jeudi 16 avril 2015

Un membre permanent de la famille - Russell Banks

C’est compliqué entre Russel Banks et moi. J’ai essayé pourtant, plusieurs fois même, de me plonger dans son univers. Avec « Le livre de la Jamaïque », « Sous le règne de Bone » ou encore « Trailerpark ». A chaque fois j’ai abandonné, incapable de me concentrer sur l’histoire, d’accrocher à l’écriture et à la narration. J’avais donc fait un trait définitif sur cet auteur jusqu’au dernier salon du livre. Nous étions un petit groupe à tourner autour des tables d’Actes sud, discutant de nos dernières trouvailles, et Framboise à décider de m’offrir ce recueil de nouvelles. Le plus naturellement du monde, comme s’il était évident que lui et moi, on allait s’entendre. Vous vous demandez peut-être qui est Framboise ?  Pour la faire courte, je dirais c’est la grande copine de Noukette, mais aussi une personne adorable et d’une gentillesse incroyable. Bon, je ne le dis pas trop fort parce que je sais que sinon elle risque de piquer un fard – du coup, je ne vous dirais pas non plus qu’elle m’a offert d’autres livres au cours de ce beau week-end passé à arpenter les allées du salon. Quand j’y pense, elle est plus qu’adorable en fait, mais chut…

Bref, revenons à nos moutons, à Russel Banks et à ses nouvelles. Douze en tout, se déroulant pour la plupart entre le nord de l’état de New York et la Floride. On y croise des couples qui divorcent, une femme à qui le décès de son mari va ouvrir les portes d’une nouvelle vie, un chien écrasé accidentellement par son maître, un père à la retraite et sans ressources ne voulant pas dépendre de ses fils, un barman de casino qui prend les clients comme ils viennent, ne croyant rien de ce qu’ils racontent et les oubliant dès qu’ils s’en vont, un transplanté cardiaque qui va faire le plus beau des cadeaux à la femme de son « donneur », etc. Le titre du recueil, qui est aussi celui d’une nouvelle, est plein d’ironie tant, à lire Banks, on constate que la famille n’a aujourd’hui plus rien de permanent.

Les portraits transpirent la désillusion et la solitude, ils racontent la trajectoire de laissés-pour-compte trahis ou oubliés par les leurs. Vieillesse, chômage, précarité, des hommes et des femmes dénués de tout espoir, devenus invisibles et qui ne s’attendaient pas à ce que les choses tournent de la sorte. Des hommes et des femmes qui ont passé trop d’années à remettre leurs désirs à plus tard. Chaque histoire aborde un moment particulier, proche du point de rupture, de cet instant où le drame se noue, sur un geste ou un mot de trop.

Je crois qu’il me fallait des nouvelles pour me réconcilier avec Banks. J’aime cette économie de moyens, la limpidité qu’implique la forme courte. On est sur l’os immédiatement, sans fioriture, sans chichi. Et j’aime la « philosophie » qui se dégage de ces textes, reposant sur le décalage entre la vie telle qu'elle est et la vie telle qu'on la voudrait. On en est tous là, non ? En tout cas merci Framboise, pour le cadeau, pour cet excellent moment de lecture passé avec un auteur que je pensais avoir définitivement rayé de ma liste. Et pour tout le reste qu’on ne va pas dévoiler ici…

Un membre permanent de la famille de Russell Banks. Actes sud, 2015. 240 pages. 22,00 euros.

Les avis de AthalieCathuluClara ; Hop ! Sous la couetteIngannmic ; Jostein ; Kathel ; Le bison ; Luocine ; Tant qu'il y aura des livres










mercredi 15 avril 2015

Deux frères - Fabio Moon et Gabriel Ba

Adaptation d’un roman de l’auteur brésilien Milton Hatoum, « Deux frères » se déroule essentiellement après la seconde guerre mondiale et raconte la destinée d’une famille libanaise installée à Manaus. Le récit se focalise sur les jumeaux Yaqub et Omar, deux frères se haïssant depuis leur enfance. Deux frères aux caractères diamétralement opposés, séparés par un antagonisme inconciliable.

Mon deuxième gros coup de cœur BD de l’année après « Le grand méchant renard ». Pourquoi j’ai adoré ? Parce que c’est riche, dense, ambitieux, foisonnant, incroyablement bien construit en terme de narration. C’est une saga familiale à la beauté tragique qui se déploie au fil des pages, pleine de rancœur et de non-dits. Beaucoup d’ellipses et de flash-back, des protagonistes à la psychologie très fouillée, une lecture pas toujours aisée, c’est un album qui se mérite et ça me convient tout à fait. La ville de Manaus est aussi un personnage à part entière. On suit son évolution, sa transformation urbaine, son passage vers la modernité. On ressent la proximité de l’Amazonie, la chaleur, l’humidité du climat, le soleil implacable et les pluies diluviennes. L’immersion est totale !

Niveau dessin, je suis fan de ce trait anguleux et de ce noir et blanc intense digne des grands maîtres argentins Eduardo Risso et José Munoz. Le découpage est parfait et le format XXL de l’album offre à chaque case une rare profondeur, c’est bluffant.

Amour, passion, violence, doutes, colères, espoirs, mépris, trahison… il y a un caractère universel dans l’histoire de ses deux frères et de leur famille. Fabio Moon et Gabriel Ba ont su se jouer de la complexité du texte d’origine, donnant au récit une dynamique et un rythme parfaits. Du grand art, le genre d’album exigeant et touffu qui procure un plaisir de lecture incomparable. Je me suis régalé, tout simplement.

Deux frères de Fabio Moon et Gabriel Ba, d’après le roman de Milton Hatoum. Urban Comics, 2015. 232 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo'.


Et aujourd'hui, la BD de la semaine
est chez Noukette




mardi 14 avril 2015

Le pull - Sandrine Kao

Parce qu’elle est d’une timidité maladive, Soline aime s’enfouir sous un ample pull pour passer inaperçue. Rougissant dès qu’on lui adresse la parole, incapable de regarder les gens dans les yeux, elle a du mal à s’insérer dans le nouveau collège de région parisienne où elle vient de faire sa rentrée suite au divorce de ses parents. Incitée par son amie Lucille à porter une tenue davantage dans l’ère du temps, Soline opte pour des vêtements plus près du corps et souligne son joli minois d’un léger maquillage. Rien de révolutionnaire ni d’ostentatoire à première vue, mais cette transformation suffit à changer les regards et les attitudes de certains...

J’avoue, je n’avais rien vu venir. Je pensais découvrir une histoire classique d’ado mal dans sa peau, mais c’est bien plus fin. Sandrine Kao propose une réflexion délicate et originale sur le harcèlement, un harcèlement aussi insidieux que pernicieux, poussant la victime à se demander si ce n’est pas elle qui imagine des choses, voire si ce n’est pas elle qui les encourage. Elle montre la façon dont l’angoisse monte peu à peu, les ravages que provoque une attitude déplacée que l’on subit en silence. Coline va de plus en plus en mal mais avant de toucher le fond elle a ce sursaut qui va lui permettre de redresser la tête et d’affronter son bourreau : « C’était une question de courage, de volonté : je devais me montrer capable de m’affirmer ».

Un sujet grave abordé de façon positive, sans rien nier du mal être engendré mais en insistant sur le fait qu’il est toujours possible de s’en sortir. L’écriture pleine de sensibilité et de justesse fera longtemps résonner la voix de Soline dans l’esprit des jeunes lecteurs. Une vraie réussite.

Le pull de Sandrine Kao. Syros, 2015. 96 pages. 6,30 euros. A partir de 10 ans.

Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

L'avis de Faelys et celui de Hérisson





lundi 13 avril 2015

Les larmes de l’assassin - Thierry Murat et Anne-Laure Bondoux

Je me rappelle de la dédicace d’Anne-Laure Bondoux à Montreuil en décembre dernier. De Stephie, attendant son tour et s’étonnant d’apprendre que je n’avais jamais lu cette auteure jeunesse incontournable. Limite choquée, la Stephie ! Du coup, je suis reparti du salon avec son dernier roman, « Tant que nous sommes vivants ». Mais j’ai eu le malheur de le prêter quelques jours plus tard, avant même d’avoir eu le temps de l’ouvrir, et je ne l’ai pas revu depuis. Alors quand cette BD, adaptation de l’un de ses autres textes, m’a fait de l’œil avant-hier à la médiathèque, je n’ai pas hésité.

« Ici, personne n’arrivait par hasard. Car ici, c’était le bout du monde, le sud extrême du Chili où la côte fait de la dentelle dans les eaux du Pacifique. Sur cette terre malmenée par le vent, même les pierres semblaient souffrir ». Le narrateur a vu un jour débarquer dans la bicoque des ses parents, isolée à des kilomètres de toute autre habitation, un fugitif. Un truand, un escroc, un assassin. Un homme qui allait changer sa vie à jamais…

Soyons clair et net, j’ai adoré. Il y a tout pour me plaire dans cet album. Un environnement rugueux, une terre désolée, des gens de peu de mots, une tragédie en marche. C’est une histoire de rédemption et d’amour, une histoire de naissance commune, une histoire de solitudes, de silences qui en disent bien plus que de longs discours. Quasiment pas de dialogues, des récitatifs superbement littéraires, le vent, la pluie, l’humidité et le froid comme décor. Fascinant.

La sobriété graphique de Thierry Murat touche à la perfection avec des registres monochromes incroyablement expressifs et des cases s’étirant en longueur pour souligner l’immensité des paysages de la Terre de Feu. Tout en pudeur et en émotion contenue, cette adaptation libre mais respectueuse du roman d’origine est une réussite totale. Un album d'une rare qualité. Me voila prêt à plonger dans la bibliographie d’Anne-Laure Bondoux, Du moins dès que j'aurais récupéré l'exemplaire que j'ai eu le malheur de prêter.


Les larmes de l’assassin de Thierry Murat (adapté du roman d’Anne-Laure Bondoux). Futuropolis, 2011. 125 pages. 18,30 euros.


Les avis de BoumaCanel (Mr), Enna, MangoMo, Noukette, Sara, Yvan,






samedi 11 avril 2015

Héloïse, ouille ! - Jean Teulé

L’histoire d’Héloïse et Abélard est connue, archi-connue même. Abélard, le plus célèbre philosophe et théologien de son époque (1079-1142) devenu le professeur particulier puis l’amant d’Héloïse, nièce du chanoine Fulbert, de vingt ans sa cadette. Un coup de foudre qui engendra une folle passion, tant physique qu’intellectuelle. Découvrant le pot aux roses, Fulbert se vengea en envoyant ses sbires castrer le sulfureux précepteur. Puni par là où il avait fauté, ce dernier consacra le reste de ses jours à une existence pieuse, tandis que sa belle rentra au couvent.

Je ne m'étends pas sur les détails, je préfère laisser Mr Teulé s'en charger. Et le bougre sait y faire. Du Teulé dans le texte, paillard, grivois, plein d’exubérance, jamais avare « d’anachronismes lexicaux ». Un style débraillé qui peut choquer, tant le mythe ici revisité est à des années-lumière de notre conception de l’amour courtois. Les cent première pages enchaînent les parties de jambes en l’air sans temps mort : Abélard « polissonne la bagasse » et « bélute la donzelle » qui le lui rend bien, vouant entre autres une admiration sans borne à ses « génitoires ». Bref, on « heurtebille » à tour de bras et sans complexe, n’en déplaise aux culs serrés.

J’aime cette liberté de ton, ces obscénités assumées, cette vulgarité jamais choquante. Parce que derrière l’exubérance et la langue frétillante (sans mauvais jeu de mots), on sent l’érudition et l’énorme travail de documentation.

Teulé se lâche, s’amuse, prend son pied et nous avec. Il offre à Héloïse et Abélard un sérieux coup de jeune et à nous, lecteurs, un vrai moment de plaisir. Qu'on se le dise.

Héloïse, ouille ! de Jean Teulé. Julliard, 2015. 336 pages. 20,00 euros.  

Les avis de L'irrégulière ; Ys ;











vendredi 10 avril 2015

Plus de morts que de vivants - Guillaume Guéraud

Dernier jour de cours avant les vacances d’hiver dans un collège de Marseille. « Aucune menace dans l’air. Juste le froid coupant de février. Qui glaçait les mains. Qui gelait les oreilles jusqu’à les rendre cassantes. Et qui tailladait les poumons à chaque inspiration. » Aucune menace et pourtant à 8h25 un élève de sixième s’est mis à saigner du nez sans raison. Puis une cinquième a perdu ses cheveux par poignées et « la grosse Anouk » s’est écroulée dans la cour, les tripes à l’air. Le début du chaos, une épidémie qui se répand plus vite que la peste, un établissement en quarantaine et la mort qui frappe. A tour de bras. Sans distinction…

Guéraud… ce gars est frapadingue mais c’est pour ça que je l’aime ! Pour avoir lu quelques avis ici ou là avant de me lancer, je suis rentré dans ce roman à reculons. J’ai tourné les premières pages avec pour leitmotiv un « jusque là tout va bien » de façade, car je savais que ça allait déraper à un moment ou l’autre. Il ne m’a pas fallu attendre longtemps. Après, l’engrenage se met en route, on ne voudrait y glisser qu’un ongle mais on y passe la main, le bras et tout le reste. On en ressort en lambeaux et ce n’est pas joli à voir, croyez-moi ! Guéraud donne dans le gore. Il mène sa barque tout en tension avec son écriture au scalpel, jouant avec nos nerfs comme le sadique fait crisser la craie sur le tableau noir. Surtout, on sent qu’il s’amuse, qu’il prend son pied (et, je ne devrais pas le dire, mais nous avec !).

En fait, lire ce roman, c’est plonger dans un paradoxe permanent, dans un grand huit où alternent fascination et répulsion. Je ne vais pas vous décrire ce qu’il arrive concrètement à ces pauvres personnages frappés par le virus mais franchement, il y a de quoi rendre son quatre heures. Répulsion donc, mais en même temps fascination liée au rythme du récit, au huis clos irrespirable, à l’avancée de cette folle journée, à l’espoir (totalement illusoire quand on connaît un peu l’univers de Guéraud) que les choses vont finir par s’arranger. C’est vraiment une drôle d’expérience de lecture qui dérange, bouscule, interpelle. Au-delà du simple déballage sanguinolent et des descriptions à l’efficacité très cinématographiques, il faut voir dans cette sombre histoire une allégorie de la violence gratuite et aveugle qui peut frapper partout, à n’importe quel moment, et sous n’importe quelle forme. Une violence aussi insidieuse que cette épidémie face à laquelle il est impossible de se prémunir.

Un roman haletant, impossible à lâcher. Mais un roman flippant, totalement flippant même. Vous êtes prévenus.

Plus de morts que de vivants de Guillaume Guéraud. Rouergue, 2015. 252 pages. 13,70 euros. A partir de 15 ans.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis de Clara et Moka.







mercredi 8 avril 2015

Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie - Arnaud Floc’h

20 août 1955. Emmett Till, 14 ans, descend du train en gare de Money, dans le fin fond du Mississippi. Ce gamin noir de Chicago vient passer ses vacances chez son oncle. Faisant fi des mises en garde, Emmett le fanfaron décide d’entrer dans une épicerie interdite aux nègres. On ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé à l’intérieur mais la femme blanche derrière la caisse accusera Emmett de lui avoir « manqué de respect ». Un affront suffisamment grave pour que son mari et le demi-frère de ce dernier décident de faire payer à l’impudent son comportement inadmissible. Le 31 août, le corps d’Emmett est sorti de la rivière, atrocement mutilé. Arrêtés, les deux hommes reconnaissent l’enlèvement du garçon mais nient le meurtre. Au bout de trois jours de procès et 67 minutes de délibération, les jurés, tous blancs, prononcent leur acquittement malgré de nombreux témoignages à charge. Ils ressortent de la salle d’audience sous les vivas de la foule, posant pour les photographes aux bras de leurs épouses, cigares et larges sourires aux lèvres.

Un album plein de rage et d’indignation. Les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter, Arnaud Floc’h l’a bien compris. La sobriété renforce l’aspect tragique de cette innommable barbarie. Le scénario est habilement construit, multipliant les allers-retours entre 1955 et 2015. On sent la chaleur du mois d’août dans le sud profond, l’humidité poisseuse du bayou, mais aussi la résignation d’une population afro-américaine sous le joug d’une ségrégation séculaire semblant impossible à remettre en cause. On sent la cruauté des bourreaux, la peur panique d’Emmett, sa souffrance, son martyre. Un enfant d’à peine 14 ans… L’émotion monte au fil des pages, la gorge se serre et la colère ne cesse de gronder. On referme l’ouvrage groggy, secoué par tant d’horreur et d’injustice. Le dossier pédagogique final, avec remise dans le contexte historique, témoignages et photos d’époque, apporte un éclairage encore plus édifiant à ce fait divers abject.

Une BD d’utilité publique, surtout par les temps qui courent, pour rappeler à ceux qui en douteraient encore que l’inhumanité et la bêtise n’ont aucune limite. La mort d’Emmett aurait inspiré Rosa Parks lorsqu’elle refusa de céder sa place à un blanc dans un bus, en décembre de la même année. Le calvaire vécu par ce pauvre garçon et l’acquittement de ses assassins constituent pour certains historiens la pierre angulaire de la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Un élément déclencheur qui aura eu le mérite de dresser l'ensemble d'une communauté face à l'arbitraire, même si cette revanche posthume n’effacera jamais les supplices endurés.

Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2015. 80 pages. 19,50 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka et Noukette.



La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie







mardi 7 avril 2015

Le premier mardi c'est permis (35) : Histoires à ne pas mettre entre toutes les mains - Julie Bray

Vingt-quatre nouvelles en cent vingt pages. Autant vous dire que la québécoise Julie Bray donne dans le fugace, l’instantané. Elle braque les projecteurs sur un moment précis, intense, sulfureux. Avec elle, pas de blabla, des résultats. Et les résultats, je les ai ressentis plus d’une fois, pas la peine de vous faire un dessin.

Le bureau, le métro, l’ascenseur, la cabine d’un bateau, un barbecue entre amis, Acapulco… les lieux varient, les situations aussi, mais au final il reste la quête du plaisir de femmes bien dans leur peau, sexuellement épanouies et sans tabous. Chaque historiette est présentée comme un témoignage envoyé sur le mail de l’auteur. Fiction ou réalité, peu importe, tout est fait pour exciter le lecteur et la mission est accomplie haut la main. Beaucoup de filles entre elles et de trios dans ce recueil. Beaucoup de voyeurisme et de masturbation féminine aussi. Autant de thématiques qui me parlent énormément (ben oui, que voulez-vous, chacun son truc).

J’ai aimé le coté direct et sans fioritures, même si certaines scènes semblent se répéter et que le vocabulaire manque parfois de variété. En tout cas, il n’y a rien de gratuitement vulgaire, rien ne tirant sur le porno sordide. Le sexe est ici joyeux, décomplexé et assumé, plein de désir, de frissons et de sensations.

Une belle surprise, un recueil dans lequel il faut picorer à petite dose et qui se révèle vraiment émoustillant, surtout si on le lit à deux. C’est ce que l’on a fait à la maison et croyez-moi, elles ont bien fait de passer entre nos mains ces histoires !

Histoires à ne pas mettre entre toutes les mains de Julie Bray. J’ai lu, 2014. 126 pages. 5,60 euros.








lundi 6 avril 2015

L'expérience - Christophe Bataille

« Ma petite maman, si tu lis ces lignes, c'est que je ne pourrais plus te serrer dans mes bras. Jamais. Ni toi mon cher Papa. J'ai eu de la chance, tant de chance, d'être né de vous. D'avoir vécu vingt ans avec vous. Et d'être choisi par mon pays. Je suis parti dans le sud algérien pour une mission secrète. »

C'est l'histoire d'un gamin de vingt ans qui a trébuché sur les Champs-Elysées, un 14 juillet 1960. Un soldat qui s'est écroulé sur les pavés en plein défilé avant d'être évacué vers l'hôpital. Un soldat accusé de rébellion, obligé de partir pour le Sahara.

25 Avril 1961, en plein désert. Le jeune soldat est en route avec quelques autres vers une tour de 50 mètres de haut. Au sommet de cette tour, une bombe atomique. L'opération « Gerboise bleue » est le quatrième essai nucléaire français en Algérie. L'armée veut « évaluer le niveau de radiation subi par les hommes afin de définir les distances de sécurité ». Elle a trouvé des cobayes. Des cobayes qui s'avancent avec une mince combinaison protectrice face au souffle de l'explosion à venir. Des cobayes en pleurs, terrorisés.

Des années plus tard, le gamin se souvient et brise l'omerta. Pour la Grande Muette, cette « expérience » n'a jamais eu lieu, il n'y a jamais participé. Son dossier médical est vide alors que son état de santé ne cesse de se détériorer. Il sait qu'il ne lui reste plus longtemps à vivre et avant de partir, il couche sur le papier les heures si particulières de cette terrible journée d'avril.

Un joli texte mais un texte dénué de colère, qui n'est pas suffisamment incarné par rapport au sujet qu'il aborde. Beaucoup de résignation chez cet homme, l'absence de rancœur et la froideur clinique avec laquelle il relate les événements m'ont laissé à distance. Il manque ce petit supplément d'âme, cette touche d'émotion qui m'aurait emporté. Dommage.

L'expérience de Christophe Bataille. Grasset, 2015. 86 pages. 12,00 euros.

Les avis de Canel et Clara














samedi 4 avril 2015

Calavera - Charles Burns

Alors voila. Partout cette BD a été qualifiée de chef d’œuvre, dans les médias et sur les blogs. Et je me rappelle avoir été très séduit par l’univers totalement inclassable de Charles Burns avec Black Hole, donc je me suis lancé en toute confiance. Sauf que...

Sauf que je ne savais pas que ce « Calavera » était en fait le dernier volume d’une trilogie (il n’y a d’ailleurs aucune indication en ce sens sur l’album). J’ai donc emprunté le 1er à la médiathèque mais il n’y avait pas le suivant donc j’ai dû passer du 1 au 3 et clairement il me manque une pièce du puzzle. Déjà, je suis bien incapable de résumer l’histoire, ce qui n’est pas bon signe. Pour ce que j’en ai compris, on suit Doug, un jeune homme souffrant d’insomnies qui le plongent dans un état hallucinatoire et lui ouvrent les portes d’un monde surréaliste où il croise d’étranges créatures. Doug vit avec la douce et bienveillante Sally mais il reste hanté par les souvenirs de son ex-petite amie Sarah. Doug va mal, très mal même. Doug semble totalement perdu et j’avoue sans honte que je me suis perdu avec lui.

J’ai quand même retrouvé quelques éléments appréciés dans Black Hole, notamment la peinture d’une jeunesse américaine dépressive et mélancolique. J’ai retrouvé aussi des thématiques récurrentes chez Burns comme la difficulté du passage à l’âge adulte, le sexe, l’alcool et la drogue. Pour le reste, je n’ai pu donner aucun sens aux déambulations hallucinées du double onirique de Doug (alors que ce sens existe et qu’il doit même être symboliquement très profond – sans doute trop profond pour moi malheureusement !).

Graphiquement, l’hommage assumé à la ligne claire franco-belge et au Tintin d’Hergé dans les passages se déroulant dans l’imaginaire torturé de Doug est fort réussi. Le découpage privilégie la lisibilité et les aplats de couleurs offrent à l’ensemble sobriété et élégance, rien à dire à ce niveau-là.

Alors voila. Il faut parfois savoir reconnaître ses limites intellectuelles et rendre les armes face à l’hermétisme d’un « chef d’œuvre » auquel il nous est impossible de rendre les honneurs qu’il mérite. J’essaierai de faire mieux la prochaine fois…

Calavera de Charles Burns. Cornélius, 2014. 64 pages. 21,50 euros.



Un album lu dans le cadre de l'opération
"La BD fait son festival" de Priceminister".
Pas franchement une bonne pioche...