je ne peux pas te perdre et toi, tu ne peux pas me perdre, l’état des choses et ceux qui s’en prévalent n’y peuvent plus rien, nous sommes arrivés à un tel point que c’est sûr et certain. Comment cela arrivera n’est pas de notre ressort, je n’ai aucune intention de forcer le destin et je m’accorde le luxe de cette insouciance d’un cœur léger. » ou encore « il faut savoir aimer et j’ai payé cher pour l’apprendre, je ne sais pas si j’ai réussi, mais ce dont je suis sûre et certaine, c’est que ce temps et ce prix-là m’ont permis de comprendre ce que c’est que d’aimer et que tu es le seul homme avec qui je puisse avoir une relation digne de ce mot profané et banal, mais pourtant clair et précis. »
Dans le dernier tiers, elle se lance dans une énumération érotique de ses envies et de sa frustration due à leur éloignement avec une incroyable liberté de ton : « Pourquoi sacredieu n’est-je pas ta langue dans ma chatte alors que c’est mon plus ardent désir, pourquoi je ne sens pas la chatouille douloureuse de ta morsure sur la plante de mes pieds, pourquoi je ne peux pas te tendre mon cul pour que tu le possèdes, le morde, l’étrilles et l’arroses de ton sperme ? » / « Je voudrais te coucher sur le dos et te mordiller les tétons, lécher le fond de ton nombril et prendre tout à tour chacune de tes couilles dans ma bouche jusqu’à te faire geindre. »
Cette lettre d'une sincérité et d'une force d'évocation remarquable dresse le portrait d'une femme libre et indomptable, d'une femme amoureuse et insoumise, d'une femme incapable de se comporter de manière raisonnable. Une femme moderne, quoi.
Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna. La contre allée, 2014. 92 pages. 8,50 euros.
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka en ce premier mardi du mois où, grâce à Stephie, tout est permis !
samedi 3 octobre 2015
Dandy - Richard Krawiec
Artie et Jolene. Lui est un voleur à la tire vivotant sans domicile fixe. Un laissé-pour-compte que personne ne remarque. Elle, de son coté, élève seule Dandy, son fils de deux ans qui sera bientôt aveugle si elle ne trouve pas les deux mille dollars nécessaires pour le faire opérer. Il la voit pour la première fois dans un bar. Elle est à moitié nue sur le ring au milieu de la salle, prête à se rouler dans la Jell-O avec une catcheuse sous les hurlements porcins d'une foule surexcitée. La seule solution qu'elle ait trouvée pour dégoter quelques billets. Il la rattrape dans la rue après le combat, entame la conversation. Le début d'une histoire d'amour passionnée et chaotique.
Un roman de 1986 qui plonge le lecteur au cœur du désespoir. Une mère qui n'a pas les moyens de sauver son bébé, le nourrit au beurre de cacahuète et au biberon de pepsi, qu'elle coupe au whisky quand elle veut l'assommer quelques heures. Un pauvre type, beau parleur, magouilleur à la petite semaine. Des pas grand-chose dans l'Amérique des années 80 et son capitalisme triomphant. Jolene et Artie sont des personnages inoubliables. Des personnages acculés, incapables de joindre les deux bouts. Ils veulent éviter la noyade, tentent des choses, se débattent. Échouent. Relèvent la tête, s'interrogent, replongent. Ils rêvent, tirent des plans sur la comète, envisagent des solutions extrêmes, les mettent en œuvre. Se plantent. Mais ils s'aiment et finalement, rien n'est plus important.
Au-delà du désespoir reste une humanité et une vitalité qui amène un rayon de lumière dans les ténèbres. Richard Krawiec n'enjolive rien. Il fut l'un des premiers auteurs américains à donner des cours d'écriture dans des centres d'accueil de SDF, des prisons ou des cités défavorisées, guidé par le souci de redonner la parole à ceux qui ne l'ont plus. Avec Artie et Jolene, il dresse le portrait d'un couple incroyablement touchant, un couple qui avance à tout petits pas et ne va nulle part. C'est beau et tragique sans jamais être sordide, malgré les apparences.
L'ombre de Selby plane sur ce grand roman, sombre et crépusculaire. De la littérature américaine sans gants, décomplexée. Celle que j'aime plus que toute autre.
Dandy de Richard Krawiec. Points, 2015. 240 pages. 6,70 euros.
Un roman de 1986 qui plonge le lecteur au cœur du désespoir. Une mère qui n'a pas les moyens de sauver son bébé, le nourrit au beurre de cacahuète et au biberon de pepsi, qu'elle coupe au whisky quand elle veut l'assommer quelques heures. Un pauvre type, beau parleur, magouilleur à la petite semaine. Des pas grand-chose dans l'Amérique des années 80 et son capitalisme triomphant. Jolene et Artie sont des personnages inoubliables. Des personnages acculés, incapables de joindre les deux bouts. Ils veulent éviter la noyade, tentent des choses, se débattent. Échouent. Relèvent la tête, s'interrogent, replongent. Ils rêvent, tirent des plans sur la comète, envisagent des solutions extrêmes, les mettent en œuvre. Se plantent. Mais ils s'aiment et finalement, rien n'est plus important.
Au-delà du désespoir reste une humanité et une vitalité qui amène un rayon de lumière dans les ténèbres. Richard Krawiec n'enjolive rien. Il fut l'un des premiers auteurs américains à donner des cours d'écriture dans des centres d'accueil de SDF, des prisons ou des cités défavorisées, guidé par le souci de redonner la parole à ceux qui ne l'ont plus. Avec Artie et Jolene, il dresse le portrait d'un couple incroyablement touchant, un couple qui avance à tout petits pas et ne va nulle part. C'est beau et tragique sans jamais être sordide, malgré les apparences.
L'ombre de Selby plane sur ce grand roman, sombre et crépusculaire. De la littérature américaine sans gants, décomplexée. Celle que j'aime plus que toute autre.
Dandy de Richard Krawiec. Points, 2015. 240 pages. 6,70 euros.
vendredi 2 octobre 2015
Alcoolique - Jonathan Ames et Dean Haspiel
J’adore la séquence d’introduction de cet album (peut-être parce qu'elle me rappelle quelques souvenirs de jeunesse...). Jonathan A., le narrateur et double de l’auteur, se réveille à l’arrière d’une voiture, pendant qu’une naine d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain) lui tripote la braguette. Il ne sait pas comment il est arrivé là mais quand les flics viennent cogner au carreau, il prend ses jambes à son cou, trouve refuge sur la plage, s’allonge sous un ponton et s’enfouit dans le sable pour passer inaperçu.
Entre temps, il a commencé à raconter son histoire. Ses premiers déboires avec l’alcool, à 15 ans. Des bières partagées avec son meilleur copain. Il trouve le goût infect et vomit presque à chaque biture, mais boire le rend cool aux yeux des autres alors que d’habitude, il passe inaperçu. Puis vient son dépucelage (un fiasco), ses études, brillantes, jusqu’au diplôme obtenu à la prestigieuse fac de Yale. La mort de ses parents dans un accident de voiture est un tournant. Il part pour Paris avec l’argent de son héritage et s’abîme dans la boisson et la drogue. Retour au pays, cure de désintox. Des années de sevrage, un boulot de taxi à New Haven, la publication d’un premier roman, un polar fortement inspiré d’Hammett et Chandler. Un gros chagrin d’amour et c’est la rechute. Sans parler de la tragédie du 11 septembre qu’il vit en direct depuis le toit de son immeuble New-yorkais et la perte de Sal, son ami d’enfance, emporté par le sida. Une succession de coups durs et une plongée vertigineuse (vodka, bière, cocaïne et héroïne), dont il ne se remet pas…
Si vous me connaissez un peu, vous vous doutez que cet album me va comme un gant. Peut-être parce qu’Alcoolique est un roman graphique de mec. Entendons-nous, pas un mec plein de testostérone, sûr de lui, avançant gaillardement et franchissant les obstacles avec calme, maîtrise et maturité, mais plutôt un mec fragile, faible, lâche, incapable de sortir la tête de l’eau et possédant suffisamment de lucidité pour proposer une belle dose d’autodérision. Du loser comme je les aime, tellement paumé qu’il en devient touchant. Il pense qu’il va s’en sortir, se dit que chaque cuite sera la dernière en sachant pertinemment qu’il remettra le nez dans un verre à la première occasion. C’est à la fois triste et drôle, pathétique surtout, mais jamais geignard.
Contrairement au sujet, le dessin est sobre (oui, elle est facile mais je suis fatigué en ce moment…). Du noir et blanc réaliste aux cadrages maîtrisés. Pas de fioriture et une recherche d’efficacité qui fait mouche.
Confession sans pathos de la romance destructrice d’un homme avec la bouteille, Alcoolique est une vraie belle réussite. Premier roman graphique des éditions Toussaint Louverture (Mailman, vous vous rappelez ?), l’ouvrage est, comme toujours chez cet éditeur, d’une qualité de fabrication bien au dessus de la moyenne. Un objet livre-livre somptueux et un contenu à consommer sans modération ! (fatigué je vous dis…).
Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel. Monsieur Toussaint Louverture, 2015. 144 pages. 22,00 euros.
Entre temps, il a commencé à raconter son histoire. Ses premiers déboires avec l’alcool, à 15 ans. Des bières partagées avec son meilleur copain. Il trouve le goût infect et vomit presque à chaque biture, mais boire le rend cool aux yeux des autres alors que d’habitude, il passe inaperçu. Puis vient son dépucelage (un fiasco), ses études, brillantes, jusqu’au diplôme obtenu à la prestigieuse fac de Yale. La mort de ses parents dans un accident de voiture est un tournant. Il part pour Paris avec l’argent de son héritage et s’abîme dans la boisson et la drogue. Retour au pays, cure de désintox. Des années de sevrage, un boulot de taxi à New Haven, la publication d’un premier roman, un polar fortement inspiré d’Hammett et Chandler. Un gros chagrin d’amour et c’est la rechute. Sans parler de la tragédie du 11 septembre qu’il vit en direct depuis le toit de son immeuble New-yorkais et la perte de Sal, son ami d’enfance, emporté par le sida. Une succession de coups durs et une plongée vertigineuse (vodka, bière, cocaïne et héroïne), dont il ne se remet pas…
Si vous me connaissez un peu, vous vous doutez que cet album me va comme un gant. Peut-être parce qu’Alcoolique est un roman graphique de mec. Entendons-nous, pas un mec plein de testostérone, sûr de lui, avançant gaillardement et franchissant les obstacles avec calme, maîtrise et maturité, mais plutôt un mec fragile, faible, lâche, incapable de sortir la tête de l’eau et possédant suffisamment de lucidité pour proposer une belle dose d’autodérision. Du loser comme je les aime, tellement paumé qu’il en devient touchant. Il pense qu’il va s’en sortir, se dit que chaque cuite sera la dernière en sachant pertinemment qu’il remettra le nez dans un verre à la première occasion. C’est à la fois triste et drôle, pathétique surtout, mais jamais geignard.
Contrairement au sujet, le dessin est sobre (oui, elle est facile mais je suis fatigué en ce moment…). Du noir et blanc réaliste aux cadrages maîtrisés. Pas de fioriture et une recherche d’efficacité qui fait mouche.
Confession sans pathos de la romance destructrice d’un homme avec la bouteille, Alcoolique est une vraie belle réussite. Premier roman graphique des éditions Toussaint Louverture (Mailman, vous vous rappelez ?), l’ouvrage est, comme toujours chez cet éditeur, d’une qualité de fabrication bien au dessus de la moyenne. Un objet livre-livre somptueux et un contenu à consommer sans modération ! (fatigué je vous dis…).
Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel. Monsieur Toussaint Louverture, 2015. 144 pages. 22,00 euros.
mercredi 30 septembre 2015
Les équinoxes - Cyril Pedrosa
« Je pense à toutes ses vies qui auraient été possibles et j’ai l’impression de ne pas en avoir vécu une seule. Au moins une. » La peur panique de ne pas avoir existé pleinement. Ce sens que l’on cherche et que l’on ne trouve pas. La certitude de naître et de mourir seul, la certitude que personne ne viendra nous sauver. Beaucoup de mélancolie, un zeste de nostalgie, la lucidité devant le temps qui passe et n’arrange rien. Des destins qui défilent, se croisent ou s’évitent en quatre tableaux, quatre saisons, de l’automne à l’été.
Vincent, son ex-femme, son frère Damien, sa fille Pauline. Louis, militant communiste septuagénaire. Catherine, secrétaire d’état à l’environnement. Camille, Antoine, Edith… Une levée de bouclier contre la construction d’un aéroport, une usine qui ferme. Des gens qui luttent, se démènent, se résignent. Il y a tout cela dans cet album choral où les solitudes intérieures semblent ne jamais être capables de partager leur ressenti, leur mal-être, leurs combats.
Pour moi, un nouvel album de Pedrosa est un événement majeur. C’est un auteur qui m’avait bouleversé avec « Trois ombres » et m’avait totalement impressionné par sa maîtrise narrative et graphique tout au long de « Portugal ». Clairement, « Les équinoxes » ne pouvait qu’être la BD de l’année. Sauf que. Ça n’a pas été le raz de marée que j’attendais, le tourbillon plein d’émotion qui devait m’emporter à coup sûr. Peut-être une œuvre trop intime, trop personnelle, trop introspective. Les thèmes et les réflexions se veulent universelles mais je suis resté à l’écart. Et puis les longs récitatifs qui viennent s’insérer entre les différentes séquences dessinées (et qui ont servi de matériau de base au récit), ralentissent la fluidité de l'ensemble. Le procédé a quelque peu gêné ma lecture et gâché mon plaisir.
Graphiquement, c'est impressionnant et j’adore toujours autant ce trait à la fois nerveux et très relâché qui se reconnait au premier coup d’œil. A chaque saison sa technique (aquarelle pour l’automne, crayon à papier pour l’hiver, pastel et crayons de couleur pour le printemps, couleurs franches sans noir pour l’été). Un album dense, ambitieux, intelligent et profond. Très au-dessus de la production actuelle. Un album que j’aurais aimé adorer. Mais la magie n’a pas opéré. Pour autant, Pedrosa reste à mes yeux l’auteur le plus talentueux de sa génération, et cette semi-déception ne va rien y changer.
Les équinoxes de Cyril Pedrosa. Dupuis, 2015. 330 pages. 35,00 euros.
L'avis de Jacques
Vincent, son ex-femme, son frère Damien, sa fille Pauline. Louis, militant communiste septuagénaire. Catherine, secrétaire d’état à l’environnement. Camille, Antoine, Edith… Une levée de bouclier contre la construction d’un aéroport, une usine qui ferme. Des gens qui luttent, se démènent, se résignent. Il y a tout cela dans cet album choral où les solitudes intérieures semblent ne jamais être capables de partager leur ressenti, leur mal-être, leurs combats.
Pour moi, un nouvel album de Pedrosa est un événement majeur. C’est un auteur qui m’avait bouleversé avec « Trois ombres » et m’avait totalement impressionné par sa maîtrise narrative et graphique tout au long de « Portugal ». Clairement, « Les équinoxes » ne pouvait qu’être la BD de l’année. Sauf que. Ça n’a pas été le raz de marée que j’attendais, le tourbillon plein d’émotion qui devait m’emporter à coup sûr. Peut-être une œuvre trop intime, trop personnelle, trop introspective. Les thèmes et les réflexions se veulent universelles mais je suis resté à l’écart. Et puis les longs récitatifs qui viennent s’insérer entre les différentes séquences dessinées (et qui ont servi de matériau de base au récit), ralentissent la fluidité de l'ensemble. Le procédé a quelque peu gêné ma lecture et gâché mon plaisir.
Graphiquement, c'est impressionnant et j’adore toujours autant ce trait à la fois nerveux et très relâché qui se reconnait au premier coup d’œil. A chaque saison sa technique (aquarelle pour l’automne, crayon à papier pour l’hiver, pastel et crayons de couleur pour le printemps, couleurs franches sans noir pour l’été). Un album dense, ambitieux, intelligent et profond. Très au-dessus de la production actuelle. Un album que j’aurais aimé adorer. Mais la magie n’a pas opéré. Pour autant, Pedrosa reste à mes yeux l’auteur le plus talentueux de sa génération, et cette semi-déception ne va rien y changer.
Les équinoxes de Cyril Pedrosa. Dupuis, 2015. 330 pages. 35,00 euros.
L'avis de Jacques
La BD de la semaine est aujourd'hui chez Noukette |
mardi 29 septembre 2015
146298 - Rachel Corenblit
146 298. Encrée. Et ancrée. Une suite de chiffres sur le bras de sa grand-mère. Une suite de chiffres dont elle a compris le sens pendant un cours d’histoire sur la seconde guerre mondiale. Le secret bien caché s’est enfin révélé à elle et a pris sens. Aujourd’hui, Elsa se fait tatouer sur le bras le douloureux héritage. Parce que sa grand-mère à la mémoire défaillante lui a enfin parlé de cette expérience innommable. La rafle, le convoi, le camp. La faim, la soif, le froid, la cruauté, l’entraide. La mort partout. La survie, coûte que coûte. Aujourd’hui, Elsa va garder à jamais la trace d’une histoire familiale frappée par la folie des hommes. Une histoire qui la bouleverse au point de vouloir la ressentir dans sa chair. Pour ne jamais oublier.
Encore un texte coup de poing dans cette collection qui ne cessera jamais de me surprendre. Le monologue d’Elsa, entrecroisant sa vie et celle de sa grand-mère, sonne avec une justesse qui laisse groggy. Pas un mot de trop. Phrases courtes. Écriture incisive. Percutante. La douleur qui s’imprime sur le bras d’Elsa et sur la rétine du lecteur. Un monologue qui, une fois de plus et sur un sujet pourtant abordé des milliers fois, parvient à frapper au cœur et aux tripes. Avec une économie de moyen remarquable, loin de tout lyrisme excessif et sans jamais tomber dans le tire-larmes. Aussi bluffant que poignant.
146298 de Rachel Corenblit. Actes Sud Junior, 2015. 66 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.
Encore un texte coup de poing dans cette collection qui ne cessera jamais de me surprendre. Le monologue d’Elsa, entrecroisant sa vie et celle de sa grand-mère, sonne avec une justesse qui laisse groggy. Pas un mot de trop. Phrases courtes. Écriture incisive. Percutante. La douleur qui s’imprime sur le bras d’Elsa et sur la rétine du lecteur. Un monologue qui, une fois de plus et sur un sujet pourtant abordé des milliers fois, parvient à frapper au cœur et aux tripes. Avec une économie de moyen remarquable, loin de tout lyrisme excessif et sans jamais tomber dans le tire-larmes. Aussi bluffant que poignant.
146298 de Rachel Corenblit. Actes Sud Junior, 2015. 66 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.
Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir
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