Changer la vie, c’est un regard nostalgique jeté par-dessus l’épaule vers une jeunesse pleine de promesses dont aucune ne semble avoir été tenue. Antoine raconte ses vingt ans sous la France de Mitterand. 81, le grand chambardement politique et social, l’été du départ vers New-York pour le narrateur. Accompagné de son meilleur ami François, il débarque à Manhattan sous une chaleur suffocante, invité par une riche Texane qui va lui prêter un appart et accessoirement devenir son amante d’un soir. Antoine est embauché pour recueillir les souvenirs d’une résistante, son patron pensant qu’avec ce témoignage de première main, il tiendra un best seller pouvant sauver sa maison d’édition du naufrage. Antoine rencontre beaucoup de monde, il navigue dans l’undergound culturel d’une ville fiévreuse qui ne dort jamais. Un été inoubliable, de ceux qui vous marquent à vie.
Franchement, j’ai trouvé l’exercice futile, un peu vain, sans grand intérêt. Antoine Audouard évite l’écueil du pénible « c’était mieux avant », il adopte un ton léger et emprunt d’une autodérision bienvenue mais cela n’a pas suffit pour que j’y trouve mon compte. Trop anecdotique, trop en surface, trop de digressions, de parenthèses, de notes en bas de pages… Trop de choses pour un arrière goût final de « pas assez », c’est le comble.
Cette histoire d’illusions et de déceptions interroge sur l’écart permanent entre nos rêves de jeunesse et notre réalité d’adulte, avec tout ce que cela comporte de renoncements et de compromissions. Déjà-vu, déjà-lu, je sais pertinemment qu’il ne m’en restera pas grand-chose d’ici peu.
Changer la vie d’Antoine Audouard. Gallimard, 2015. 200 pages. 18,00 euros.
Les avis de Canel, Jostein, Léa Touch Book, Nadael, Sharon et Sylire
samedi 4 juillet 2015
vendredi 3 juillet 2015
Cry Father - Benjamin Whitmer
« La vie est un sandwich à la merde dans lequel on finit tous par être forcés de croquer »
Outch ! Après Pike, Benjamin Whitmer en remet une couche et nous montre une Amérique en perdition. Ses personnages se laissent submerger par la tristesse, ils baissent les bras, sachant le combat perdu d’avance. Aucun espoir dans ce roman, même si les figures féminines apportent une petite note de sagesse, elles ne se font pas d’illusions, disons juste qu’elles sont peut-être un poil plus combatives que leurs hommes. Des hommes qui ont eux depuis longtemps baissé les bras, trouvant leur salut dans une fuite en avant semée d’embûches et d’excès en tout genre.
Depuis le décès de son jeune fils suite à une erreur médicale, Patterson Wells sillonne les zones sinistrées par les ouragans et autres catastrophes naturelles afin de déblayer les décombres et de remettre en état les réseaux électriques. A la fin de chaque saison, il retourne avec son chien dans la cabane en bois qu’il a construit de ses propres mains, au fin fond des forêts du Colorado. Il survit en ermite, enchaînant les cuites en attendant le prochain lever de soleil. Le jour où il rencontre Junior, dealer, bagarreur et grand consommateur de cocaïne, Patterson sait qu’il noue une relation avec le diable. Une relation toxique qui va l’entraîner toujours plus près d’un précipice l’attirant comme un aimant.
Cry father, c’est l’Amérique dont personne n’a rien à cirer. Bienvenue chez les camés, les paumés, les sans grades. Bienvenue dans un monde régit par une violence qui surgit sans crier gare. Mettre une raclée ou prendre une branlée, tel est le quotidien de Patterson et Junior. Un duo à la dérive, ayant parfaitement conscience de filer droit sur les récifs, mais ne faisant rien pour résister au courant. La haine d’un monde dans lequel ils n’ont pas leur place chevillée au corps, ces deux-là avancent de concert vers l’inéluctable et le lecteur, pas dupe, sait très bien que les choses vont mal tourner…
Cry father, c’est une noirceur totale, brutale, sans aucun brin de lumière. L’écriture, âpre et concise, se fait parfois lyrique tandis que chaque dialogue est d’un réalisme criant. Il y a quelque chose de profondément immoral dans ce texte abrasif. Il y a aussi tout ce que j’aime dans la littérature américaine d’aujourd’hui.
Cry Father de Benjamin Whitmer. Gallmeister, 2015. 315 pages. 16,50 euros.
Les avis d'Alex et Marie-Claude
Outch ! Après Pike, Benjamin Whitmer en remet une couche et nous montre une Amérique en perdition. Ses personnages se laissent submerger par la tristesse, ils baissent les bras, sachant le combat perdu d’avance. Aucun espoir dans ce roman, même si les figures féminines apportent une petite note de sagesse, elles ne se font pas d’illusions, disons juste qu’elles sont peut-être un poil plus combatives que leurs hommes. Des hommes qui ont eux depuis longtemps baissé les bras, trouvant leur salut dans une fuite en avant semée d’embûches et d’excès en tout genre.
Depuis le décès de son jeune fils suite à une erreur médicale, Patterson Wells sillonne les zones sinistrées par les ouragans et autres catastrophes naturelles afin de déblayer les décombres et de remettre en état les réseaux électriques. A la fin de chaque saison, il retourne avec son chien dans la cabane en bois qu’il a construit de ses propres mains, au fin fond des forêts du Colorado. Il survit en ermite, enchaînant les cuites en attendant le prochain lever de soleil. Le jour où il rencontre Junior, dealer, bagarreur et grand consommateur de cocaïne, Patterson sait qu’il noue une relation avec le diable. Une relation toxique qui va l’entraîner toujours plus près d’un précipice l’attirant comme un aimant.
Cry father, c’est l’Amérique dont personne n’a rien à cirer. Bienvenue chez les camés, les paumés, les sans grades. Bienvenue dans un monde régit par une violence qui surgit sans crier gare. Mettre une raclée ou prendre une branlée, tel est le quotidien de Patterson et Junior. Un duo à la dérive, ayant parfaitement conscience de filer droit sur les récifs, mais ne faisant rien pour résister au courant. La haine d’un monde dans lequel ils n’ont pas leur place chevillée au corps, ces deux-là avancent de concert vers l’inéluctable et le lecteur, pas dupe, sait très bien que les choses vont mal tourner…
Cry father, c’est une noirceur totale, brutale, sans aucun brin de lumière. L’écriture, âpre et concise, se fait parfois lyrique tandis que chaque dialogue est d’un réalisme criant. Il y a quelque chose de profondément immoral dans ce texte abrasif. Il y a aussi tout ce que j’aime dans la littérature américaine d’aujourd’hui.
Cry Father de Benjamin Whitmer. Gallmeister, 2015. 315 pages. 16,50 euros.
Les avis d'Alex et Marie-Claude
mercredi 1 juillet 2015
Maus T1 et T2 - Art Spiegelman
Deux ans, peut-être plus, que Mo’ a eu la gentillesse de m’offrir ces deux albums. Deux ans au moins qu’ils prenaient la poussière sur mes étagères. Difficile d’expliquer pourquoi, disons que certains livres semblent parfois trop grands pour nous, et c’est ce qui m'est arrivé avec Maus. Mais ce week-end j’ai pris le taureau par les cornes, j’ai cessé d’avoir peur et je me suis lancé. Je me demande bien maintenant comment je vais être capable d’en parler…
Maus, c’est l’histoire de Vladek Spiegelman, soldat juif polonais fait prisonnier de guerre par les allemands en 39, qui réussit par miracle à retourner dans sa ville de Sosnowiec et y retrouve sa femme avant de connaître avec elle un long calvaire : traque, confinement dans le ghetto, rafles et déportations auxquelles ils parviennent à échapper sur le fil. Pensant trouver une porte de sortie en Hongrie, ils sont arrêtés dans le train suite à une dénonciation et transférés à Auschwitz, où, comme l’annonce le titre du tome deux, « c’est là que les ennuis ont commencé ».
Art Spiegelman a recueilli le témoignage de son père. Il dit l’horreur, la perte absolue de liberté et d’espoir, les coups, les privations, la faim, la certitude de ne pas ressortir vivant des camps. Il dit l’amour qui aide à tenir, la malice, l’opportunisme et surtout la chance et le hasard qui ont permis la survie du couple. Ce premier niveau du récit aurait suffi à faire de Maus une œuvre poignante, mais l’auteur va plus loin, et c’est ce qui fait toute la différence. Le fils relate les moments passés avec son père lorsqu’il enregistre son histoire. Il dresse le portrait « au présent » et sans complaisance d’un vieil homme malade, tyrannique, raciste, empêtré dans des querelles sans fin avec sa seconde épouse et d’une avarice sordide le faisant ressembler à la caricature du juif que se plaisent à entretenir les antisémites.
Cette description à première vue ambiguë met mal à l’aise le dessinateur lui-même, mais elle donne une dimension supplémentaire et une profondeur incroyable au propos. Maus restitue à la fois la parole du père et le travail du fils. A un moment, la compagne d’Art déclare : « D’une certaine manière, il n’a pas survécu. » Et c’est exactement ça je crois, tant l’évocation de la Shoah permet de découvrir les racines tragiques de la personnalité difficile du père et témoigne de l’impact psychologique de l’holocauste sur les survivants et leur descendance. Art précise d’emblée qu’il s’entend mal avec son géniteur, il se montre rongé par la mauvaise conscience d’être né après guerre, après la disparition en 1943 de Richieu, son « frère-fantôme ». Son père et lui souffrent de stigmates ayant marqué à jamais leur famille (stigmates encore plus profonds depuis le suicide de la mère en 1968).
Graphiquement, sobriété et économie de moyens dominent. La métaphore animale délivre d’un réalisme pesant et renforce l’expressivité dans la mesure où victimes (souris) et bourreaux (chats) sont immédiatement identifiables.
Maus est un chef d’œuvre qui dépasse largement les frontières de la BD. Ni dénonciation explicite, ni réflexion sur l’Histoire (même si l’horreur du génocide occupe une place centrale), c’est surtout et avant tout la retranscription fidèle d’une expérience et d’une mémoire individuelle. Mais c’est également une façon aussi unique qu’exceptionnelle de dessiner l’indicible.
Maus T1 et T2 d’Art Spiegelman. Flammarion, 1987 et 2001. 160 et 135 pages. 15 euros chaque volume.
L'avis de Moka
Et parce que Mo’ est la générosité incarnée, elle m’a aussi offert MetaMaus, une somme publiée vingt-cinq ans après Maus et dans laquelle Spiegelman revient sur son travail et explore les questions cruciales qu’il soulève : Pourquoi des souris, pourquoi la BD, pourquoi ses relations conflictuelles avec son père ? Il parle également de son propre voyage à Auschwitz, du complexe d’infériorité qui l’a miné toute sa vie. Surtout, il décrit avec minutie son processus créatif, illustré d’un incomparable matériel iconographique (carnets personnels, photos, croquis, etc). En bonus, un DVD, les enregistrements de son père et de nombreux documents historiques sur lesquels il s’est appuyé tout au long de la réalisation des albums. Riche et passionnant, cet ouvrage a été pour moi un complément indispensable à la lecture de Maus.
« Ma vie professionnelle a consisté pour l’essentiel à trouver la chose la plus dure que j’étais capable de faire […]. Quand j’ai eu trente ans, j’ai cherché un défi qui soit à la hauteur, et Maus répondait à ce critère. Il m’était difficile de devoir penser à mon passé, et il m’était difficile de devoir être en présence de mon père, métaphoriquement mais aussi concrètement. Donc tous ces éléments m’ont conduit à m’attaquer à une histoire trop importante pour que je la comprenne. »
MetaMaus : un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes. Flammarion, 2012. 300 pages + 1 DVD. 30,00 euros.
Maus, c’est l’histoire de Vladek Spiegelman, soldat juif polonais fait prisonnier de guerre par les allemands en 39, qui réussit par miracle à retourner dans sa ville de Sosnowiec et y retrouve sa femme avant de connaître avec elle un long calvaire : traque, confinement dans le ghetto, rafles et déportations auxquelles ils parviennent à échapper sur le fil. Pensant trouver une porte de sortie en Hongrie, ils sont arrêtés dans le train suite à une dénonciation et transférés à Auschwitz, où, comme l’annonce le titre du tome deux, « c’est là que les ennuis ont commencé ».
Art Spiegelman a recueilli le témoignage de son père. Il dit l’horreur, la perte absolue de liberté et d’espoir, les coups, les privations, la faim, la certitude de ne pas ressortir vivant des camps. Il dit l’amour qui aide à tenir, la malice, l’opportunisme et surtout la chance et le hasard qui ont permis la survie du couple. Ce premier niveau du récit aurait suffi à faire de Maus une œuvre poignante, mais l’auteur va plus loin, et c’est ce qui fait toute la différence. Le fils relate les moments passés avec son père lorsqu’il enregistre son histoire. Il dresse le portrait « au présent » et sans complaisance d’un vieil homme malade, tyrannique, raciste, empêtré dans des querelles sans fin avec sa seconde épouse et d’une avarice sordide le faisant ressembler à la caricature du juif que se plaisent à entretenir les antisémites.
Cette description à première vue ambiguë met mal à l’aise le dessinateur lui-même, mais elle donne une dimension supplémentaire et une profondeur incroyable au propos. Maus restitue à la fois la parole du père et le travail du fils. A un moment, la compagne d’Art déclare : « D’une certaine manière, il n’a pas survécu. » Et c’est exactement ça je crois, tant l’évocation de la Shoah permet de découvrir les racines tragiques de la personnalité difficile du père et témoigne de l’impact psychologique de l’holocauste sur les survivants et leur descendance. Art précise d’emblée qu’il s’entend mal avec son géniteur, il se montre rongé par la mauvaise conscience d’être né après guerre, après la disparition en 1943 de Richieu, son « frère-fantôme ». Son père et lui souffrent de stigmates ayant marqué à jamais leur famille (stigmates encore plus profonds depuis le suicide de la mère en 1968).
Graphiquement, sobriété et économie de moyens dominent. La métaphore animale délivre d’un réalisme pesant et renforce l’expressivité dans la mesure où victimes (souris) et bourreaux (chats) sont immédiatement identifiables.
Maus est un chef d’œuvre qui dépasse largement les frontières de la BD. Ni dénonciation explicite, ni réflexion sur l’Histoire (même si l’horreur du génocide occupe une place centrale), c’est surtout et avant tout la retranscription fidèle d’une expérience et d’une mémoire individuelle. Mais c’est également une façon aussi unique qu’exceptionnelle de dessiner l’indicible.
Maus T1 et T2 d’Art Spiegelman. Flammarion, 1987 et 2001. 160 et 135 pages. 15 euros chaque volume.
L'avis de Moka
Et parce que Mo’ est la générosité incarnée, elle m’a aussi offert MetaMaus, une somme publiée vingt-cinq ans après Maus et dans laquelle Spiegelman revient sur son travail et explore les questions cruciales qu’il soulève : Pourquoi des souris, pourquoi la BD, pourquoi ses relations conflictuelles avec son père ? Il parle également de son propre voyage à Auschwitz, du complexe d’infériorité qui l’a miné toute sa vie. Surtout, il décrit avec minutie son processus créatif, illustré d’un incomparable matériel iconographique (carnets personnels, photos, croquis, etc). En bonus, un DVD, les enregistrements de son père et de nombreux documents historiques sur lesquels il s’est appuyé tout au long de la réalisation des albums. Riche et passionnant, cet ouvrage a été pour moi un complément indispensable à la lecture de Maus.
« Ma vie professionnelle a consisté pour l’essentiel à trouver la chose la plus dure que j’étais capable de faire […]. Quand j’ai eu trente ans, j’ai cherché un défi qui soit à la hauteur, et Maus répondait à ce critère. Il m’était difficile de devoir penser à mon passé, et il m’était difficile de devoir être en présence de mon père, métaphoriquement mais aussi concrètement. Donc tous ces éléments m’ont conduit à m’attaquer à une histoire trop importante pour que je la comprenne. »
mardi 30 juin 2015
Ronde comme la lune - Mireille Disdero
Saskia n’a pas un problème de taille mais un problème de poids. Trop gourmande, incapable d’ouvrir un paquet de chips sans l’engloutir en entier. Ses excès de nourriture se reflètent sur son apparence. Un corps de lycéenne qu’elle déteste mais pour lequel elle n’est pas vraiment prête à faire d’efforts, tant pis pour les moqueries, les surnoms idiots, les blagues humiliantes ou les phrases griffonnées au tableau. Jusqu’au jour ou ses bourreaux franchissent la ligne rouge en créant un faux site internet pour la ridiculiser…
Beaucoup de choses m’ont plu dans ce texte. Et pourtant j’ai craint le pire au départ, persuadé d’avoir affaire à une énième variation autour d’une ado en souffrance, à un récit plein de geignardise et de portes ouvertes que l’on enfonce à grands coups de pathos. Mais je me suis vite rendu compte que Mireille Disdero ne cèderait pas à la facilité et qu’elle jouerait une partition tout en finesse et surtout extrêmement réaliste.
Le rejet de son apparence (« Mon corps ? Un boulet que je devais porter comme si je l’acceptais ; un boulet qui avait le droit d’exister et de m’écraser. »), la relation compliquée aux parents, la vie sociale qui continue malgré tout, l’attirance pour un garçon et l’incompréhension devant l’intérêt que lui-même manifeste alors qu’en théorie il devrait se sauver en courant, tout cela est relaté le plus naturellement du monde et rend Saskia incroyablement attachante.
J’ai aussi aimé le fait qu’elle rejette avec force l’empathie de ses proches et affirme son besoin d’être mise en difficulté pour pouvoir enfin avancer, une posture originale et qui sort des sentiers battis (« Le problème, avec ceux qui nous aiment, c’est la guimauve. Ils nous trouvent des circonstances atténuantes, refusent de nous faire du mal, nous protègent de la vie mais celle-ci est bien là, entière et cruelle, avec ses coups. Résultat ? Leur affection ne nous aide pas. »). Cerise sur le gâteau, je trouve la fin parfaite : non, elle ne devient pas une jolie jeune fille mince à force de régimes et d’une volonté sans faille ; non elle ne sombre pas dans une dépression profonde et ne se jette pas du haut d’un pont… Là encore, la finesse l’emporte, rien n’est tout blanc ou tout noir, et c’est d’autant plus crédible.
Un texte magnifique et particulièrement intelligent que je recommande chaudement (c’est de saison !), et ce n’est pas ma complice préférée qui vous dira le contraire.
Ronde comme la lune de Mireille Disdero. Seuil jeunesse, 2015. 176 pages. 12,50 euros. Dès 11 ans.
L'avis de Noukette avec qui je partage une fois de plus cette lecture jeunesse.
Beaucoup de choses m’ont plu dans ce texte. Et pourtant j’ai craint le pire au départ, persuadé d’avoir affaire à une énième variation autour d’une ado en souffrance, à un récit plein de geignardise et de portes ouvertes que l’on enfonce à grands coups de pathos. Mais je me suis vite rendu compte que Mireille Disdero ne cèderait pas à la facilité et qu’elle jouerait une partition tout en finesse et surtout extrêmement réaliste.
Le rejet de son apparence (« Mon corps ? Un boulet que je devais porter comme si je l’acceptais ; un boulet qui avait le droit d’exister et de m’écraser. »), la relation compliquée aux parents, la vie sociale qui continue malgré tout, l’attirance pour un garçon et l’incompréhension devant l’intérêt que lui-même manifeste alors qu’en théorie il devrait se sauver en courant, tout cela est relaté le plus naturellement du monde et rend Saskia incroyablement attachante.
J’ai aussi aimé le fait qu’elle rejette avec force l’empathie de ses proches et affirme son besoin d’être mise en difficulté pour pouvoir enfin avancer, une posture originale et qui sort des sentiers battis (« Le problème, avec ceux qui nous aiment, c’est la guimauve. Ils nous trouvent des circonstances atténuantes, refusent de nous faire du mal, nous protègent de la vie mais celle-ci est bien là, entière et cruelle, avec ses coups. Résultat ? Leur affection ne nous aide pas. »). Cerise sur le gâteau, je trouve la fin parfaite : non, elle ne devient pas une jolie jeune fille mince à force de régimes et d’une volonté sans faille ; non elle ne sombre pas dans une dépression profonde et ne se jette pas du haut d’un pont… Là encore, la finesse l’emporte, rien n’est tout blanc ou tout noir, et c’est d’autant plus crédible.
Un texte magnifique et particulièrement intelligent que je recommande chaudement (c’est de saison !), et ce n’est pas ma complice préférée qui vous dira le contraire.
Ronde comme la lune de Mireille Disdero. Seuil jeunesse, 2015. 176 pages. 12,50 euros. Dès 11 ans.
L'avis de Noukette avec qui je partage une fois de plus cette lecture jeunesse.
lundi 29 juin 2015
Les lectures de Charlotte (7) : Le gâteau perché tout là-haut
Qu’il a l’air appétissant ce gâteau perché tout là-haut ! L’ours aimerait bien le goûter mais il est trop petit pour l’atteindre. Heureusement, le cochon arrive et lui saute sur la tête. Pas suffisant cependant pour arriver jusqu’au gâteau. Avec l’aide du chien, du lapin, de la poule et de la grenouille, la fenêtre est enfin accessible. Sauf qu’elle se ferme d’un seul coup et…
Un album très drôle qui joue sur l’effet d’accumulation. Chaque double page offre le même décor fixe auquel vient s’ajouter un nouvel animal. Beaucoup d’efforts mis en commun pour, à première vue, une terrible frustration. Sauf que l’entraide finit toujours par payer, c’est bien connu. L’histoire est facile à suivre et le minimalisme du graphisme se révèle au final très parlant. J’aime beaucoup aussi les détails hilarants comme la position des animaux qui change dans la « pyramide » dès que l’on tourne une page. Sans oublier ce petit oiseau sur le fil électrique qui ne cesse de se rapprocher du gâteau et en obtient un morceau à sa façon.
Lu, relu et rerelu des dizaines de fois depuis son arrivée à la maison, cet album fait un tabac auprès de ma petite lectrice préférée, qui a pourtant des goûts déjà très tranchés dès qu’il s’agit de choisir un livre. Et j’aime autant vous dire que quand elle en tient un qui lui plait autant, elle ne le lâche plus !
Le gâteau perché tout là-haut de Suzanne Straber. Tourbillon, 2015. 20 pages. 13,00 euros. A partir de 2 ans.
L'avis de Faelys
Un album très drôle qui joue sur l’effet d’accumulation. Chaque double page offre le même décor fixe auquel vient s’ajouter un nouvel animal. Beaucoup d’efforts mis en commun pour, à première vue, une terrible frustration. Sauf que l’entraide finit toujours par payer, c’est bien connu. L’histoire est facile à suivre et le minimalisme du graphisme se révèle au final très parlant. J’aime beaucoup aussi les détails hilarants comme la position des animaux qui change dans la « pyramide » dès que l’on tourne une page. Sans oublier ce petit oiseau sur le fil électrique qui ne cesse de se rapprocher du gâteau et en obtient un morceau à sa façon.
Lu, relu et rerelu des dizaines de fois depuis son arrivée à la maison, cet album fait un tabac auprès de ma petite lectrice préférée, qui a pourtant des goûts déjà très tranchés dès qu’il s’agit de choisir un livre. Et j’aime autant vous dire que quand elle en tient un qui lui plait autant, elle ne le lâche plus !
Le gâteau perché tout là-haut de Suzanne Straber. Tourbillon, 2015. 20 pages. 13,00 euros. A partir de 2 ans.
L'avis de Faelys
samedi 27 juin 2015
L’ampleur du saccage - Kaoutar Harchi
Ils sont quatre et leurs liens semblent ténus. Un fil, pourtant, relie l’histoire de Riddah, Ryeb, Si Larbi et Arezki. C’est de l’autre coté de la méditerranée, là-bas, en Algérie, où trois d’entre eux sont nés, que leurs destins vont se rejoindre et basculer une dernière fois. A l’origine, un acte collectif abominable perpétré trente ans plus tôt. Un acte sur les lieux duquel ils vont revenir depuis la France pour faire face à la vérité. Une vérité douloureuse et tragique, point de départ de tous leurs maux.
Difficile de rentrer dans ce texte choral tant il n’est pas simple à première vue de trouver des connexions entre chaque personnage. Mais peu à peu le puzzle se met en place, les interactions prennent sens et la tragédie à venir apparaît inéluctable. Kaoutar Harchi possède un sens aigu de la mise en scène. Elle avance ses pions avec une maîtrise narrative éblouissante, tissant un canevas dont la forme définitive surgit comme une évidence dans les toutes dernières pages. J’aime son écriture au lyrisme contenu, ses phrases brèves qui disent la douleur et le chagrin.
L’ampleur du saccage est une réflexion sur la quête des origines, la relation à la mère, l’exil, la violence des hommes. Des hommes perdus, souffrant de carences affectives et sexuelles, tellement en manque de repères qu’ils marchent en permanence au bord du précipice. Des hommes sans espoirs, torturés par le remords, certains de ne jamais trouver le repos, de ne jamais pouvoir expier leurs fautes. C’est beau, intense et triste comme la vie.
L’ampleur du saccage de Kaoutar Harchi. Babel, 2015 (première édition en 2011). 120 pages. 6,80 euros.
Un livre offert par une blogueuse chère à mon cœur pour des tas de raisons qui ne regardent qu’elle et moi. Merci encore, comme d’habitude, ton choix était parfait.
Extraits :
« Je ‘n’appartiens à aucune terre, je ne descends d’aucune lignée, je suis là, simplement. Cause abandonnée au bon vouloir des mystères mutiques, je dérive le long des impostures, épuisé, car tous les ports d’accueil ont disparu : j’ignore d’où je viens. »
« Nous étions des êtres nus, nos corps ne voulaient plus continuer. La décomposition et le pourrissement guettaient, seules nos âmes croyaient qu’il était encore possible de surmonter la boue, les puces et les rats. Criminels en fuite, nous portions en nous des cadavres, nos cadavres, car nous étions en avance sur la mort, nous lui avions mâché le travail. […] Comment ne pas tomber, ne pas creuser et s’enfouir soi-même, sans l’aide de personne, d’aucun Dieu, sous cette terre aux abois ? »
Difficile de rentrer dans ce texte choral tant il n’est pas simple à première vue de trouver des connexions entre chaque personnage. Mais peu à peu le puzzle se met en place, les interactions prennent sens et la tragédie à venir apparaît inéluctable. Kaoutar Harchi possède un sens aigu de la mise en scène. Elle avance ses pions avec une maîtrise narrative éblouissante, tissant un canevas dont la forme définitive surgit comme une évidence dans les toutes dernières pages. J’aime son écriture au lyrisme contenu, ses phrases brèves qui disent la douleur et le chagrin.
L’ampleur du saccage est une réflexion sur la quête des origines, la relation à la mère, l’exil, la violence des hommes. Des hommes perdus, souffrant de carences affectives et sexuelles, tellement en manque de repères qu’ils marchent en permanence au bord du précipice. Des hommes sans espoirs, torturés par le remords, certains de ne jamais trouver le repos, de ne jamais pouvoir expier leurs fautes. C’est beau, intense et triste comme la vie.
L’ampleur du saccage de Kaoutar Harchi. Babel, 2015 (première édition en 2011). 120 pages. 6,80 euros.
Un livre offert par une blogueuse chère à mon cœur pour des tas de raisons qui ne regardent qu’elle et moi. Merci encore, comme d’habitude, ton choix était parfait.
Extraits :
« Je ‘n’appartiens à aucune terre, je ne descends d’aucune lignée, je suis là, simplement. Cause abandonnée au bon vouloir des mystères mutiques, je dérive le long des impostures, épuisé, car tous les ports d’accueil ont disparu : j’ignore d’où je viens. »
« Nous étions des êtres nus, nos corps ne voulaient plus continuer. La décomposition et le pourrissement guettaient, seules nos âmes croyaient qu’il était encore possible de surmonter la boue, les puces et les rats. Criminels en fuite, nous portions en nous des cadavres, nos cadavres, car nous étions en avance sur la mort, nous lui avions mâché le travail. […] Comment ne pas tomber, ne pas creuser et s’enfouir soi-même, sans l’aide de personne, d’aucun Dieu, sous cette terre aux abois ? »
vendredi 26 juin 2015
Un été 42 - Herman Raucher
« Hermie fut pris d'une violente nausée. Il eut des vertiges et dut s'asseoir. Il avait la tête embrumée, folle, malade. C'était soit l'amour, soit le choléra - il avait une préférence pour ce dernier parce qu'au moins, on pouvait en guérir. »
Hermie, Oscy et Benjie. Des gamins de 15 ans qui voudraient devenir des hommes, pendant cet été 42 passé sur une île en face de la Nouvelle Angleterre, alors que leur pays vient d’entrer en guerre. Des ados se baladant au bord de la plage avec leur bistouquette greffée sur le front, ne pensant qu’à « ça ». « Ça », qui les travaille beaucoup, mais dont ils ne connaissent strictement rien. Heureusement, Benjie a son manuel d’anatomie. Tout l’acte sexuel y est expliqué en douze étapes. Hermie est persuadé qu’il ne dépassera pas la seconde de ces étapes, que s’il arrive à la cinquième ce sera un miracle. En attendant, il fantasme comme ses copains sur la belle Dorothy. Une femme, une vraie, à la plastique parfaite et au charme torride.
Ce texte sent le vécu à plein nez et c’est ce qui le rend si attachant. Bien sûr, aujourd’hui, une éducation sexuelle (ou plutôt pornographique, ce qui n’a strictement rien à voir) peut se faire en deux clics mais il n’empêche, les questionnements de l’adolescence gardent une portée universelle. Par exemple Hermie qui pelote le bras de sa voisine au cinéma pensant que c’est un sein et s’étonne à peine de ne pas trouver le téton, ça aurait pu être moi. Ce même Hermie qui joue avec une capote, l’enfile et la trouve tellement grande qu’il a l’impression de voir pendre un « accordéon détendu », ça aurait pu être moi aussi. J’ai bien dit « aurait pu », n’allez pas vous imaginer des trucs sur mon adolescence (et mon anatomie).
Quoi qu’il en soit, j’ai adoré cet humour pas spécialement léger mais qui ne cherche pas non plus à en faire des caisses. L’enchaînement des épisodes peu glorieux donne tout le sel au récit. On suit nos pieds nickelés de la drague le sourire aux lèvres, on se délecte de leurs échanges savoureux, de leurs réflexions hautement intellectuelles sur les choses de la vie, de leurs angoisses, de leurs échecs et de leurs pseudo certitudes : « Il quitta sa chambre avec la conviction que lorsqu’il reviendrait, il serait un homme. Des pieds à la tête, il n’était qu’une érection ambulante qui respirait le sexe, la confiance en soi et la maturité. » On rit beaucoup donc, et à la fin on pleure, parce c’est beau et qu’il y a de quoi (enfin pas moi parce que je ne pleure jamais en lisant un livre, faut pas pousser non plus, mais j’en connais qui écraseraient facilement une petite larme).
Un roman d’initiation qui m’a fait passer un excellent moment de lecture. Quel plaisir de découvrir ces garçons « douloureusement à cheval sur le fil de fer barbelé qui sépare l’enfance de l’âge adulte », ces garçons « en train de se départir de l’atroce chrysalide de la jeunesse ». Réjouissant et plein de vie !
Un été 42 d’Herman Raucher. La belle colère, 2015 (1ère édition française en 1971). 345 pages. 20,00 euros.
Une lecture comme que j’ai le plaisir de partager avec La Fée Lit. Une grande première dont je me réjouis au plus haut point (et on remettra ça très vite j’espère !)
Hermie, Oscy et Benjie. Des gamins de 15 ans qui voudraient devenir des hommes, pendant cet été 42 passé sur une île en face de la Nouvelle Angleterre, alors que leur pays vient d’entrer en guerre. Des ados se baladant au bord de la plage avec leur bistouquette greffée sur le front, ne pensant qu’à « ça ». « Ça », qui les travaille beaucoup, mais dont ils ne connaissent strictement rien. Heureusement, Benjie a son manuel d’anatomie. Tout l’acte sexuel y est expliqué en douze étapes. Hermie est persuadé qu’il ne dépassera pas la seconde de ces étapes, que s’il arrive à la cinquième ce sera un miracle. En attendant, il fantasme comme ses copains sur la belle Dorothy. Une femme, une vraie, à la plastique parfaite et au charme torride.
Ce texte sent le vécu à plein nez et c’est ce qui le rend si attachant. Bien sûr, aujourd’hui, une éducation sexuelle (ou plutôt pornographique, ce qui n’a strictement rien à voir) peut se faire en deux clics mais il n’empêche, les questionnements de l’adolescence gardent une portée universelle. Par exemple Hermie qui pelote le bras de sa voisine au cinéma pensant que c’est un sein et s’étonne à peine de ne pas trouver le téton, ça aurait pu être moi. Ce même Hermie qui joue avec une capote, l’enfile et la trouve tellement grande qu’il a l’impression de voir pendre un « accordéon détendu », ça aurait pu être moi aussi. J’ai bien dit « aurait pu », n’allez pas vous imaginer des trucs sur mon adolescence (et mon anatomie).
Quoi qu’il en soit, j’ai adoré cet humour pas spécialement léger mais qui ne cherche pas non plus à en faire des caisses. L’enchaînement des épisodes peu glorieux donne tout le sel au récit. On suit nos pieds nickelés de la drague le sourire aux lèvres, on se délecte de leurs échanges savoureux, de leurs réflexions hautement intellectuelles sur les choses de la vie, de leurs angoisses, de leurs échecs et de leurs pseudo certitudes : « Il quitta sa chambre avec la conviction que lorsqu’il reviendrait, il serait un homme. Des pieds à la tête, il n’était qu’une érection ambulante qui respirait le sexe, la confiance en soi et la maturité. » On rit beaucoup donc, et à la fin on pleure, parce c’est beau et qu’il y a de quoi (enfin pas moi parce que je ne pleure jamais en lisant un livre, faut pas pousser non plus, mais j’en connais qui écraseraient facilement une petite larme).
Un roman d’initiation qui m’a fait passer un excellent moment de lecture. Quel plaisir de découvrir ces garçons « douloureusement à cheval sur le fil de fer barbelé qui sépare l’enfance de l’âge adulte », ces garçons « en train de se départir de l’atroce chrysalide de la jeunesse ». Réjouissant et plein de vie !
Un été 42 d’Herman Raucher. La belle colère, 2015 (1ère édition française en 1971). 345 pages. 20,00 euros.
Une lecture comme que j’ai le plaisir de partager avec La Fée Lit. Une grande première dont je me réjouis au plus haut point (et on remettra ça très vite j’espère !)
jeudi 25 juin 2015
L’arabe du futur T2 : une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) - Riad Sattouf
Dans ce tome 2, le petit Riad a maintenant six ans, et il est toujours installé en famille dans la Syrie natale de son père. Un papa prof de fac et plein de projets ambitieux, une maman d’origine bretonne qui s’ennuie ferme dans ce pays si éloigné du sien, et un Riad aux « cheveux blonds d’actrice californienne qui volent dans le vent », à « l’air un peu trop sûr de son charme », à « la voix de petite fille », qui a des « lacets faits par sa maman chérie » et qui « doit se retenir très fort de pleurer quand il tombe par terre ».
Riad vit comme un petit syrien, va à l’école, s’intègre comme il peut et gravite parmi des connaissances de son père faisant partie de « l’élite » du pays. Avec lui on découvre une institutrice voilée et coquette qui ne badine pas avec la discipline, faisant régner l’ordre à coups de bâton, un général mégalo et son garde du corps aux bacchantes impressionnantes, un hôtel de luxe pour riches autochtones ou encore une station balnéaire aux allures très occidentales.
Par rapport au premier tome, j’ai trouvé que la mère s’affirmait davantage et que, sans doute par ricochet, le père semblait plus à l’écoute, et de fait plus sympathique. Ce que j’adore dans cette autobiographie, c’est le mélange de candeur et d’acuité. Riad observe. Il n’a rien d’autre à faire car ses origines et son physique de « sale juif » l’excluent le plus souvent des jeux et des conversations de ses camarades. Comme toujours, Sattouf propose différents niveaux de lecture. Derrière la légèreté du propos affleure une réalité politique et sociale décrite sans complaisance : président réélu avec 100% des voix, bourrage de crâne pour entretenir un antisémitisme d’état, place de la femme, crimes d’honneur, etc.
Au final, il reste en bouche une tendresse lucide portée par ce petit garçon découvrant le monde à hauteur d’enfant. L’arabe du futur, c’est de l’ethnographie mâtinée d’humanisme, un regard à la fois naïf et sans concession, mais aussi sans jugement. Très, très fort monsieur Sattouf !
L’arabe du futur T2 : une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) de Riad Sattouf. Allary, 2015. 158 pages. 20,90 euros.
Mon avis sur le tome 1
Une lecture commune que j'ai l'énormissime plaisir de partager avec Framboise. Sa toute première lecture commune, et c'est avec moi, autant vous dire que je n'en suis pas peu fier. Et on a beau dire, une première fois, c'est toujours spécial !
Riad vit comme un petit syrien, va à l’école, s’intègre comme il peut et gravite parmi des connaissances de son père faisant partie de « l’élite » du pays. Avec lui on découvre une institutrice voilée et coquette qui ne badine pas avec la discipline, faisant régner l’ordre à coups de bâton, un général mégalo et son garde du corps aux bacchantes impressionnantes, un hôtel de luxe pour riches autochtones ou encore une station balnéaire aux allures très occidentales.
Par rapport au premier tome, j’ai trouvé que la mère s’affirmait davantage et que, sans doute par ricochet, le père semblait plus à l’écoute, et de fait plus sympathique. Ce que j’adore dans cette autobiographie, c’est le mélange de candeur et d’acuité. Riad observe. Il n’a rien d’autre à faire car ses origines et son physique de « sale juif » l’excluent le plus souvent des jeux et des conversations de ses camarades. Comme toujours, Sattouf propose différents niveaux de lecture. Derrière la légèreté du propos affleure une réalité politique et sociale décrite sans complaisance : président réélu avec 100% des voix, bourrage de crâne pour entretenir un antisémitisme d’état, place de la femme, crimes d’honneur, etc.
Au final, il reste en bouche une tendresse lucide portée par ce petit garçon découvrant le monde à hauteur d’enfant. L’arabe du futur, c’est de l’ethnographie mâtinée d’humanisme, un regard à la fois naïf et sans concession, mais aussi sans jugement. Très, très fort monsieur Sattouf !
L’arabe du futur T2 : une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) de Riad Sattouf. Allary, 2015. 158 pages. 20,90 euros.
Mon avis sur le tome 1
Une lecture commune que j'ai l'énormissime plaisir de partager avec Framboise. Sa toute première lecture commune, et c'est avec moi, autant vous dire que je n'en suis pas peu fier. Et on a beau dire, une première fois, c'est toujours spécial !
mercredi 24 juin 2015
Histoires de famille : huit nouvelles dessinées - Pelle Forshed
Huit nouvelles qui mettent en scène des auxiliaires de vie suédois intervenant auprès de personnes âgées maintenues à domicile. Toilettes, courses, repas, médicaments, etc. Surtout, une présence pour briser la solitude de ces hommes et femmes en fin de vie dont la décrépitude physique et/ou morale fait peine à voir. Une décrépitude dont le reflet nous éclabousse de plein fouet tant il est difficile de ne pas imaginer ce qui nous attend à plus ou moins long terme. C’est du moins l’impression que j’ai eue et inutile de vous dire que c’est sacrément plombant.
Comment ne pas être admiratif devant ces infirmiers et travailleurs sociaux qui, loin d’être présentés en héros, sont d’une humanité touchante ? Le planning tellement serré qu’il est impossible de consacrer le temps nécessaire à chacun, les relations parfois tendues avec les enfants, qui n’hésitent pas à vous accuser de maltraitance pour un oui ou pour un non et vous menacent d’un procès, ces grabataires qui ne supportent pas de voir des nouvelles têtes et souhaitent accueillir toujours le même auxiliaire. Parfois l’indifférence l’emporte sur l’empathie, parfois on bâcle le travail, rêvant d’être ailleurs, parfois on souhaite se voir retirer la responsabilité de certains cas devenus trop pesants.
Il y a aussi tout au long du recueil une véritable réflexion sur la mort, la façon dont elle perçue par les proches et les accompagnants, ces derniers devant prendre le recul nécessaire pour ne pas être trop ébranlés émotionnellement. Pelle Forshed sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même exercé ce métier. Son trait naïf et minimaliste permet de mettre une distance bienvenue entre la dureté du propos et la représentation qui en est faite.
Soyons clair, toutes les nouvelles ne se valent pas. Il n’empêche, le désarroi et les questionnements de ces auxiliaires de vie, de ces familles face à la vieillesse de leurs proches et à la maladie ont un coté universel, ils nous renvoient à notre propre manque d’implication vis-à-vis de nos aînés. En tout cas c’est comme cela que je l’ai perçu. C’est particulièrement dérangeant mais en ce qui me concerne cette lecture a permis de remettre bien des choses en perspective. Comme quoi…
Histoires de famille : huit nouvelles dessinées de Pelle Forshed. L’agrume, 2015. 140 pages. 20,00 euros.
Comment ne pas être admiratif devant ces infirmiers et travailleurs sociaux qui, loin d’être présentés en héros, sont d’une humanité touchante ? Le planning tellement serré qu’il est impossible de consacrer le temps nécessaire à chacun, les relations parfois tendues avec les enfants, qui n’hésitent pas à vous accuser de maltraitance pour un oui ou pour un non et vous menacent d’un procès, ces grabataires qui ne supportent pas de voir des nouvelles têtes et souhaitent accueillir toujours le même auxiliaire. Parfois l’indifférence l’emporte sur l’empathie, parfois on bâcle le travail, rêvant d’être ailleurs, parfois on souhaite se voir retirer la responsabilité de certains cas devenus trop pesants.
Il y a aussi tout au long du recueil une véritable réflexion sur la mort, la façon dont elle perçue par les proches et les accompagnants, ces derniers devant prendre le recul nécessaire pour ne pas être trop ébranlés émotionnellement. Pelle Forshed sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même exercé ce métier. Son trait naïf et minimaliste permet de mettre une distance bienvenue entre la dureté du propos et la représentation qui en est faite.
Soyons clair, toutes les nouvelles ne se valent pas. Il n’empêche, le désarroi et les questionnements de ces auxiliaires de vie, de ces familles face à la vieillesse de leurs proches et à la maladie ont un coté universel, ils nous renvoient à notre propre manque d’implication vis-à-vis de nos aînés. En tout cas c’est comme cela que je l’ai perçu. C’est particulièrement dérangeant mais en ce qui me concerne cette lecture a permis de remettre bien des choses en perspective. Comme quoi…
Histoires de famille : huit nouvelles dessinées de Pelle Forshed. L’agrume, 2015. 140 pages. 20,00 euros.
mardi 23 juin 2015
Cher cousin caché - Dominique Brisson
En trouvant le forfait de ski d’une certaine Mathilde portant le même nom que lui dans sa doudoune, Émile découvre qu’il a une cousine de son âge et qu’il n’en a jamais entendu parler. Fâchés de longue date, ses parents et son oncle se partagent le chalet familial à chaque période de vacances sans jamais se croiser. Bien décidé à communiquer avec cette cousine dont on lui a caché l’existence, Émile lui laisse un message dans la doudoune. Commence alors entre les deux enfants une correspondance secrète où chaque lettre aura la valeur d’un trésor…
Noukette et moi changeons de registre cette semaine pour notre rendez-vous hebdomadaire autour de la littérature jeunesse : pas de texte coup de poing, de thématique qui gratte et laisse des traces mais un petit roman épistolaire avec des gamins espiègles et attentionnés particulièrement attachants. Du léger, du vivifiant, du positif. Entre Émile et Mathilde, c’est une amitié simple et sincère qui se développe. J’ai aimé voir leur complicité se renforcer au fil du temps, comme une évidence. J’ai aimé l’originalité dont ils ont dû faire preuve pour cacher leurs missives, les trouvailles qu’ils ont mis en œuvre pour faire pester les adultes, la façon dont chacun s'est confié à l’autre en toute confiance, sans aucune arrière-pensée. Et puis cet échange ne s’inscrivant dans aucune immédiateté, cet échange fait d’attente, d’impatience (des semaines voire des mois séparant deux lettres) possède un petit coté anachronique plein de charme.
Une très belle surprise donc que ce court roman dont la lecture fait le plus grand bien. Au moins, ça change de ce que l’on a l’habitude de dénicher pour cette tranche d’âge.
Cher cousin caché de Dominique Brisson. Syros, 2013 (1ère édition en 2006). 70 pages. 6,20 euros. A partir de 9 ans.
Noukette et moi changeons de registre cette semaine pour notre rendez-vous hebdomadaire autour de la littérature jeunesse : pas de texte coup de poing, de thématique qui gratte et laisse des traces mais un petit roman épistolaire avec des gamins espiègles et attentionnés particulièrement attachants. Du léger, du vivifiant, du positif. Entre Émile et Mathilde, c’est une amitié simple et sincère qui se développe. J’ai aimé voir leur complicité se renforcer au fil du temps, comme une évidence. J’ai aimé l’originalité dont ils ont dû faire preuve pour cacher leurs missives, les trouvailles qu’ils ont mis en œuvre pour faire pester les adultes, la façon dont chacun s'est confié à l’autre en toute confiance, sans aucune arrière-pensée. Et puis cet échange ne s’inscrivant dans aucune immédiateté, cet échange fait d’attente, d’impatience (des semaines voire des mois séparant deux lettres) possède un petit coté anachronique plein de charme.
Une très belle surprise donc que ce court roman dont la lecture fait le plus grand bien. Au moins, ça change de ce que l’on a l’habitude de dénicher pour cette tranche d’âge.
Cher cousin caché de Dominique Brisson. Syros, 2013 (1ère édition en 2006). 70 pages. 6,20 euros. A partir de 9 ans.
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